Trois chardons de Cécile Becq
Un article de FLETCHER ARROWSMITHVF : Sarbacane
Cet article portera sur TROIS CHARDONS, une bande dessinée écrite et dessinée par Cécile BECQ publiée par les éditions SARBACANE et sortie le 5 avril 2023. En suivant vous trouverez un entretien avec l’autrice lors d’une séance de dédicace à la librairie Krazy Kat à Bordeaux le 24 juin 2023.
En 1933, Moira se retrouve soudainement veuve avec deux enfants à charge. Margaret, sa sœur ainée lui propose de l’héberger dans sa ferme, sur l’île de Skye. La cohabitation n’ira pas sans mal, dans cette période de reconstruction, surtout quand l’exubérante Effie, la troisième sœur les rejoints.
Le charme de 3 CHARDONS agit rapidement. En plaçant son récit dans un environnement naturel et rude, mais empreint d’un charme envoutant, Cécile Becq, qui signe ici son premier scénario, entraine son lecteur dans un territoire anachronique, propice à la mise en avant de plusieurs thèmes forts. Car 3 CHARDONS c’est une histoire de deuil, de famille, de sœur plus exactement dans les paysages sauvages de l’Ecosse de la première moitié du siècle dernier.
Les saisons vont défiler sur les 128 pages de 3 CHARDONS, donnant l’occasion à Cécile Becq de varier les paysages et les personnages de se morfondre dans des conditions climatiques austères tranchant avec la beauté sauvage des lieux. Le trait de la dessinatrice tend vers la ligne claire, sans pour autant se fondre dans cette rondeur angulaire popularisée par Hergé notamment dans l’ILE NOIRE. L’impression de raideur donne du charme et de la personnalité aux dessins de Cécile Becq, en osmose avec les terres écossaises assurant plus de vie à des personnages abimés, dont les visages portent les stigmates de la rudesse de l’époque.
Les conditions de vie sur l’île de Skye, lieu clos, loin des commodités naissantes des grandes villes du début du XXe siècle, mettent les corps et les esprits à l’épreuve. La vie ne fait pas de cadeau aux 3 sœurs avec pour chacune des histoires personnelles tournant autour de leur tentative de vie en couple. Pour Moira, au centre du récit, c’est un cycle de reconstruction qui s’amorce. Comment continuer à avancer quand on a perdu l’être aimé ? Margaret, se veut fière et indépendante, mais la solitude pèse même si son ex-compagnon n’est finalement pas si loin. Quant à Effie, son air exubérant de citadine, cache la victime d’un homme volage.
3 sœurs dans une ferme, sur une île, c’est autant de possibilité de chamaillerie entre femmes du même sang. Car les chardons ne sont pas tendres, et quand elles se frottent entre elles, cela pique. Il faudra bien la robe et les aromes des whiskys écossais pour noyer les chagrins et accompagner les effusions de tendresse rempart face à la solitude et les affres de la vie.
3 CHARDONS n’a pas l’ambition de surprendre, les péripéties se faisant peu nombreuses. Mais il est agréable de se balader dans la lande écossaise, au côté de personnages terriblement humain prônant des valeurs en perdition, comme la solidarité et l’appartenance à une communauté.
D’où vous vient l’idée de 3 CHARDONS ?
L’idée vient d’un voyage que j’ai fait sur l’île de Skye en 2019. J’ai eu un coup de cœur pour ces paysages écossais, ces landes sauvages, ces lochs… Cela m’a donnée des envies de dessin. A l’époque je cherchais un nouveau projet et j’hésitais à me lancer toute seule au scénario, pour la première fois. Tout simplement une envie de dessinatrice qui a impulsé le projet. Et puis, comme dans AMA, l’envie également de raconter à nouveau une histoire intimiste, sur les relations humains. Je trouvais cela intéressant de raconter une histoire de reconstruction, sur une île, un endroit particulier et propre à l’introspection car reculé du monde, un peu désert avec moins de monde. Pour décrire un travail sur soi, sur les êtres que l’on a perdus, l’endroit me semblait parfait.
Je trouvais intéressant de voir comment aller évoluer ces 3 femmes, 3 sœurs, ayant moi-même des sœurs, dans un environnement sans homme, comme un cottage en Ecosse. Voir comment les relations entre elles allaient se passer, de les mettre toutes les 3 dans un endroit contraint, où elles sont à l’étroit. Cela parle aussi de l’indépendance des femmes.
La transition est toute trouvée. Comme pour AMA, vous semblez avoir envie de continuer dans cette veine de personnages féminins, fortes et indépendantes.
Oui car déjà je suis une femme aussi. Je trouve déjà qu’il n’y a pas énormément de bd qui traitent du sujet de l’indépendance des femmes. J’avais envie d’en parler mais sans brandir un étendard extrême. Avec 3 CHARDONS je peux passer mes messages dans un récit assez doux, avec pas mal de subtilités et de nuances. Le féminisme est un sujet que j’ai envie de traiter mais à ma manière avec ma sensibilité. Mais je ne me dis pas j’ai envie de faire une bd féministe. J’ai envie de parler de relations entre personnes, entre femme. J’ai des sœurs. j’ai des filles. J’ai toujours évolué dans un environnement très féminin c’est donc venu très naturellement. Entre sœurs on se parle beaucoup. On se confie et ose se dire les choses quand cela ne va pas. On essaye d’arrondir les angles même si cela part souvent au clash de suite. J’ai l’impression que les relations entre frères sont plus mutiques.
AMA se passe au Japon, 3 CHARDONS en Écosse, dans des îles étrangères à chaque fois. Ce sont des lieux de prédilection pour vos récits ?
La France peut aussi me donner envie de dessiner mais j’étais très attirée par la Japon et quand j’ai eu entre les mains le scénario d’AMA j’ai été conquise. En plus j’avais envie de dessiner des rivages Japonais, des cabanes de pécheurs. Cela semblait à la fois déroutant et dépaysant de s’évader à travers le dessin, de visiter des pays, de chercher dans de la documentation, dans des choses qui nous sont inconnus. Et pour l’Ecosse et 3 CHARDONS, j’ai toujours été anglophile dans mes lectures quand j’étais plus jeune avec les romans de Jane Austen, Agatha Christie, William Shakespeare. L’ambiance anglo-saxonne me réconforte en fait et à dessiner c’est très agréable.
Quelles références pour avoir su si bien capter cette atmosphère écossaise du début du XXe siècle ?
Je me suis documenté sur des livres, des films, des séries comme Les aventures d’HERCULE POIROT qui se passent dans les années 30. Ou encore LE CERCLE LITTÉRAIRE DES AMATEURS D’ÉPLUCHURES DE PATATES [ndr : un roman de Mary Ann Shaffer et Annie Barrows adapté pour le grand écran par Mike Newell].
Dans 3 CHARDONS bien que cela soit un récit sur 3 sœurs c’est l’une d’elles qui est mise plus particulièrement en avant.
C’est délibéré. Je voulais mettre ce personnage en avant car c’est elle qui vit le deuil. C’est son parcours que le lecteur va suivre. Les autres personnage vont l’accompagner dans son cheminement et l’acceptation du deuil mais c’est autour d’elle que se construit l’histoire des 3 CHARDONS. A travers les deux autres sœurs on aborde aussi les questions de sororité mais le cœur du récit c’est l’histoire d’une femme devenue trop jeune veuve avec deux enfants à charge.
A la fin du récit on s’interroge sur la véracité de 3 chardons.
C’est une histoire fictive, pas une histoire vraie.
La BO
Je suis allé sur l’île de Skye. Un magnifique souvenir. Mais c’était aussi au siècle dernier (dans les années 90) !
Je logeais dans un tout petit village, surmonté d’un petit chateau noir en songeant qu’Hergé avait dû venir là pour s’en inspirer !
Le premier soir, on sort avec mon pote pour aller au pub, mais le bled est désert ! Pas un chat et un froid de canard ! On cherche le pub et on finit pas le trouver mais il a l’air fermé. On hésite… on s’approche… on tend l’oreille… On entend rien. Allez, on essaie d’ouvrir pour voir…
Dès qu’on a ouvert la porte, la musique a retenti, le pub était blindé, plein à craquer ! On a fait la fête toute la soirée avec des australiens déchainés venus découvrir la terre de leurs ancêtres et avec les gens du coin bien sûr. On y est retourné le soir suivant pour retrouver tout ce monde devenu instantanément familier !
Le jour, on visitait l’île bien sûr. Un des plus beaux paysages qui soit. Il n’y avait personne. On était toujours seuls partout où on allait. Je me demande si c’est encore pareil aujourd’hui avec le tourisme de masses.
Je feillèterai cette BD si je tombe dessus. Je suis bien tenté à l’idée de retrouver ces paysages et cette chaleur humaine…
La BO : Merci de charmer ma matinée avec autant de beauté.
Bonjour Tornado.
Merci pour ce témoignage, parfaitement dans l’atmosphère de l’article du jour.
J’ai passé également quelques jours de vacances sur une île logeant l’écosse (dans ma tête je me suis toujours dit que c’était l’ile de Muir des X-Men !!!!) quand j’avais 20 ans. Merveilleux souvenirs, notamment la chaleur des pubs et des habitants propres à ce lieu spécifique. J4ai également été à Guernesey, à l’époque peu de touristes.
Et ce fut l’occasion de relire une nouvelle fois TINTIN ET L’ILE NOIRE (avec renvoi à ta prose) de notre cher Hergé.
Toujours une belle source de relations conflictuelles, les liens du sang. J’aime beaucoup le graphisme, tant le paysage (dont la représentation illustre bien le coup de cœur de l’autrice) que l’expressivité discrète des personnages.
C’est toujours passionnant de voir un créateur/une créatrice s’exprimer, merci pour cet entretien !
Merci pour ce retour JB.
Graphiquement Cécile Becq arrive à capter la singularité de l’Ecosse. Cela se différencie de plus avec sa précédente œuvre, Ama Le souffle des femmes, plutôt en bichromie bleue. Une BD que je conseille d’ailleurs.
Encore une bd et une autrice dont je n’avais jamais entendu parler, merci Fletcher ! Bon, dès la première légende, tu me mets le Connemara dans la tête (bon ça va j’aime bien cette chanson), mais surtout cela me rappelle que je n’ai toujours pas vu ni Irlande ni Ecosse. J’aimerais tellement.
D’après les scans le dessin en ligne claire m’en rappelle beaucoup d’autres, surtout que le paysage a l’air fouillé, comme un dessin de bd indépendante. En tout cas tu en parles très bien, jolie plume poétique pour un décor qui donne envie de se promener au vent.
KRAZY KAT, j’y suis allé lors d’un séjour en vacances. Très sympa et bien fournie. C’est le genre d’articles que j’aime bien avec ce format revue – interview. Très dynamique et du coup on apprend plein de choses. Jolie dédicace.
La BO : je ne connaissais pas non plus, sympa mais pas du tout ma came.
Bonjour Cyrille.
J’ai évité en effet de mettre le Connemara comme BO.
J’avais envisagé les Scissor Sisters mais je trouvais que le Miss Celie’s Blues appelé aussi SISTER conçu par Q. Jones pour la la COULEUR POURPRE de Spielberg convenait mieux à l’époque et atmosphère.
J’ai choisi la version de Molly Johnson, artiste appréciée à la maison.
Je te confirme que l’Ecosse est une très belle destination.
Sympa cette analyse express sur cette bande dessinée qui m’a fait de l’œil : il y avait trop de nouveautés ce mois-là, et je n’ai pas pu faire face.
Je garde un excellent souvenir de mes vacances sur l’île de Skye, malgré une pluie persistante, avec ces routes à voie unique et à double sens, et les embouteillages de moutons. 🙂
J’aime beaucoup ce format : critique + interview, car ça donne une double perspective à l’œuvre.
La BO : merci pour cette découverte, je sais maintenant quelle discographie je vais explorer ce week-end.
Bonjour Présence.
Merci de m’avoir lu. Je pense que c’est une bd que tu pourrais en effet posséder.
J’avoue que je me sens à l’aise dans le format : critique + interview. Je pense avoir le contact facile et discuter avec des artistes reste à chaque fois un enchantement. Alors si je peux en faire profiter le plus grand nombre, c’est avec plaisir.
Content de te faire découvrir l’univers de Molly Johnson. N’hésite pas à me faire un retour.