LE DIABLE DANS TOUS SES DETAILS (DAREDEVIL vol.1 # 234-380).


PARTIE 7 : LE RUN DE DEMATTEIS ET DE KARL KESEL

Un article de DOOP

Après deux interviews en profondeur de Greg Wright et de D.G. Chichester, nous nous dirigeons tranquillement vers la fin du premier volume de la série DAREDEVIL au numéro #380. Le changement éditorial amorcé à la fin du run de Chichester va malheureusement, et en dépit de la bonne volonté de tous les auteurs qui vont se succéder, pousser lentement la série vers la queue du peloton des ventes. Et on commence tout de suite par la vision de J.M. De Matteis.

MURDOCK’S LAST HUNT

DAREDEVIL #343-350
Scénaristes : Warren Ellis, J.M De Matteis, Ivan Velez, Jr
Dessinateurs :
Keith Pollard, Arvell Michael Jones, Ron Wagner, Cary Nord,Tom Palmer, Bill Reinhold, Ron McCain, Al Williamson
Coloristes : Christie « Max » Scheele, Paul Becton, John Kalisz.
Lettrage : Bill Oakley, Jim Novak, Ul Higgins 
Editeurs : James Felder, Bobbie Chase

Comme dans toute transition, il y a un numéro de décalage, un numéro un peu passe-partout et c’est le jeune Warren Ellis qui va passer le plat à J.M. De Matteis en inventant une histoire de flic pourri. On sent la volonté d’Ellis de respecter les ordres de son éditeur, qui semblent assez clairs : se débarrasser de tout ce qui a été fait avant. Pas de costume noir donc et une remise en question de la nouvelle identité de Matt, « Jack Batlin ». Daredevil reçoit un coup sur la tête et semble être en grande détresse psychologique. Les dessins sont assurés par un Keith Pollard pas très à l’aise et assez expéditif et même l’encrage de Tom Palmer n’arrive pas à le rendre agréable.

Daredevil est totalement paumé. Paumé dans ses différentes identités et à travers les nombreux scénaristes qui se sont succédés et qui lui ont donné chacun une personnalité différente. C’est en tout cas la thèse ou tout du moins le cahier des charges imposé à De Matteis. Faire table rase du passé. Et c’est effectivement assez violent. Alors que Matt combat un nouvel ennemi, un masculiniste du nom de SIR, un nouveau Daredevil apparaît portant le costume original du héros, jaune et rouge. En parlant de costume, Matt se réveille un matin et voit au pied de son lit son armure totalement mise en pièce par on ne sait qui. Bien évidemment, les récits psychologiques sont le point fort du scénariste qui va donc nous présenter plusieurs aspects de Daredevil : le côté joyeux du costume jaune, le costume rouge qui représente le passage à un Daredevil plus sérieux et l’armure des années 90. Matt est à la recherche de sa propre identité à travers tous ces avatars et son cheminement se déroule en parallèle de celui de SIR, dont on apprend qu’il s’agit en fait d’un transgenre, devenu homme pour représenter tout ce qu’il aurait aimé être, à savoir un homme fort et non pas une femme fragile.

SIR. Un personnage intéressant mais traité de manière un peu caricaturale
©Marvel Comics

L’histoire est plutôt bonne et parfaitement rythmée, même si on se rend compte assez vite qu’il n’y a qu’un seul Daredevil et que, comme souvent, De Matteis n’y va pas avec le dos de la cuillère niveau émotions et pathos. Le traitement de SIR est peut-être un peu caricatural, mais rajoute une couche au niveau du thème de l’histoire. Le scénariste nous présente le moment crucial de la vie de Matt, celui qui a définitivement brisé sa psyché, et ce dernier est en lien avec la mini-série MAN WITHOUT FEAR qui se voit donc, en dépit de ses incohérences, intégrée à la continuité Marvel. Dès le départ, le tout jeune Matt Murdock, connaît un traumatisme en défenestrant une prostituée. Et c’est ce souvenir réprimé qui, selon l’auteur, va être à l’origine des changements incessants de personnalité de Matt. C’est un peu trop bourrin et sorti de nulle part pour être totalement efficace, et c’est le véritable point noir de cette histoire, plutôt réussie en dehors de cet aspect. De Matteis est parfait pour décrire les descentes et les résurrections et il s’en donne ici à cœur joie, réutilisant un peu la même technique narrative que ce que l’on a pu voir dans LAST HUNT, à savoir un héros complètement refermé sur lui-même, qui va affronter dans sa tête tous ses avatars pour finalement les réunir. Et désormais, Foggy Nelson est au courant de l’alter ego de Matt !

Niveau dessins, le tandem constitué de Ron Wagner et de Bill Reinhold à l’encrage est impeccable, avec des traits assez rudes et des exagérations émotionnelles qui font le job. Les corps et les chairs sont distordues, tout comme les esprits des personnages. C’est un petit bijou graphique, qui peut toutefois rebuter le lecteur qui regarderait les planches de loin. Mais c’est totalement au diapason du récit. Un petit nouveau assure quelques épisodes, il s’agit de Cary Nord, dont le style clair et propre tranche un peu trop avec celui de Wagner. Même si on a un peu forcé pour que tout rentre dans le cahier des charges, Matt est désormais prêt pour de nouvelles aventures. Le scénariste a effectué la synthèse attendue entre toutes les personnalités et toutes les aventures de Murdock et a totalement rayé la période Miller, Chichester et Nocenti de la carte. C’est aussi la fin de MARVEL EDGE, qui n’a absolument pas convaincu. Les ventes plongent et on décide une nouvelle fois de changer de direction pour donner au justicier un ton plus léger et beaucoup plus fun. Ce qui ne convient pas à De Matteis, qui est remplacé par Karl Kesel au scénario.

Matt face à ses démons.
©Marvel Comics

DAREDEVIL 351-364

Scénaristes : John Rozum, Ben Raab, Karl Kesel, Joe Kelly
Dessinateurs : Cary Nord, Shawn McManus, Rick Leonardi, Sal Buscema, Pascual Ferry, Gene Colan, Shawn McManus, Matt Ryan, Art Thibert, Jaime Mendoza, Al Milgrom, Hilary Barta, Cam Smith, Larry Hama, Steve Epting
Coloristes : Christie « Max » Scheele, Ian Laughlin, Kevin Tinsley.
Lettrage : Jim Novak, Ul Higgins, Richard Starkings
Editeurs : James Felder (« the professor »), Bobbie Chase, Bob Harras

Une version plus super-héros de Daredevil ! (Oui, c’est le même dessinateur que celui de l’image précédente )
©Marvel Comics

Bob Harras devient nouvel éditeur en chef de Marvel et reprend les choses en main. Exit Bobbie Chase et on sent qu’il y a du flottement dans la ligne éditoriale. James Felder édite désormais la série sous un pseudonyme : The Professor ! Avant que Karl Kesel n’arrive, nous avons droit à deux numéros fill-in qui plantent le nouveau décor, avec des aventures très super-héroïques qui tranchent non seulement avec le côté urbain, mais aussi avec le côté dépressif. Ils sont dessinés par Shawn Mc Manus qui ne convient pas vraiment sur ce personnage, qu’il dessine un peu trop musclé et dont les exagérations cartoonesques ne sont pas du meilleur effet. Le héros est opposé à Vice Agent, un vilain lambda qui rackette les criminels et à Lady Mastermind.

Karl Kesel et Cary Nord débarquent et Daredevil commence à faire des blagues ! Liz Osborn devient le nouvel intérêt amoureux de Foggy et des personnages comme Mysterio et les Exécuteurs deviennent des ennemis récurrents. D’ailleurs, Spider-Man fait son apparition très rapidement pour un épisode contenant des tonnes de références méta et assumant totalement le fait que désormais, les deux héros ont à peu près le même type d’humour et d’aventures. Foggy en veut toujours à Matt de l’avoir trompé pendant des années et accepte de rejoindre le bureau d’une grande avocate, Rosalind Sharpe, qui engage Foggy simplement pour avoir Matt. Leur première affaire : défendre Mr Hyde, que Daredevil a arrêté quelques jours plus tôt dans un entrepôt où l’on a retrouvé une jeune adolescente morte. Si Hyde est suspecté, il jure par tous les dieux que ce n’est pas lui. Finalement il s’agit d’un complot mené par … L’anguille. Kesel ramène rapidement tous les vilains du Silver Age, même les plus improbables. Le ton est donné, on revient vraiment aux bases du personnage. Et ce n’est pas vraiment le plus intéressant. Mais du côté des intrigues secondaires, cela marche un peu mieux, avec le conflit ouvert entre Sharpe et Matt. Cette dernière avoue d’ailleurs être la mère de Foggy ! Karen quant à elle trouve un emploi d’animatrice radio … dans la station dirigée par le Caîd : WFSK !
L’histoire est interrompue par un numéro spécial (le 358) orchestrée par Joe Kelly et Pascual Ferry qui mettent en lumière Daredevil et les évènements de HEROES REBORN.

Le style de Nord prend une autre ampleur avec les layouts de Larry Hama
©Marvel Comics

Opposé à Mysterio, notre héros comprend désormais qu’il a la charge, lui et les autres survivants, de la ville. D’ailleurs, il devra affronter l’homme absorbant et le vaincre d’une manière un peu précipitée. Nous avons ensuite un numéro où la Veuve Noire avoue à Daredevil que sa nouvelle mission est de mettre hors d’état de nuire les criminels avant qu’ils n’agissent afin de compenser la perte des héros. Cette histoire est assez lourde et sera à peine survolée. Kesel avait peut-être des plans là-dessus mais cela a été totalement oublié. Histoire de rajouter un peu de fun, on introduit, Deuce, un chien d’aveugle qui se voit associé à Matt et qui va devenir un intérêt comique.

Un petit bijou d’écriture vient quand-même éclaircir le tableau, il s’agit d’un numéro où Karen Page en Macha Béranger de WFSK demande à ses interlocuteurs ce qu’ils pensent de Daredevil. Cela permet au scénariste de développer ce qu’il sait faire de mieux, à savoir les interactions entre les personnages et ce que Daredevil représente pour eux. Les derniers épisodes nous offrent des intrigues secondaires autour du demi-frère de Liz, alias THE MOLTEN MAN qui embauche le cabinet de Sharpe pour éclaircir une affaire autour d’une entreprise de produits chimiques. Cette enquête amène DD au bout de quelques épisodes vers le vilain récurrent du prochain run : Mr Fear !

Niveau artistique…c’est compliqué ! En effet, dès les premiers épisodes, on sent que Cary Nord, qui réalise des planches sublimes, n’est pas adapté pour un travail régulier. De fait, la quasi-totalité de ses épisodes ne sont pas réalisés en entier, un artiste pris au hasard remplissant à peu près une dizaine de pages par numéro. Cela peut être Rick Leonardi ou Sal Buscema ou encore Steve Epting. Même associer Lary Hama en tant que responsable de la narration graphique pour quelques numéros ne changera pas les choses. Et vraiment son style est hyper fluctuant, dépendant je pense des retards accumulés, mais aussi de l’encrage. Son niveau n’est pas encore très consistant, alternant le meilleur (l’épisode sur Karen et son émission radio) et des épisodes plus hasardeux (l’épisode suivant).  Cela donne une impression assez diffuse au niveau de la continuité. J’avais vraiment bien aimé ces épisodes quand j’étais plus jeune et je les ai toujours défendus.

À la relecture, cela a été un peu plus difficile. Il y a certes de la qualité et les dialogues de Kesel sont plutôt bons. La volonté de transformer Daredevil en pseudo Spider-Man est en revanche omniprésente. Cela se sent un peu trop à travers les histoires. Et puis, Mark Waid est passé par là et a réussi à faire ce que Kesel voulait, ce qui diminue de fait son originalité. Tout ce qui va concerner les personnages secondaires, Rosalind Sharpe, Foggy (qui est l’un des personnages sur lequel se centre le run) fonctionne en revanche à merveille. En revanche, les ennemis et les menaces que doit affronter notre héros ne sont pas crédibles et très génériques. En dehors (un peu) de Mister Hyde, les autres ennemis ont plus l’impression d’avoir été choisis au hasard dans une liste d’ennemis du Silver-Age de Spider-Man que pour leur pertinence. Cela reste quand-même assez solide, et c’est véritablement l’un des derniers morceaux de bravoure de cette série. James Felder et Karl Kesel quittent en effet le navire au bout d’une petite douzaine d’épisodes, qui auront connu un peu de succès et fait remonter les ventes, mais l’impression que la série navigue à vue est installée. Et ça va être pire par la suite.

Rosalind Sharpe, la mère de Foggy. Un personnage plutôt intéressant mais qui a totalement disparu des radars.
©Marvel Comics


La BO du jour : DUALITE

One comment

  • JB  

    Merci pour le retour de cette chronique !
    Je me souviens que le numéro de Warren Ellis avait ouvert le bal des publications Panini/Marvel France. Un choix judicieux de décaler la conclusion de la laborieuse saga de Kruel avec ce court récit !
    DeMatteis, j’ai simplement adoré, surtout la séquence où la psyché de Matt s’effondre, en utilisant avec habileté la mort de Glori pour donner une raison à cette chute. L’auteur n’a pas son pareil pour mettre en scène les tourments psychologiques de ses héros.
    Je ne garde pas grand chose de l’ère Kesel. Un début d’épisode à la Silence des Agneaux avec un Hyde vraiment menaçant, un DD souriant, mais la VF va charcuter les épisodes à venir, nuisant beaucoup au suivi des pérégrinations de Matt, Foggy et Karen (c’est devenu quoi, son histoire de justice sociale avec Garrett, d’ailleurs ?)

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