Tu seras un mort, mon fils !

1ère publication le 10/02/16- Mise à jour le 14/07/17

Men of Wrath par Jason Aaron, Ron Garney

La loi du flingue comme seule religion

La loi du flingue comme seule religion©Urban

TEAMUP : TORNADO, BRUCE, PRÉSENCE

VO : Icons Marvel

VF : Urban comics

Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Il comprend les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2014/2015, écrits par Jason Aaron, dessinés et encrés par Ron Garney, avec une mise en couleurs de Matt Mila.

Tout commença au début du dix-neuvième siècle quand Dewey Rath s’installa en Alabama, dans Choctaw County. Tout dégénère en 1903, quand Isom Rath tue froidement Erastus Grievers pour une sombre histoire de moutons appartenant à un troupeau ou à un autre. Ira Rath est le fils de Monroe Rath lui-même fils d’Alfom Rath dont le père était cet Isom Rath.

De nos jours, Ira Rath est un tueur à gage redoutable et impitoyable. Même dans la force de l’âge, il assassine régulièrement des gens pour le compte du clan des Polk, une famille locale de caïds de l’Alabama. Un jour, alors qu’il apprend qu’il est atteint d’un cancer en phase terminale, il se voit remettre un nouveau contrat inattendu : il doit assassiner son propre fils, accusé d’avoir trahi les Polk lors d’une mission de routine…

Un tueur professionnel et compétent

Un tueur professionnel et compétent©Urban

Impossible de parler de cette histoire, sans rappeler que Jason Aaron est le scénariste d’une série exceptionnelle de noirceur et d’intelligence : Scalped. Cette série avait bénéficié de la mise en images par RM Guéra, dessinateur d’une grande qualité. Par la force des choses, toutes les œuvres suivantes de Jason Aaron se mesurent à cette référence (dont le lecteur espère qu’elle ne soit pas indépassable).

À l’évidence, une histoire en 5 épisodes ne n’a pas l’ampleur d’une série en 60 épisodes comme Scalped, et la narration en est différente. Jason Aaron se concentre sur le personnage d’Ira Rath, lui donnant de l’épaisseur en tant que professionnel froid et sans remord. Ce personnage a droit à une scène d’introduction à l’efficacité cruelle qui ne laisse planer aucun doute sur le genre d’individu dont il s’agit. Aaron ne fait pas dans l’esbroufe spectaculaire gratuite ; il montre un professionnel en action. Ira Rath a un métier, il est compétent et il le fait bien sans état d’âme.

Sweet Home Alabama

Sweet Home Alabama©Urban

Après cette entrée en matière sèche qui en impose, Aaron consacre son récit à Ira Rath, sa compétence en matière de meurtre, le genre d’individu qu’il est, et le dilemme que lui pose l’avenir de son fils et de Lizzie sa copine. La narration d’Aaron est sèche, sans gras. Il arrive à dresser un portrait plausible d’Ira Rath du début à la fin, évitant toute tentation d’en faire un héros, ou même un personnage sympathique. C’est un tueur au sang-froid du début jusqu’à la fin, sans aucune empathie. C’est un homme dans la force de l’âge aux capacités physiques impressionnantes, tout en restant réaliste (pas de résistance à la douleur défiant l’entendement).

La première séquence montrant Ira Rath exerçant son métier arrive à convaincre le lecteur grâce aux images de Ron Garney. Il dessine ici dans un style réaliste, sans fioriture. La mise en scène est froide et factuelle, sans affèterie. Il le montre accomplir sa tâche avec efficacité, sans geste superflu.

Doctor Feelbad

Doctor Feelbad©Urban

Au fil des séquences, les dessins de Garney concourent à imposer la présence et la personnalité d’Ira Rath. C’est un homme de belle stature, sans être un géant, carré d’épaule sans disposer d’une musculature impossible, le visage sillonné de rides dues à la fois à l’âge et une vie âpre, aux gestes assurés et mesurés. Ses vêtements sont simples et avant tout fonctionnels.

Ira Rath évolue dans un monde réaliste, avec des individus plausibles, des décors naturels normaux sans être bucoliques, des villes sans identité marquée, des lieux fonctionnels. Garney utilise avec parcimonie et à propos les codes graphiques perfectionnés par Frank Miller, tels que les gros aplats de noir. Il s’agit d’une utilisation chronique personnalisée, qui n’a rien d’une copie servile, même pas un hommage, un outil parmi d’autres.

L'homme face à la nature

L’homme face à la nature©Urban

Par rapport à d’autre séries réalisées pour Marvel dans le registre superhéros (parfois avec Aaron, comme Wolverine: Get Mystique, Ultimate Comics Captain America), Ron Garney s’est plus investi pour réaliser des dessins à la consistance régulière sur toutes les pages.

Le lecteur détecte cependant que cet artiste utilise parfois des automatismes graphiques pour les visages les rendant moins expressifs. Il subsiste également quelques raccourcis en matière de décors qui aboutissent à une représentation un peu simplifiée, qui a du mal à rendre compte de la complexité d’éléments comme une voiture, ou un carrelage. Garney les représente à la va-vite, sans chercher à les rendre plus palpables par des détails spécifiques ou des irrégularités engendrées par l’usage. Le découpage de chaque action imprime un rythme rapide de lecture, misant sur l’habitude du lecteur à reconnaitre les liens entre chaque case, sans rien perdre en lisibilité.

Vieux, seul et isolé, mais pas impotent ou grabataire

Vieux, seul et isolé, mais pas impotent ou grabataire©Urban

Ron Garney réalise ici une performance tout à fait honorable, avec une âpreté qui correspond bien à la tonalité du récit, et son style convient finalement beaucoup mieux au registre du thriller qu’à celui des encapés. Le bonhomme tire d’ailleurs son épingle du jeu le temps de quelques superbes illustrations, dont l’inoubliable et fiévreuse couverture de l’épisode 3, judicieusement choisie pour l’édition VF, et qui résume magistralement le contenu du récit et sa toile de fond !

Ceux qui suivent les travaux de cet auteur qu’est Jason Aaron commencent aujourd’hui à percevoir à quel point cette notion de l’héritage, au sens de poids et de malédiction, traverse toutes ses créations telle une structure narrative et un leitmotiv. Car c’est bien cette même notion qui dessine la toile de fond de la série Scalped (polar très noir dans une réserve indienne, où les personnages souffraient de l’héritage tragique de leur peuple victime du génocide), ou encore celle de Southern Bastards (où les habitants d’une petite ville de l’Alabama subissent les retombées de plusieurs générations de rednecks ayant mené une vie de violence et de mépris pour les valeurs humaines).

Sans foi, ni loi : tueur de chevaux

Sans foi, ni loi : tueur de chevaux©Urban

Lui-même natif de l’Alabama, Aaron monte d’un cran dans les références autobiographiques en affublant ainsi son personnage du même prénom que son propre aïeul meurtrier (Ira), en situant l’intrigue dans la même région (l’Alabama), et en développant cette thématique de l’héritage d’après l’histoire de sa propre famille.

Comme à son habitude, le scénariste opte pour une tonalité viscérale et verse dans tous les excès sans retenue. Son personnage est ainsi un assassin sans foi ni loi dont le dernier réflexe de rédemption renvoie directement à une référence : Celle du film Impitoyable de Clint Eastwood, western crépusculaire dans lequel un monstrueux tueur tentait de revenir sur le chemin de la lumière pour l’amour d’une femme et de ses enfants, avant d’être rattrapé par son passé (bon, c’est plus compliqué que cela, mais la référence parait pourtant évidente…).

Les joyeux repas en famille

Les joyeux repas en famille©Urban

À l’arrivée, Men of Wrath s’impose comme la pierre angulaire de l’œuvre de Jason Aaron sur le thème de l’héritage, puisqu’il s’agit de construire un thriller bien noir d’après des éléments autobiographiques. Le scénario est rondement mené, efficace et trépident, sans concessions et parsemé de flashbacks et de cliffhangers inattendus et percutants.

On peut légitimement s’interroger sur l’enfance de Jason Aaron. Celui qui fut l’auteur d’une série majeure dans l’histoire des Comics (Scalped) ne cesse au gré de ses autres écrits de mettre en scène des infanticides et des parricides ! Et ce même dans des licences commerciales ! Dans Punisher, Wilson Fisk assassinait son enfant et Frank Castle exhumait son cadavre ! Dans ses X-Men au ton plus léger, on suivait une bande d’adolescents (le Club des damnés) où un enfant de 12 ans jetait son père du haut d’un avion ! On retrouve une scène analogue dans Southern Bastards. Dans The Other Side, il mettait en scène la guerre du Vietnam comment autant d’infanticides des États-Unis et du Vietnam envers leurs citoyens.

Une étrange nativité morbide

Une étrange nativité morbide©Urban

Allo ? Jason, il s’est passé quoi quand tu étais petit ? Men of Wrath donne des éléments de réponse qu’Aaron apporte en préface. Son arrière-grand-père Texan aurait tué un homme pour une simple histoire de mouton volé devant son enfant ! Devenu grand, cet enfant allait à son tour perpétuer ce cycle de violence, une violence dont Aaron, c’est manifeste, se sent porteur et qu’il extériorise par l’art plutôt que par les balles ! À noter que le titre joue sur la ressemblance entre les mots anglais Wrath (qui signifie colère) et Rath qui est le nom des deux protagonistes principaux.

Pourtant, le lecteur peut ressentir une légère frustration lors d’une fin ouverte cynique et cruelle, regrettant un ou deux chapitres supplémentaires, où il eut été possible d’approfondir aussi bien le passé des personnages (l’enfance d’Ira et celle de Ruben étant tout de même un peu trop vite expédiées) que les éléments de leurs choix respectifs, puisque certains paraissent vraiment précipités, voire incongrus. On aurait ainsi pu davantage apprécier les caractères des deux derniers descendants de la famille Rath, dont les pulsions meurtrières sont sans cesse dictées par un complexe d’Œdipe en totale cohérence avec le poids de leur héritage !

La chose est tout de même chaudement recommandée, surtout pour les amateurs de thrillers bien noirs et, bien évidemment, pour les admirateurs de Jason Aaron, qui peuvent lui faire confiance lorsqu’il s’agit de concevoir des récits intenses, aussi exigeants dans le fond que dans la forme…

Voleur de moutons

Aaron compte les moutons, le lecteur compte les morts
©Urban

—–

Chez Bruce Lit on aime Jason Aaron. On l’aime tellement qu’avec Présence et Tornado, on se fait un plan à trois pour vous en parler…Pourquoi tant de lubricité matinale ? Parce que l’on cause ici de Man of Wrath, sa mini série où un tueur à gages est chargé de tuer son fils !

La BO du jour : tuer son fils ou sa copine pour la bouffer, c’est pas si différent si ? Il faut être un peu dingue….surtout lorsque le groupe en question s’appelle les Etrangleurs…

https://www.youtube.com/watch?v=_UFmbacR-jA

9 comments

  • JP Nguyen  

    Après les duos, voilà carrément les plans à trois ! Quelle débauche dans le Bruce Lit !

    Je n’ai pas pu m’empêcher de jouer à deviner qui avait écrit quoi. Parfois, cela se devine assez facilement (Présence ou Tornado n’utiliseraient jamais la tournure « Allo… », la toile de fond et l’adéquation fond/forme sont le dada de Tornado…) à d’autres endroits, c’est moins évident.

    Bon, ça m’a l’air pas mal mais je crois que je me contenterai de le chopper en médiathèque. Le trait de Ron Garney m’évoque parfois celui de Marc Silvestri (cf le visage de la nana à côté d’Ira Rath dans la voiture…). Mais même si certaines planches sont travaillées, d’autres font un peu expédiées ou peu inspirées.

    • Présence  

      Si vraiment la curiosité est trop forte, un tour sur la page produit Men of Wrath (en VF), sur un site qui commence par ama et qui finit par zon, te permettra de vérifier la validité de ton test de paternité.

      • Bruce lit  

        « Histories of violence » 3/5
        Chez Bruce Lit on aime Jason Aaron. On l’aime tellement qu’avec Présence et Tornado, on se fait un plan à trois pour vous en parler…Pourquoi tant de lubricité matinale ? Parce que l’on cause ici de Man of Wrath, sa mini série où un tueur à gages est chargé de tuer son fils…sans l’ombre d’un remord ! Le goût du flingue à la une aujourd’hui

        La BO du jour : tuer son fils ou sa copine pour la bouffer, c’est pas si différent si ? Il faut être un peu dingue….surtout lorsque le groupe en question s’appelle les Etrangleurs….https://www.youtube.com/watch?v=_UFmbacR-jA

    • Bruce lit  

      Oh ! j’ai pas fait grand chose là dessus : le titre, une légende et les deux paragraphes sur les origines d’Aaron….
      Concernant les dessins de Garney, ils sont fonctionnels sans être bouleversants. La cover me fait immanquablement penser à celle de Born Again. Et le héros à…Cable !
      Maintenant ses dessins sont plus intéressants que pour sa prestation de Spider-Man.
      A propos qui a lu le run de Aaron sur Wolverine ?

      • Présence  

        J’avais lu les 16 épisodes de Wolverine Weapon X, dont seul le dernier tiers m’avait tiré de ma torpeur. J’avais également lu des épisodes plus anciens regroupés sous le titre de Get Mystique (Wolverine 62 à 65) qui m’ont laissé un souvenir amusé. Par contre, je n’ai pas suivi Aaron sur le titre qui a succédé à Weapon X, soit 25 épisodes de plus.

  • tornado  

    La cover est fantastique, je trouve !

    Je n’ai toujours pas lu les runs de Aaron sur « Ghost Rider », « Wolverine » et « Wolverine & the X-men ». Ni même « Thor » et « Weird World ». Je n’ai lu que « Spiderman & Wolverine », que j’ai trouvé nullissime, et « Star Wars », que j’ai trouvé très mauvais. Rien qui m’encourage à suivre Aaron sur les voies des super-héros ou des séries mainstream.

  • Jyrille  

    Pour les descriptions du dessin, c’est du Présence tout craché. Pour le reste, j’ai du mal à trouver qui a écrit quoi… En tout cas c’est un bel article qui va toujours plus loin que ce qu’on peut lire ailleurs, et me conforte dans l’idée que je me dois de finir Scalped avant tout.

    A part ça je me rends compte que je préfère lire ces articles sur mon smartphone plutôt que sur le pc (alors que je préfère écrire et donc commenter sur le pc). C’est étrange non ?

    • Bruce lit  

      Présence nocturne :
      « Histories of violence » 3/5
      Jour de colère sur Bruce Lit. Un trio de chroniqueurs de choc s’unit pour affronter le clan Wrath, avec le grand-père assassin professionnel, le fiston raté, la mère décédée. Men of Wrath de Jason Aaron & Ron Garney.

      @Jyrille: arent you a strange one ? Thats why we love u.
      @Tornado : oui la couverture est superbe. Et pendant qu’on est sur Ron Garney, j’ai fini le run de Stracz’ et c’est magnifique de bout en bout. Quelle belle écriture !
      Je te rejoins désormais complètement : One more day est la fin idéale au run portant sur l’amour, la confiance et la cellule familiale. Tante May est vraiment bien écrite.
      J’ai aussi bcp aimé les histoires annexes de Peter David….

  • Lone Sloane  

    Un threesome où l’on reconnaît (circonflexe comme les sourcils de Jack Nicholson) la patte de Présence pour la partie graphique et l’on en apprend pas mal sur le patrimoine familial de Jason Aaron et l’influence qu’il a eu sur son travail.
    La couv est terrible avec un vitrail dans des teintes différentes de celles de Born again, mais où l’agneau de Dieu n’enlève pas du tout le péché du monde.
    Peut-être savez vous si le choix du titre est également une référence au bouquin de John Steinbeck « The grapes of wrath »?
    Le titre hommage à Kipling est d’une ironie funèbre. Entre içi Bruce Moulin, avec ton terrible cortège…

Répondre à JP Nguyen Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *