Futur antérieur (Earth X)

Earth X Par Jim Kruger et Alex Ross

1ère publication le 31/08/14- Mise à jour le 16/08/17

Generation X !

Génération X ! ©Marvel Comics

AUTEUR : TORNADO

VO : Marvel

VF : Semic- Panini

Non. Je ne me placerai pas du côté de ceux qui ont hurlé au chef d’œuvre et crié sur tous les toits que Earth X était une réussite tous azimuts parmi les grands événements de l’univers Marvel.

Cette uchronie qui imagine un futur possible et pessimiste de notre planète peuplée de super-héros est au départ très intéressante puisque ses auteurs, Jim Kruger et Alex Ross, déploient des efforts titanesques et autres trouvailles étonnantes afin de lier tous les éléments de la cosmogonie de l’univers Marvel en un tout mythologique cohérent et séculaire. Mais la mise en forme de l’ensemble est tout de même très laborieuse.

La folie d’Alex Ross : Toutes les couvertures forment un tout unique !

La folie d’Alex Ross : Toutes les couvertures forment un tout unique !©Marvel Comics

Ceci étant dit, j’imagine que tous les fans aveuglés sont en colère et envisagent sérieusement de me remonter les bretelles. Mais puisque nous sommes entre nous, profitons-en pour discuter de ce qui ne va pas dans cette maxi-série événementielle de 1999.

Tout d’abord il y a cette date : 1999. Nous sommes effectivement encore dans la décennie 90’s et cela se ressent fortement à la lecture. Le découpage des planches de Earth X a beau être rigoureux et linéaire, la narration souffre des symptômes de son époque, où les scénaristes de comics semblaient ne pas se soucier que l’on comprenne un traitre mot de ce qu’ils nous racontaient.

Les croquis de Maitre Ross parsèment les épisodes Earth X. Mais les planches ne sont pas de lui…

Les croquis de Maitre Ross parsèment les épisodes Earth X. Mais les planches ne sont pas de lui…©Marvel Comics

Les planches débordent ainsi de multiples soliloques et le lecteur doit batailler ferme s’il veut en déduire la source. C’est-à-dire que l’essentiel du récit est narré en voix-off. Et ce sont parfois trois à quatre personnages qui dissertent hors-champ sans que l’on sache toujours qui dit quoi, dans une relation avec l’action qui se déroule sous nos yeux effectuée par une multitude de personnages pas toujours bien identifiables, chaque héros étant présenté dans une version âgée de lui-même, et surtout dans une version différente, puisque tous les êtres humains ont muté sur cette « Planète X » !

Des soliloques, des soliloques,des soliloques...

Des soliloques, des soliloques,des soliloques…©Marvel Comics

Bref, c’est extrêmement confus et parfois très indigeste, à des années lumières des comics actuels, qui bénéficient d’un savoir-faire exceptionnel sur le terrain de la narration (et ce même si l’on trouve que « c’était mieux avant » sur la question de la richesse des histoires).

Earth X, c’est également très peu de bande-dessinée. Chaque épisode se clôture par un appendice de trois ou quatre pages de texte, accompagnées de quelques dessins ou croquis effectués par Alex Ross.

M’enfin ! Il y a quand même beaucoup de texte dans ce comicbook !

M’enfin ! Il y a quand même beaucoup de texte dans ce comicbook !©Marvel Comics

L’essentiel du scénario se situe ainsi dans ces appendices parfois très indigestes et très ampoulés. Et je ne peux pas m’empêcher de penser qu’un récit de bande-dessinée souffre d’une grande faiblesse dès qu’il s’agit de substituer le texte aux images. Car il se passe très peu de choses en dehors de ces pages de texte !!!

Dans Watchmen, Alan Moore avait également intégré des appendices à la fin de chaque épisode. Mais ils étaient placés là afin d’étoffer le récit. Ils ne lui étaient pas indispensables. Dans Earth X, c’est tout l’inverse : Le récit n’est plus intelligible si l’on fait l’impasse sur les appendices étant donné qu’il leur en est tributaire. Une sacrée différence !

Un autre exemple du travail conceptuel effectué par Alex Ross.

Un autre exemple du travail conceptuel effectué par Alex Ross.©Marvel Comics

Mais le plus gros défaut de Earth X se situe ailleurs. Exactement comme l’avait fait Kurt Busiek sur la maxi-série Avengers Forever, Jim Kruger & Alex Ross ne peuvent nous leurrer sur un point : Ils ne connaissaient pas l’issue de leur histoire lorsqu’ils ont commencé à l’imaginer et ont improvisé le déroulement des épisodes au fur et à mesure.

A l’époque de sa publication initiale sous forme de feuilleton (chaque épisode étant publié de manière distincte et chronologique en kiosque), les nombreuses incohérences ne se remarquaient peut-être pas autant. Mais en lisant l’ensemble d’une traite, le lecteur ne peut que remarquer à quel point le scénario évolue de manière laborieuse, en se contredisant sans-cesse, en accumulant les contre-sens et les changements de direction, chaque révélation devenant rapidement stérile puisqu’elle est systématiquement annulée par la suivante !

Galactus VS les Célestes. Earth X voit quand même les choses en grand !

Galactus VS les Célestes. Earth X voit quand même les choses en grand !©Marvel Comics

A l’arrivée, Earth X est un récit qui évolue constamment en ne tenant pas compte des révélations faites en amont, ou alors en les transformant à coup de justifications factices extrêmement tirées par les cheveux.Combien de personnages auront été à l’origine de la mutation de la planète ? Chaque épisode remplaçant le coupable par un nouvel intrigant dans une totale forme de mauvaise foi…

C’est d’autant plus dommage que l’architecture cosmogonique développée par les auteurs était très forte, dans laquelle l’univers Marvel puisait ses sources dans une préhistoire mythologique crédible et étonnante. On apprenait ainsi que les « Célestes » avaient créé les surhommes à dessein (à commencer par les « déviants » et les « Eternels »), afin de nourrir leurs propres intérêts sur un très long terme.

Les Eternels de Jack Kirby : La cosmogonie de l’univers Marvel est en marche !

Les Eternels de Jack Kirby : La cosmogonie de l’univers Marvel est en marche !©Marvel Comics

Une manière parfaitement cohérente (et audacieuse) de lier tous les éléments épars de la mythologie de l’univers Marvel, avec en contrepoint un projet parfaitement plausible quant à la légitimité d’un monde peuplé de super-héros, et une justification étonnement vraisemblable de la manifestation de leurs pouvoirs à l’époque des créations de Stan Lee, Jack Kirby et Steve Ditko…

Quant au dessinateur de Earth X, là aussi il me semble qu’il y a un problème. John Paul Leon possède une technique irréprochable et son trait est sûr. Mais son style graphique est plutôt destiné aux séries du label Vertigo, ou bien des polars du genre de Criminal ou Blue Estate. En revanche, il ne me parait pas du tout à sa place dans un récit à la teneur mythologique mettant en scène des super-héros aux couleurs criardes.

Le dessinateur John Paul Leon : On est chez Marvel ou chez Vertigo ?

Le dessinateur John Paul Leon : On est chez Marvel ou chez Vertigo ?©Marvel Comics

Le travail d’Alex Ross sur les couvertures originales et sur les maxi-séries Marvels et Kingdom Come (une œuvre assez proche de Earth X sur le principe, mais transposée dans l’univers DC Comics) est au diapason du sujet.

L’écart abyssal qui sépare le style de cet artiste avec celui de Leon démontre que les récits de super-héros à forte teneur mythologique ne supportent pas la demi-mesure en termes d’iconicité picturale. Et Ross est totalement à sa place dans ce registre.

La mythologie selon Alex Ross : On en redemande ! Ouahou ! Yahou ! Yaglalah !!!

La mythologie selon Alex Ross : On en redemande ! Ouahou ! Yahou ! Yaglalah !!!©Marvel Comics

Il suffit de contempler le très court mais superbe épilogue réalisé par ce dernier (qui apporte une fin poignante et magnifique à un récit pourtant tellement décousu) pour mesurer à quel point John Paul Leon n’était pas du tout à sa place dans cette maxi-série.

Son trait gras et sale n’a aucun rapport avec la mythologie, là où les figures illustrées par Alex Ross s’imposent de manière monolithique. Un parti-pris que n’auraient pas renié les artistes de la Grèce antique, qui élevaient la figure humaine au rang de représentation divine en forme de statue de marbre…

Mais la mythologie selon John Paul Leon, c’est… Comment dire… Différent ?

Mais la mythologie selon John Paul Leon, c’est… comment dire… différent ?©Marvel Comics

A l’arrivée, Earth X est une maxi-série bourrée de qualités conceptuelles et de trouvailles originales (chaque super-héros étant présenté sous un nouveau jour de manière étonnante et complètement repensée). Mais elle souffre d’une mise en forme laborieuse, maladroite et souvent très indigeste.

Le dessin des planches est effectué par un dessinateur qui n’est pas en phase avec le sujet et le texte est bien trop présent par rapport aux images. Qui plus-est, l’univers Marvel a depuis évolué et nombre de possibilités évoquées dans Earth X quant à son futur ont été invalidées dans la continuité, condamnant la série à errer dans les limbes des « elseworlds »…

Le magnifique épilogue de Earth X : 5 pages de silence et d’émotion peintes par Alex Ross…

Le magnifique épilogue de Earth X : 5 pages de silence et d’émotion peintes par Alex Ross…©Marvel Comics

Une fois n’est pas coutume : Panini Comics nous offre là une édition « omnibus » parfaite. Il n’y a aucun bonus, mais chaque épisode est bouclé sur son appendice et sa couverture originale. Le livre s’ouvre sur une introduction de Joss Whedon et se referme sur une postface de Jim Kruger.

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Earth X  : un monument de la littérature Marvel ou une uchronie bavarde et indigeste ?  Tornado passse au crible les qualités et les défauts de la mini série de Alex Ross et Jim Krueger chez Bruce Lit.

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