Pale Ryder (Aucune tombe assez profonde)

 

Aucune tombe assez profonde par Skottie Young et Jorge Corona

Un article de l’impitoyable FLETCHER ARROWSMITH

VO : Image Comics

VF : Urban Comics

© Image Comics

Bruce Lit se penche sur AUCUNE TOMBE AUSSI PROFONDE un comics écrit par Skottie Young et dessiné par Jorge Corona où le souffle du western rencontre le fantastique… mais avec une ambition qui ne tient pas toutes ses promesses.

Dans le Far West Américain, Ryder, ex hors‑la‑loi repentie devenue mère et épouse, apprend qu’elle a contracté une maladie incurable. Tout en abandonnant sa famille, elle reprend ses colts pour affronter la Mort elle-même dans la ville mythique de Cypress. Arrivera-t-elle à infléchir sa destinée funèbre ?

Récit complet composé de 5 numéros, publié en février 2025 en 1 tome par Urban Comics, AUCUNE TOMBE AUSSI PROFONDE (Ain’t No Grave en VO) séduit immédiatement par son pitch, une équipe artistique qui a fait ses preuves (MIDDLEWEST, CELUI QUE TU AIMES DANS LES TENEBRES) et une structure narrative en 5 étapes représentant les différentes phases du deuil : déni, colère, marchandage, dépression, acceptation. L’ensemble évolue dans une ambiance digne des meilleurs westerns crépusculaires où les auteurs injectent un soupçon de fantastique. L’histoire se veut violente et sombre adoptant un ton plus adulte que d’habitude.

© Image Comics

Visuellement les auteurs nous en donnent pour notre argent. On plonge rapidement dans l’atmosphère western annoncée que cela soit visuellement (plaines, déserts, montagnes) ou à travers les incontournables comme l’attaque de train, le saloon, les duels… Les fantômes, et autres esprits éthérés, la ville secrète où les créatures inhumaines rappellent sans problème la touche fantastique et surnaturelle.

Des bonnes idées il y en a. À l’instar du quatrième chapitre où la dépression est représentée par l’ensemble des planches sans texte ni parole, où aucun son n’arrive à sortir de la bouche de Ryder. Ou encore les références à la mort comme le Styx, son passeur et la pièce, sans oublier un ultime pacte rappelant celui de Faust. Le personnage principal, féminin de surcroît comme dans LADIES WITH GUN, n’est pas présenté sous son meilleur jour. Tueuse de sang-froid, sans pitié, la hors-la-loi abandonne sa famille avec peu de remords comme William Munny, interprété par Clint Eastwood dans UNFORGIVEN.

© Image Comics

La quête de Ryder peut s’appuyer sur une équipe graphique solide en la personne de Jorge Corona (dessin) et Jean-François Beaulieu (colorisation). Le trait énergique de Jorge Corona (FEATHERS, TRANSFORMERS) est à mi-chemin entre celui du scénariste, Skottie Young (I HATE FAIRY LAND) et de Humberto Ramos (X-MEN, SPIDER-MAN). Les compositions des planches varient en s’alignant sur le tempo de la narration et l’humeur, souvent massacrante, de Ryder : cases verticales, découpages classiques avec des cases aux formats variés, splash pages pour n’en citer que quelques-unes.

Il y a une énergie communicative dans les intentions de Jorge Corona avec des traits anguleux créant du mouvement, des décors et cases détaillés, un design travaillé, des exagérations notamment dans les vêtements des protagonistes, et enfin des visages très expressifs. La colorisation n’est pas en reste avec la vaste palette de couleurs chaudes qu’emploie Jean-François Beaulieu. Que cela soit pour renforcer l’ambiance western dans les différents paysages traversés ou pour accentuer l’atmosphère dramatique ou surnaturelle.

© Image Comics

Néanmoins ces points positifs ne font pas oublier le classicisme de AUCUNE TOMBE AUSSI PROFONDE et le manque d’enjeux. Le dynamisme insufflé par les dessins assez époustouflants de Jorge Corona cache l’absence de profondeur du scénario de Skottie Young (Giant-Size Little Marvels: AVX) fondé sur une seule idée. Cela va trop vite et les différentes phases annoncées du deuil ne sont finalement qu’effleurées. Bien que l’apport du fantastique soit correctement dosé, on peut se demander si Skottie Young ne tombe pas dans la facilité avec un script pas très subtil et très orienté action pour amener la quête de Ryder. De plus, malgré le fait que la personne de Ryder sorte du lot, il reste compliqué d’apprécier un personnage si violent et très antipathique à la lecture des rares bribes de son passé.

La progression dans l’aventure se fait sans surprise. Même si son corps et surtout son visage portent les stigmates des affrontements, Ryder surmonte sans réelle surprise toutes les embûches jusqu’à la destination finale. Les thèmes de la maladie incurable et de la mort auraient mérité d’être approfondis. En plus d’utiliser de l’espace narratif, il y a également une surenchère graphique qui lasse. Le manteau de Ryder qui lui apporte une identité devient encombrant visuellement et les visages trop anguleux, se rapprochant des mangas bloquent les émotions attendues. Finalement, le one-shot se termine alors que le lecteur a l’impression qu’enfin l’aventure commence pour les protagonistes. On aurait dû vibrer pour le destin de Ryder et sa fille. Là c’est une écriture froide, sans émotion ou alors elles sont forcées.

© Image Comics

Bien que rompu aux comics mainstream, Skottie Young (NOT A HERO) écrit un récit mature se rapprochant des codes des bandes dessinées européennes. Urban ne s’y est d’ailleurs pas trompé en proposant cette histoire dans un album one-shot au format particulièrement soigné, afin d’élargir son lectorat : 152 pages, album grand format cartonné, bonus (covers, esquisses, recherches). Mais la forme ne doit pas faire oublier le fond. Sous l’aspect d’un écrin luxueux, AUCUNE TOMBE AUSSI PROFONDE déçoit finalement par son manque de profondeur au profit d’un graphisme trop clinquant.

La fin, bien qu’émouvante, ne surprend guère et le lecteur referme l’album en ayant lu une bonne histoire mais pas essentielle qu’il aura sûrement oubliée dans peu de temps. L’intention était louable, l’exécution graphique très (trop ?) généreuse mais c’est un sentiment de déception qui l’emporte.


La BO : Sad Hill interprété par I AM

19 comments

  • JB  

    Merci pour cette présentation ! L’idée de départ est intéressante, une bataille farouche où la protagoniste est prête à tout sacrifier pour sa survie, vue à travers les étapes traditionnelles du deuil. Pour ma part, le style manga-esque à la Ramos n’est pas rédhibitoire, surtout lorsqu’il permet des compositions dynamiques. Dommage que ces outils semblent tourner à vide.

    • Fletcher Arrowsmith  

      Salut JB

      Expression « tourner à vide » fort adéquate. Graphiquement cela aurait aussi mérité un peu de retenu, même si je suis plutôt adepte du style Ramos et Corona (sublime FEATHERS).

      • Eddy Vanleffe  

        Ramos je l’aime bien sur ses séries à lui comme OUT THERE OU CRIMSON (tellement Buffy sans l’esprit)

        • Fletcher Arrowsmith  

          Sur CRIMSON il est intéressant de voir son évolution graphique entre le premier et le dernier numéro….. préférant des débuts (moins « ronds », plus rough comme ses DV8 ou X-NATION voir ses GEN 13 spécial).

        • JB  

          Il y a aussi REVELATION qui est pas mal. sans oublier les premiers DV8 ou même Impulse, auquel son style est très adapté.

          • Fletcher Arrowsmith  

            REVELATION j’en ferais bien un article.

            Sur IMPULSE c’est un peu brouillon. Il faudrait que je les relise.

  • Bruce Lit  

    Merci de me confirmer que je ne me lancerai jamais là-dedans.
    Je n’ai aucune confiance en les talents de scénariste de Skottie Young (le succès de I HATE FAIRYLAND m’est complétement incompressible), je déteste ses dessins qui sont l’illustration de la Funky Pop tendant à infantiliser tous les propos adultes de la culture comics. Et bien entendu, je déteste Humberto Ramos et son trait vulgaire, sans élégance, ces mises en scènes illisibles.
    Bref, je veux bien croire que toute cette clique soit incapable de produire quoi que ce soit d’abouti et de mature.

    • Fletcher Arrowsmith  

      Bonjour Bruce.

      J’ai les mêmes réserves sur l’écriture de Skottie Young et je ne comprends pas non plus la hype sur I HATE FAIRYLAND. De même pour ses trop nombreuses variant cover aux USA.

      De l’esbrouffe même si le récit est plaisant à lire

  • JP Nguyen  

    Sur certaines cases montrées, le manteau de l’héroïne semble doué de vie comme la cape de Spawn ! Ce style exubérant fonctionne de manière variable sur moi. Les visages ne me séduisent pas trop. Par curiosité, j’irai peut-être le lire en ligne.
    Bien joué pour le titre de l’article, en réf au film de Eastwood.

    • Fletcher Arrowsmith  

      Salut JP.

      Merci pour avoir compris mon titre.

      En effet on peut se demander si cela n’aurait pas fait un bon tie-in dans l’univers de SPAWN à l’instar de GUNSLINGER

      • Eddy Vanleffe  

        Bizarrement, Gunslinger doit être l’un des tucs qui me fait le plus de l’œil alors que je n’ai jamais eu d’attirance pour l’univers de Spawn…

  • zen arcade  

    J’avais été déçu par Celui que tu aimes dans les ténèbres, auquel je trouve un peu les mêmes défauts que ceux que tu pointes ici. Je vais donc passer mon tour sur ce western.
    Par contre, Middlewest était une vraie belle réussite et je recommande sa lecture sans hésitation.

    • zen arcade  

      Ah oui, merci pour l’article.

    • Fletcher Arrowsmith  

      Bonjour Zen.

      Je pense que les 2 articles qui me précèdent ont donné le la en termes de Western dessiné.

      J’avais tenté le premier arc de MIDDLEWEST. J’avais trouvé cela très sympa mais pas assez pour continuer. De souvenir ce n’était pas une bonne période pour moi en termes de lecture (trop).

  • Eddy Vanleffe  

    Houlàlà…
    J’hésite…
    Graphiquement, c’est tout l’un, tout l’autre
    La planche avec le papi flingueur, est un repoussoir à mes yeux, mais celles avec l’héroïne qui me renvoie aux excès entre SPAWN ou TRIGUN me réjouissent…
    En revanche, le nom Scottie Young est un frein pour moi, je n’aime pas son humour et j’accroche pas non plus en tant que scénariste sérieux.
    ça fait partie pour moi de ces titres mi-figues/mi raisin qu’offrent en cascade les indépendants américains, des mini séries, sympa mais oubliées dès qu’on les a refermés.
    J’ai pris à l’époque une grosse caisse de séries éditées chez « GRAND ANGLE » et il faut bien l’avouer il ne reste pas grand chose de ces trucs dans la mémoire collective (je garde en mémoire KIN de Gary Frank ou BEAUTIFUL KILLER de Palmiotti et Noto).

    • Fletcher Arrowsmith  

      En effet il y a eu beaucoup de mini série chez les indés américains dont l’emballage est chatoyant. La lecture est agréable mais loin d’être essentielle.

      Ce qui me dérange le plus c’est le traitement marketing (que je comprends pourtant) de ce type de récit. D’ailleurs URBAN (comme d’autre) ne s’y pas trompé avec un écrin spécial et un format se rapprochant furieusement du franco belge. Dans des enseignes culturelles près de chez moi, ce type d’album ne se trouve pas au rayon comics mais en FB ado-adulte.

      • Eddy Vanleffe  

        Oui Urban et je ne sais pas trop comment ils en sont venu à cette démarche, mais conscients que la culture comics est une niche de plus en plus réduite, je crois qu’ils ont conçus des beaux objets à offrir de type franco-belge pour faire appel à ce public qui traverse le rayon comics des librairies en se pinçant le nez…

  • Nikolavitch  

    pas fan de la partie graphique, mais ça fait plaisir de voir une semaine western ici !

  • Présence  

    Salut Fletcher,

    Un album bien mis en avant dans les librairies, et ça fait plaisir de pouvoir découvrir de quoi il retourne grâce à toi.

    Les cinq étapes du deuils d’Elisabeth Kübler-Ross : pas facile de disposer de l’épaisseur émotionnelle apportée par l’expérience de la vie pour réussir honnêtement un récit sincère. Dans cet exercice, j’avais bien aimé l’histoire de Captain America : Fallen son, de Jeph Loeb, Leinil Yu, Ed McGuinness, John Romita Jr., David Finch, John Cassaday.

Répondre à Eddy Vanleffe Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *