La revanche tardive de Matt Murdock (La chute du Caïd)

Last Rites par DG Chichester et Lee Weeks

Un album français collector !

Un album français collector !©Marvel Comics

1ère publication le 08/12/15- Mise à jour le le 29/08/17

Article de BRUCE LIT

VO : Marvel

VF : Semic

Last Rites correspond aux numéros 296 à 300 de la série Daredevil. Il s’agit de la conclusion de la saga Born Again de Frank Miller et David Mazzucchelli publiée 6 ans auparavant dans les numéros 226 à 233. 

Le scénario est signé DG Chichester, Lee Weeks est chargé des dessins et des couvertures secondé par Al Williamson à l’encrage.  Cette histoire est à situer chronologiquement juste après la fin du run d’Annie Nocenti où Matt Murdock se réconcilie enfin avec Foggy Nelson.

En France, Last Rites a été publiée par Semic sous le nom : La chute du Caïd.
Non réedité par Panini, il s’agit d’un album difficile à trouver car vendu à l’époque uniquement par correspondance (vous n’y trouverez pas de code barre). L’album reproduit à la fin les couvertures originales mais le plaisir de lecture est quelque peu gâché par un thermocollage supra-fragile (il s’agit de mon deuxième exemplaire en 20 ans) et par la traduction de Geneviève Coulomb (non créditée, mais reconnaissable entre mille par ses expressions pénibles) qui officiait déjà pour Semic avant de massacrer les intégrales Panini.

Vengeance is mine !

Vengeance is mine ! ©Marvel Comics

Voici une histoire injustement méconnue. D’abord, parce que difficile et chère à se procurer. Ensuite, parce que dans la litanie des meilleurs moments de DD, ce sont toujours les mêmes noms qui reviennent: Miller, Bendis, Nocenti ou Smith. Pourtant, cette histoire est indispensable à la continuité du justicier aveugle puisque le règlement de compte final entre le Caïd et DD s’y déroule.

On se rappelle qu’à la fin de Born Again, Matt Murdock se baladait avec sa donzelle au bras, souriant et détendu après ses épreuves. Certains y virent un signe de maturité du personnage, Matt renonçant à la vengeance voire à son existence de Super Héros. D’autres, plus classiques, attendaient avec impatience la revanche de notre ami envers celui qui avait bousillé sa vie.

Comme un air de Mazzucchelli !

Comme un air de Mazzucchelli ! ©Marvel Comics

Lorsque Chichester entame ces derniers rites, son cahier des charges est effrayant ! Il ne dispose que de 4 épisodes pour un retour au statu quo ! Il s’agit de passer derrière Miller et Mazzucchelli tout de même ! Et de raconter un match retour attendu depuis 6 ans. Et il faut aussi tenir compte du run de Nocenti qui aura mené Matt aux frontières de la mort !
Murdock doit donc: 1/ Fumer Wilson Fisk, 2/ Reconquérir Karen Page qu’il avait cocufiée, 3/ Retrouver sa licence d’avocat 4/Rester un héros malgré sa vengeance. Mazette ! Il s’agit bien d’un récit de reconquête au sens littéral comme symbolique.

De ce côté Chichester ne gruge pas, il se soustrait à toutes ces taches et bien plus ! Il convoque aussi Typhoïde Mary pour un chapitre inoubliable, Nick Fury et l’Hydra ! Peter Parker fait un caméo et il est  par contre dommage que Ben Urich, personnage secondaire indispensable de Born Again ne soit pas de la partie. Tout comme Glorianna O’Breen.

Ce qui est frappant dans cette histoire, c’est que Chichester ne se contente pas d’une baston entre le héros et le vilain. Matt Murdock commence en fait une partie d’échec aussi perverse que celle que Wilson Fisk lui imposa. L’histoire garde en fait le même schéma en commençant par une femme. Le talon d’Achille de Fisk reste en effet Vanessa Fisk qui conservait la bribe d’humanité du vilain. Celle-ci n’apparaît jamais physiquement pendant Last Rites mais hante chaque page où le Kingpin apparaît. Ce sera d’ailleurs le motif de sa chute. Alors que Karen Page précipitait celle de Murdock en révélant son secret, il y avait suffisamment d’amour et de confiance pour que celle-ci se rachète et aide le héros dans sa renaissance.

Une des grandes scènes de l'album qui n'en manque pas

Une des grandes scènes de l’album qui n’en manque pas©Marvel Comics

Pour Wilson Fisk, la chute est aussi symbolique que réelle. Il est cette masse, ce corps imposant qui écrase à la fois tout sur son passage et que personne ne peut rattraper. Lorsqu’abandonné de tous, il sombre à son tour dans la paranoïa, le lecteur a un goût amer dans la bouche. Fisk est un pauvre mec tragique, écrasé de solitude, qui a raté sa vie en voulant la gagner. Jamais Chichester ne le victimise ou n’excuse ses actes. Il le gratifie simplement de flashbacks de son enfance expliquant sa plongée dans la violence.

Alors que Fisk est humanisé, Chichester joue l’équilibriste avec Murdock. Le lecteur doit garder son empathie envers le héros qui mérite sa vengeance. Il est pourtant inquiétant par moment. En ouverture, il plaisante même avec Fisk. Hilare, il ironise sur ses recherches d’emploi et son appartement détruit. C’en est trop pour Fisk qui n’a plus de prise sur cet homme sans peur qui vient le titiller de manière perverse.
Cette perversion est d’ailleurs totalement assumée par Murdock. Pour renverser le monstre, il n’est d’autre choix que de devenir monstre à son tour. Murdock fabrique de fausses preuves, manipule sexuellement Typhoïde Mary, ment à la justice pour détruire son ennemi. Le talent de Chichester nous permet de goûter à l’ironie de la chose: pour redevenir avocat, Matt Murdock triche avec la justice.

Matt sait qu'il a dépassé les bornes (again) !

Matt sait qu’il a dépassé les bornes (again) ! ©Marvel Comics

Pour autant, le lecteur garde son capital d’empathie pour Murdock. Il s’agit d’une perversion au service du plus grand nombre, de détruire un homme pour que tous puissent vivre. A chaque étape de sa vengeance, Murdock est représenté comme parfaitement conscient des infractions qu’il commet, des barrières morales qu’il franchit et de son dégoût. Il est représenté en train de vomir après sa trahison de Mary et à la fin, alors qu’il a enfin vaincu son ennemi, il reste silencieux, immobile, grave. La fin justifiait les moyens mais Murdock est hanté par l’immoralité de ses actes.

Chichester met donc en scène une partie d’échecs impitoyable sous fond de financement d’une chaîne TV par des terroristes. A l’inverse de Miller-Mazzucchelli, il ne dispose que de 4 épisodes au lieu au lieu des 8 de Born Again. De ce fait, le rythme peut paraître parfois saccadé, l’intrigue politique incomplète et la descente aux enfers de Fisk moins éprouvante que celle du Diable rouge.  Certains artifices de narration sont aussi agaçants comme l’implication du SHIELD qui kidnappe Murdock pour le manipuler alors qu’un coup de téléphone aurait suffi. Ce passage permet néanmoins à Chichester un peu d’action super héroïque. Soit.  Matt n’enfile après tout son collant qu’en de rares occasions.

Par contre l’intrigue finale concernant John Gould, le chauffeur de taxi mort de Born Again est totalement bidon. Ainsi donc, Fisk aurait gardé pendant des années les empreintes de Murdock sur une arme de crime sans vouloir s’en servir ? Fisk ne s’en rappelle qu’au moment où il doit affronter notre héros au plus profond du trou ? C’est embarrassant. Tout comme le procès de Fisk qui ne dure qu’une page.

DD en diable grimaçant

DD en diable grimaçant ©Marvel Comics

Agréablement illustré par Lee Weeks qui synthétise les dessins de Mazzucchelli et ceux de JrJr époque Nocenti (mais qui fait montre d’une paresse surnaturelle dans la représentation du sens-radar), Last Rites reste une histoire de qualité que je lis toujours avec plaisir et qui ne cède pas à la facilité. Comme DD, Wilson Fisk mettra plusieurs années à remonter la pente et retrouver son empire (il apparaîtra ainsi dans les Xmen de Lobdell au Japon dans un épisode loupé avec Shang-Chi).

Cette chute du Caïd ne rivalise jamais avec Born Again (mais qui peut se permettre de tutoyer un tel chef d’oeuvre ? Même Frank Miller lui-même sera à la traîne pour Man without Fear !). Il n’en demeure pas moins qu’en moins de 110 pages, DG Chichester tient son lecteur en haleine et offre à ses personnages un affrontement aussi bien physique que psychologique à la hauteur de leur réputation. Il s’agit de l’affrontement du Diable représenté par Fisk (déjà dans l’iconographie de Born Again) face à un Machiavel déguisé en Démon (Matt).  Cette vengeance est âpre, froide, amère. Lorsque Fisk sanglote aux pieds du héros qui déclare lui pardonner toutes les interprétations sont possibles : pardon sincère de Matt, héros chrétien ? pulsion sadique visant à humilier Fisk ? introspection de Matt qui se pardonne à lui-même ?

Après s’être acquitté de son contrat, Chichester reviendra sur le personnage pour Fall from grace, autre moment clé de la continuité du personnage, aussi passé dans l’oubli avec le temps. Décidément !

La page controversée de l'album !

La page controversée de l’album ! ©Marvel Comics

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Et alors, quand est-ce qu’il l’a prend sa revanche contre le caïd Matt Murdock ? Parce que mine de rien, entre Born Again et La chute du Caïd, il se sera passé six ans ! L’attente fut-elle à la hauteur de l’espérance suscitée ? Last Rites de DG Chichester et Lee Weeks sous le radar de Bruce Lit.

La BO du jour : A peine moins joyeux que Matt Murdock, le métal dépressif et glacé d’Alice in Chains

54 comments

    • Bruce lit  

      Neault me semble t’il a recyclé un ancien article de UMAC. C’est toujours assez délectable et lamentable ces fautes. Surtout quand on sait que Coulomb a fait un excellent boulot pour LUG. C’est l’énigme la plus terrifiante des éditions Comics et la plus ironique. Tout le monde, Neault compris compare les bouses de Coulomb à la qualité des traductions LUG alors qu’il s’agit de la seule et unique personne.

      • Matt  

        T’en es sûr de sûr ça ? Elle n’était pas crédité à l’époque Lug. Et elle avait quel âge dis donc ? Entre les années 70 jusqu’à 2012 ou elle a quitté Panini…
        Si c’est vraiment ça…elle a du bosser sous acide en effet…
        Il y a des trucs…c’est du délire. Du pur délire de n’importe quoi.
        C’est en effet bien drôle…et bien triste en même temps.

      • Matt  

        Sinon je ne sais plus trop qui dirige ce blog. Neault n’est plus seul depuis un moment je crois, alors au final qui écrit ? On sait pas.
        Étrange de s’être isolé comme ça. Mais j’y passe toujours de temps en temps.

        • Bruce lit  

          Neault est toujours aux commandes et s’est entouré de contributeurs. LA rubrique commentaires est par contre inexistantes. C’est aussi le cas d’autres sites.

          • Jyrille  

            Je suis en train de lire le tome 2 de Daredevil par Frank Miller version Panini. Je n’ai pas le tome 1, et je ne les connaissais que en VO. Et là, Coulomb ne déconne pas trop. Mais elle a tout de même des termes sortis d’un passé que personne ne connaît !

    • Kaori  

      J’ai lu l’article, c’est hallucinant quand même…

      J’ai du mal à croire qu’elle ait réussi à faire de bonnes choses à l’époque de Lug et de telles horreurs les années d’après. Pourquoi ne pas avoir gardé la première version…
      Il va falloir que je me penche sur mes vieux comics à l’occasion…

      J’ai quelques intégrales des FF par Marvel France traduites par elle, ça explique pourquoi je n’ai jamais accroché ! Elles sont dans mon stock de comics en vente…

      • Matt  

        « Pourquoi ne pas avoir gardé la première version… »

        ça c’est des questions de droits je pense.
        La traduction n’appartient pas au traducteur mais à l’éditeur. Lug n’existant plus…il faut retraduire.
        Sans parler du fait qu’il manquait souvent des pages dans les publications Lug pour cause de censure. Donc il fallait au moins retraduire les pages inédites.

        Et ensuite…c’est Bruce qui dit que c’était elle à l’époque de Lug. Moi je me questionne…^^

        • Kaori  

          Ça vaut le coup d’enquêter tout ça.

          Merci pour les explications (logiques) concernant les traductions et les éditeurs.

          • Eddy Vanleffe  

            Seul un livre écrit par un mec du genre de Jean Marc Lainé qui aurait à cœur de faire un vrai boulot sérieux avec un minimum de recul et de bienveillance (chose que j’apprécie vraiment fort chez le ce bonhomme et rare de nos jours) pourrait m’intéresser sur le sujet…
            Mme Coulomb a arrêté de travailler dans le milieu du comics depuis plus de cinq ans et continue régulièrement de se faire démonter sur les forums, ça me fatigue à la longue…
            les articles sont tous pareils avec les mêmes exemples, c’est un peu comme Rob Liefeld, faut changer de disque …

          • Matt  

            Bah désolé Eddy, mais un travail de sagouin, ça mérite de se faire démonter. Après comme le dit l’article, c’est surtout Panini le fautif qui a laissé passer ça.
            Et quelqu’un qui découvrirait ces traductions calamiteuses de nos jours, y’a pas de raison qu’il doive fermer sa gueule sous prétexte que d’autres avant lui en ont déjà fait la critique.

            Pour moi il n’est pas question de vengeance personnelle contre Coulomb, mais j’ai pas de « pitié » non plus. C’est du travail de sagouin qui ruine 50 ans de publications, point barre.

          • Eddy Vanleffe  

            C’est pour ça Matt que je parle d’un vrai livre, qui décortiquerait la chose…
            prendrait appui sur des témoignages internes de Lug Semic et Panini.
            Ce serait intéressant à plein de points de vue, sur les coulisses de la fabrication made in France. On a a déjà exprimé les doutes quant aux
            1-directives
            2-temps imparti
            3-salaires
            4-degré de professionnalisme
            c’est plein de trous tout ça…
            et quand il y a plein de trous, je regrette je préfère rester mesuré.

            sur les fautes je n’excuse pas les fautes (accords etc..), les contresens , la censure.
            Bien sûr j’aimerais bien que tout puisse être réparé, mais honnêtement je suis abasourdi de voir encore Coulomb dans des posts de 2019… on l’a déjà dit 100 fois que c’était mauvais, ressortir un vieil article de Néault, ça tient du vice..

  • Bruce lit  

    Le teaser de Présence: 6 ans après Born again, Matt Murdock est en position pour se venger de Wilson Fisk. La vengeance est un plat qui se mange froid, et la fin justifie les moyens. Bruce a ressenti une véritable empathie pour Matt.

    Un peu de continuité Présence ?
    Donc chez Nocenti, Matt succombe aux charmes de Thyphoid Mary. Séparation d’avec Karen, brisé par Internet il quitte NY et s’exile à la campagne. Il va y affronter notamment Ultron,Pyron et Blob, Blackheart et Mephisto et des trafiquants en tous genre.
    Revenu à N’Y, il perd la mémoire et boxe sous le nom de son père. Il sort avec une fille noire dont j’ai oublié le nom et va affronter Bullseye dans un combat où chacun se prend pour l’autre.
    Il se réconcilie avec Foggy qu’il n’a plus vu depuis Born Again mais qui a involontairement défendu les intérêts de Fisk pour une histoire de produits polluants.
    Last Rites commence immédiatement après .

  • Présence  

    Merci beaucoup pour ces rappels, bien nécessaires.

    J’avoue que je n’ai pas compris le coup de brisé par Internet, serait-ce par Inferno ? Finalement, y a-t-il eu un affrontement entre Typhoid Mary et Bullseye après cette période ? Tant qu’à parler continuité, autant que je fasse mon fan de base.

  • Bruce lit  

    Brisé par Internet: voilà ce que c’est de se fier au correcteur de sa tablette ! Oh, c’est insupportable !! Oui, c’est Inferno !!
    A ma connaissance, les deux vilains ne se sont jamais affrontés. Mary n’a même pas convoqué Bullseye à la ratonnade que Matt subit. JP, tu confirmes ?

  • Nikolavitch  

    l’autocorrect, plaie du XXIe siècle.

  • JP Nguyen  

    Oui, je confirme, dans le numéro où DD se prend une rouste par Bullet, les Wild Boys et Ammo; Bullseye n’apparait qu’en hallucination.
    Et lui et Typhoid Mary ne se sont jamais mis une peignée (ils apparaissent successivement dans l’arc Hardcore de Bendis).

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