Le défi Nikolavitch : Deadpool, une icône ?

Le défi Nikolavitch : Deadpool, une icône ?

Un article de ALEX NIKOLAVITCH

1ère publication le 12/11/17-Mise à jour le 29/07/24

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Chaque mois, Alex Nikolavitch, traducteur, romancier, essayiste, scénariste et guest de Bruce Lit est mis au défi de répondre aux plus grandes énigmes de la culture comics. Aujourd’hui, il a fort à faire puisque c’est Bruce Lit himself qui l’éprouve :

Pourquoi Deadpool est-il devenu une icône  ?

Alors, Monsieur Bruce est venu m’apporter sur mon bureau un nouvel ordre de mission et, tel Alfred, voilà que je vais devoir me plier à ses demandes, même les plus grotesques, non sans lui administrer quelques one-liners classieux mais acerbes. Parce que bon.

Empoignant de mes doigts gourds le post-it portant ses desideratas, je me trouvai face à un carré jaune-Simpsons totalement vierge. J’activai mes fabuleux pouvoirs de déduction qui font l’admiration des mamies de mon quartier depuis que j’ai expliqué à Julien Lepers que mon boulot, c’était Batman. Je me heurtai d’emblée à une étrangeté. Si la question avait porté sur Malevitch, le carré aurait été blanc. Il devait y avoir autre chose. Subodorant quelque fourberie à base d’encre invisible, j’approchai le papier diabolique de ma lampe. Et j’y devinai immédiatement quelques mots griffonnés. « Ha ha », me dis-je, « je… »

Je retournai le papelard. Quel genre de personne peut donc écrire AU DOS d’un Post-it ? Ça n’a pas de sens ! Enfin si, ça a un sens, un Post-it. Mais vous voyez ce que je veux dire. Bref. Il y a des gens qui conspirent visiblement à torpiller ma santé mentale. Ils n’y arriveront pas. Je suis trop solide pour ça. Un roc. Comme l’était Errol Flynn avant moi. Un roc Errol. Bref.

C’est reparti pour les singeries

La question que posait mon douteux camarade était donc la suivante : « Pourquoi Deadpool est devenu une icône (de merde) ? »

Il ne s’en rend peut-être pas compte, mais cette question en appelle une autre, beaucoup plus fondamentale. Car il est intéressant de noter que les Big Two n’ont globalement plus produit de personnage s’étant durablement imposés dans la conscience collective depuis… Les années 70 ! Qui sont les derniers personnages majeurs de Marvel à être apparus ? Grosso modo, Ghost Rider, le Punisher et Wolverine, au milieu des années 70. La Maison des Idées a certes créé des personnages depuis, mais combien ont-ils marqué le public au point d’avoir un film ou une série à leur nom ? Cherchez pas, y en a que trois : Elektra, Deadpool et Jessica Jones (et la dernière, c’est une série Netflix, beaucoup moins risquée à mettre en place).

Et c’était bien moche, au départ, Deadpool

Et c’était bien moche, au départ, Deadpool

Chez DC, d’ailleurs, c’est pareil. Depuis Swamp Thing et Ra’s Al Ghul, pas grand-monde de marquant. Ah, si, Harley Quinn, apparue à une vache près en même temps que Deadpool. La création, de nos jours, elle est chez les indés. Hellboy, Sin City, Witchblade, Spawn, Walking Dead, etc. Rien de tout ça n’était chez les Big Two, qui marquent le pas depuis des années et échouent à se renouveler.

Tous les personnages et licences de comics développés à l’écran par les deux gros éditeurs sont des vieilleries : Batman, Superman, Wonder Woman et Captain America sont presque aussi vieux que Giscard. Iron Man, Thor, Spider-Man et les X-Men datent du début des années 60, donc bien avant l’invention d’Internet (qui est né en 1974, comme Wolverine. Coïncidence ?), du Choc Pétrolier et des théories du complot sur Stanley Kubrick, toutes choses qui semblent indispensables désormais à notre mode de vie (Spidey est né en même temps que la Pizza Hawaïenne, vous y croyez à ça ? Pour moi, ce n’est pas innocent, un jour, je vous expliquerai).

Donc, Deadpool et Harley Quinn, apparus à peu près en même temps, c’est à dire au moment de l’effondrement de l’Union Soviétique et de la première Guerre du Golfe. C’est à dire au moment pile où le monde est devenu vraiment dingue. C’est là qu’on a collectivement lâché la rampe, tout le monde le sait. Et d’un coup, tout s’explique, forcément. Vous me suivez ?

Effondrement des idéologies, effondrement des certitudes, fin de l’histoire. Tac. Comme ça. D’un seul coup. En deux ans de temps. Faut-il s’étonner dès lors que les héros qui émergent à ce moment-là soient résolument post-modernes ? Parce que les voilà, les héros d’une époque devenue dingue (1991, c’est l’époque où Lagaf’ est premier du Top 50, c’est un signe) se doivent d’avoir un pet au casque, comme dirait l’autre.

Le pire, c’est que rien ne prédisposait viens-Poo-pool-viens à devenir une icône. Créé par Rob Liefeld dans une une série qu’il était en train d’enterrer (après en avoir usé la scénariste pourtant méritante Louise Simonson, remplacée au pied levé par Fabian Nicieza qui semble se demander au départ ce qu’il fout là), le personnage est grotesque. Portant un costume générique de héros liefeldien, c’est à dire une compilation de tout ce que le gamin trouvait cool, Deadpool n’est qu’un vilain sans épaisseur qu’un autre vilain sans épaisseur recrute pour buter des héros devenus nazes. Mais les héros le reverront à l’envoyeur, si je me souviens bien, (j’ai pas été relire mon exemplaire de Titans, il est sous une pile de cartons) dans un paquet genre FedEx. La quantité totale de charisme dégagée par tous les personnages de l’épisode évoque une sortie de conseil des ministres sous la pluie. En novembre.

Là, d’un coup, ça file des envie de team-up avec Tante May

Là, d’un coup, ça file des envie de team-up avec Tante May

Pourtant, le personnage va s’accrocher, et aller emmerder les autres héros de façon récurrente, jusqu’à ce que de guerre lasse on lui file sa propre mini-série. Je vous parlais de post-modernisme et de fin de l’histoire ? Eh bien à partir de là, on est en plein dedans. Comme les auteurs ne savent pas trop quoi foutre du perso, ils se foutent de sa gueule. Et ça devient méta. Et donc cool, dans une époque post-moderne. Et paf, c’est le drame. Aussi indestructible et violent que Lobo, aussi con et barré que The Mask, le héros est pile dans l’air du temps. Le portenawak fait vendre. Et dès que ça vent, on a droit au Deadpool-au-pot-tous-les-dimanches.

Le réalisateur du film Wolverine Origins tentera bien de saborder le personnage par tous les moyens, en en faisant un truc über-naze, mais rien n’y fait. Tout comme dans les comics, cette saloperie est increvable.

 Rendre muet le personnage qui a marché parce qu’il raconte que des conneries ? Sérieux ?

Rendre muet le personnage qui a marché parce qu’il raconte que des conneries ? Sérieux ?

Et donc, il a fini par avoir un film à son nom. Qui a cartonné.

Alors, qu’on ne masse pas dire ce que je n’ai pas dit. Les quelques fois où j’ai eu à traduire Deadpool, je me suis régalé. Parce que, comme disait ce vieux post-moderne de Serge Gainsbourg, « la connerie, c’est la décontraction de l’intelligence ». Et qu’avec l’âge, je me départis de mon côté Sheldon pour devenir quelqu’un de vachement décontracté.

Deadpool : Mais Niko, pourquoi t’es si méchant ?

Deadpool : Mais Niko, pourquoi t’es si méchant ?

Le film, je l’ai vu aussi avec plaisir. Il y a deux sortes de films stupides. Deadpool fait partie de la catégorie que j’aime bien, les films débiles qui ne pètent pas plus haut que leur cul (et pourtant, avec sa dimension méta, il aurait pu devenir un truc super prétentieux) (pour votre information, l’autre catégorie, celle des films stupides qui me donnent envie d’empaler leurs auteurs sur un manche à balais en bois de châtaigner, taillé en pointe et grassement enduit d’huile pimentée pour pizza, elle est représentée par des trucs comme Prometheus)(Prometheus pourrait être le film le plus drôle du monde, vu par exemple qu’il cite Bip Bip et Vil Coyote quand les filles courent devant le vaisseau, mais il se prend beaucoup trop au sérieux pour même passer pour un truc pince-sans-rire). Non, non, sérieux, même si je l’ai trouvé atterrant, Deadpool le film m’a fait marrer, donc je lui pardonne tout (après, le film Deadpool que je préfère, c’est celui avec Clint Eastwood, Liam Neeson et Jim Carrey) (mais c’est par pure perversion de ma part).

Il n’empêche. Tout comme Harley Quinn, le mercenaire à grande gueule est devenu une star pour plein de mauvaises raisons.

Deadpool : Si, si, ce film existe. L’on y découvre que les rock stars boivent du thé.

Deadpool : Si, si, ce film existe. L’on y découvre que les rock stars boivent du thé

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Le saviez-vous ? Deadpool est né en 1991, l’année où Lagaf’ était numéro 1 au top 50 ! Alex Nikolavitch vous explique chez Bruce Lit pourquoi le mercenaire à grande gueule est devenu la dernière icône Marvel.

LA BO du jour : le roi des idiots !

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