Spiderman : la dernière Chasse de Kraven par J.M. de Matteis & Mike Zeck
1ère publication le 05/11/15- Mise à jour le 29/07/21
Un article de : TORNADO
VO : Marvel
VF : Panini
Cet article portera sur la saga intitulée à l’origine La dernière Chasse de Kraven (Kraven’s Last Hunt en VO).
Il s’agit d’une aventure de Spider-man publiée initialement en 1987, à l’époque où le héros évoluait en costume noir.
Au moment de sa sortie, cette histoire était considérée comme un crossover dans la mesure où elle fut publiée à travers les trois séries consacrées au Tisseur (Amazing Spider-Man #293 & 294, Spectacular Spider-Man #131 & 132 et Web of Spider-Man #31 & 32).
Cette tare du crossover, pensée afin d’obliger le fan à acheter toutes les séries, construite sur de l’événementiel factice (par exemple la mort provisoire d’un personnage de premier plan…), aura, une fois n’est pas coutume, permis la publication d’une saga devenue culte, dans le bon sens du terme…
Sergei Kravinoff est Kraven le chasseur. Un criminel et un ennemi historique de notre ami Spiderman, habillé en peau de léopard avec une crinière de lion dans le dos. Ce personnage a fait sa première apparition dans Amazing Spider-Man #15 en août 1964. C’est un maitre des potions, potions qui lui permettent d’empoisonner, de paralyser ou encore de faire endurer d’atroces souffrances à qui bon lui semble. Bref, un vrai méchant !
Parallèlement, il puise dans ces mixtures différentes vertus lui permettant d’acquérir une force surhumaine et des sens surdéveloppés, bien pratiques afin de combattre d’éventuels super-héros…
Par-dessus tout, Kraven est un aristocrate russe devenu chasseur sur la base d’un rigoureux code de l’honneur. Ayant parcouru la planète en quête de proies, il estime être devenu le plus grand de tous les chasseurs (dans sa jeunesse, il a même tué un gorille à mains nues ! ainsi que divers fauves, d’où le costume-trophée !) et entreprend ainsi de s’attaquer au gibier le plus insaisissable qui soit : L’Homme-araignée !
Hélas, lors de sa première rencontre avec Spiderman, Kraven perd son combat contre notre héros. Estimant dès lors avoir perdu son honneur, il n’aura de cesse de vouloir se venger…
Notre histoire commence lorsque Kraven, après l’avoir drogué, abat Spiderman d’une balle de fusil de chasse. Ouais, carrément ! Il le fait ensuite enterrer, non sans lui piquer son costume, afin de lui prendre sa place de super-héros et démontrer au monde qu’il est capable de surpasser son ennemi (une sorte de Superior Spider-man avant l’heure, quoi). Carrément, ouais !
Mais, malgré ce que croit Kraven, notre bon Spidey n’est pas mort…
Avec le recul, La Dernière Chasse de Kraven s’impose tout net comme l’une des meilleures sagas de l’Homme araignée !
Dans une aventure intense, glauque, et pour une fois très adulte (ce qui est rare pour l’époque !), notre héros se voit opposé, pour la dernière fois (mais peut-on parler de « dernière fois » dans le monde des comics de super-slips ?), à l’un de ses pires et plus anciens ennemis…
Bien que le style du dessinateur Mike Zeck ait franchement vieilli (encore que l’on peut l’apprécier pour son aspect vintage !), le scénario n’a, quant à lui, pas pris une ride. Il s’agissait à l’époque d’une très belle tentative réalisée par le scénariste J.M. DeMatteis afin de traiter le personnage de manière adulte et dramatique.
Alors ? pourquoi est-ce si bien ?
Et bien parce que c’est drôlement bien écrit ! La construction du récit, articulée entre les soliloques de Kraven et ceux de Peter Parker, impose une mise en scène conceptuelle, où le lecteur pénètre alternativement les pensées des deux protagonistes, voire des personnages secondaires (Mary-Jane, par exemple).
Dès lors, chaque intervenant apparait dans une forme de complexité inédite, et Kraven, habituellement cantonné aux rôles de méchant d’opérette, révèle une étonnante épaisseur dramatique, tourmentée, où la haine se dispute à l’émotion, où le désir de vengeance côtoie le respect et l’admiration de son ennemi.
Teinté de shamanisme et de métaphore totémique (idée originale reprise plus tard dans le run de JMS), le script de J.M. de Matteis met en opposition les deux ennemis avec une rare intelligence et une profondeur thématique étonnante. C’est ainsi que l’Homme-araignée, perçu au départ comme un animal par Kraven le chasseur, devra puiser en lui toute son humanité la plus pure afin de renaitre (la métaphore qui le voit sortir de la tombe est limpide !), humanité qu’il trouvera évidemment dans son amour pour Mary-Jane, qu’il vient tout juste d’épouser à l’époque de ces épisodes, et qui lui procurera la force de revenir à la vie.
Et c’est ainsi que Kraven, à l’apparence tout à fait humaine malgré son costume chamarré, tombera dans la bestialité et, par extension, dans la folie, achevant en définitive son voyage du côté animal de l’âme humaine…
Bref, une vision conceptuelle de l’éternel combat du bien contre le mal, illustrée d’une manière proprement brillante !
Evidemment, la date où la saga fut publiée, c’est-à-dire en 1987, n’est pas étrangère à la maturation qui toucha par la grâce le scénariste J.M. de Matteis lorsqu’il imagina cette descente aux enfers d’une noirceur surprenante, cette confrontation shakespearienne laconique et ce suspense au cordeau.
En effet, l’année précédente avait été sous le signe de la révolution dans le monde des comics de super-héros. Tout le monde le sait aujourd’hui, puisqu’Alan Moore et Frank Miller venaient de publier respectivement Watchmen et Batman : The Dark Knight Returns…
Il aura fallu quelques années pour que le labeur de Miller, qui avait complètement revu et corrigé le style narratif naïf et ampoulé des comics old-school de l’âge d’argent dans sa série Daredevil entre 1981 et 1985, fasse boule de neige. Mais force est de constater que cette révolution formelle avait fini par contaminer certains auteurs évoluant dans le milieu. Ainsi, la caractérisation tourmentée, voire psychotique des personnages dans La Dernière Chasse de Kraven, avec tous ces soliloques et ces flux de pensée, ce découpage rythmé et conceptuel, ces cadrages quasiment cinématographiques, cette absence de bulles de pensée et d’humour infantile, cette noirceur et cette violence assumée, semblent provenir en droite ligne du legs de Frank Miller.
Certes, Alan Moore avait également, de son côté, balisé le terrain avec Swamp Thing et Miracleman, mais il s’agissait tout de même de séries moins populaires…
Avec son atmosphère glauque et cauchemardesque (toutes les scènes se déroulant dans les égouts, où Spidey affronte l’épouvantable Vermine, sont vraiment malsaines !), La Dernière Chasse de Kraven préfigure également les épisodes écrits et dessinés par Todd Mac Farlane dans sa propre série, clairement adressés à un public plus mature que d’ordinaire (dans la forme, en tout cas). La tonalité de l’histoire est aussi sombre que les grandes histoires de Batman qui verront bientôt le jour (avec par exemple la saga Knightfall, ou encore le run de Doug Moench & Kelley Jones), et la fin, sans concession, est d’une rare intensité tragique.
Définitivement, cette histoire s’impose comme un modèle de progression narrative, dans la lignée du travail de Frank Miller sur Daredevil. Et un modèle tout court pour les comics mainstream à venir…
Pour ceux qui ont du mal aujourd’hui avec le style ampoulé des comics « old-school » (Hé ! je ne suis pas le seul !), dans lesquels les personnages commentent à voix haute tout ce qu’ils font, où les bulles de pensée compensent un découpage trop linéaire, où les histoires ne sont que des prétextes à voir des hommes musclés en collants et en slip s’affronter dans des bagarres de bac à sable et s’adonner à des joutes verbales infantiles, sachez que ce récit n’entre pas dans cette catégorie, mais annonce au contraire l’avènement des comics mainstream (les comics inscrits dans la continuité des séries) modernes, avec dialogues épurés, voix off et narration axée davantage sur le vocabulaire graphique que sur les phylactères.
Plus violents que les épisodes de Daredevil cités plus haut, ceux de la saga ici présente peuvent encore aujourd’hui nous surprendre par leur noirceur abyssale, bien plus viscérale que la plupart des lectures que nous offre le bien tiède Marvel contemporain…
Avec le recul, les sagas de cette trempe ne sont pas légions à cette époque au sein de la continuité (on pense tout de même au Killing Joke d’Alan Moore, paru la même année !).
Il y avait eut pourtant un précédent crossover vraiment bon intitulé La Mort de Jean Dewolf, très adulte également (relativement en tout cas), publié en 1985/86 sous la houlette de Peter David. Cette précédente saga de Spiderman mettait en scène un tueur en série masqué (une simple cagoule verte et des bottes à la Robin des bois !), assassinant les représentants d’une justice qu’il considérait trop corrompue. Sa première victime avait été le capitaine Dewolff, une amie personnelle de Spiderman. Dès lors, notre héros, aidé par Daredevil (c’est d’ailleurs l’épisode historique où le Diable rouge perçait à jour l’identité secrète de l’Homme-araignée !), allait mettre un point d’honneur à stopper la croisade meurtrière de celui que tout le monde nommait alors le Rédempteur…
La grande qualité de ces épisodes résidait dans la toile de fond que développait le scénariste autour de la notion de justice. Que ce soit dans les divergences de valeur entre les personnages ou bien dans le reflet de ce que faisaient les médias de cette affaire, Peter David déroulait l’air de rien une implacable analyse des complexités liées au code pénal.
Mais, également, le premier épisode de la saga (une pure merveille !) se démarquait déjà par une construction calquée sur celle de Frank Miller, avec voix-off et découpage conceptuel ! Hélas, les trois suivants étaient plus convenus, avec retour des bulles de pensée et dialogues envahissants. On retombait alors dans les travers des comics de l’époque, très ampoulés.
Mais ce fut bel et bien La Dernière Chasse de Kraven qui entérina la descente aux enfers de Spiderman, sa douloureuse renaissance et son passage à l’ère de la maturité. Après tout, il apparait évident, avec le recul, qu’il était nécessaire d’assassiner notre héros afin qu’il renaisse sous un nouveau jour, et sous des atours moins naïfs ! Comme une sorte de parcours initiatique, intense et douloureux, vers l’abrupte réalité de l’âge adulte ! Un « Born Again » chez Spiderman, en somme !
Cette caractérisation des personnages touchant à tous les aspects strictement adultes de la littérature, les rendant tour à tour complexes, malsains, tourmentés ou psychotiques, alliée à une violence frontale et une approche glauque et dépressive, propulsait en un sens notre saga dans la sphère du roman noir. Malgré un style de dessin qui allait rapidement apparaitre daté, cette épaisseur, cette atmosphère et cette mise en forme exigeante et conceptuelle, destinaient d’emblée ces épisodes à une pérennité certaine.
Aujourd’hui, je pense que l’on peut considérer la saga La Dernière Chasse de Kraven comme un chef d’œuvre du genre et comme l’une des plus grandes réussites dédiées au super-héros le plus populaire de la planète ! Un grand classique, à ranger à côté de Born Again et de La Mort de Captain Marvel !
Cette réussite fut tellement marquante que l’éditeur Marvel attendit plus de vingt ans avant de faire ressusciter le méchant de l’histoire. Impressionnant !
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Spider-Man : Homeland vient de sortir et va inévitablement entraîner sa cohorte de questions angoissées : je dois lire quoi de Spider-Man en premier sans me taper 50 ans de continuité ? Pas de panique, tonton Bruce Lit est là pour vous aider ! Aujourdhui l’indispensable Dernière chasse de Kraven déterré par Tornado.
La BO du jour : c’est pas beau d’enterrer les gens vivant ! Il y’a de quoi perdre foi en l’humanité !
J’ai toujours ces Nova… Et ça fait un bail que je me dis qu’il faudrait que je me les relise…
Ah les Nova…le format pourri quand même.
Bon je vais surement tenter la dernière intégrale Spectacular pour le début du run de PAD avec (hélas) uniquement le début de la mort de Jean Dewolff (dans sa grande sagesse, Panini continue de se braquer sur le format par année, donc il manque le dernier épisode de la saga…je vais donc évidemment garder aussi le « best of » sur la mort de Jean Dewolff…)
On verra ensuite si je tente l’intégrale suivante de cette série.
Y’a un truc avec le prénom Jean d’ailleurs ? Elles crèvent toutes. Et plusieurs fois quand elles sont super héroïnes^^
Ah ! Cette histoire sort cette semaine dans la collection MUST HAVE de Panini. Je vais enfin l’avoir !
Ca y est je l’ai lue. Je ne suis pas un gros fan du dessin mais il n’est pas désagréable et rend très bien l’ambiance. Même chose pour la colorisation, on est vraiment dans du super-héros plus réfléchi et moins criard. Quant à l’histoire, elle est terrible et presque universelle. Extrêmement bien écrite, sans bulles de pensées, où tous les protagonistes sont réduits à l’état animal et esseulés. Le mélange entre rêve et réalité est aussi très bien mené, les personnages semblent toujours sur le fil entre les hallucinations et la folie face à leurs questionnements. Elle mérite largement son statut de culte.
Et bien il ne te reste plus qu’à lire la 1° partie du run de JMS et tu auras lu les 3 meilleures histoires de Spiderman ! 🙂 (avec BLUE)
Purée j’avais pas vu la BO… 🤬
Superbe cette BO 😀
Ah oui je t’ai dit que j’ai adoré SPIDER-MAN BLUE que je viens de lire également ?
Pour la première partie du run de JMS, on verra, si c’est pas chiant à trouver et si c’est en un volume, pourquoi pas.
Et bien oui c’est pour ça que je dis que si tu lis le JMS tu auras lu les 3 meilleurs comics ! 🙂
(évidemment ce que je dis est totalement subjectif, mais je le pense vraiment !).
Pour le JMS il doit me rester un vieux recueil. je vais voir si je peux te filer ça.
Oh ben c’est très gentil ça ! Mais je ne voudrais pas te priver d’un objet de collection !
Non c’est un truc en souple qui était sorti en kiosque. Je ne sais plus quoi en faire. C’est surtout pour te faire une idée. Il faut juste que je vérifie si c’est bien le bon récit…
Je viens de finir la première histoire du recueil FINI DE RIRE (SAIN D’ESPRIT) (https://bdi.dlpdomain.com/album/9791026821472/couv/M385x862/joker-8211-fini-de-rire.jpg), écrit par John-Marc de Matteis. J’ai un peu de mal avec le dessin, mais l’histoire et la narration sont plutôt adulte (il y a notamment des répétitions de cases qui font très Bendis, sans doute avant Bendis lui-même) et je lui trouve un gros air de ressemblance avec LA DERNIERE CHASSE DE KRAVEN : Batou est diminué physiquement comme Spidey, le Joker prend toute la place comme Kraven, et les deux antagonistes arrivent à une sorte de remise en question complète de leurs personnes. C’est moins marquant mais c’est très rude psychologiquement, et le Joker ici présent est plus proche de l’idée que je m’en fais que celui de Azzarello et Bermejo, un terroriste effrayant aux accès de violence incontrôlables et perturbants.
Une très bonne histoire.
Si tu veux en faire la review, tu as jusque septembre…
La seconde histoire du recueil, L’AVOCAT DU DIABLE, est franchement pas terrible. Je n’aime pas du tout le dessin, la narration est par moments paresseuse avec des effets ridicules, les personnages semblent figés, l’action n’est pas géniale, et l’histoire pourrait être intéressante s’il n’y avait pas des tentatives d’humour embarrassantes.
Pour la 2ème histoire, ça dépend de ton horizon d’attente. Si tu attends une œuvre dans la même catégorie que Killing Joke d’Alan Moore & Brian Bolland, tu regrettes vite ta lecture. Si tu sais que c’est une histoire réalisée sur la chaîne de production industrielle, tu te dis que Dixon et Nolan sont de très bons faiseurs, et même un excellent artisan en ce qui concerne le scénariste. J’étais ressorti de ma lecture contenté par une histoire de Batman bien troussée, sans prétention particulière.
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Je ne m’attendais pas à un KILLING JOKE (je sais bien que ce n’est pratiquement pas possible) et tu as tout à fait raison quand tu dis que le dessin « ancre le registre visuel dans les comics mensuel, plutôt que dans une histoire d’exception. »
Alors oui, ce sont de bons faiseurs et l’histoire n’est pas désagréable, l’idée est bonne même, mais j’ai tout de même été gêné par l’humour pas drôle et des effets visuels trop « mensuels ».
Mon commentaire sur L’AVOCAT DU DIABLE, un poil plus tranché que celui de Présence :
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Oui, voilà, je suis plus près de ton ressenti même si je comprends le point de vue de Présence.
Cette image métaphorique de Parker remontant la pente est également utilisée dans la saga Spider-Man : Parfums d’enfance de Spectacular Spider-Man 178 à 183