Vitrine de l’art de Steve Ditko

Creepy presents Steve Ditko par Steve Ditko et Archie Goodwin

1ère publication le 05/10/14- Mise à jour le 08/07/18

Un paysage intérieur tourmenté ditko

Un paysage intérieur tourmenté © Warren Publishing

AUTEUR : PRÉSENCE

Tous les scans © Warren Publishing

VO : Warren Publishing

VF : /

Ce tome regroupe les 16 récits dessinés et encrés par Steve Ditko pour l’éditeur Warren Publishing, en 1966/1967. Ces récits courts (8 pages) sont initialement parus dans Crepy 9 à 16, et Eery 3 à 10.

Tous les scénarios sont d’Archie Goodwin, sauf 1 (l’histoire intitulée « The sands that change », écrite par Clark Dimond & Terry Bisson). Toutes les histoires sont en noir & blanc, rehaussées (sauf 3) par des lavis de gris appliqués par Ditko lui-même.

Cet album est au format européen (plus grand que les comics), ce qui correspond au format magazine original des parutions Creepy et Eery. Il comprend une introduction de 5 pages écrites par Mak Evanier donnant quelques éléments de contexte, sur Steve Ditko, les raisons pour lesquelles il a travaillé dans ces magazines, et quelques observations sur ses techniques de dessins.

Le bestiaire traditionnel ditko

Le bestiaire traditionnel  © Warren Publishing

Chacune des histoires est bâtie sur le schéma d’un récit avec une chute ironique, le plus souvent baignant dans une forme de justice poétique. Il s’agit d’un format directement hérité des EC Comics (par exemple Tales from the crypt volume 1). Ainsi dans ces 16 récits, le lecteur croisera des loups garous, découvrira des récits de vengeance, de possession, de voyage astral. Il y sera question de pratiques occultes, et de démons d’autres dimensions.

Non, ce n'est pas Conan

Non, ce n’est pas Conan ! © Warren Publishing

Les protagonistes seront en butte à des pièces hantées, à des pratiques de sorcellerie destinées à ressusciter les morts. Plusieurs récits s’inscrivent directement dans le genre Sword & Sorcery, en filiation directe du Conan de Robert Erwin Howard, préfigurant l’avènement de sa transposition en comics en 1970 (à commencer par Tower of the Elephant and other stories). À l’évidence, ce qui attire le lecteur potentiel vers cet ouvrage, c’est la promesse de découvrir des histoires réalisées par Steve Ditko libéré du cadre rigide que représentent les histoires de superhéros.

Les paysages mystiques surréalistes de Docteur Strange

Les paysages mystiques surréalistes de Docteur Strange ©Marvel Comics

Né en 1927, Steve Ditko a commencé sa carrière professionnelle de dessinateur de comics en 1953. Il a co-créé Spider-Man en 1962 (38 épisodes), et Doctor Strange en 1963 (35 épisodes). Suite à une différence artistique avec Stan Lee, il a quitté Marvel pour aller travailler chez l’éditeur Charlton (Blue Beetle, Question, Captain Atom), et en même temps pour Warren Publishing (Creepy & Eery). Par la suite Steve Ditko travaillera à plusieurs reprises pour DC Comics : Hawk & Dove, The Creeper.

Il retournera travailler épisodiquement pour Marvel (refusant de redessiner Spider-Man ou Doctor Strange), reprenant une série de Jack Kirby (Machine Man), créant une nouvelle série (Speedball avec Roger Stern en 1988, ou le personnage de Squirrel Girl en 1992). Depuis 1998, il réalise des comics en auteur indépendant, vendus par correspondance.

L'intensité du ressenti intérieur

L’intensité du ressenti intérieur  © Warren Publishing

Si le lecteur est familier des histoires courtes à chute ironique, les scénarios d’Archie Goodwin ne recèleront pas beaucoup de surprises dans leur dénouement, et une utilisation superficielle du folklore des monstres classiques. La fin se sent venir assez rapidement.

Celles les plus inattendues s’inscrivent dans le genre Sword & Sorcery, du fait qu’elles soient si proches de Robert E. Howard. Dans l’introduction, Mark Evanier indique qu’Archie Goodwin avait pour habitude de concevoir ses scénarios en fonction du dessinateur affecté à l’histoire. C’est ainsi que ce recueil comprend 4 histoires impliquant des voyages dans des dimensions astrales, rappelant fortement l’univers de Doctor Strange, avec ses représentations si particulières d’une réalité entre les dimensions à base de figures géométriques (ouvertures trapézoïdales, sphères flottantes, entrelacs non figuratifs, etc.).

Un découpage moderne, une apparence parfois vieillotte

Un découpage moderne, une apparence parfois vieillotte© Warren Publishing

Le lecteur retrouve donc une partie de ce qu’il attend des idiosyncrasies de Steve Ditko dans ces histoires. Et puis de temps à autres, un passage ou une histoire s’avère plus prenant que les autres. Dans la première, cela commence avec le ressenti intérieur du personnage principal. Les phylactères d’Archie Goodwin sont copieux mais adaptés à la bande dessinée (peu de redite de ce que montre le dessin, une écriture encore un peu trop livresque).

Non, ce qui fait la différence, ce sont les expressions des visages. Un lecteur contemporain pourra juger qu’elles sont un peu exagérées, mais Ditko n’a pas son pareil pour transcrire la corruption morale et la veulerie d’une âme sur un visage, ce qui provoque une forte réaction du lecteur (une réaction entre le dégoût méprisant et le rejet hautain de supériorité morale).

 

Expressions exagérées ou expressionnistes ?

Expressions exagérées ou expressionnistes ?© Warren Publishing

Avec la deuxième histoire (« Collector’s edition »), les dessins magnifient la dimension psychologique de l’addiction du collectionneur. Ditko l’a réalisée sans lavis, et il a compensé en augmentant le niveau de détails et la représentation des textures. Dès la première page, le lecteur constate la frénésie d’accumulation du libraire, par les amoncellements de livres qu’il n’a pas eu le temps de ranger correctement.

Lors d’une simple case dans l’appartement du collectionneur, il peut admirer la décoration du cadre de la glace, le tableau abstrait sur le mur, la plante d’ornementation et le vase de décoration. Si le style de Ditko donne l’impression d’éléments représentés parfois de manière un peu simpliste, le lecteur s’immerge dans des endroits disposant de nombreux détails.

Les yeux : le portail de l'âme

Les yeux : le portail de l’âme © Warren Publishing

Mais plus encore que les arrières plans, ce sont les visages qui impliquent le lecteur dans le récit. Les protagonistes sont littéralement habités par leurs émotions au point qu’elles déforment leur visage du fait de leur intensité. Enfin, il a ajouté une case de la largeur de la page en pied de page qui atteste de l’issue fatale du récit, pour un effet des plus saisissants.

Par la suite, le lecteur retrouve ses spécificités visuelles plus ou moins concentrées en fonction des histoires. Il a également le plaisir de voir Ditko innover le temps d’un récit. Ainsi pour « The sands that change », il délaisse les lavis au profit d’un encrage plus brut et épais qui se marie à merveille avec cette histoire métaphorique sur l’acte de création que représente le dessin.

Guerrier & Sorcellerie © Warren Publishing

Guerrier & Sorcellerie © Warren Publishing

Pour « Isle of the beast », il utilise des lavis plus délayés rendant compte de l’intensité lumineuse, pour un résultat éthéré installant une ambiance onirique délicate. Ainsi d’histoire en histoire, le lecteur appréciant Ditko retrouve sa façon particulière de représenter les émotions, de conceptualiser les dimensions psychiques, de développer une ambiance paranoïaque plus ou moins intense, et de rendre palpable l’anxiété et l’angoisse. Il retrouve aussi sa façon très personnelle de représenter les individus dans l’action avec des postures parfois empruntées, pour ne pas dire forcées.

L’appréciation du lecteur pour ce tome dépendra de ce qu’il est venu chercher. Pour un lecteur souhaitant découvrir Ditko, il lira des récits à la chute téléphonée, aux dessins datés par l’utilisation de codes visuels passés de mode, mais à la reprographie irréprochable (magnifique travail de remasterisation de Dark Horse Comics). Pour le lecteur s’étant déjà intéressé aux particularités de Steve Ditko, il aura le plaisir de retrouver son style unique, bien mis en valeur dans des histoires prenant en compte ses forces narratives, avec quelques histoires sortant du lot par leur qualité d’interprétation par Steve Ditko.

Des lavis rendant compte de la luminosité © Warren Publishing

Des lavis rendant compte de la luminosité © Warren Publishing

10 comments

  • Stan FREDO  

    Sa discrétion fait que Steve Ditko reste pour beaucoup de fans de comics un inconnu et pour ceux qui connaissent ses dessins, une énigme. Stan Lee a des mots très forts et très élogieux pour Ditko dans l’interview qu’il accorde pour le remarquable magazine spécial 75 ans de Marvel Comics donné dans les comic shops. Ditko a fait bien plus pour le personnage et les aventures de Spider-man que de « désigner » le costume de Spidey et ce sont déjà les visages qu’il dessine dans cette série qui sont une grande partie de son caractère unique. Mais il y a aussi les scènes d’action etc.

  • Présence  

    J’utilise mon droit de collaborateur pour appeler de tous mes vœux la parution de ton article : mon regard n’est qu’un parmi d’autres… et je n’ai pas trouvé le courage de relire les Docteur Strange. Ça me fera très plaisir de retrouver ce personnage par les yeux d’un autre passionné.

  • Marti  

    C’est pas Jack Kirby le designer du costume de Spider-Man en fait ? Avec la célèbre anecdote que lorsque Stan Lee lui demanda de dessiné un personnage « normal » pour son identité civile, le Peter Parker de Kirby ressemblait à un athlète tout juste bon pour les JO ! Il y a d’ailleurs un contentieux entre les héritiers Kirby et Marvel pour que le King soit crédité parmi ses créateurs, je ne sais pas si ça a été réglé dans le récent deal trouvé entre les deux.

    Quelqu’un a-t-il vu le documentaire de Jonathan Ross sur Ditko sorti il y a quelques années ? Je l’ai mais je n’ai toujours pas trouvé le temps de le faire…

    • Présence  

      J’ai regardé le commentaire de Jonathan Ross sur youtube, et c’est l’un des éléments qui m’a incité à lire ce recueil.

  • Marti  

    En même temps Panini ne met pas très souvent à l’honneur les dessinateurs, les seuls qui ont eu droit à des anthologies sont Jack Kirby et John Buscema, chacun dans un Deluxe. Si le projet de film Docteur Strange se concrétise, les Intégrales ne seront pas loin. 😉

  • Tornado  

    Je serais bien étonné d’apprendre que Spiderman ait été une création de Kirby. Partout il est indiqué qu’il s’agit d’une création de Stan Lee & Steve Ditko. Absolument partout, toujours, sans exception.

    • Stan FREDO  

      Selon Lee, il s’est adressé d’abord à Kirby (comme d’habitude, serait-on tenté de dire…), mais – pour une fois – le résultat proposé par le King n’était pas ça. Probablement trop de « Va-Va-Voom » pour un héros « geek ». Lee a donc mis Ditko sur l’affaire. Il y a donc un peu d’ADN de chez Kirby, mais beaucoup de Lee/Ditko dans le produit final.

      • Marti  

        La vraie question est de savoir en fait s’il reste quoi que ce soit du Spider-Man imaginé par Kirby ou si Lee a tout jeté à la poubelle.

  • Marti  

    Oui c’est toujours marqué Stan Lee et Steve Ditko, et c’est bien pour ça que la famille Kirby réclame des comptes à Marvel ! Kirby aurait dessiné une première histoire que Lee a fait redessiner par Ditko ensuite, notamment pour les problèmes que j’ai cité dans mon message plus haut. Je vous raconte tout ça de mémoire, je n’ai pas le temps tout de suite de faire des recherches sur le sujet, j’essaierai d’y remédier demain à moins que quelqu’un plus au fait de l’affaire ne prenne le relais !

    Marti ou le type qui ouvre la boîte de Pandore et se casse sans même faire les bises.

  • Jyrille  

    Comme toujours je suis soufflé par ta capacité à décrypter le dessin et à traduire ce qu’il implique. Pour ma part je ne connais pas Ditko, mais comme Bruce, je suis épaté par les scans.

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