Le jeu de Dai (BLUE GIANT)

BLUE GIANT par Shin’ichi Ishizuka

Une rapsodie in blue du mélomane FLETCHER ARROWSMITH

VO : Shōgakukan

VF : Glénat

Cet article portera sur le manga BLUE GIANT scénarisé et dessiné par Shin’ichi Ishizuka et son adaptation en animé.

« Je serai le meilleur jazzman du monde. Je réussirai, j’en suis sûr. » Dai Miyamoto
©Glenat

Dai Miyamoto est un élève japonais de terminal, bien dans sa peau, qui excelle dans le basket. Un jour, lors d’une écoute d’un CD chez un ami il se prend d’une passion soudaine pour le Jazz. Il décide alors qu’il deviendra le meilleur saxophoniste ténor du monde, lui qui n’a joué jusqu’alors aucune note de musique sa vie.

La saga BLUE GIANT se décline (pour l’instant) en 4 temps. Les aventures de Dai Miyamoto commencent au Japon dans la série BLUE GIANT en 10 tomes. C’est sur ce manga que l’article va se concentrer. Elles se poursuivent ensuite en Europe dans BLUE GIANT SUPREME (11 tomes) puis au pays du Jazz et du Blues, les Etats Unis avec BLUE GIANT EXPLORER (3 tomes/9, série en cours) dont le premier tome a été nommé en sélection officielle du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême 2024. Enfin Dai part à la conquête de la grosse pomme dans BLUE GIANT MOMENTUM, quatrième arc narratif, en cours de publication depuis l’été 2023 au Japon.

©Universal Music / Shōgakukan

BLUE GIANT fait partie des Seinen, une catégorie de manga qui vise plutôt un public adolescent masculin. Néanmoins Shin’ichi Ishizuka (VERTICAL) n’oriente pas du tout les aventures de Dai, son héros, sur des intrigues amoureuses et ne tend pas non plus à en faire complètement un récit d’apprentissage. Il reste donc accessible à tout public avec quand même une certaine insouciance et naïveté propres, en effet, au genre Seinen. Chaque manga de la saga BLUE GIANT, comporte approximativement un peu plus de 200 pages avec un découpage en 8 chapitres, certains portant le nom d’une composition d’un morceau de Jazz comme par exemple « Blue Sunset ».

2 tempo dans BLUE GIANT. Les recueils 1 à 4 suivent l’apprentissage de Dai Miyamoto à Sendai dans la préfecture de Miyagi dans un environnement assez classique avec ses amis, sa famille, son travail à mi-temps et l’envie de se produire pour la première fois devant un public, celui de son lycée. Ce sont peut-être les seuls tomes qui sont clairement orientés complètement Seinen, et in fine les moins passionnants quand on a pris par la suite, l’envergure du parcours de Dai. Puis on rentre enfin dans le cœur du sujet, pour ne jamais s’arrêter, même dans les séries suivantes. A partir du tome 5 Dai s’installe à Tokyo où il va devoir apprendre à vivre avec peu d’argent et convaincre de son talent en devenir. C’est aussi la conception d’un véritable band, JASS, avec un pianiste confirmé (Yukinori) et un batteur débutant (Shunji) en visant le graal, se produire dans le club de Jazz le plus célèbre de la capitale, le So Blue, dont la référence n’aura pas échappé à ceux qui auront lu notre article sur BLUE IN GREEN.

Dai Miyamoto, axophoniste ténor
© Seven Seas Entertainment

Dai comme Sento dans VERTICAL (manga en 18 tomes sur l’alpinisme, autre passion du mangaka), est un personnage solaire. Shinichni Ishizuka n’enferme jamais son héros dans une spirale négative et fait de son apprenti musicien un optimiste né. En cela il s’affranchit de tout postulat qui proviendrait de la secte des « nous sachons » qui pourrait objectiver qu’il n’est pas possible de devenir aussi bon en commençant à 17 ans le saxo, ou bien qu’un japonais ne sera jamais crédible en saxophoniste ou que la barrière de la langue est infranchissable. D’ailleurs, à la fin de chaque tome, un des personnages phares vient témoigner à un journaliste de sa rencontre avec Dai et nous comprenons rapidement que ce dernier va bel et bien arriver à vivre son rêve. C’est donc son voyage que l’on suit, la destination finale étant à priori acquise et connue. J’apprécie ce parti pris.

Jazz by night, in Tokyo
©Seven Seas Entertainment

A chaque fois que j’ouvre le manga BLUE GIANT, voir l’énergie et la persévérance que met Dai à se perfectionner, à tout donner pour sortir des notes au saxophone me donne littéralement la pèche. C’est un personnage empathique et à l’écoute des autres. Jeune homme de compromis, il sait autant se sacrifier pour les autres que donner tout pour vivre de sa passion. BLUE GIANT prône des belles valeurs comme l’abnégation, l’optimisme, le travail, la bonté, la détermination. Dai ne doute jamais qu’il arrivera à ses fins. Il s’entraine dès qu’il a du temps libre, partout, spécialement sous des ponts ou sur des bords de berges sous la pluie, à la tombée de la nuit. Il force le respect en se donnant les moyens d’arriver à ses objectifs. Il franchira toutes les embuches, en les prenant une par une, en cherchant toujours des solutions. Il se révèlera fin négociateur, leader et surtout observateur des autres, car le jazz reste une aventure humaine où la frontière entre le groupe et l’individu reste flou. Shinichni Ishizuka force le trait de caractère Japonais de Dai, en en faisant un jeune homme très poli, respectueux et surtout très humble. Cela peut sembler naïf, mais on ne vient pas lire BLUE GIANT comme on regarde WHIPLASH de Damien Chazelle.

Les planches de Shin’ichi Ishizuka ne sont jamais surchargées. Très lisibles, elles comportent ce qu’il faut de détails pour habiller les divers environnements proposés. Le mangaka n’hésite pas à jouer avec les ombres notamment dans les clubs de Jazz pour faire ressortir l’atmosphère feutré et éthéré. Un soin est apporté aux visages des personnages, notamment dans les émotions qu’ils ressentent. Aucune fausse note sur les attitudes des musiciens notamment dans la manipulation de leur instrument. Mais l’attrait se trouve surtout dans ce qu’arrive à faire passer Shin’ichi Ishizuka dans l’expression musicale. On a l’impression que les notes sortent des planches pour arriver aux oreilles de lecteurs. Il multiplie alors les pleines planches, les cases où les sol et les do remplacent les paroles, laissant libre expression à son dessins, qui explose littéralement notamment pour faire ressortir l’énergie déployée et les émotions suscitées.

BLUE GIANT, l’animé

Extrait BA
©TOHO Animation / Eurozoom

BLUE GIANT l’animé adapte logiquement le premier arc, BLUE GIANT. Il est réalisé par Yuzuru Tachikawa (DETECTIVE CONAN, L’EXECUTANT DE ZERO), sur un scénario de Number 8 et Yūichi Takahashi comme character design

Sortie en France le 6 mars 2024, d’une durée de 2h, le film suit fidèlement le manga, en laissant une place importante aux morceaux musicaux live qui occupent un quart du film. Il se concentre quasi exclusivement sur les aventures de Dai à Tokyo, se produire au So Blue avec son groupe JASS, devenant le point d’orgue de l’histoire. Quelques flashback proposent de revenir sur la vie de lycéen de Dai et ses débuts comme saxophoniste, mais sans parasiter le récit principal.

Un soin particulier a été apporté à la musique. Plutôt que piocher dans le large répertoire du Jazz, la réalisation des morceaux musicaux, tous spécialement composés pour le film, a été confiée à la célèbre pianiste japonaise Hiromi Uehara (lauréate d’un Grammy Award pour le meilleur album de jazz contemporain) entourée de Shun Ishiwaka à la batterie et du saxophoniste ténor Tomoaki Baba. C’est grandiose, imaginatif et assez époustouflant. La BO est disponible dans un magnifique double vinyle bleue de qualité.

Jazz with Jass
©TOHO Animation

L’animation reste dans les standards mais avec un soin particulier apporté pour rester dans les mêmes graphismes et design du manga de Shin’ichi Ishizuka. Point important, le réalisateur change de technique d’animation, avec une caméra virevoltante et énergique autour des personnages, lors des morceaux live pour essayer de nous faire pénétrer dans un autre univers et avoir des sensations proches de celles que les musiciens essayent de nous communiquer. Le réalisateur s’offre même quelques touches très colorés et psychédéliques pour restituer l’ambiance et la passion déployée sur scène envoutant les spectateurs. J’ai personnellement été moins convaincu, à la différence de mon entourage, trouvant que l’on y voyait trop une animation assistée par ordinateur (en 3D avec de la « motion capture »), même si je reconnais l’audace de cette approche.

L’ensemble est très dynamique, entrainant et restitue à merveille l’entrain et la positivité des mangas. Idem au niveau des personnages. Ils restent tous attachants ou énervants, humain en somme.  Comme dans le manga, le scénario recèle quelques péripéties notamment le final qui prend la direction d’une tragédie.

Apprécier le Jazz est un plus dans la lecture de BLUE NOTE, comme vous le conseille Présence avec TOTAL JAZZ, mais BLUE GIANT pourrait aussi se décliner dans d’autre registre, notamment sportif ou sur d’autres instruments et genres comme le rock ou le classique. Les quelques références ne viennent nullement empiéter sur le plaisir de lecture. Au pire elles aiguisent notre curiosité ou accroissent notre culture musicale. Shinichi Ishizuka justifie son pitch quand étant lui-même étudiant aux États-Unis, il fut subjugué par sa découverte du Jazz et souhaitait faire découvrir ces morceaux de l’Amérique au plus grand nombre de ses compatriotes. Le mangaka joue bien évidemment avec le choc de culture et le mont Fuji à gravir en annonçant qu’un Japonais deviendra le meilleur saxophoniste au monde. La quête de Dai en devient plus passionnante, avec des étapes à franchir qui semblent encore plus conséquentes.

Jass en live
©Glenat


La BO : FIRST NOTE (OST BLUE NOTE)
Saxophone ténor : Tomoaki
Batterie : Baba Sun Ishiwaka
Piano : Hiromi Uehara

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