Une belle réussite

Fables – Adieu : Bill Willingham & Mark Buckingham (+ invités)

Une couverture dépliable avec 177 personnages

Une couverture dépliable avec 177 personnages©Vertigo

AUTEUR : PRESENCE

VO : Vertigo

VF : Urban

Ce tome fait suite à Et ils vécurent heureux… (épisodes 141 à 149). Il s’agit du dernier tome et du dernier épisode de la série. Il constitue à la fois le tome 22 (ou 23 en VF dans la nouvelle numérotation Urban) de cette série, mais aussi l’épisode 150, initialement paru en 2015, écrits par Bill Willingham comme tout le reste de la série depuis le premier numéro.

Farewell (histoire principale, 78 pages, dessins et encrage de Mark Buckingham, mise en couleurs de Lee Loughridge) – L’histoire est racontée par Ambrose Wolf qui l’écrit dans un futur plus ou moins lointain. Il évoque la suite du duel entre Prince Brandish et Lancelot. Il y a un combat de magie, le retour d’un personnage cru mort, un affrontement sans pitié entre 2 sœurs, et bien des choses encore.

Bill Willingham et Mark Buckingham ont donné plusieurs interviews pour accompagner la parution de ce dernier épisode, pour bien préciser que s’ils ne s’interdisaient pas de revenir à cet univers, ils avaient la ferme intention de réaliser une rupture durable d’avec ces personnages. Cette première partie de ce dernier tome apporte une conclusion à l’intrigue principale et à de nombreuses intrigues secondaires.

Une présentation en chapitre

Une présentation en chapitre©Vertigo

Le scénariste a préparé cet arrêt de longue date, ayant déjà évoqué la fin de Fableville dans les épisodes 139 & 140 (tome 20). Il avait déjà commencé à raconter les dernières histoires d’un certain nombre de personnages dans le tome précédent. Dans l’épisode 134, 2 personnages décédés avaient tenu une conversation sur le thème du départ qui s’appliquait de manière manifeste à l’arrêt de la série un an plus tard.

Le lecteur retrouve avec plaisir les dessins de Buckingham pour une dernière fois. Willingham découpe son récit en courts chapitres de 4 à 8 pages, passant en revue de nombreux personnages, avec des scènes de foule, comme des scènes intimistes. Le dessinateur est impliqué à 100% avec des personnages magnifiques, des images immédiatement lisibles, empreintes de ces plis et replis, caractéristiques de son encrage. Outre le plaisir indéniable de contempler ces personnages devenus si proche du lecteur en 150 épisodes, il y a également celui lié aux différents lieux, ainsi que les structures de pages caractéristiques, avec leur bordure verticale.

Les fameuses bordure de page

Les fameuses bordure de page©Vertigo

En prime, la mise en couleurs de Lee Loughridge est magnifique de bout en bout. Elle ressemble à de l’aquarelle, avec des teintes légèrement délavée pour donner un aspect intemporel aux images. Ces pages sont splendides de bout en bout, qu’il s’agisse de scènes d’action (un nouveau duel à l’épée), de scènes de destruction massive, de scènes de foules. Le lecteur les apprécie d’autant plus qu’il sait que ce sont les dernières. Il n’y a effectivement pas d’équivalent dans les comics contemporains.

Le lecteur attentif (et avec une bonne mémoire) revoit donc passer de nombreux personnages de premier plan (le vieux Roi Cole, maire de Fableville) ou très secondaires (June Rodney, Junebug qui emménageaient à Fableville dans l’épisode 130).

Une mise en couleurs comme en peinture

Une mise en couleurs comme en peinture©Vertigo

Willingham recentre donc son récit sur les 2 sœurs, en incluant les enfants de Blanche Neige et Bigby. L’intrigue principale est résolue de manière entièrement satisfaisante, à la manière de ce scénariste (il suffit de se souvenir de la guerre contre l’Adversaire). Il ne se contente pas d’apporter une résolution en bonne et due forme, il envisage également une autre alternative en montrant en quoi elle aboutissait à une impasse, et était donc inenvisageable. Arrivé à la fin, le lecteur n’a qu’un regret, à savoir que l’intrigue secondaire relative à Camelot n’ait pas donné lieu à plus de développement.

Interrogé par un journaliste, Bill Willingham a indiqué que de son point de vue le thème principal de la série, le fil conducteur fut celui de la famille. Mais il ajoute qu’il appartient à chaque lecteur de se forger sa propre opinion quant à l’interprétation qu’il fait de ces histoires. Il y a autant de lectures qu’il y a de lecteurs. Effectivement, le thème de la famille est présent de façon explicite ou sous-jacente tout au long de chaque histoire.

La famille : mari & femme, sœurs

La famille : mari & femme, sœurs©Vertigo

Il est possible de mettre en avant un autre thème encore plus évident : celui de la littérature de l’imaginaire. Bill Willingham et les artistes qui l’ont accompagné ont mis en scène des personnages issus de fables, contes et légendes pour des histoires sans cesse renouvelées, sans aucun retour à un statu quo tiède et confortable. Enfin, Bill Willingham a disséminé avec parcimonie quelques références littéraires, ce tome citant le poète Ted Hughes (Edward James Hughes, 17 août 1930 – 28 octobre 1998), et évoquant la célèbre maxime de Lord Acton sur le pouvoir absolu.

Le scénariste s’est parfois reposé sur une dichotomie Bien/Mal assez pratique en termes de dynamique d’intrigue, mais même les bons ont toujours conservé une part d’ombre, y compris dans les moments les plus basiques. Il a tenté à une deux reprises de s’aventurer dans des terrains politiques, avec une maladresse telle que le lecteur ne regrette pas qu’il n’ait pas persisté dans cette voie.

Même le Prince Ambrose a une part d'ombre

Même le Prince Ambrose a une part d’ombre©Vertigo

Le profil psychologique de chaque personnage n’était pas très fouillé, ni très complexe. Néanmoins le comportement de chaque personnage relevait de celui d’un adulte et pas d’un adolescent. Au fur et à mesure des crises à affronter, le lecteur a pu apprécier les valeurs de chaque personnage. De ce point de vue-là, ils étaient tous dotés de solides convictions, à commencer par le Prince Ambrose et sa ferme décision de refuser de s’aligner ou de compromettre ses valeurs.

Si cette série a pu durer autant de temps (depuis 2002 jusqu’en 2015), c’est à la fois parce ses créateurs ont refusé de faire du surplace, mais aussi parce qu’ils ne se sont pas reposés exclusivement sur le monstre du mois, ou le nouveau personnage recyclé à partir de contes et légendes oubliés. Ils ont su faire ressortir l’humanité des protagonistes, ainsi que leur fibre morale. À ce titre, ce dernier tome conclut la série dans la même tonalité.

– Pour ce dernier tome, Bill Willingham a fait les choses en grand et a inclus de nombreux autres récits pour être sûr d’avoir rassasié ses lecteurs. Il ne s’agit en rien de bouche-trous assemblés à la va-vite, mais plutôt d’éléments narratifs de nature diverse venant compléter le récit principal. Cela commence dès la couverture qui dispose de rabats intérieurs. Ainsi l’illustration de couverture correspond en fait à un dessin unique occupant l’équivalent de 3 pages, dans lequel Nimit Malavia a représenté 177 personnages, tous répertoriés et identifiés à l’intérieur pour que le lecteur les reconnaisse tous.

Après le récit principal illustré par Mark Buckingham, viennent des histoires courtes de 1 à 6 pages qui ont pour thème la dernière histoire de tel ou tel personnage, de premier plan ou secondaire. Chaque histoire est dessinée par un artiste différent. Ils sont au nombre de 25, avec certains ayant déjà illustré un épisode de transition (comme Niko Henrichon), d’autres des histoires courtes (comme Gene Ha), et même quelques artistes de la dernière heure (en particulier 6 pages dessinées par Neal Adams pour la dernière histoire de Noël). Steve Leialoha (l’encreur attitré de Buckingham sur la série) est également de la partie et dessine la dernière histoire de Boy Blue.

Noël par Neal Adams

Noël par Neal Adams©Vertigo

Non content de permettre au lecteur de voir un destin possible pour une multitude de personnages, il raconte également (en 1 page chacun ou presque) comment la prophétie relative aux enfants de blanche Neige et Bigby s’est accomplie. Il montre ce qu’il est advenu de Fableville après la dernière bataille racontée dans la première partie. Il a même inclus une page (dessinée par Bryan Talbot) relative à la dernière histoire du personnage incarnant la Mort. Il y a une postface de 2 pages dont les 2 tiers rédigés par Bill Willingham en guise d’adieu, l’autre tiers étant rédigé par Mark Buckingham, 2 pages de scénario pour montrer à quoi ressemblent les documents envoyés par Bill Willingham au dessinateur, et 2 pages de sketchs très succinctes de Buckingham, ainsi qu’un trombinoscope de tous les créateurs ayant participé à ce dernier épisode.

– À la fin de ce tome, le lecteur est effectivement rassasié, satisfait que ces créateurs aient pu achever leur série dans d’excellentes conditions, mais avec un petit pincement au cœur en se disant que c’est fini, que cette série qui l’aura accompagnée pendant plusieurs années de sa vie n’est plus là.

Le premier épisode, la première page, le premier tome

Le premier épisode, la première page, le premier tome©Vertigo

21 comments

  • JP Nguyen  

    J’ai lu des tas de critiques positives sur la fin de Fables, et quelques autres mitigées. Je me demande pourquoi je me suis renseigné, étant donné que j’ai arrêté la série très tôt (au 1er ou 2ème TPB). Parfois, je me dis que je devrais retenter le coup. Mais des articles comme celui de Bruce hier calment mes ardeurs.

    Petite coquille (supposée) : Farewell (histoire principale, 78 pages, dessins et encrage de Bill Willingham…) les dessins seraient pas plutôt de Buckingham sur cet ultime épisode ?

    • Présence  

      Oui, il y a coquille, merci de l’avoir indiquée. Il s’agit bien de dessins et encrage de Mark Buckingham.

  • Bruce lit  

    « Final Fantasy » 3/6
    eh ! Pour le coup, oui, ceci est la fantaisie finale de Bill Willingham pour sa série « Fables ». Il se trouve, malgré les déceptions qu’elle a pu susciter (voir l’article d’hier), Fables a sa fanbase et Présence en fait partie. Alors ? La fin toute fraîchement publiée par Urban est elle à la hauteur de 12 années d’attente ? La réponse chez Bruce Lit (pardi).

    La BO du jour: Belle et mariée à la bête Dutronc, la reine Françoise, appuyée par les mots de Gainsbourg explique à Présence comment dire adieu à sa série culte ! Courage ! https://www.youtube.com/watch?v=mwhX5V1Gn6w

    Je ne sais jamais comment réagir à ce genre de réaction JP ! Être fier et coupable de te faire faire l’impasse sur une série ?

    @Présence : Rha ! Encore des ties-in…..Le petit bateau qui sourit et papa noël….non…c’est au dessus de mes forces….

    • Présence  

      @Bruce – Petit Papa Noël – Au moins comme ça tu n’éprouveras aucun regret à ne pas avoir poursuivi.

      Concernant les histoires sur les personnages secondaires, j’ai fini y prendre goût parce qu’en tant que scénariste Willingham s’y investit autant que sur les principaux, et comme tu le faisais remarquer il (ou son responsable éditorial) a su attirer des bons dessinateurs. Une fois entré dans le jeu des histoires satellites, la série devient plus que la simple histoire de Fableville ou de la famille de Bigby. Elle devient une série sur un environnement dans lequel le lecteur côtoie des personnages qui vont et qui viennent, un peu à l’instar de la vie de tous les jours.

  • Jyrille  

    Je fais partie des fans de la série malgré ses nombreux défauts mais malheureusement, je n’ai pas encore acquis ce numéro (j’espère que je l’aurai cette semaine) ! Je fais donc l’impasse sur l’article pour le moment et le lirai lorsque j’aurai fini Fables.

    • Présence  

      Et à la fin, le coupable c’est… parce qu’en fait la Petite Souris (celle qui passe quand on a perdu une dent) avait imaginé une vengeance sur 2 siècles… mais tout a commencé quand le rat des champs et le rat des villes… ce qui amène une variation élégante sur les habits neufs de l’empereur… sans oublier la petite poule rousse, bien sûr…

      • Bruce lit  

        Mais c’est un vrai début de Tie-in, Présence ! Il faut absolument que tu envoies ton script à Vertigo !

        • Jyrille  

          Huhuhuhu j’espère que ces derniers épisodes sont meilleurs qu’une vengeance sur deux siècles !

  • Tornado  

    Je l’ai commandé et je l’attends d’un jour à l’autre. Mais il faudrait déjà que je reprenne la série là où je me suis arrêté : Au tome 16 (La grande Alliance). Il me reste donc neuf tomes…

    (commentaire posté 2 fois mais c’est ici qu’il doit être…)

    • Présence  

      J’en déduis que contrairement à ton habitude passée, tu n’as pas repris la lecture de cette série à l’occasion des fêtes de Noël. En y repensant, Bill Willingham a bien préservé le lecteur d’une continuité trop dense, et il n’est pas besoin de relire les tomes passés pour se remémorer le rôle et l’histoire personnelle de chacun.

      • Bruce lit  

        Ah ça, c’est sûr….

        • Présence  

          Monsieur est taquin (non sans raison, il est vrai). S’il te plaît peux-tu corriger la coquille relevée par JP Nguyen en début d’article ? Dans le deuxième paragraphe, il faudrait remplacer le nom de Bill Willingham par celui de Mark Buckingham pour obtenir :

          – Farewell (histoire principale, 78 pages, dessins et encrage de Mark Buckingham, mise en couleurs de Lee Loughridge)

          • Bruce lit  

            Done !
            C’est marrant, j’ai souvent confondu aussi leurs deux noms.

      • Tornado  

        Ben, heu… Ce Noël j’étais un peu débordé en fait !
        Mais tu as raison, chaque fois que j’ai repris la série, je ne me suis pas senti obligé de tout relire.

  • comics-et-merveilles.fr  

    Je partage ton enthousiasme (toujours très communicatif d’ailleurs)…Mais je n’ai pas tout lu puisque je n’ai pas tout fini de lire moi non plus (au cas où). Je n’en suis qu’au 12eme volume. d’ailleurs, j’attendais surtout les numéros 13, 14 et 19 d’occasion qui me manquent (bon j’ai craqué pour le 19 ce we ^^). Je ne voulais pas trop dépenser mais bon, ce n’est pas comme s’il manquait 10.
    Maintenant que la parution est terminée (cela décuple toujours ma motivation), je vais pouvoir reprendre là où j’en étais resté.

    • Présence  

      @Comics-et-merveilles – Une question de lecture : en cas de série longue ainsi complétée, lis-tu tous les tomes d’affilée, ou préfères-tu faire de pauses en trame chaque tome (éventuellement entrecoupé par d’autres lectures) ?

      • comics-et-merveilles.fr  

        Je privilégie généralement une lecture entrecoupée parfois à l’épisode. En semaine, plutôt par épisode, le we, je me fais au moins 1 tome en entier. Ma disponibilité à la maison est très hachée combinée avec le type de lecture où en semaine, je décompresse davantage avec du mainstream décérébré qui demande moins de concentration (ce qui ne veut pas dire moins de plaisirs procurés). D’ailleurs, c’est pour cela que le format kiosque mensuel me convient encore parfaitement. De plus, j’ai remarqué que lorsque mes lectures se concentrent trop sur une seule série (C’est arrivée par exemple sur l’omnibus Alias, 100 bullets, walking dead…), j’oublie plus facilement ou rate bien plus de choses. Il me faut du temps pour digérer un tome, prendre du recul… Il arrive souvent, sans que ce soit prémédité, que je fasse de longues pauses de plusieurs mois (Typiquement pour Fables mais aussi Transmetropolitan ou Scalped – La palme des pauses revient à Promethea mais l’article de Tornado m’a reboosté).
        Le fait est que je n’arrive toujours pas à rattraper mes plus de 10 ans de pause…Mais quelques part, j’adore aussi cette sensation de découvrir des trésors enfouis et me dire que j’ai encore de belles « années » de lecture qui m’attendent.

  • Jyrille  

    Bravo Présence d’avoir parfaitement synthétisé ce que j’ai pu ressentir en finissant ce tome ! J’ai eu un petit pincement au coeur, mais que j’ai réduit au silence en me disant que j’allai relire toute la série d’une traite (surtout que j’ai racheté le tome 1, chez Panini, que j’avais perdu).

    « En prime, la mise en couleurs de Lee Loughridge est magnifique de bout en bout. Elle ressemble à de l’aquarelle, avec des teintes légèrement délavée pour donner un aspect intemporel aux images. » Je n’y avais pas pensé mais tu as entièrement raison !

    Cela dit, je trouve que cette fausse fin réserve des surprises : au final, on ne sait pas ce qui advient après ces « dernières histoires » en une planche, la plupart se terminent en suspens, et peuvent donner d’autres histoires, de nouveaux affrontements. Certains personnages n’ont pas droit de cité (Aladdin, Raiponce…) c’est un peu dommage.

    Dans l’édition VF (numérotée 23 mais en fait c’est le 25 aussi), il n’y a pas de trombinoscope et le dépliant reprenant tous les personnages n’est reproduit que sur une double planche, c’est un peu dommage. Il y a par contre un dépliant à la fin de la dernière histoire de Rose, Blanche et Bigby.

    Merci également d’avoir fait part de tes découvertes à côté de la bd : je n’ai jamais la curiosité d’aller lire des interviews d’auteurs.

    • Présence  

      Merci pour le compliment, je vais finir par croire qu’un lien télépathique nous unit et qu’en fait je pioche directement dans ton esprit pour écrire mes commentaires. 🙂

      Je lis régulièrement les nouvelles sur newsarama et sur CBR, en particulier les interviews, parfois convenues, parfois très intéressantes. Par exemple, je me souviens encore de celles d’Alan Moore sur newsarama, au moment de la sortie de Century de la Ligue des Gentlemen extraordinaires, où il s’était prêté au jeu avec une belle loquacité.

  • Jyrille  

    J’adore l’illustration de Bryan Talbot sur la mort, ainsi que celle sur la nouvelle avec Blossom : serait-ce Mark Schultz ?

    • Présence  

      Oui, c’est bien Mark Schultz (Xenozoic tales) qui a réalisé une illustration pleine page en noir & blanc pour Blossom. J’ai également bien aimé l’humour de la dernière histoire de la Mort.

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