La Quête de l’Oiseau du Temps par Serge Le Tendre et Régis Loisel
1ère publication le 31/03/15- Mise à jour le 15/07/18
AUTEUR : JP NGUYEN
VF : Dargaud
Tous les scans de cet article © Dargaud
Cet article porte sur le premier cycle de la Quête de l’Oiseau du Temps, une BD écrite par Serge Le Tendre et dessinée par Régis Loisel, dont les quatre tomes sont sortis entre 1983 et 1987.
Un autre cycle, « Avant la Quête », est en cours de réalisation, avec quatre tomes parus sur les six prévus, dont les illustrations sont supervisées par Loisel mais réalisées par d’autres artistes.
Au début des années 90, je ne lisais quasiment que des comics. J’étais même un peu intégriste et ne donnais que rarement leur chance à d’autres BD. Avec Astérix, Tintin et Lucky Luke, je pensais tout connaître de ce que la BD franco-belge avait à proposer. Dit autrement, j’étais jeune et con. Cependant, petit à petit, j’ai élargi mon horizon de lecture et en 1995, un ami m’a prêté les quatre albums de laQuête de l’Oiseau du Temps. C’était les vacances de Noël, et j’avais tout mon temps pour me plonger dans cette passionnante quête…
Alors de quoi ça parle ? Dans le monde médiéval-fantastique d’Akbar, on suit les péripéties d’un petit groupe d’aventuriers qui doivent sauver leur monde, en moins de neuf jours, pas un de plus : le temps leur est compté ! Au début du récit, la jeune et intrépide Pélisse est envoyée par sa mère, la princesse-sorcière Mara, pour quérir l’aide du Chevalier Bragon, qui coule une paisible retraite dans sa ferme.
Le dieu Ramor, enfermé par un sortilège dans une conque, va bientôt se libérer et répandre le chaos sur Akbar. Seule Mara, détentrice du grimoire des dieux, pourrait empêcher sa libération mais l’incantation nécessaire demande beaucoup de temps. Pour gagner ce temps précieux, il faut trouver l’Oiseau du Temps !
Nos aventuriers vont donc tout d’abord retrouver « la Conque de Ramor« , détenue par le prince-sorcier de la Marche des Terres Eclatées, puis dans le deuxième tome, se rendre dans « le Temple de l’Oubli » située dans la marche des Lèvres de Sable, pour déchiffrer les runes indiquant où se trouve l’Oiseau du Temps.
Une fois cette information collectée, ils traverseront les terres du « Rige« , l’ancien maître du Chevalier Bragon, avant que leur quête ne trouve son dénouement dans l’ultime tome, « l’Oeuf des Ténèbres ». Au fil de leur quête, Bragon et Pélisse seront rejoints par Messire l’Inconnu, un mystérieux allié un peu maladroit dissimulant son visage sous un casque d’acier. Ils croiseront aussi à plusieurs reprises la route de Bulrog, ancien élève de Bragon, qui sera d’abord leur adversaire puis deviendra un allié.
Magie, créatures monstrueuses, preux chevalier, légendes et prophéties, tous les ingrédients classiques de l’Heroic Fantasy figurent au menu de la Quête, mais ils sont savamment dosés et distillés pour aboutir à une formule très originale. Tout d’abord, de par la diversité des peuples d’Akbar, où les humains côtoient d’autres races comme les Gris-Grelets, les Jaisirs ou les Jivrain. Des humanoïdes aux traits assez frustes ou semi-animaux qui se substituent aux classiques elfes ou orques que l’on rencontre d’habitude dans les univers inspirés par les œuvres de Tolkien.
Le bestiaire fait également preuve de créativité. Nos héros chevauchent tour à tour des « lopvents », créatures ailées ou d’autres montures, aux inspirations diverses allant de l’autruche au diplodocus. Dans le monde d’Akbar, il n’y a semble-t-il pas de dragons, mais on craint le Borak à la langue meurtrière ou encore la Mort Rampante, un gigantesque ver des sables. La magie est principalement l’apanage des princes-sorciers mais elle se manifeste aussi au travers de créatures plus singulières comme Fol, l’esprit du fleuve Dol, qui, dans chaque tome, viendra soumettre une énigme à la petite troupe d’aventuriers.
Si, de prime abord, les personnages semblent correspondre à des archétypes assez simplistes (le vieux chevalier, la jeune aventurière, le guerrier inexpérimenté) ils changent et grandissent tout au long du récit et révèlent leurs forces, leurs faiblesses voire leurs parts d’ombre. De plus, les auteurs ont pris soin de se départir des clichés les plus basiques.
Le Chevalier Bragon est un guerrier légendaire. C’est le héros de la quête mais il n’est pas pour autant dépeint de manière très impressionnante. Ses habits sont simples, ses cheveux et sa barbe sont blanchis par les années et sa bedaine et son nez sont plus saillants que ses muscles. Seule sa hache, nommée Faucheuse et présentée comme une arme mythique (même si elle ne dispose pas de pouvoirs particuliers) nous rappelle son statut de légende. La quête lui permet de rencontrer sa fille et lui redonne une seconde jeunesse.
Pélisse semble d’abord être une simple bimbo mais on réalise très vite que c’est une combattante redoutable, armée de son fouet ardent, tissé dans la langue d’un Borak et capable de brûler grièvement tous ses adversaires. Elle a hérité du caractère bien trempé de son père mais aussi du côté manipulateur de sa mère, la princesse-sorcière Mara.
Elle ne se sépare jamais de son petit animal familier, le fourreux. Ce qui semble n’être qu’une relation affectueuse avec un animal de compagnie se révèlera au fil des tomes d’une tout autre nature.
Messire l’inconnu est au départ le ressort comique de la bande. Son visage toujours caché jusqu’au quatrième tome permet aussi potentiellement au lecteur de s’identifier à lui. Mais au fil des tomes, à la manière d’un Sam Gamegie du Seigneur des Anneaux, sa nature héroïque aura l’occasion de se révéler, pour aboutir au dernier volume où il jouera un rôle décisif.
Bulrog démarre comme un méchant très basique, cherchant à prendre sa revanche sur son ancien maître pour une raison assez obscure. Mais plutôt que de s’enfermer dans le cercle vicieux de la vengeance suite à ses défaites, il évoluera et aura aussi l’occasion de briller dans le dernier chapitre.
Les interactions entre tous les personnages les rendent attachants; que ce soit l’amour filial que Bragon porte à Pélisse, les échanges entre les vieux amants Bragon et Mara, les maladroites tentatives de séduction de Messire l’Inconnu, la jalousie de Bragon vis-à-vis de son ancien rival sentimental Bodias, les relations maître-élève entre Bragon-Bulrog et le Rige-Bragon, le rapport mystérieux entre Pélisse et son Fourreux, tous ces liens qui se nouent et se dénouent au fil de l’intrigue participent au plaisir de lecture.
Si les personnages évoluent au fil des tomes, les dessins aussi, ainsi que la mise en couleurs. Le trait de Loisel est caricatural pour les visages mais plus réaliste pour les corps et les décors. Ces derniers sont très bien rendus, avec force détails, et nous transportent à travers le pays des sept marches, des montagnes des Marches des terres éclatées, aux marais de la Marche des voiles d’écume en passant par la luxuriante jungle qui sert de terrain de chasse au Rige. Ce dernier est sans doute le personnage secondaire le plus charismatique de la série. En l’espace d’un seul tome, il atteint le rang de personnage culte pour les fans du cycle, par sa prestance, son look si particulier et son sens de l’honneur.
La mise en couleurs participe aussi à l’installation des ambiances des différents environnements traversés par nos aventuriers pendant leur quête. On peut toutefois noter que les couleurs des deux premiers tomes sont un peu plus « délavées » (notamment du fait de limitations techniques et éditoriales) que celles des deux suivants et qu’elles ont d’ailleurs été refaites à l’occasion d’une nouvelle édition intégrale parue fin 2011.
Au fil de la quête, on voyage donc dans Akbar et on fait des tas de rencontres aux côté d’une joyeuse troupe mais qu’est-ce qui distingue cette épopée d’un récit d’Heroic Fantasy lambda ? Pour moi, la réponse tient dans le titre de l’œuvre.
Cette BD explore de manière très habile et parfois poétique le thème du temps qui passe. Un temps qui est compté pour les héros, du fait de l’imminence de la menace du Dieu Ramor. Un temps qui nous est aussi conté à travers les allusions au prestigieux passé du Chevalier Bragon, qui arrive au crépuscule de sa vie. Un temps qui semble aussi repartir en arrière, pour Bragon retrouvant sa jeunesse via le frisson de sa dernière aventure. Un temps qui court et fait grandir certains protagonistes. Un temps qui s’évanouit puis qui renait à l’image du mythe originel qui nous est révélé dans le quatrième tome. Un temps qui passe très vite, au fil des quatre tomes, grâce à des auteurs qui n’auront pas délayé leur intrigue.
Je ne dévoilerai pas la fin du récit car elle comporte un retournement de situation majeur, à la fois inattendu lorsqu’on le lit pour la première fois et par la suite assez évident car les indices en sont semés dès le premier tome (voire les premières pages !). Je dirai seulement que c’est une conclusion très satisfaisante car chaque personnage arrive au bout de son fil narratif même si pour certains, l’issue est assez sombre. Cette fin contribue aussi à l’originalité de l’histoire, puisqu’en lieu et place d’un grand triomphe des héros, on retrouve des destins plus contrastés. Au terme du voyage, on est un peu triste de quitter nos aventuriers, avec lesquels on aura tout de même passé… du bon temps.
Dans les années 90, je ne lisais quasiment que des comics. Mais une quête dans le monde d’Akbar, à travers le pays des sept Marches, a élargi mes horizons de lecture et ajouté les Boraks, Bragon et autres Rige à mon imaginaire jusqu’alors trusté par des diables rouges ou des mutants griffus; ouvrant ainsi la voie pour d’autres lectures dépourvues de héros costumés.
Fleuve Noir existe toujours ?
Excellent article pour une excellente série, comme beaucoup d’entre vous j’ai les lu alors que j’étais au lycée, une version intégrale prise à la mediatheque que j’ai dû dévorer en deux ou trois soirs, et quel régal ! Merci pour cette petite madeleine de Proust, le Rige, les boraks, le décoleté de Pelisse et cette fin, magnifique de mélancolie… une petite de la bd fantasy que les fans du genre, ou non, se doivent de lire au moins une fois dans leur vie !
Je suis en train de les relire, mes quatre vieilles éditions de 87-88… Je viens de finir le Rige, meilleur tome sans aucun doute, à l’intrigue universelle et au traitement « survival » comme on dit (cf. Rambo, Predator, Le territoire des loups…). Arrivé à la fin j’en ai presque les larmes aux yeux.
Une très bonne série, comme tu le dit la fin marque. Avec des dessins très caractéristique de l’auteur qui marque. D’ailleurs la série Peter Pan de Loisel vaut le coup d’œil.
Le seul reproche que je ferais c’est la fin un peu rapide pour de Mara.
Sinon j’aurais une question à propos du site : Où sont passés les critiques sur Logan, Kong Skull Island..
?
@Zelphur4
Pour faire vite, le blog s’est pris une amende pour une photo de Miyazaki sous copyright. Au vu de l’actualité,, j’ai préféré être prudent et retiré, la mort dans l’âme, TOUS les articles cinéma pouvant nous ramener des prunes même si ce n’est plus la saison.
Si j’ai eu l’assurance auprès de services juridiques de grandes maisons d’édition que, normalement, il soit possible d’utiliser des scans de planches de BD, en revanche, toutes les infos sur les images tirées de films sont floues. Ce qui est sûr, c’est qu’il est dangereux de poster des photos prises hors tournage par des photographes. Pour le reste, l’argument : « si tout le monde le fait, on peut le faire aussi » ne me satisfait pas/plus. Avec tous les blogs du web et 1123 articles du site , la chance de se faire serrer était statistiquement improbable. Sur l’article Logan, il y avait une photo des acteurs en conférence de presse, une vraie bombe à retardement !
C’est arrivé et on paie pour tout le monde.
Je ne veux pas que ça arrive encore.
Je veux continuer à publier sans arrière pensée et nous amuser. Un élément a été décisif dans ma décision : le site cité par Libération avait 11 000 visiteurs par mois. Ils étaient en ligne depuis 18 ans ! 18 ans ! Ils se prennent 11000€ dans la gueule, ils lancent un crowfunding en se disant peut être qu’avec 2€ par lecteurs, ils seront tirés d’affaire ! Et bien, au bout d’un mois, les mecs ont….98 contributions pour 2000€ ! Ce n’est vraiment pas correct ! Le type, a retiré aussi tous ses articles sûrement encore plus meurtri que moi.18 ans…
Donc, jusque nous en sachons plus et que je sois assuré de la sécurité de tous, les articles cinéma ont été mis hors ligne à titre provisoire, je l’espère. Comme toutes les décisions prises en urgence, elles sont frustrantes et insatisfaisantes. Il a fallu arrêter l’hémorragie et amputer une rubrique majeure du blog. Mais je ne demande qu’à être convaincu du contraire et plutôt que d’une prothèse et puisque on est chez les super héros, voir ce membre repousser…