Une Bande de frères !

    

Par Garth Ennis et collectif

Une couverture atroce pour  un  Comics haut de gamme...

Une couverture atroce pour un Comics haut de gamme… ©Vertigo

Une couverture atroce pour un Comics haut de gamme…

En passant au crible les thématiques de l’oeuvre de Garth Ennis, il est facile de comprendre sa haine des super-héros; Des histoires souvent réalistes où des soldats, des durs à cuire, des marginaux finissent par passer l’arme à gauche malgré leur entraînement, leur maturité,leur courage.

Dans ce cadre, alors que ce type a déjà écrit des dizaines de milliers de pages avec seulement 44 ans au compteur, il est normal que les histoires de types increvables, sans aucune formation et se cachant derrière des masques ne puissent que l’irriter.

Car ce que cherche Ennis, ce sont les racines de l’héroïsme chez l’être humain, celui qui nous pousse à commettre des actes insensés de bravoure dans des situations impossibles ainsi que son volet tragique: une mort inutile, une vie sans remerciements.

Quand même,vous en connaissez beaucoup vous des scénaristes actuels qui potassent une dizaine de livres d’histoires pour écrire une histoire?

Ce volume comprend 4 histoires.

1/ Le Tigre de Johann

La première histoire de ce recueil et la meilleure à mon sens. Un bataillon Allemand sent la fin de la guerre arriver sur le front russe. Malgré la résistance de leur char d’assaut, l’usure et la peur de mourir est là. Ces soldats se savent condamnés par la Fureur de leur moustachu et refusent de lui donner leurs vies. Alors qu’ils entreprennent de se rendre à la première escouade américaine, les voici pourchassés par une milice nazie qui refuse de les voir capituler.

Nos héros sont dirigés par un allemand fier, courageux, lucide et dévoué à ses hommes : Johann. Sauf que Johann s’est également rendu coupable de crimes de guerre contre des civils russes et que sa conscience le démange. Du Ennis tout craché, refusant le manichéisme   et s’intéressant au sort d’un type honorable perdu dans l’inhumanité d’un conflit qui le dépasse. Un mec qui cherche à se faire tuer et qui n’y arrive pas. Un récit maîtrisé par un scénariste touché par la grâce capable de raconter une histoire d’amitié virile sans sombrer dans les clichés, mettant en scène un criminel hanté par ses actes et une fin dramatique intense.

Ennis qui n’a pas toujours été très regardant dans le choix de ses dessinateurs bénéficie là d’un artilleur exceptionnel: Chris Weston.
Jamais avare de décors de villes en ruines, d’avions en flammes, de chars décortiqués du canon aux chenilles, Weston est totalement investi par son récit. Ses cadrages un peu old school sont délicieux tout comme la physionomie de ses personnages capables d’inspirer à la fois le respect que la peur. Exceptionnel !

2/ Les Tire-au-Flanc du Jour J

En dépit de ses sarcasmes, Ennis prouve ici qu’il est un grand sensible. Il souhaite rendre ici hommage à un bataillon hétéroclite de soldats venus de tous les continents. Sur le front Italien, une députée britannique les accuse de mener la Dolce Vita et nos amis vont traîner une réputée de planqués, eux qui auront passé 20 mois sur le front !

Ennis montre que dans les faits la réalité est toute autre et qu’eux aussi ont payé leur quotidien fait de sang, de poussière, de boue, de mines antipersonnel. Ennis imagine des portraits à la véracité bluffante: Le lieutenant Ross jeune idéaliste d’Oxford qui va devoir en une nuit découvrir la réalité de la guerre et gagner le respect de soldats aguerris. Le Capitaine Loyatt usé d’avoir mené ses hommes à la mort et qui s’entraîne au tir sur …le Christ d’une église. Et toute l’escouade composée de gars pas très malins mais prêts à mourir pour les copains.

Ennis s’attarde sur les effets sur le moral des troupes du discours d’une politicienne qui n’assumera jamais ses dires . Avant de leur réserver un destin funeste. Ennis dose encore ce qu’il faut de conversations désenchantées et de révolte contenue contre l’insulte faîte aux courage de ces hommes.

Aux crayons John Higgins: avare de décors, une gestion assez raide des mouvements, ses cadrages valorisent pourtant les nombreux dialogues de l’histoire et les dernières pages font montre d’une ambition certaine où chaque détail du champs de bataille devient l’élément principal de la page d’après. Encore une vraie réussite.

Aie! Regardez où vous tuez!©Vertigo

Aie! Regardez où vous tuez!

3/ Les Screaming Eagles

Attention légende aux crayons: M. Dave « Watchmen » Gibbons ! Il est amusant à cet égard qu’il mette en scène un soldat nommé Moore  et qu’un de ces personnages ressemble au Comédien. Mais son style donne un volet cartoon à l’ensemble qui dénote avec le discours de son auteur.

Ennis imagine l’épopée orgiaque de soldats américains qui désobéissent aux ordres d’un officier irresponsable et se réfugient dans un manoir alpin pour oublier la guerre. Au menu: dégustation de vins hors de prix au goulot, bains chauds et parties de jambes en l’air avec des villageoises pas farouches.

Entre temps, nos amis réfléchissent à leur insubordination. Et pourquoi n’auraient ils pas le droit de s’accorder un peu de détente , eux qui ont participé au débarquement, ont libéré Dachau et perdu des frères au combat? En quoi cette planque réservée à leur Etat Major poltron ne leur reviendrait pas de droit?

Ennis, sans sombrer dans la démagogie du « tous pourris », pose la question de la légitimé de l’obéissance en temps de conflits et fait dire à son héros : « La Guerre passe encore, mais cette putain d’armée, je la hais! ». Encore un récit subversif et vibrant d’humanité même si Ennis loupe l’occasion d’écrire sur les camps de la mort et les exactions de l’armée américaine suite à l’horreur de leur découverte.

4/ Nightingale

L’équipage d’un Destroyer britannique doit abandonner sa flotte vouée à une mort certaine pour obéir à un ordre qui s’avère infondé.  Les marins n’arrivent plus à se regarder dans la glace, certains se suicident incapables de supporter l’idée de s’être débinés.

Pour la première fois Ennis loupe son coche. La question de l’obéissance a été mieux abordée dans l’histoire précédente, le rapport entre le soldat et son bateau rappelle la première entre Johann et son char. Et surtout, le récit ne s’attarde sur aucun personnage auquel  on peut s’identifier et est parsemé d’un jargon militaire rébarbatif ; pendant 50 pages le lecteur doit composer avec des  » Engrenage catapulte gelé »,des  » Contact au gisement rouge 4O » et des « Torpilles au gisement vert 40 ». Un récit qui ne sert qu’à démontrer la facilité d’appropriation d’Ennis du langage militaire .

C’est David « V pour Vendetta » Lloyd qui officie au dessin et aux couleurs. C’est un style immédiatement reconnaissable,sombre,violent et terriblement claustrophobe. Mais Lloyd n’est pas le meilleur portraitiste du monde et il est difficile d’observer la physionomie de ses personnages et de les reconnaître. Vus de dos et constamment dans l’ombre, ça n’aide pas… Et ne fait que renforcer l’impossibilité d’identification à l’équipage du Nightingale.

Presque un sans faute pour Ennis qui s’impose encore comme un scénariste majeur talonnant de très près Alan Moore et Neil Gaiman. Un sommet du Comics adulte qui traite de la guerre sans parti pris dont on attend toujours que Panini daigne publier 3 ans après la deuxième partie et, si possible, avec une maquette un peu plus aguichante! Traduction de qualité.

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Stairway to Heaven… ©Dark Horse

Stairway to Heaven…

4 comments

  • Présence  

    Je pense qu’il n’est pas si difficile que ça de trouver des scénaristes qui effectuent des recherches conséquentes pour leurs BD : Patrick Cothias et ses Les 7 Vies de l’Epervier ou Jean Dufaux avec Voleurs d’empires, ce qui n’enlève rien à l’art consommé avec lequel Ennis transcrit sa passion en bandes dessinées.

    Mon souvenir sur ces 4 aventures est devenu assez vague avec le temps. Comme toi, j’avais bien apprécié les dessins minutieux et descriptifs de Weston. « capable de raconter une histoire d’amitié virile sans sombrer dans les clichés » : Ennis a développé cette thématique dans presque chacune de ses oeuvres, et il fait montre d’une perspicacité, d’un regard pénétrant, d’un savoir faire exceptionnel pour montrer la substance de chacune de ces amitiés, sans tomber dans le cliché.

    De gars pas très malins mais prêts à mourir pour les copains – A nouveau, une grande réussite d’Ennis : mettre en scène des individus normaux, avec tout ce qu’ils ont de limité dans leur humanité, comme chacun d’entre nous, sans les rendre ridicules. Il transforme leurs défauts ou la limite de leur personnalité, en un atout pour les rendre plus attachants.

    Plus je lis d’autres histoires dessinées par Gibbons, plus je me rends compte de l’unicité de son style. Il n’y a (pour l’instant) que dans Martha Washington que j’ai trouvé qu’il était au diapason du scénario. Plus je relis « Watchmen », plus je suis époustouflé par sa rigueur, sa capacité à tout mettre dans chaque case, sa cohérence graphique du début jusqu’à la fin, la grande lisibilité de chaque case, son entière implication à raconter l’histoire voulue par Alan Moore sans jamais vouloir se mettre sur le devant de la scène. Pour cette histoire, je rejoins ton opinion : il n’était pas forcément un bon choix.

    Nightingale – La seule partie de ton commentaire où je ne suis pas d’accord avec ton jugement de valeur.

    Sombre,violent et terriblement claustrophobe – Je n’aurais pas su mieux l’exprimer. En ça David Lloyd est bien meilleur que Dave Gibbons. Il conserve son style, tout en portant le récit tel que le conçoit Garth Ennis. J’apprécie beaucoup cette claustrophobie qui enferme le lecteur aux côtés du personnage.

    Le jargon militaire – Il ne m’a pas gêné. Au contraire, il prouve le degré de recherches d’Ennis. Il propose une autre vision sur le quotidien des soldats. J’y vois à nouveau l’influence de la « Grande guerre de Charlie » de Pat Mills, ainsi que les prémisses de la réflexion qu’il développera dans « The boys », sur le manque de fiabilité des armements, sur la manière dont l’outil conditionne le soldat.

    Après avoir bien donné mon avis, je constate que ton commentaire est très fourni, qu’il rejoint une grande partie de mes propres jugements de valeur, et que j’ai pris beaucoup de plaisir à rediscuter de Garth Ennis. Merci.

    • Présence  

      J’ai lu Luther Arkwright il y a au moins 20 ans et j’en garde un excellent souvenir. Il fait partie des comics que je relirai pour laisser une trace sur Amazon. J’ai déjà acheté la suite : Heart of the empire (que je lirai une fois que j’aurai relu Luther Arkwright).

      Avec cet ouvrage, Talbot reprend la figure de l’espion dandy sur les bords, en y incorporant le principe du Champion Eternel de Michael Moorcock (version Jerry Cornelius) pour un trip un peu expérimental.

  • Tornado  

    J’ai longtemps hésité à me prendre « Luther Arkwright ». C’est mon aversion (mon horreur absolue devrais-je dire) pour les concepts de voyages inter-dimensionnels qui m’a découragé.

    • Bruce lit  

      Moi c’est la Scifi. Le jargon inventé, les planètes, les costumes . Au cinéma , c’est Ok , en Bd , je fuis.
      Ce qui explique mon ignorance totale de l’oeuvre de Jodorowski, Moebius et compagnie…

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