Le pouvoir des fleurs (Salamandre)

Salamandre par I.N.J Culbard

Un article de BRUCE LIT

VO : Berger Books

VF : 404 Comics

Dîtes-le avec des fleurs
©404 Comics

SALAMANDRE est un Graphic Novel édité chez la légendaire Karen Berger et publié en hexagone par le sémillant Nicolas Beaujouan pour 404 Comics dans un écrin qui en jette pas mal en librairie.
La traduction est assurée par Cédric Calas Aka Le Commis des Comics. Il s’agit d’une histoire écrite et dessinée par I.N.J Culbard auteur de EVERYTHING, également publié chez 404.

Non, la dictature du Spoil ne frappera pas ! Vous pouvez en conséquence poursuivre votre lecture en toute quiétude.

Kaspar Salamandre est un jeune garçon endeuillé par la mort de son père qu’il adulait. Il est envoyé chez son énigmatique grand-père dans un pays gouverné par un régime oppressif, où il ne peut y avoir qu’un être adulé : l’Empereur.
Dans ce pays où les fleurs sont des objets de contrebande, où la musique est illégale et dans lequel l’art se crée dans la clandestinité, Kaspar découvre un monde peuplé d’artistes révolutionnaires, d’espions et de membres de la police secrète.

La gloire de mon père (juste avant sa mort)
©404 Comics

C’est une BD très étrange qu’il m’a fallu apprivoiser. Tout s’y passe à la campagne et cette Salamandre serait plutôt pour votre serviteur un de ces chevaux sauvages que chantaient les Stones. Les scènes d’introduction et leurs dialogues donnent au lecteur l’impression d’en avoir loupé les propositions principales.
Le quatrième de couverture situe Culbard dans le sillage d’un Lovecraft. Là encore, alors que le lecteur attend de voir le père du jeune garçon englouti par un ersatz de Cthulhu, il assiste en fait à une scène qui évoque la mort du père de Jacques Mayoll dans LE GRAND BLEU.

Le spectre de Vertigo se dissipe progressivement avec les mésaventures de ce petit Kasper : on croit que cette histoire de dictature invisible va nous amener dans une V POUR VENDETTA pour finalement hériter d’une collaboration fantasmée entre Charles Burns en pleine Hergémonie et un Jeff Lemire à l’acmé de sa mélancolie.

Des chansons silencieuses contre la dictature
©404 Comics

Dans SALAMANDRE, Culbard se désintéresse de la construction politique de sa tyrannie. C’est à la fois la force et la faiblesse du récit. Car souvent l’histoire manque d’impact, de tensions, de douleurs perceptibles.
Pourtant l’album ne manque pas de contenu avec son évocation de l’Allemagne soviétique, son rideau de fer, sa Stasi, ni de charme avec sa violence visuellement absente dans la lignée dans l’ambiance champêtre d’un VIEIL HOMME ET L’ENFANT qui déjà parlait de la cohabitation entre deux êtres blessés dans une campagne en parenthèse nazie.
Lorsqu’interviennent les deux vilains de l’album au moment clé du drame, ils évoquent les deux exécuteurs du PROCES de Kafka mais revisité à la sauce Dupondt.

La campagne, les filles et leurs tâches de rousseur
©404 Comics

Théophile Gautier, que l’on oublie trop souvent, écrivait dans sa CRITIQUE d’ART, que la seule chose indubitablement nécessaire à l’être humain étaient les latrines et qu’une fleur ne viendrait pas changer le cours de la vie des hommes. Mais que pour autant, il ne pouvait concevoir de vivre sans leurs parfums, sans leurs couleurs, des couleurs chaudes et douces magnifiées par la ligne claire de l’auteur.
C’est ici que vient la force de SALAMANDRE : un joli manifeste à la résistance à l’oppression qui viendrait installer son nid dans nos mémoires effacées, nos livres brulés, notre liberté d’aimer, de créer et détester.

Entre-temps, Kapser découvre l’amitié amoureuse avec la petite Delphine et ses taches de rousseur poil-de-carotte, fait une excursion gothique chez Mélisande, une femme d’âge mûr mystérieuse et séduisante , tente d’échapper aux bruit des aiguilles d’une montre qui rappellent dans les silences de ses angoisses nocturnes, celles où il revoit mourir son père, que le temps est une orange mécanique, une autre dictature invisible.
SALAMANDRE est le récit d’une mue : celle de ce complexe du homard où le petit d’homme quitte sa carapace sans plus rien pour le protéger que l’affection de personnages tous plus fantasques les uns des autres et qui font de l’humour leur seul recours contre l’autorité.

Mélisande, un personnage Gaimanien
©404 Comics

Culbard met en scène cet art…de vivre qui refuse de mourir, les fleurs et l’esprit ayant ceci en commun de flétrir sans irrigation spirituelle. Souvenons-nous, au moment de la crise sanitaire l’humain a autant souffert du confinement que de l’absence d’art dans sa vie au point que les librairies soient décrétées commerces essentiels par un pouvoir pourtant libéral.

D’origine polonaise, Culbard accomplit ici son devoir de mémoire au sens littéral, le propre d’une dictature étant de désigner le mauvais pour l’effacer art, politique et individus. Il parvient ici à aborder le dur de nos incivilisations avec beaucoup de douceur pour palier à un scénario, qui en se focalisant sur l’infiniment petit manque parfois de souffle pour éteindre les braises de la haine.
Pourtant, ces fantômes de Kasper et ce récit d’initiation ont leur identité et leur lot de personnages attachants. Une lecture porte-bonheur comme les Salamandres au Mexique.

16 comments

  • Tornado  

    De Culbard, je n’ai lu que ses adaptations de Lovecraft, qui étaient intéressantes même si elle seront écrasées par celles, nettement plus convaincantes, plus puissantes, de Gou Tanabe.
    Culbard héritier de Lovecraft ? Je le verrai mieux un héritier de l’école d’Hergé. Personne ne fera jamais mieux qu’Hergé. Mais on retrouve un peu son esprit chez cet auteur. Ce n’est pas du copié-collé du tout. Plutôt un héritage moderne.

    La BO : C’est très bien. Il m’a fallu du temps pour apprécier Voulzy et la subtilité de ses arrangements. Mais aujourd’hui ça passe tout seul.

    • Bruce lit  

      Je suis nullissime en Lovecraft, je te crois sur parole.

  • zen arcade  

    Beaucoup aimé ce Salamandre.
    Culbard y revisite de manière fictionnalisée sa propre enfance de manière très touchante en entremêlant avec beaucoup de finesse le deuil du père, la découverte de la vocation pour le dessin, la vie à la campagne, le pouvoir de l’art et des fleurs face à l’arbitraire et comment tout cela, et beaucoup d’autres choses, nous fait grandir.
    Ca vaut 10 millions de Fabelmans.
    Ca s’adresse à mon sens à un public très large. All ages comme on dit chez les anglophones. Certainement à partir de 12 ans (peut-être un peu plus bas pour certains enfants), ce qui explique peut-être ce qui est pointé dans l’article comme un manque de tension et d’impact dans la description politique de la tyrannie. En ce qui me concerne, ça ne m’a pas du tout gêné.
    Graphiquement, ça s’inscrit dans une tradition ligne claire qui privilégie la clarté, la lisibilité et la fluidité et Culbard y fait montre de toutes ses qualités. C’est tout bonnement superbe.
    Pour moi, un très bel album (auquel j’aurais accordé les 5 étoiles).

    Par ailleurs, de Culbard, plutôt que ses adaptations de Lovecraft, je conseillerais la lecture de Wild’s end, une variation que j’ai trouvée réussie autour de La guerre des mondes de Wells. C’est scénarisé par Dan Abnett et paru en français chez Kinaye.

    • Bruce lit  

      Il m’a manqué un déclic pour le 5 étoiles. Il faudrait que je le relise mais il est vrai qu’il m’a fallu arriver à la moitié de l’album pour arriver à me sentir concerné. Ce qui n’est pas le cas de ma lecture du moment COME HOME INDIO où je suis happé dès le départ.

  • Fletcher Arrowsmith  

    Bonjour Bruce.

    Merci pour ce retour d’un album que j’ai hésité à me prendre, la colorisation ne m’a pas attiré en le feuilletant (et puis j’avais fait trop d’achat ce jour là).

    J’ai beaucoup apprécié les deux volumes WILD’S END de Culbard mais j’avais été hermétique à THE NEW DEADWARDIANS.

    Ta description me plait notamment sur le thème de l’enfance (allez voir THE FABELMAN les gens) et puis le devoir de mémoire. J’ai moi même des origines polonaises, on joue là sur la corde sensible.

    Bel article, plus long que les derniers où on sent de la retenu et un coup de cœur malgré les quelques réserves. Que cela soit accessible à tous me semble être la bonne approche. Il faut aussi une part d’innocence pour ce type de sujet, sensible et intime.

    Vendu.

    La BO : très bien (même si j’ai toujours été plus Souchon que Voulzy). Un excellent musicien.

    • Bruce lit  

      Je n’ai pas vu le dernier Spielberg. Je n’en ai entendu que du bien. Mais comme je ne vais jamais au cinéma, je le découvrirai dans quelques mois je suppose.
      Je ne savais pas pour tes origines polonaises. Oui, c’est un coup de coeur avec quelques réserves. J’ai adoré les dessins et la colo et aussi les mouvements des personnages dans leurs cadres. Le scan avec Melissande le montre bien. Le volet politique passe à côté mais ce n’est pas si grave en fait.

      • Fletcher Arrowsmith  

        Surement achat ce week end. Tu m’as convaincu.

        A signaler un bel écrin également. Edition soignée de la part 404, qui sait donner envie.

        J’ai une sacré histoire côté maternelle où on voyage de la Pologne à l’Algérie … Je m’y suis jamais intéressé autant que je le devrais mais j’en suis fier (d’où certaines lectures sur la guerre d’Algérie par exemple)…

      • zen arcade  

        « Je n’ai pas vu le dernier Spielberg. Je n’en ai entendu que du bien. »

        J’ai beaucoup de mal à comprendre cet engouement critique assez général pour un film que j’ai trouvé personnellement assez médiocre et surtout très banal. .
        Mais bon, ce n’est pas le sujet du juor.

        Il vaut mieux lire Salamandre.

  • Surfer  

    Salut Bruce,

    Lorsque j’ai vu apparaître 404 sur l’écran de mon PC , j’ai pensé qu’il avait planté et qu’il n’arrivait plus à trouver la page du blog BRUCE LIT. J’ai failli le reformater 😀😀😀

    Ouf, que nenni. Il s’agit du nom d’une nouvelle maison d’édition! Jamais entendu parler 😯.
    Manifestement ils éditent des trucs sympas 👍. Tu m’as presque convaincu. Il va falloir que je me penche un peu plus près sur ce graphic Novel pour confirmer 😉.

    « Tout s’y passe à la campagne et cette Salamandre serait plutôt pour votre serviteur un de ces chevaux sauvages que chantaient les Stones. »

    Yeah…Wild Horses…of course. Belle référence 👍.
    Rien de mieux qu’une chanson des Stones pour exprimer ce que l’on veut dire😀😉.

    Sinon Théophile Gaultier a raison. Pour s’en persuader, et puisqu’il est question de fleurs, je ne saurai trop conseiller le merveilleux album de Minnie Riperton : COME TO MY GARDEN et notamment la chanson les FLEURS.
    On élève un peu le niveau par rapport à ce que tu proposes en BO. 😀😀😀 ( je taquine 😘)

    Concernant l’ART, je suis bien d’accord : il est ESSENTIEL ! Bénéfique à notre santé mentale et physique ! Ce n’est pas moi qui le dit mais les scientifiques ! J’ai dû lire un rapport sur le sujet il n’y a pas longtemps qui en faisait mention 👍.

    J’apprends aussi ici que la salamandre porte bonheur au Mexique. Je l’ignorais. Merci pour ma culture 👍.

  • JB  

    Le sceau Karen Berger est déjà gage de qualité !
    De bien étranges prémisses que celle de cette histoire. J’ai l’impression d’y voir un peu de Fahrenheit 451, où des initiés perpétuent la mémoire d’un art interdit, ou la résistance discrète du héros de 1984.
    La curiosité, j’en suis sûr, va me conduire à lire cet album

  • Présence  

    Avouons tout : Bruce m’a proposé de me prêter cet ouvrage, et j’ai décliné, car mes piles à lires sont sans fin et j’avais déjà pu apprécier INJ Culbard en tant que dessinateur dans The New Deadwardians (scénario de Dan Abnett), Brass Sun (scénario d’Ian Edginton), et dans Celeste en tant qu’auteur complet.

    C’est une BD très étrange qu’il m’a fallu apprivoiser : ça ne m’étonne pas de Culbard qui sait plonger le lecteur dans un monde qui n’appartient qu’à lui.

    L’oppression qui viendrait installer son nid dans nos mémoires effacées, nos livres brulés, notre liberté d’aimer, de créer et détester : je ne suis pas sûr d’avoir saisi cette image de l’oppression installée dans nos livres brûlés, ceux que l’individu fait l’effort d’oublier, de bannir de sa mémoire, ou ceux que la société brûle pour les censurer ?

    • Bruce lit  

      @Présence : Dans la BD, les personnages qui iraient contre les lois prohibant art et fleur voient leur mémoire effacée par l’état policier. De la cancel culture au sens étymologique.

      • Présence  

        Merci, je comprends l’image.

  • Jyrille  

    Etant donné que j’ai terminé EVERYTHING récemment et qu’une de mes tâches de fond est d’écrire l’article, je commence mon retour de lecteur du blog avec celui-ci, Bruce, car je suis très curieux de ce que tu peux en dire.

    Je dois t’avouer que je ne connais pas du tout Théophile Gaultier. Impossible donc pour moi de l’oublier : je n’y pense jamais.

    J’ai une réclamation : pourquoi ce n’est jamais mon article en lien lorsque l’on parle de V pour Vendetta ? Je vaux moins que Mr T c’est ça ??

    Sinon très bel article, j’ai bien aimé tes quelques divagations, notamment celle sur les libraires en temps de covid. Merci pour la présentation.

    La BO : je ne suis pas un grand connaisseur de Voulzy, je crois que sur la longueur d’un album ça ne tient pas (j’avais tenté AVRIL je crois) mais j’aime bien pas mal de ses tubes, dont celui-ci. Et pourtant c’est à l’opposé de mes attirances, je déteste les hippies 😀

    • Bruce lit  

      Welcome back Cy’
      Impatient de te lire sur EVERYTHING.
      Les hyper liens : 9 ans de blogs, 2500 articles… Lorsque je crée un lien je tape un mot clé : V pour Vendetta et il me donne une liste de titres. Je pioche dans le 1er venu sans vérifier qui l’a commis.
      Promis, la prochaine fois, ce sera toi (le chat)

      • Jyrille  

        Je me doute, je te taquinais. Surtout que l’article de Mr. T a mon article en lien 😀

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