The Boy (Hitman)

Hitman par Garth Ennis et John McCrea

Un article de BRUCE LIT

VO : DC Comics

VF : Urban Comics

Des flingues, des douilles et des manteaux longs : bienvenue dans les 90’s !
©DC Comics / Urban Comics

Publiée pour la première fois en VF, HITMAN est une série écrite par Garth Ennis et intégralement dessinée par John McCrea entre 1996 et 2001 soit plus de soixante numéros publiés en même temps que sa série culte PREACHER.

Accompagnée d’une traduction irréprochable de Yann Graf, ce volume regroupe la première apparition de Tommy Managhan avec ses origines dans LE DEMON puis les épisodes 1 à 20 de sa série régulière.

Des postfaces de Kevin Smith (déjà auteur de la préface du premier PREACHER) et de Steve Dillon (le dessinateur de…PREACHER complètent le programme).

Attention, on parle de Garth Ennis et d’un personnage payé pour tuer les super-vilains après avoir été été « encoulé » possédé par un virus alien !
Soyez prévenus !

Des dessins fonctionnels mais qui manquent de consistance
©DC Comics / Urban Comics

Alex Nikolavitch en guise d’amuse bouche m’en parlait depuis des années : HITMAN c’est quand même le seul comics DC où un mec vomit sur les bottes de Batman et en ressort vivant ! Lorsque l’on considère Garth Ennis comme le plus grand scénariste de Comics et que ce matériel n’est jamais sorti en VF, comment refuser cet omnibus providentiel ?

Il y a bien sûr tout le talent d’Ennis pour jouer avec les nerfs de son lecteur et passer imperceptiblement du rires à l’émotion avec un personnage crasseux et au menu humour graveleux et humiliation de super-héros.
Monaghan suite aux origines les plus nulles de tous les temps est un tueur à gages qui se voit doté de super-pouvoirs qui vont faciliter sa profession d’assassin : voir à travers les murs (!) et lire les pensées.
Poursuivi par la mafia et des démons, il va devoir nouer des alliances contre-nature avec Batman, Green Lantern, Catwoman et Etrigan.

L’album ne sera pas forcément des plus attrayants pour les néophytes en Ennisseries. Le design du personnage principal a terriblement vieilli et ceux qui n’ont pas vécu les 90’s ne saisiront peut-être pas l’ironie d’un look à base de lunettes de soleil, un trenchcoat vert et des mitraillettes aux munitions quasi-infinies.

Il l’a fait : vomir sur Batman !
©DC Comics

Les dessins graveleux de John McCrea ont quant à eux une certaine constance : ils sont à peu près aussi affreux maintenant qu’il y a 30 ans. Le trait est gras, les contours et expressions vulgaires, les angles de caméra sont parfois hasardeux et donnent l’impression d’être tenus par un dessinateur en état d’ébriété. L’ensemble des planches ne proposent pas de moments iconiques et ne possèdent pas le génie ironique d’un Steve Dillon.

Si les personnages féminins sont les seuls à sembler un tant soit peu travaillés, on ne peut pas dire que le dessin de McCrea fasse preuve de substance ou d’épaisseur. Pourtant, l’association avec Ennis semble fonctionner à plein et nul doute qu’en coulisses l’alchimie des auteurs a permis à la série de de s’exprimer sur la longueur (une série de 60 épisodes qui marque contre son camp, quel éditeur est encore capable de publier ça aujourd’hui ?)
Concluons autour du fait que John McCrea est le dessinateur qui convient le mieux à l’univers d’Hitman.

Un univers pas des plus convaincants par ailleurs : à aucun moment le lecteur ne se sent immergé dans les rues de Gotham où l’action est censée se passer : McCrea n’est pas le plus appliqué des architectes mais gageons qu’au scénario, Garth Ennis n’est pas été des plus regardants concernant les détails de la ville de Batman.

Et puis, Ennis l’avait déjà montré dans son run d’HELLBLAZER : si ses talents de dialoguiste et de metteur en scène sont insurpassables, on ne peut pas dire qu’il excelle dans les ambiances surnaturelles et mystiques où il semble peu impliqué.

Le Cat-Signal… Catwoman va-t-elle apprécier ?
©DC Comics

Pourtant pour qui la litterature comparée des moments Ennis passionne, la série propose son lot de moments inoubliables : Monaghan n’est pas autre chose que le croisement entre l’arrogance insupportable de John Constantine et la branlitude de Cassidy à qui il doit beaucoup : je-m’en-foutisme de classe olympique, haleine douteuse et regard sordide masqué par des lunettes de soleil. Certaines scènes sexuelles dès le début de la série inspireront sans nul doute la fin de PREACHER, notamment celles entre Tulip et Cassidy.

Il y a aussi cet handicap fascinant qu’Ennis inflige à son écriture : doter Monaghan comme Jesse Custer d’un pouvoir qu’il n’utilise qu’une ou deux fois en 600 pages, celui-ci, comme tout héros Ennisien préférant en découdre par des punchlines bien senties et de bonnes vieilles bagarres. Il est ce vaurien qu’un bon nombre de lois devraient précipiter en prison mais qu’il viole avec l’assentiment de son lecteur, ravi de voir une crapule non dénuée de valeurs morales (il refuse d’abuser d’une femme qu’il désire alors qu’elle se donne à lui, ivre) affronter un mafieux dont le frère siamois décédé se décompose à ses côtés, confectionner un cat-signal avec un chat mort pour appeler Catwoman sur les toits de Gotham ou de marchander avec Etrigan à coup de rimes douteuses, un fusil capable de tuer n’importe quelle créature comme les pistolets du Saint des Tueurs.

Vous l’aurez compris : la valeur ajoutée de HITMAN est de répérer les inspirations de Garth Ennis et ses allers et retours entre PREACHER, HITMAN et HELLBLAZER pour former une sorte de trilogie à la fois improbable et cohérente : celle de personnages d’un univers surhumains auquels ils refusent de s’intégrer pleinement.

Et HITMAN annonce à son tour une nouvelle trilogie post 2000 à laquelle Ennis consacrera son écriture : un tueur méthodique et unstoppable avec le Punisher, l’humiliation des boys-scouts en slip dans THE PRO et bien entendu les contrats passés sur les super-héros qui dépassent les bornes de THE BOYS, sa grande oeuvre.

Ce sont ces allers-retours autour de cette oeuvre fascinante et incroyablement cohérente qui donneront à HITMAN les percussions d’une lecture tambourinante, chaleureuse, à la fois irrévérencieuse et terriblement humaine !

Que serait un comics de Garth Ennis sans ses discussions dans les bars ?
©DC Comics

La BO du jour

21 comments

  • Nikolavitch  

    Je sais ce que le dessin de McCrea a de peu séduisant, mais je suis épaté par son expressivité brute, de mon côté. Et ici aussi, Ennis s’entend à mettre en scène des personnages très humains, des pauvres types qui ont leurs moments de grâce.

    • zen arcade  

      Voilà. C’est tout à fait ça.

      • Bruce lit  

        C’est la grande force de l’écriture d’Ennis (et on ne souligne jamais assez) : sa capacité à provoquer et scandaliser n’a d’égale que l’infinie tendresse ou attachement qu’il a envers ses personnages.
        Il ne s’agit pas de mettre en scène des pitch ou des coups éditoriaux à l’inverse d’un Millar.

  • Tornado  

    J’attends désormais qu’une série soit publiée entièrement en VF avant d’y lire mais, lorsque ce sera le cas, cette série sera évidemment tout en haut de ma pile de lecture…
    HELLBLAZER/HITMAN/PREACHER : Une trilogie. Avec le recul c’est impressionnant. Et ce n’était que le début de sa carrière !
    Le dessin de McRea n’est clairement pas beau mais il n’y a rien à faire, je le préfère à Dillon. Dans tous les cas je regretterai toujours qu’Ennis préfère bosser avec sa bande de potes plutôt qu’avec de bons dessinateurs mais si là McRea est dans son élément alors tout va bien.

    La BO : Une fois n’est pas coutume mais il faut le dire : Excellent choix !

    • zen arcade  

      « HELLBLAZER/HITMAN/PREACHER : Une trilogie. Avec le recul c’est impressionnant. Et ce n’était que le début de sa carrière ! »

      Avec The demon, c’est le début de sa carrière US.
      Mais Ennis avait auparavant fait ses premières armes en Grande-Bretagne dans les pages des magazines 2000AD et Crisis (avec notamment un bon paquet d’histoires de Judge Dredd)

    • Bruce lit  

      Attention : papier Mat !
      Nous ne serons jamais d’accord sur Dillon.
      J’ai vécu cette lecture comme une souffrance tant je ne me retrouve pas du tout dans l’univers graphique de McCrea. La mise en scène de Dillon est toujours plus lisible et drôle quand McCrea est un vrai supplice pour mes rétines.

      • Tornado  

        Dillon a été une torture du début à la fin pour moi sur Preacher. Mais tu le sais déjà.
        Et oui papier mat… c’est une grosse déconvenue pour moi qui rêve que tout ce qui est sorti dans cette horrible collection et que j’ai acheté (HELLBLAZER, SWAMP THING, DOOM PATROL) soit réédité un jour chez Délirium…

        @Zen : Oui et d’ailleurs je me suis toujours demandé ce que valaient ses JUDGE DREDD. Il y a eu aussi DARKNESS chez Image que j’avais lu à l’époque et que je redoute de relire aujourd’hui…

        • zen arcade  

          « @Zen : Oui et d’ailleurs je me suis toujours demandé ce que valaient ses JUDGE DREDD. »

          Je n’en conserve pas un grand souvenir mais ma lecture date d’il y a plus de 25 ans.
          La difficulté, c’est qu’Ennis avait été propulsé scénariste régulier de Judge Dredd dans les pages de 2000AD pour succéder au scénariste historique John Wagner qui basculait sur le Judge Dredd Megazine à son lancement (avec notamment le fameux America).
          Succéder à tant d’années menées par John Wagner, et juste après sa géniale storyline The Dead Man / Necropolis, c’était une gageure impossible et Garth Ennis s’y est cassé les dents.
          Mais il faudrait que je relise tous ces épisodes avec un oeil nouveau aujourd’hui et peut-être bien que je les réévaluerais.

  • JB  

    J’ai lu environ la moitié de la série. Ce qui est intéressant dans les titres d’Ennis (surtout dans la longueur), c’est qu’il parvient à faire ressortir le côté humain, voire humaniste de personnages exubérants et « larger than life ».
    J’ai une petite préférence pour quelques spin-offs de Hitman : Hitman/JLA où Ennis renouvelle sa profession de foi quant à son affection pour Superman, Hitman/Lobo où il ridiculise Lobo qui se fait rétamer par les allumés de la Section 8, et le All-New Section 8 qui a suivi les New52, avec le retour de Six-Pack

    • Bruce lit  

      Il me tarde de lire la rencontre avec Superman. Je n’en suis pas encore là.

  • Ludovic  

    Découvert grâce au tome 1 de l’intégrale URBAN et quand on connait l’œuvre d’Ennis, on se sent quand même tout de suite à la maison. Ce n’est pas le moindre des plaisirs qu’on a à lire HITMAN, jusque dans le dessin de McCrea dont la désinvolture grotesque et le style cartoon trash convient tout à fait à cette histoire.

    Je me suis bien amusé et j’ai ri de bon cœur…

    Le tome 2 chez Urban est prévu en juillet si j’ai bien compris !

    • Bruce lit  

      Oui, le style de McCrea est adapté à l’histoire, moi un peu moins…

  • Patrick 6  

    Tout le monde m’a toujours dit le plus grand bien de cette série, mais le dessin m’en a toujours gardé à respectueuse distance ^^ D’ailleurs comme dit plus haut, ce n’est pas une première avec les séries d’Ennis : avec Dillon il m’a fallut également un temps d’adaptation avant d’apprécier son style ! (Même si, comparativement à McCrea, Dillon est un pur génie ^^)
    Bref je m’y hasarderai à l’occasion, mais il est clair que cette série demande un gros effort pour s’y mettre !

  • Jyrille  

    Merci pour la présentation chef ! Bon, je ne savais rien de cette histoire ni ce personnage (j’ai vu un film HITMAN, très mauvais, avec Olyphant, mais c’est d’après le jeu vidéo). J’ai ouvert le tome par curiosité : je n’accroche pas du tout au dessin. Du vieux comics de Ennis, je crois que j’ai fait le tour (j’ai dû prendre sur moi pour les dessins mes premiers Hellblazer). Je vais sans doute me prendre ses Punisher, c’est peut-être le moment, mais là je passe. Je suis certain que c’est plaisant et marrant à lire mais je ne suis pas assez fan de Ennis pour faire le complétiste.

    Je n’ai pas compris « marque contre son camp » : tu veux dire que les supers sont tournés en ridicule ? Si c’est ça, au contraire, c’est normal, ça donne une autre vision de l’éditeur, qu’il a l’esprit ouvert etc.

    La vanne avec le cat signal est cool.

    La BO : sympa, c’est toujours cool à écouter, Eels (à part un ou deux albums bien plombants). Là on sent bien qu’il refait encore son Beck. Je ne pense pas l’avoir écouté cet album-ci, il en sort tellement…

    • Bruce lit  

      Oui, je trouve complètement fou que DC ait laissé publier ça. Il y a 30 ans, on pouvait dire que c’était de l’ouverture d’esprit. Aujourd’hui je maintiens qu’il marquerait contre son camp. Je n’ai pas mémoire que DC et Marvel aient réitéré l’expérience de la critique assassine de leur fond de commerce.
      Et il n’est pas dit qu’un jour Ennis avec ses outrances ne passe pas à la moulinette de la bienpensance.
      Je n’avais pas fait le lien entre Eels et Beck que je n’aime pas. Mais là tu as raison

  • Présence  

    Le duo Garth Ennis & John McCrea : c’est de la bonne, mais c’est pas pour tout le monde. Juste avant Hitman, ils avaient également produit 18 épisodes de la série The Demon, également pour DC Comics, avec u humour de plus en plus personnel.

    Après, Ennis & McCrea se sont remis à la colle pour relancer leur série Dicks, trash jusqu’au-boutiste :

    brucetringale.com/un-petit-verre-de-poitin-dicks-1/

    Littérature comparée des moments Ennis : où, à part sur le présent site, pourrait-on trouver un article avec cette ambition ?

    J’ai beaucoup aimé ton analyse des forces et des aspects délaissés dans le dessin de John McCrea : je m’y suis entièrement retrouvé.

    DC joue contre son camp : Alan Grant (avec et sans Keith Giffen) avait également initié le mouvement, mais sans la verve acérée d’Ennis et sans pousser le bouchon aussi loin.

    • JB  

      Pour la collaboration Ennis / McCrea, on peut aussi parler d’une mini-série intitulée Hulk: Smash, chroniquée en ces lieux par un nouveau venu sur le blog à l’époque, un certain Alex Nikolavitch… https://www.brucetringale.com/smashing/

    • Bruce lit  

      DICKS est certainement le comics d’Ennis que j’ai revendu sans remords

  • PierreN  

    Les 90’s : une plutôt bonne période pour DC mine de rien. Et pas seulement grâce à Vertigo…

  • Fletcher Arrowsmith  

    Bonjour Bruce.

    bon article mais je passe mon tour sans regret. Ce clairement pas fait pour moi. aucune envie de lire cela. J’ai feuilleté l’album URBAN que j’ai reposé très rapidement. Ennis n’est pas fait pour moi. Ce Garth Ennis là, ne me parle pas du tout.

    Je pense que j’aurais éventuellement apprécié à l’époque, mais plus maintenant. J’ai passé l’âge de ces conneries, même si elle semble bien écrite. Etrangement je n’ai pas complément le même rejet pour ce type d’oeuvre (j’entends provoc, irrévérencieuse) côté cinéma ou littérature … quoi que pour le cinéma.

    Et John McCrea ne me fait pas rêver.

    BO : good point

  • Eddy Vanleffe  

    Pour moi HITMAN contient déjà tout ce que Garth Ennis a à dire sur le super-héros et c’est son meilleur. C’est marrant, les personnages sont enlevés et originaux, c’est plein de clins d’œil, le dessin joue plus dans la cour du franco-belge semi réaliste et d’ailleurs c’est un des seuls comics où le héros se sert de la bière belge (de la Chimay de mémoire…)
    Un peu de western de John Woo… Je suis clairement emballé par ce comics et laisse un peu Garth Ennis de coté qui n’a fait que radoter depuis…

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