OBJECTIF : NUL ! (Bullshit Detector : Star Trek : Section 31)

Star Trek : Section 31 par Olatunde Osunsanmi

Un article de PATRICK 6

Cet article portera sur le dernier téléfilm en date de la licence Star Trek, SECTION 31, réalisé par Olatunde Osunsanmi, et diffusé sur Paramount+ depuis le début de l’année.

Le pire film de la franchise dans un fauteuil. © Paramount +

Sur le papier cette nouvelle mouture issue de la franchise, jadis crée par Gene Roddenberry, a tout pour être excitante : un casting oscarisé (Michelle Yeoh, excusez du peu), une histoire centrée autour d’une «méchante» (du jamais vu chez Star Trek), un battage promotionnel important… Et pourtant, le résultat est plus que décevant, autant sur le fond que sur la forme.

En tant que fan de Star Trek, je n’aurais, tout simplement, jamais imaginé prononcer un jour cette phrase, mais oui, force est de l’admettre : cette nouvelle mouture est tout simplement nulle (et non avenue) ! Comment expliquer cette contreperformance, doublée d’un désastre créatif ?

Nous allons nous pencher sur la question. Un peu de contextualisation tout d’abord. La Section 31 est une organisation introduite dans la série STAR TREK: DEEP SPACE 9. Il s’agit d’une branche clandestine de Starfleet. Elle a pour but de protéger la Fédération, à tout prix, même si pour cela elle doit transgresser tous les principes éthiques de cette dernière. Sorte de barbouze interstellaire, elle est un peu le côté obscur de l’utopie trekkienne.

Lors de la guerre du Dominion, la Section 31 a commis des actes plus que douteux et violents, soulevant au passage des questions fondamentales telles que : la fin justifie-t-elle les moyens ?  Pour survivre une démocratie peut-elle adopter les méthodes cruelles et barbares de son ennemi ? (toutes ressemblances avec l’actualité ne serait que pure coïncidence, hein…)

Bref, selon les réponses que vous apportez aux questions ci-dessus, les membres de la S31 sont des criminels, ou des agents secrets qui n’ont pas peur de se salir les mains. Au choix.

Je vais essayer de ne pas trop spoiler mais, en version (très) courte, dans la série DISCOVERY, est apparu Philippa Georgiou (Michelle Yeoh), la cruelle impératrice de l’Empire Terrien, issue du monde miroir (on va y revenir). Ses méthodes sont aussi impitoyables que sanguinaires. Elle se prépare 1 ou 2 génocides rien que pour le petit déjeuner (alors, pour le souper, je vous laisse imaginer…) Après avoir officié un temps pour la Section 31, elle parvient finalement à leur échapper en utilisant un portail spatio-temporel à destination d’un lieu et d’un temps inconnu…

Le pitch maintenant :

Quand l’action de SECTION 31 commence, on retrouve Georgiou officiant, sous un pseudonyme, comme directrice d’une station spatiale louche et interlope.

Après une enquête laborieuse, Alok (interprété par Omari Hardwick), le chef de l’équipe Alpha de la Section 31, trouve la trace de l’ex-impératrice. Plutôt que de l’éliminer, il lui propose de se joindre à eux dans une périlleuse et mystérieuse mission…

La première chose qui étonne c’est la simple présence de Michelle Yeoh dans une telle production ! La franchise n’est en effet pas connue pour être un nid de stars. Si William Shatner ou Patrick Stewart ne sont pas des inconnus lorsqu’ils montent à bord de l’Enterprise, ils n’ont cependant que des seconds rôles au cinéma, ou des apparitions dans des séries à leur actif (de même que Wil Wheaton ou LeVar Burton), mais l’actrice malaisienne dispose déjà d’une toute autre renommée !
Le seul cas probant d’une Star confirmée insistant pour jouer un rôle récurent dans Star Trek c’est Woopi Goldberg (alors au fait de sa gloire).

Mais pour Michelle Yeoh les choses sont un peu différentes. Elle est, tout d’abord, fan de science-fiction, elle a grandi en regardant des séries comme STAR TREK, ou LOST IN SPACE… Par ailleurs, si elle se reconnait dans les valeurs humanistes de la série, elle cherche surtout à représenter une femme asiatique au fort caractère et à un poste élevé dans la hiérarchie (fait rarissime dans les productions hollywoodiennes, et tout particulièrement dans la science-fiction). Enfin, dernier avantage pour elle, et non des moindres, la série lui donne une visibilité à l’international (et aux US en particulier) alors qu’elle a construit sa carrière essentiellement en Asie. Oserait-on dire que son apparition dans STAR TREK DISCOVERY lui a permis de d’obtenir son rôle dans EVERYTHING EVERYWHERE ALL AT ONCE (et donc l’Oscar) ? Une théorie intéressante…

Mais, quoi qu’il en soit, c’est bien Michelle Yeoh elle-même qui a insisté pour que son personnage de la série DISCOVERY bénéficie de son propre spin-off.

Kneel before Zod… I mean Yeoh © Paramount +

Bon bref, vous me direz que c’est bien mignon tout ça, mais que ça n’explique pas pourquoi ce téléfilm est tellement naze ! Ok, ok, j’y viens.
La raison est simple : il est nul car tel était son destin ! (Demandez au premier Anakin venu, il vous confirmera qu’on ne lutte pas contre son destin)

Je m’explique. La série SECTION 31, que Michelle Yeoh appelle initialement de ses vœux, se trouve frappée par la fatalité : la pandémie mondiale de COVID la cloue littéralement au sol. D’autant plus, qu’entre-temps, la première saison de STAR TREK STRANGE NEW WORLDS a été mise en chantier (et priorisée). La série S31 est donc finalement abandonnée au profit d’un projet cinématographique. Le 14ème film estampillé Star Trek sera donc un téléfilm (le premier de la franchise) !

Malheureusement, on ne réduit pas impunément un concept prévu pour la longueur d’une série à seulement 90 petites minutes ! L’intrigue s’en retrouve affreusement condensée, réduisant la profondeur narrative et le développement des personnages à leurs plus simples expressions.

S31 commence pourtant plutôt bien avec le meilleur moment du film : dans un flashback on découvre la jeunesse de Philippa Georgiou et comment elle a été choisie comme impératrice de l’Empire terrien dans le monde miroir (en gros, un monde parallèle où les valeurs de la Fédération sont inversées : là où, dans l’univers que nous connaissons, le courage et la loyauté sont mis en exergue, dans le monde miroir la violence et la trahison règnent en maitresses absolues).
Le problème, lorsqu’un film commence par sa meilleure scène, c’est qu’il reste encore 80 minutes à combler !

L’actrice Miku Martineau qui incarne la jeune Georgiou est très convaincante et on aurait aimé connaitre quel est le chemin qui l’a conduit à devenir un monstre à la cruauté sans égale. Malheureusement, cette piste est rapidement écartée au profit d’une intrigue d’une totale prévisibilité et d’une platitude absolue. On a le sentiment que le scénario ténu n’est qu’un prétexte pour réunir, une nouvelle fois, une bande de marginaux lambda dans une quête plutôt quelconque.

Pire encore, on discerne allégrement les différents segments des épisodes précédemment prévus, ici grossièrement réduits et artificiellement réunis ensemble, sans aucune cohésion. La réduction de l’histoire fait que l’un des protagonistes meurt dans les 25 premières minutes alors qu’il n’avait dit que deux phrases. On ne peut pas dire que cette mort soit très spectaculaire et encore moins émouvante car… on ne sait même pas qui c’est !

Au niveau suspens, ce n’est pas beaucoup mieux, on devine très rapidement qui est le « méchant » de l’histoire (enfin le méchant plus méchant que la méchante, vous me suivez, hein ?).

Ne le dis personne, mon film est nul ! »
© Paramount +

On ressent bien que les subplots foisonnent, comme dans toutes séries, mais dans le format d’un film, plusieurs idées s’emballant simultanément donnent un sentiment de grande confusion, d’autant plus que beaucoup d’entre elles ne sont tout simplement pas expliquées, et encore moins développées. Qui fait quoi et pourquoi, on n’en sait rien et, j’ai envie de dire, qu’on s’en fout un peu.

Pourtant l’idée même de la Section 31 est porteuse de débats éthiques et philosophiques (en résumé le paradoxe entre le désir impératif de sécurité et les valeurs de la Fédération. Bref de la bonne SF métaphorique comme on l’aime). Rien de tout ça ne sera exploité dans ce téléfilm, l’organisation clandestine est finalement très peu évoquée et on n’apprendra rien sur son mode de fonctionnement. L’équipe envoyée pour capturer (puis intégrer) Georgiou n’est qu’une gentille bande de misfits atypiques aux motivations floues. Ils sont là parce qu’ils sont là et qu’on a besoin d’eux pour remplir le vide.

« Même moi je ne m’amuse pas vraiment, mais je dois faire semblant » © Paramount +

Nous aurions pu obtenir un thriller d’espionnage haletant, au lieu de cela nous avons une intrigue confuse, dénuée de toute tension et de toute dramaturgie. Mais, le plus décevant de cette mouture, reste définitivement le traitement du personnage Philippa Georgiou ! Alors qu’elle était magistrale de cruauté dans DISCOVERY, elle devient ici d’une fadeur absolue. Marchant en sous régime elle est extrêmement mal exploitée. Alors qu’elle a enchainé pendant des années les meurtres de masse, la voici soudainement qui a des états d’âme et des regrets et vit même une love story !

De serial killer cosmique, Georgiou se transforme en une sorte de Gardienne de la Galaxie supposément cool. (Jean Grey pouvait-elle rester vivante après les méfaits qu’elle a commis lors de la saga du Phénix noir ? SECTION 31 répond OUI sans sourciller à cette question).

Faute de temps et de développement cette histoire de rédemption ne trouve aucun écho émotionnel. Son personnage est si peu crédible et si mal écrit que Michelle Yeoh elle-même semble se demander ce qu’elle fait là ! Elle parait s’ennuyer dans son propre film, et ce ne sont pas ses dialogues, plats comme des limandes, qui ramèneront l’intérêt de l’actrice (et, à plus forte raison, le nôtre). Comme si ce n’était pas suffisant le film multiplie les flashbacks et les retours en arrières explicatifs et pesants, un peu comme si le spectateur ne pouvait pas se rappeler ce qui s’est passé en début de film !

Un des rares points positifs du film est sa réalisation. Olatunde Osunsanmi livre, en effet, un travail visuel plutôt honorable et se laisse regarder sans déplaisir. Certaines scènes d’action sont assez convaincantes et les effets sont, dans l’ensemble, réussis. Bref le téléfilm a bénéficié d’un budget conséquent et cela se voit. De plus, il est toujours appréciable de retrouver les codes visuels familiers de Star Trek (les vaisseaux, les tenues…), même si (sacrilège) cet univers n’est plus qu’une coquille vide totalement déconnectée de l’utopie de Roddenberry.

Bref, n’en jetez plus la cour est pleine, ce film est tout simplement raté. Malgré son concept fort, S31 prend un malin plaisir de réduire à néant son propre potentiel.
Not my Star Trek.

La BO la plus évidente qui soit.

It was the wrong plan
In the wrong hands
The wrong theory
The wrong questions
With the wrong replies

8 comments

  • JB  

    Merci pour cette présentation !
    Dommage, tout ça ! J’adore DS9, que je considère comme la meilleure des séries Star Trek parmi celles que j’ai vues (pas vu les modernes cependant) et Michelle Yeoh n’a plus rien à prouver. Donc l’idée de revenir sur la Section 31 avec elle, sur le papier, c’est alléchant.
    Après, mon gros problème est que j’ai VRAIMENT pas accroché avec Discovery. Même si je sais que la série « s’éclaire » avec la 2e saison, et même si Strange New worlds me fait de l’œil, cette mauvaise impression reste tenace.
    Sinon, ouais, la compression d’une série avortée en un seul film, ça marche rarement (Mullholand Drive, peut-être ?) et j’ai l’impression que cette idée d’équipage trouble à la GOG reste dans la lignée de Discovery…

  • Nikolavitch  

    J’ai pas tenté Section 31 vu les horreurs que j’ai entendu dessus. Pourtant, je continue à défendre Discovery, très décriée aussi, malgré ses indéniables défauts d’écriture (des arcs de saison qui ne tiennent pas bien quand on arrive au bout, comme s’ils étaient construits au fur et à mesure, Lost Style, la palme revenant à la dernière saison et son McGuffin/course au trésor à la Jar-Jar Brams). C’est ballot parce que justement y a de très bons personnages secondaires dans Discovery, et de très bonnes idées (comme l’avancée de la timeline).
    Je trouve Strange New Worlds bien mieux foutue, sans doute du fait du retour à une vraie structure épisodique à la Star Trek

  • Présence  

    Cette nouvelle mouture est tout simplement nulle : un jugement de valeur tranché, qui explique l’absence totale d’étoile pour cet article. 😀

    J’ai beaucoup aimé les différents axes d’analyse : la présence de Michelle Yeoh, la réduction de la profondeur narrative et le développement des personnages (on ne sait même pas qui c’est), le foisonnement des idées qui se transforme en confusion, pour terminer sur un point positif (la réalisation).

    Tu m’as convaincu. 🙂

  • Patrick 6  

    @ JB : DS9 est une bonne série (la dernière réellement convainquant avant un long moment ^^) mais je continue de lui préférer les deux séries précédentes 😉
    DISCOVERY c’est un peu le syndrome de TOUTES les séries ST post JJAbrams (sauf Strange New Wolrd) : c’est bien mignon, mais ce n’est plus vraiment Star Trek.
    Quoi que, j’ai trouvé, dans le cas de DISCOVERY, la saison dans le monde miroir est paradoxalement la meilleure ! Après on revient à une vision plus classique, mais qui ne m’a laissé aucun souvenir ^^

    @ Nikolavitch : Après l’arrivée de Cleveland « Book » Booker j’ai trouvé que Discovery se barrait totalement en nouille !
    Et oui je trouve aussi que STSNW est la meilleure série ST depuis… 40 ans :))

    @ Présence : Je t’ai convaincu de ne pas la regarder ! Bravo ^^
    Grace à moi tu as gagné 1h30 de vie supplémentaire ! Merci qui ? 😉

  • Eddy Vanleffe  

    Michelle Yeoh l’une de mes idoles mais bon pour le coup ,cela donne plutôt envie de de se replonger dans la première partie de sa carrière. (Super cop 3, Wonder Seven, Yes Madam ou The Stunt woman…)

  • Jyrille  

    Oh yeah ! Un article qui cite les Nuls en titre ne peut pas être mauvais. J’avais réussi à tous les voir en VHS, les Objectif : Nul. C’était très drôle.

    Par contre je ne connaissais pas cette nouvelle itération de Star Trek. Il y en a tellement partout que comme pour Dr Who, j’ai peur de commencer. Ce doit être interminable. Le battage médiatique n’est pas parvenu jusqu’à moi. Dois-je comprendre que tu as finalement cédé et pris une plateforme ?

    En regardant la bande annonce qui ne donne pas du tout envie, j’ai immédiatement pensé à une nouvelle version de la Suicide Squad.

    La BO : je dois réécouter cet album mais je reste bloqué sur ULTRA comme dernier grand disque du groupe. Je les ai vraiment découverts juste avant la sortie de EXCITER et je fus donc bien déçu lorsque j’achetais un nouveau DM à sa sortie pour la première fois.

  • Fletcher Arrowsmith  

    Perso je crois en Patrick. Si il dit que c’est nul alors c’est nul…

    … je ne suis pas Star Trek. Je n’ennuie devant Star Trek. Je n’aime que les 2 films de J. J. Abrams.

    Dommage pour ce téléfilm car le principe me plait (monde miroir, barbouze, la fin justifie-t-elle les moyens).

    Les visuels sont de qualité.

  • Patrick 6  

    @Eddy : Ce telefilm est tout simplement indigne de Michelle Yeoh !

    @ Jyrille : Il y a eu une édition DVD d’Objectif Nul ! Et oui c’est toujours aussi drole 🙂
    (dans un épisode Chantal Lauby demande si Spock peut toucher le bout de ses oreilles avec sa langue ^^)
    Alors, oui, j’ai une plateforme ou deux, mais en vieux fétichiste, j’achète surtout les dvd et/ou Blu ray (euh et oui y compris Section 31)
    Sound of the universe de 2009 (dont est extrait Wrong) est le dernier album que je peux écouter intégralement sans sommeiller ^^ Mais, mine de rien, le dernier chef d’œuvre remonte quand même à Violator !

    @ Fletcher : Les 3 films de JJ Abrams 😉 (mais, oui, le 3eme est le moins bon)

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