L’ETRANGE CAS DE BILLY MILLIGAN.

Focus : Billy Milligan

Un article de DOOP O’MALLEY

Vous n’avez jamais entendu parler de Billy Milligan ? C’est normal. Son histoire, en dépit de son originalité, reste encore assez méconnue de ceux qui ne sont pas tombés sur le bon livre au bon moment.

Pourtant, si la vie de Billy Milligan et les implications dramatiques de ses actes restent encore confidentiels, son histoire impacte significativement l’imaginaire collectif et se retrouve dans divers champs de l’imaginaire. Je vous propose donc de faire le tour de tout ce que l’on sait à propos de Billy et des implications dramatiques de son existence.

LES 1001 VIES DE BILLY MILLIGAN est disponible aux éditions LE LIVRE DE POCHE
LES 1001 GUERRES DE BILLY MILLIGAN est disponible aux éditions CALMANN-LEVY (collection interstices)
SPLIT est un film de M. Night Shyamalan produit par UNIVERSAL STUDIOS
GLASS est un film de M. Night Shyamalan produit par UNIVERSAL STUDIOS
BILLY MILLIGAN : CES MONSTRES EN LUI est un documentaire NETFLIX en 4 épisodes réalisé par Olivier Megaton
THE CROWDED ROOM est une série télévisée en 10 épisodes disponible sur APPLE TV + et créée par Akiva Goldsman

Affiche du documentaire BILLY MILLIGAN : CES MONSTRES EN LUI
© NETFLIX

C’est en 2007 que je remarque dans les étals de ma librairie un livre assez intriguant : LES 1001 VIES DE BILLY MILLIGAN par l’écrivain américain Daniel Keyes. Je connaissais l’auteur qui m’avait bouleversé quelques années plus tôt avec le livre DES FLEURS POUR ALGERNON, où un handicapé mental devenait, via un traitement expérimental, l’un des hommes les plus intelligents de la planète.

LES 1001 VIES DE BILLY MILLIGAN semblait toujours vouloir appréhender les méandres du cerveau humain puisque le personnage principal éponyme était affublé d’une vingtaine de personnalités différentes qui cohabitaient tour à tour dans son esprit ! Le lecteur de comics que j’étais était familier de ce concept avec par exemple LEGION ou MOON KNIGHT. J’achetai le livre, un beau bébé d’environ 500 pages, et me mis à le dévorer littéralement en quelques heures.

Liens utilisés pour l’écriture de cet article :
https://eu.dispatch.com/story/news/2007/10/28/multiple-personality-case-billy-milligan/984983007/https://eu.dispatch.com/story/news/2007/10/28/the-life-billy-milligan/23454217007/
http://www.jamescamerononline.com/CrowdedRoom.htm

Les 1001 vies de Billy Milligan par Daniel Keyes

Le livre qui a tout déclenché
Editions CALMAN-LEVY

Octobre 1977, le campus de la State Ohio University est en émoi. Quatre étudiantes ont en effet été violées en quelques jours. Les enquêteurs parviennent à retrouver des empreintes dans l’une des voitures des victimes et les comparent avec leur base de données. Un nom surgit, celui de Billy Milligan, 22 ans, sorti quelques mois plus tôt de prison sur parole pour … viol et vol à main armée. Les victimes reconnaissent formellement le suspect, qui est arrêté sur le champ.

Le comportement du criminel une fois arrêté est assez étrange. Parfois mutique, parfois affable, parfois incompréhensible, Billy parle aux enquêteurs avec des accents ou des postures corporelles très différentes. On effectue plusieurs tests de QI qui révèlent soit une intelligence proche du génie, soit un retard cognitif avancé. Lors d’un entretien avec la psychologue Dorothy Turner, le suspect prononce des paroles qui vont mettre la puce à l’oreille des médecins : « Billy n’est pas là, il dort. Je suis David ».

Les psychologues s’orientent vers les personnalités multiples. Le syndrome des personnalités multiples (qu’on appellera plus tard trouble dissociatif de l’identité) est à l’époque très en vogue. Apparu sur grand écran avec le film LES 3 VISAGES D’EVE (pour lequel l’actrice Joanne Woodward sera oscarisée) en 1957, il connaît un regain d’intérêt depuis la parution du livre SIBYL en 1973 et son adaptation au petit écran en 1976 avec une très jeune Sally Field. SYBIL se veut raconter l’histoire vraie d’une femme possédant une quinzaine de personnalités toutes fusionnées en une seule, complète et totalement consciente par la psychiatre Cornélia Wilbur. Le succès est tel que la notoriété de Wilbur croît de jour en jour. Elle est invitée sur les plateaux de télévision et développe autour de sa patiente un commerce très rentable. Pas étonnant que les psychiatres chargés de Billy fassent appel à Wilbur.

En mars 1978, après un rapport disant que Billy ne comprend pas ce qu’il fait en prison et qu’il est incapable d’aider ses avocats, le juge chargé de l’affaire le déclare dans l’incapacité d’assister à son propre procès et le place à l’hôpital Harding, où il est traité par le psychiatre George Harding, assisté de Wilbur. Lors des séances de psychothérapie, ils découvrent 10 personnalités différentes qui ont pris le contrôle de Billy et ont l’ont mis en sommeil car elles craignaient que Billy ne se suicide ! 

Images de Billy Milligan lors de son arrestation
Tiré du documentaire BILLY MILLIGAN : CES MONSTRES EN LUI © NETFLIX

Toutes sont plus surprenantes les unes que les autres.
On peut trouver dans l’esprit de Billy des personnages hors du commun.
Il y a tout d’abord Ragen (pour Rage Again), un serbe de 23 ans spécialiste des armes et des combats à mains nues. C’est la personnalité qui prend le contrôle lorsque Billy est physiquement en danger. Fait plutôt surprenant : lorsque Ragen est aux commandes, Billy semble faire preuve d’une force surhumaine. Ragen cohabite avec Arthur, le chef de la bande qui parle plusieurs langues et s’exprime avec un accent anglais.

C’est lui qui décide quelle personnalité doit être placée « sous le projecteur » et prendre le contrôle de Billy en fonction de la situation. Autour d’eux Allen, 18 ans, escroc et magouilleur, Tommy qui est un maitre de l’évasion, David, qui est la personnalité réceptacle des traumatismes et qui surgit à chaque fois que Billy est violenté ou agressé, Chrestene, une enfant de trois ans, son frère Christopher et Adalana, 19 ans, une lesbienne en manque d’affection qui avoue avoir commis les viols.
Et puis Billy, totalement confus et dépassé. Il a passé les 7 dernières années la plupart du temps endormi à l’arrière de sa psyché, ne prenant le contrôle qu’à de rares instants et ne comprenant jamais ce qu’il se passe ni où il se trouve.

Les psychiatres découvrent que Billy a eu une enfance assez terrible. On comprend qu’il a été torturé et violé dès son plus jeune âge par son beau-père, Chalmer Milligan, qui a toujours nié les faits. Ce sont ces agressions répétées qui, selon les psychiatres, ont fragmenté la personnalité du jeune Billy afin de gérer la monstruosité des actes commis sur sa personne.

Le procès, inhabituel, connaît une résonnance telle qu’on décide d’appeler l’écrivain Daniel Keyes pour suivre le jeune homme et écrire un livre sur cette histoire. Durant son séjour à l’hôpital, Harding et Wilbur prétendent avoir fusionné les personnalités de Billy. En octobre 1978 ce dernier est prêt à être jugé. On découvre 14 nouvelles autres personnalités, appelées les indésirables que les 10 personnalités principales ont réprimées car trop psychotiques ou dangereuses pour Billy. Toutes ont finalement fusionné dans une entité appelée le professeur, qui possède une mémoire précise de tous les évènements qui se sont produits depuis la naissance de Billy. C’est cette personnalité qui a rendu la fusion possible.

Les avocats commis d’office de Billy, nommés Gary Schweickart et Judy Stevenson, ont une ligne de défense bien étrange : ils veulent faire acquitter Billy sous prétexte qu’il n’était pas en contrôle de son corps. Ses victimes affirment toutefois ne pas avoir détecté de changement de personnalité ou d’accent lors de leurs agressions. Mais l’abattage médiatique autour de l’affaire fait pencher la balance du côté de la défense : en février 1979 Billy Milligan est acquitté de ses crimes pour raisons mentales et interné dans une institution médicale.

Daniel Keyes et Billy Milligan
Tiré du documentaire BILLY MILLIGAN : CES MONSTRES EN LUI © NETFLIX

La lecture du livre m’avait laissé pantois. Internet n’était pas aussi fourni à l’époque et je ne savais donc pas s’il s’agissait d’un roman ou d’une histoire vraie ! Mais tout ce que je pouvais trouver sur le web laissait penser que Billy existait vraiment. Dans tous les cas, l’auteur méritait largement d’être reconnu pour avoir imaginé (ou décrit) une histoire pareille. Daniel Keyes est un excellent écrivain et son style très académique et détaillé fait des ravages. Il réussit parfaitement à mettre en scène la guerre qui fait rage entre les personnalités de Billy.

En 2009, LES 1001 GUERRES DE BILLY MILLIGAN (toujours par Keyes) relance mon intérêt pour le personnage. Toujours très peu d’informations sur le web. J’aurais tellement aimé voir des interviews filmées de Billy changeant de personnalité pour être sûr que ce n’était pas un canular.

LES 1001 GUERRES DE BILLY MILLIGAN a été écrit en 1994 et raconte les déboires de Billy avec la justice et les hôpitaux de l’Ohio. Billy assure en effet avoir reçu de très mauvais traitements durant ses diverses hospitalisations. Ce livre est le récit de ses douze années de lutte contre ce qu’il estime être un acharnement judiciaire à son encontre. J’apprends que le livre n’est pas publié aux Etats-Unis pour ne pas influencer un procès en cours entre Milligan et l’état de l’Ohio. Et que vraisemblablement un film est en préparation. On parle de Matthew Mc Conaughey dans le rôle de Billy.  Pour tout vous avouer, LES 1001 GUERRES DE BILLY MILLIGAN m’a profondément ennuyé. Je n’ai pu aller jusqu’au bout dans la mesure où l’effet de surprise était déjà passé. De plus, le fait de voir Keyes surfer sur le destin tragique d’un personnage ne me convenait guère.

Split, film plus que librement inspiré de l’histoire de Billy
© UNIVERSAL STUDIOS

Tout comme sa personnalité principale, Billy Milligan se remet en sommeil dans un coin de ma tête. Il ressurgit quelques temps plus tard avec le film SPLIT de M. Night Shyamalan, qui avoue s’être directement inspiré de Billy Milligan pour son personnage de vilain à personnalités multiples et aux pouvoirs changeants. Honnêtement, le rapport n’est que très lointain. Mais une grande partie de la promotion du film s’est faite autour de cela avec des titres vraiment très putassiers comme « l’histoire vraie derrière le film Split » ou encore « le personnage de Split a réellement existé », ce qui, quand on a vu le film, prend une dimension savoureuse. Le film est correct, mais sans plus. Il a toutefois permis de réaliser une suite (GLASS) qui s’avère reprendre les personnages d’INCASSABLE et de mettre sur le devant de la scène l’actrice ANNA TAYLOR JOY.

Nous voici maintenant en 2021, et l’histoire de Billy, décédé d’un cancer en 2014, revient sous le projecteur. Un documentaire en quatre parties intitulé BILLY MILLIGAN : CES MONSTRES EN LUI et réalisé par le français Olivier Megaton arrive sur NETFLIX. Megaton est un ancien réalisateur de clips (ASSASSIN, JEAN LOUIS AUBERT, KOOL SHEN) passé sous l’égide de Luc Besson et qui a dirigé entre autres les films d’action TAKEN 2 et 3, COLOMBIANA et LE TRANSPORTEUR 3.

Billy Milligan : ces monstres en lui

Dans ses premiers épisodes, le documentaire retrace le livre de Keyes mais avec des apports indéniables : les interviews actuelles de ses psychologues, de ses avocats et de sa famille ! Nous avons même quelques extraits vidéo des entretiens de Billy avec Wilbur où ce dernier change de personnalité. Et là, c’est une réelle déception. Les « transformations » de Billy sont à l’évidence beaucoup moins impressionnantes que ce que l’on avait pu imaginer dans le livre. Et semblent fausses. Il faut voir comment Billy tourne ses yeux et cligne des paupières avant chaque changement : cela rend immédiatement suspicieux quant à la véracité de son traumatisme. Le documentaire insiste énormément sur le fait que les personnalités multiples ne sont plus vraiment acceptées par la majorité des psychiatres et qu’il s’agissait d’une réelle mode dans les années 70. Il ne tranche toutefois pas non plus mais laisse planer le doute sur une éventuelle mise en scène plus ou moins inconsciente de la part de Billy.

On assite alors à plusieurs théories pouvant réfuter le problème du jeune homme.
– Soit Billy est réellement atteint de personnalités multiples ou tout du moins de schizophrénie
– Soit les psychiatres ont eux-mêmes incité Billy à développer ces personnalités durant leurs entretiens et avec la prise de médicaments hallucinatoires. En voulant conforter leurs théories, ils ont inconsciemment incité Billy à les développer.
– Soit Billy a crée de toutes pièces ces personnalités pour avoir l’attention des psychiatres et faire en sorte d’échapper à la prison.

Une peinture de Billy Milligan décrivant 7 de ses différentes personnalités. Avec Adalana, Chestene et Ragen au premier plan
Tiré du documentaire BILLY MILLIGAN : CES MONSTRES EN LUI © NETFLIX

La réponse la plus plausible est certainement un mélange des 3. Nul ne doute que Billy a des problèmes psychiatriques dus à son enfance, le premier psychiatre à l’avoir analysé dans les années 1975 lors de son premier emprisonnement avait d’ailleurs relevé un côté sociopathe et schizophrène. Billy, très perturbé, a très bien pu tenter d’excuser ses actes grâce aux personnalités multiples en voyant le film SYBIL a la télévision. Il a même pu se convaincre de cet état de fait. Par chance, il est tombé sur des psys non seulement convaincus de cette affliction mais désireux de trouver une nouvelle « poule aux œufs d’or ». Ce qui est certain, c’est que le livre de Wilbur sur Sybil a été remis en question à maintes reprises concernant certains fait imaginés ou biaisés. Il en est de même pour celui de Keyes.

Mais le documentaire ne s’arrête pas là. Il décrit la suite de la vie de Billy après le livre, ses déboires avec le système hospitalier, ses liens avec le cinéma et surtout, son évasion au Canada, où Billy se serait possiblement livré à un ou deux meurtres et plusieurs usurpations d’identité. Même si le documentaire ne tranche pas (il n’a pas les preuves suffisantes), cela jette un sacré coup de froid sur la thèse des personnalités multiples.

Je pensais que l’histoire de Billy se terminerait là, mais c’était sans compter sur Hollywood.

TITRE 3 : Billy et le cinéma

Billy et la caméra. Une longue histoire
Tiré du documentaire BILLY MILLIGAN : CES MONSTRES EN LUI © NETFLIX

En effet, Le premier livre de Keyes et le destin de Billy Milligan ont failli être adaptés maintes et maintes fois au cinéma. Il faut dire que toute l’histoire est une mine d’or pour les réalisateurs et scénaristes : des personnalités multiples, des crimes, un suspense insoutenable. Dès la publication du livre, les droits de la vie de Billy sont achetés par une productrice indépendante, Sandy Arcana, qui présente le projet au début des années 1990 à James Cameron.

Ce dernier est très intéressé et écrit un script complet avec son acolyte Todd Graff (Abyss) intitulé A Crowded Room. Cameron vient tout juste de sortir de TERMINATOR 2 et pense qu’une intrigue un peu plus terre à terre lui permettrait de se reposer avant une autre grosse production. Cameron rencontre même Milligan et sympathise avec lui ! John Cusack est pressenti pour jouer Billy.  Mais Arcana, voyant que Cameron connaît un succès sans précédent, devient plus exigeante et porte plainte contre le réalisateur, lui demandant un salaire plus élevé. Elle est suivie quelques temps plus tard par Billy Milligan en personne, qui lui aussi demande des compensations financières. Plutôt que de se battre, Cameron lâche immédiatement le film et ses droits d’adaptation. Le projet devient une arlésienne, refaisant surface tous les 4 ou 5 ans.

Joel Schumacher ou David Fincher se sont penchés sur le script et Johnny Depp et Leonardo Di Caprio ont parfois été pressentis. SHUTTER ISLAND, de Martin Scorcese, met un point final à toute l’histoire avec un sujet assez similaire. Les producteurs ne désirent plus se lancer sur un film qui ne serait finalement qu’une redite.


En 2021, APPLE TV + annonce qu’Akiva Goldsman (A Beautiful Mind, Da Vinci Code, Batman & Robin, Je suis une légende) travaille sur un script s’inspirant du livre de Keyes. Pour des raisons de droit certainement, ce n’est pas une adaptation au sens propre, mais une nouvelle histoire suivant plus ou moins la trame du livre. THE CROWDED ROOM est donc une mini-série de 10 épisodes. Si les noms sont modifiés (THE CROWDED ROOM raconte la vie de … Daniel Sullivan, atteint de personnalités multiples nommées Philip, Jonny, Yitzak ou Ariana) et les points forts de l’histoire très altérés, on reconnaît toutefois la trame globale de la vie de Billy.

The Crowded Room

Dans les années 1970, Danny Sullivan (Tom Holland) est arrêté pour avoir tiré au pistolet dans la foule. Très rapidement, les policiers se rendent compte que quelque chose ne va pas. Ils appellent donc la psychologue Rya Goodwin qui, au travers de son interrogatoire découvre les tragiques secrets de Billy liés à son passé. Mais cela suffira-t-il pour empêcher Billy de se retrouver emprisonné ?

THE CROWDED ROOM est une série plutôt bien produite, avec beaucoup d’efforts mis sur la réalisation, très soignée et des acteurs convaincants. En revanche, l’histoire peut se révéler décevante sur plusieurs points. Au vu du résumé, vous comprenez que le mystère et le retournement de situation de la série repose sur la découverte des personnalités multiples de Billy.

Découverte qui arrive autour de l’épisode 6. Et pourtant, bien en gros dans le générique, pile à la fin et là où vous ne pouvez pas le rater, se trouve la mention « basé sur le livre LES 1001 VIES DE BILLY MILLIGAN de Daniel Keyes ». Donc autant vous dire que dès le départ, ceux qui connaissent l’histoire de Billy n’ont quasiment plus aucune surprise. Mais connaître le scénario et le but de l’histoire avant tout le monde peut être intéressant, cela permet de regarder la série en essayant de trouver tous les petits détails qui amènent à cette révélation. Et là aussi, c’est assez convenu. Le parti pris d’Akiva Goldsman n’est pas que de représenter les différentes personnalités de Billy dans sa tête, mais aussi à côté de lui, comme s’ils étaient des amis de Billy où des personnages secondaires à qui personne n’adresse la parole. Un peu à la FIGHT CLUB. C’est idéal pour confondre le spectateur, mais de fait, c’est assez attendu.

Le rythme et surtout l’histoire sont finalement trop lisses, avec des indices assez redondants et trop appuyés. Nous ne sommes pas dans un récit s’inspirant d’une biographie mais dans une petite fiction, avec une histoire bien enrobée et se laissant parfois des libertés très convenues. En dehors des personnalités de Billy (et il n’y en a que 5), tous ceux qui gravitent autour de lui (son avocat, sa psy, ses parents) manquent cruellement de profondeur et diluent les enjeux avec 3 ou 4 histoires parallèles. Le poids donné au passé de Billy et à ses parents rend la série un peu longue à suivre. Il n’y a pas d’enjeu narratif, si ce n’est essayer de lui éviter la prison. Alors qu’on pouvait s’attendre à un traitement psychologique fouillé, on a plutôt droit à de la compassion de comptoir et à un récit classique d’enfant victime. Surtout que Goldsman refuse d’aller là où ça fait mal. Ce qui est dommage car quelques scènes sont plutôt fortes. Mais trop rares. Le scénariste aurait pu se permettre, avec son casting, d’aller chercher beaucoup plus en profondeur.

Car la force de THE CROWDED ROOM, ce sont ses acteurs. Tom Holland est tout simplement magistral, bien loin de son Spider-Man et il n’hésite pas à se mettre en danger dans des scènes où il est travesti ou en fâcheuse posture, notamment lors de scènes de violence voire de viol. Sa prestation est excellente et prouve qu’il peut tout jouer. Même ses changements de personnalité sont plus convaincants que ceux du véritable Billy Milligan. Amanda Seyfried prend son rôle à bras le corps, donnant une composition très solide à son personnage de quadra débordée. Mention spéciale aux deux parents de Billy, interprétés par Emmy Rossum et surtout Will Chase, dérangeant dans son rôle de père abusif. Ce sont ces quatre acteurs qui donnent envie de voir la série jusqu’au bout. Et c’est vraiment dommage car au vu de leur investissement, THE CROWDED ROOM aurait pu se permettre d’aller beaucoup plus loin, sans toutefois gâcher ses rebondissements. C’est donc une série correcte, mais qui se veut plus comme une histoire gentillette pour la télévision.

Amanda Seyfried et Tom Holland sauvent la série
© APPLE TV +

Conclusion

L’étrange histoire de Billy Milligan peut être appréhendée de tellement de manières (thriller, récit psychologique sur la folie, confrontation avec la justice, procès, mensonge) que c’est même étonnant de ne l’avoir vu qu’aussi peu adaptée à l’écran. En tout cas elle a forcément (avec le livre SYBIL) ouvert la voie à toutes les intrigues à base de personnalités multiples présentes dans l’imaginaire depuis 40 ans, déclenchant une véritable vague de diagnostics de personnalités multiples aux USA dans les années 1970.

Le trouble de personnalités multiples est toujours une pathologie controversée et qui n’a pas atteint un consensus parmi les scientifiques, même si elle est consignée dans les pathologies d’ordre mental sous l’appellation Troubles Dissociatifs de l’Identité (TDI). Ce phénomène connaît une certaine résurgence, notamment sur les réseaux sociaux, depuis la sortie de SPLIT, chez certains « tiktokeurs ». Si le trouble existe et repose sur des observations et des conclusions logiques, notamment liées à des traumas répétés durant la petite enfance, les manifestations de ce dernier sont nettement moins spectaculaires que ce que l’on peut voir sur les écrans de télévision ou les réseaux sociaux. En fin de ligne, je vous propose un lien de la chaîne LA TRONCHE EN BIAIS faisant le tour de ce problème avec une psychologue.

En dehors de l’attirance assez compréhensible pour une histoire aussi intrigante, des questions se posent de plus en plus sur la véracité de la maladie de Billy. Toutefois, quelque chose me semble souvent écarté ou mis de côté par les différentes œuvres traitées ici :  les victimes. Le seul fait affirmé et vérifié dans l’histoire de Billy, c’est que plusieurs femmes ont été agressées, ont souffert et souffrent encore. L’étrangeté de l’histoire ne doit pas faire oublier ce qui reste à la fin le plus important. L’auteur de cet article a bien évidemment une pensée pour elles.


La BO du jour : That’s my family (le début de la chanson est plus intéressant que la fin)


21 comments

  • JB  

    Merci pour cette présentation magistrale.
    Le documentaire semble un peu confirmer mon impression de l’histoire : exagération des faits a minima. Mais bon, « quand la légende dépasse la réalité, on imprime la légende ».
    Dans les comics, j’ai l’impression d’un impact sur quelques personnages connus : Hulk à partir de Peter David (la fusion des personnalités) et surtout David Haller aka Legion.
    The Crowded Room : intéressant (et attristant) de voir le changement de crime pour l’arrestation du personnage. Nécessaire d’un point de vue dramaturgique pour que le spectateur ait de l’empathie pour le personnage, mais assez peu éthique comme tu le soulèves dans la conclusion.

    • Doop O Malley  

      merci !

  • Tornado  

    Un article pop-culturel multimédia comme je les aime. Le blog est l’endroit idéal pour ce type d’expression. Je ne savais rien de tout ça. Merci beaucoup pour tout ce pan de culture plus ou moins geek.
    Je suis juste un peu frustré de ne pas en avoir plus sur les films de Shyamalan…
    Quand je pense à ce genre de sujet, je pense toujours à un film de série B assez sympa même si très dispensable de James Mangold : IDENTITY (2003).
    Les années 70, c’était quand même le terrain des extrapolations les plus folles. Une décennie jonchée de machins précédés de la mention « d’après une histoire vraie« . Je me souviens notamment du film AMYTIVILLE, vendu quasiment comme un documentaire. Le pire c’est que pour l’enfant que j’étais, qui voyait les extraits à la télé, ben ça m’avait traumatisé littéralement puisque j’étais persuadé que tout ça était vrai ! Les salauds, je leur dois mes pires cauchemars d’enfance…
    C’est édifiant aujourd’hui quand on perçoit que tout ça n’était que des effets de pub et même pire, des canulars entretenus par les médecins et les scientifiques eux-mêmes pour leur propre profit. Punaise.

    La BO : Je n’aime pas trop la pop/variété américaine matinée de hip-hop, mais ça passe.

    • Doop O Malley  

      merci ! j’ai coupé une bonne moitié de l’article. sinon Bruce allait me tuer !

    • Eddy Vanleffe  

      IDENTITY m’avait vraiment plu.
      Dans les histoires vraies, c’est les adaptations de l’expérience de STANFORD qui m’ont marquées.
      Effectivement, apprendre que tout était mensonger/truqué c’est assez déprimant surtout qu’on est une époque qui démystifie beaucoup

      • Tornado  

        Oui c’est sympa IDENTITY mais c’est quand même pas le film que je garde dans ma dvd-theque, d’où le « dispensable ».

        Les histoires vraies : le pire c’était les vidéos « FACE À LA MORT », carrément vendus comme des documentaires naturalistes alors que tout était fake ! J’en ai jamais vu mais je me souviens que tout le monde en parlait au collège, notamment les fans de films d’horreur !

      • Matt  

        Le souci de IDENTITY, c’est que le twist est révélé trop vite. quand on sait ce qui est faux…bah on s’en tamponne un peu de ce qui arrive aux « personnages »

  • Thorn  

    Sur tes conseils, j’avais lu LES 1001 VIES DE BILLY MILLIGAN qui m’avait passionné. Toujours sur ton avis, je n’ai pas lu le suivant. De plus, je n’ai pas Netflix, mais, sur ce sujet, je n’ai pas l’impression d’avoir manqué grand chose.
    Ceci dit, article passionnant, et bien écrit comme toujours.

    • Doop O'Malley  

      Merci Thorn !

  • Eddy Vanleffe  

    Chouette article Doop.

    • Doop O'Malley  

      Merci Eddie !

  • Jyrille  

    Un article passionnant sur lequel je ne savais rien ou presque. Tu m’apprends donc plein de trucs. J’ai récemment vu la trilogie de Shyamalan parce que je n’avais jamais vu INCASSABLE. GLASS est encore moins bon que SPLIT qui est tout juste sympa et vaut surtout pour les jeux d’acteurs (et Ana).

    Pour ma part j’aurai tendance à penser que tout ceci est manipulation mais en effet, c’est une énorme mode littéraire et fictionnel que tu soulèves ici. J’ai récemment revu IDENTITY que cite Tornado et il est pas mal, mais également PRIMAL FEAR avec Edward Norton dans son premier rôle, très acceptable aussi comme film. Mais je pense bien sûr à Crazy Jane dans la Doom Patrol avant tout. Sinon on peut aussi mettre dans le lot SEVERANCE, CES JOURS QUI DISPARAISSENT et tellement d’autres…

    Sinon je ne pense pas voir les documentaires et séries dont tu parles ici (je suis pas friand de Megaton pour ce que j’en ai vu – les Taken et un autre je sais plus), c’est un gros manque chez moi mais en général je ne suis pas trop friand de ce type de film (pourtant j’en ai vu un y a pas longtemps bien sympa sur l’infini, aussi sur Netflix, A TRIP TO INFINITY).

    imdb.com/title/tt21929356/

    J’aime beaucoup ta conclusion. Bravo pour ce super article.

    La BO : pas du tout mon truc. Tu as maté la série qu’elle illustre avec la fille Paradis-Depp ?

    • Doop O'Malley  

      Oui, THE IDOL. Je suis peut-être le seul à avoir trouvé le final hyper intéressant !

  • Fletcher Arrowsmith  

    Bonjour Doop.

    Il y a un point qui me gène dans ton article. Le cas de Billy Milligan est à mon avis fondé sur les multiples voire très nombreuses personnalités.

    Je ne pense pas que l’on peut dire que des films comme PRIMAL FEAR ou SHUTTER ISLAND soient identiques car il y a là qu’une seule personnalité, plus de la schizophrénie même si pour Primal Fear on s’en rapproche quand même vu l’interprétation donnée par E. Norton (le film reste passable, peu transcendant).

    Pour Shutter Island c’est d’abord un livre (de Dennis Lehane) avant d’être un film, pas le meilleur de Scorsese (avec 3 s et pas de c), qui vaut quand même beaucoup pour son dénouement. Je n’ai pas souvenir d’avoir lu que Dennis Lehane s’était inspiré de Billy Milligan. Il y a également une adaptation en bd (dessins de Christian De Metter) que je recommande.

    Je ne suis pour l’instant pas allé plus loin que les 15 première minutes de THE CROWDED ROOM, que j’ai trouvé mauvaises. Ton article me donne envie de m’accrocher.

    SPLIT est un film moyen comme la prestation de Avoy. GLASS est mauvais tout simplement.

    Je pense que la meilleure influence directe reste David Haller aka LEGION en effet. L’ensemble reste un sujet fascinant. Je ne lirais surement pas ces deux livres. Je ne verrais surtout pas la série NETFLIX.

    Sympa la BO.

    • zen arcade  

      « Scorsese (avec 3 s et pas de c)’

      Ben si, y a un c. 🙂

  • Doop O'Malley  

    Hey Fletch, à aucun moment (je crois), je ne dis que SHUTTER ISLAND est inspiré de Billy Milligan, simplement que sa sortie, avec un sujet similaire (dédoublement de la personnalité) a certainement mis fin à une éventuelle production. Quant aux SHYAMALAN j’avais déjà pas aimé INCASSABLE,

  • Fletcher Arrowsmith  

    C’est dommage pour INCASSABLE. Je trouve que c’est son meilleur film, et peut être un de meilleurs film de super-héros tout court.

    Je ne pense pas que cela soit la sortie de SHUTTER ISLAND qui a mis fin à une éventuelle production. D’ailleurs SPLIT est postérieur au film de Martin Scorsese. C’est en cela que je t’interpelais. Le sujet dédoublement de la personnalité reste, mais les objectifs ou le traitement sont quand même bien différent. PRIMAL FEAR s’en rapproche beaucoup par contre, notamment vis à vis du scénario et du meurtre avec le procès qui s’en suit.

  • Présence  

    Daniel Keyes (1927-2014) : je me souviens encore de son roman Des fleurs pour Algernon (1966), et je me rends compte que, depuis le temps, je ne m’étais jamais posé la question de savoir s’il avait écrit un autre roman. Quelle découverte !

    Parmi les personnages à personnalité multiple, on peut également citer Crazy Jane (Kay Challis) de la Doom Patrol, créée par Grant Morrison & Richard Case.

    On assite alors à plusieurs théories pouvant réfuter le problème du jeune homme. […] et faire en sorte d’échapper à la prison. – J’ai beaucoup aimé ce développement qui permet de mesurer le degré de complexité d’expertiser et d’interpréter les entretiens, qui met en lumière que ce qui est tenu pour la vérité est fortement dépendant des éléments culturels et sociologiques de l’époque, et de l’ambition de certains experts misant gros sur un cas pour se faire un nom.

    • Doop O'Malley  

      merci ! effectivement, c’est un aspect (les modes ) que je voulais aborder !

  • Bruce lit  

    Merci pour cet article très complet qui fait le tour du propriétaire, Doop. J’ignorais tout de ce personnage.

  • JP Nguyen  

    Beau travail de collecte et de synthèse, très instructif. Et assez navrant de penser que le spectaculaire et le chiqué ont probablement permis à un coupable de s’en tirer…

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