Le Comte est Bon ! (La Vengeance du Comte Skarbek)

La Vengeance du Comte Skarbek, par Sente & Rosinski

Un article de TORNADO

VF : Dargaud

De l’aventure, des pirates, des femmes et… de la peinture !
© Dargaud

Cet article portera sur l’intégrale du roman graphique LA VENGEANCE DU COMTE SKARBEK, initialement publié en deux tomes.

Nous faisons ici référence à la première version intégrale, grand format, aujourd’hui épuisée, éditée à l’origine en 2012. Car en 2018, Dargaud a publié une nouvelle intégrale, plus petite, mais « agrémentée » d’une dizaine de croquis pornos soi-disant réalisés par le peintre Paulus, le héros de l’histoire. Ces dessins, sommaires et vulgaires, placés entre deux planches ici et là au beau milieu de l’album, gâchent clairement l’intégrité de l’œuvre avec un excès de racolage manifeste.

Vous voilà prévenus !

Amateurs d’art d’art…
© Dargaud

Le pitch : St Malo, 1843. Daniel Northbrook, célèbre marchand d’art, avait promis à deux riches industriels, amateurs de peinture, l’exclusivité des toiles de Louis Paulus, jeune peintre de génie mort onze ans auparavant, et dont les tableaux valent aujourd’hui une fortune.

C’était avant que débarque un mystérieux aristocrate polonais : le Comte Skarbek. Celui-ci révèle aux deux esthètes avoir en sa possession moult toiles de Paulus, les poussant ainsi à attaquer Northbrook en justice !

Le jour du procès, un autre coup de théâtre attend le marchand d’art : le Comte Skarbek prétend être Louis Paulus en personne, jadis trompé, trahi et laissé pour mort par Northbrook ! Ce n’est que le début d’une suite de révélations, de surprises et de rebondissements qui vont s’abattre sur le lecteur…

L’artiste et son sujet…
© Dargaud

Les histoires de vengeance… En règle générale on adore ça !
Il s’agit pourtant d’un acte coupable strictement interdit par la loi ! Ainsi devrons-nous nous contenter de ces écrivains et romanciers qui surent tirer la notion de vengeance vers les plus nobles hauteurs romanesques, parvenant à faire passer la pilule dans l’œsophage du code pénal : Bien menée, justifiée, la vengeance est héroïque !

De toutes ces histoires, encore largement représentées aujourd’hui notamment au cinéma, celle du COMTE DE MONTE-CHRISTO est bien entendu la plus célèbre et la plus mémorable entant que représentante séminale sur le sujet. Et comment oublier Edmond Dantès et ne pas continuer à ressentir de l’empathie pour lui, tout aussi fictif soit-il, personnage dont l’existence a été ruinée par la vilenie d’un autre ?


LA VENGEANCE DU COMTE SKARBEK se présente non seulement comme une histoire de vengeance de très haute volée, mais en plus, elle développe en toile de fond une relecture magistrale du COMTE DE MONTE-CHRISTO, roman auquel elle fait régulièrement référence, que ce soit à travers l’île du Mont Cristobald, ou bien de ce personnage qui prend des notes au cours des procès, espérant qu’ un célèbre écrivain s’y intéresse, célèbre écrivain qui n’est autre qu’Alexandre Dumas en personne ! Ce même personnage finira d’ailleurs, à la fin de l’histoire, par proposer à un nègre d’Alexandre Dumas d’écrire un roman appelé Le Comte de l’île du Mont Cristobald !

Le scénariste Yves Sente (à qui l’on doit les reprises de THORGAL et de BLAKE & MORTIMER), en digne héritier de Jean van Hamme, nous a concocté une vengeance aux multiples rebondissements digne de son illustre modèle. La principale qualité du récit étant sa montée constante, constellée de coups de théâtre, pleine de souffle, de densité et de suspense (le pauvre lecteur qui, s’il trouvait la première moitié décevante et s’arrêtait en cours de route, passerait à côté de toutes les révélations qui l’attendent par la suite !).

Le souffle de la grande aventure !
© Dargaud

La mise en image de Grzegorz Rosinski représente bien évidemment tout le sel de ce roman graphique, dont les planches sont par ailleurs sublimées par l’édition grand format de cette version intégrale. Le créateur de <a THORGAL, qui réalise à ce stade de sa carrière ses illustrations en peinture directe, nous offre un mémorable voyage dans le temps. Du port de St Malo au Paris du milieu du XIX° siècle, des îles aux pirates aux salons des peintres romantiques, l’immersion romanesque est totale !


Par ailleurs, l’alchimie entre les deux auteurs leur offre également le luxe de hisser leur œuvre à un niveau supérieur grâce à un second sous-texte traitant du thème de la Peinture, notamment à travers la notion de trace, et par extension de souvenir (bien avant la photographie, la peinture était bel et bien le meilleur moyen d’immortaliser l’image des hommes), ce qui permet au récit de laisser planer jusqu’au bout le mystère sur l’identité du personnage principal, peintre et portraitiste. Celui-ci ayant été défiguré, le médium devient, plus que tout autre, l’incarnation de la chair par la matière, avec une mise en abîme du fait de la technique employée par Rosinski, qui pratique ici à égalité bande-dessinée et peinture.

Variations sur le même sujet : les autoportraits de Rembrandt.
Source : WIKIPEDIA

L’artiste semble ainsi se rappeler que Rembrandt puis Van Gogh et plus tard Bacon, avaient exploré bien avant lui ce rapport entre la chair et la peinture entant que matière. La série d’autoportraits de Rembrandt par exemple, réalisés tout au long de sa vie de manière chronique, montrait l’évolution de son travail de la matière de plus en plus épaisse, palpable, sinueuse et charnelle, en relation directe avec son vieillissement réel, comme si la décrépitude physique avait contaminé la peinture, la texture de cette dernière s’apparentant de plus en plus à de la viande avariée…


Pour toutes ces raisons, sa montée en puissance constante, ses multiples surprises et rebondissements, sa richesse thématique et référentielle, ses liens passionnants avec l’histoire et les arts majeurs en demeurant tout de même de la vraie bande dessinée, au sens noble du terme, LA VENGEANCE DU COMTE SKARBEK s’impose comme une réussite magistrale, qui fait honneur à l’école franco-belge dans ses fondements.
Chef d’œuvre.

St Malo, beau comme un tableau !
© Dargaud

BO : Certains la crient, d’autres la chantent…

18 comments

  • Matt  

    ça a l’air bien.
    Au début je me suis demandé ce qui t’avait poussé à lire ça. Bon je prétends pas tout savoir de toi mais à première vue comme ça…pourquoi ? Pas d’horreur, pas de fantastique, du franco belge dont tu ne parles pas souvent…pourquoi ce dyptique en particulier ?

    Mais bon j’ai compris…Rosinski de Thorgal, et le thème de l’art, ok c’est dans ses sujets de prédilection au Tornado^^

    C’est joli, ça fait envie.
    Mais là faut que j’arrête de commander des trucs à lire. J’en ai une pile pas possible…et je les lis pas. Pas le temps. Ou au final ça décourage, je sais plus par quoi commencer^^

  • Eddy Vanleffe  

    Ca a l’air génial.
    Rosinski en couleurs directes, c’est juste sublime. un thriller dans l’histoire de l’art.
    je ne peux pas m’offrir tout ça! ^^

  • Jyrille  

    Cela fait longtemps que je tourne autour de cette bd. Graphiquement déjà, elle attire l’oeil. C’est dommageable que la première intégrale soit épuisée… Je dois toujours lire le Comte de Monte Cristo. Je ne l’ai même pas, je n’ai qu’une version expurgée pour les enfants et ados.

    Les protraits de Rembrandt et les scans que tu as choisis sont splendides. Merci beaucoup pour le passage sur la peinture. Et merci pour cet article éclairant, j’en avais besoin, je sais de quoi il retourne maintenant ! Si je tombe dessus, j’aviserai.

    La BO : j’aime bien. Je connais un peu l’album, plus léger que les précédents. Son dernier est d’ailleurs très pop (et réussi je trouve). J’aime beaucoup son album pour Vanessa Paradis.

  • Présence  

    Il s’agit d’une bande dessinée que j’ai lue lors de sa parution en 2 tomes, en 2004 & 2005.

    Je me suis tout de suite reconnu dans ta phrase : le pauvre lecteur qui, s’il trouvait la première moitié décevante et s’arrêtait en cours de route, passerait à côté de toutes les révélations qui l’attendent par la suite ! J’avais en tête qu’Yves Sente est un scénariste réputé, et j’avais été déçu de ne trouver qu’une variation du Comte de Monte Cristo, même pas déguisée, beaucoup trop proche de l’originale à mon goût, dans le tome 1. Du coup, j’avais bâclé la lecture du tome 2…

    En lisant ton article, je me rends que je n’ai rien vu passer, ou plutôt que je suis passé complètement à côté, et même que ça m’est passé au-dessus : le thème de la Peinture, notamment à travers la notion de trace, et par extension de souvenir. Il va falloir que je les ressorte de l’étagère. Merci pour cet article accomplissant une fonction de passeur et de guide.

    • Tornado  

      A cette époque tu n’étais sûrement pas le lecteur chevronné que tu es devenu ! ^^
      Au delà de la plaisanterie, si j’ai écrit dans l’article cette phrase (« le pauvre lecteur qui, s’il trouvait la première moitié décevante et s’arrêtait en cours de route, passerait à côté de toutes les révélations qui l’attendent par la suite ! »), c’est que j’ai moi-même été déçu à la lecture de la 1° partie. Mais alors quel plaisir de découvrir la seconde, qui justement jouait de ce postulat pour mieux tout dynamiter et relancer le récit !

      En toute franchise je n’ai lu cette BD qu’une seule fois. mais toutes les personnes à qui je l’ai offerte ensuite m’ont raconté la même chose : Début bof (on dirait un mauvais remake du Comte de Monte Cristo), mais seconde partie éblouissante ! (et ce, sans même parler du second degré de lecture su la peinture).

  • Bruce lit  

    Bon je note ça pour une prochaine descente en librairie. J’ai dû confondre avec Le Grand Pouvoir du Chninkel que j’avais vite abandonné faute de pouvoir rentrer dans l’histoire.
    Et ce qui me fait dire que je n’ai jamais lu Monte Cristo. Voilà qui me permettrait de faire coup double. Je suis à peu près certain de pouvoir me le procurer à Aapoum.
    Merci pour le cours rapide d’art. J’ai de la peinture une approche singulièrement différente de la musique ou de la Bd : je n’y connais rien, je ne me fie qu’à me sensations avec des rudiments d’histoire de l’art.
    La BO : il me semble que c’est moi qui t’avais persuadé de donner sa chance à Biolay sur Amazon et particulièrement avec la review de cet album.

    • Tornado  

      Tu m’as fait découvrir beaucoup de choses au niveau musique. Mais Biolay je ne crois pas. J’avais déjà été interpelé, assez tôt je pense, par son tribute à Gainsbourg et pas sa participation à l’album de Henri Salvador (CHAMBRE AVEC VUE), dont je suis fan. Au départ j’ai eu du mal à cause de sa tête à claque. Mais j’ai été conquis par son talent.
      Faudrait voir nos commentaires Amazon de l’époque pour voir. J’hésite entre c’est toi / c’est moi le premier sur ce coup là… 🙂

  • Surfer  

    Merci pour la découverte 😉
    Cette BD à tout pour me plaire.

    D’abord elle s’inspire du comte de Monte Cristo qui est l’un de mes romans préféré.
    Ensuite elle évoque la peinture qui est l’un des arts qui m’émeut le plus. Je pourrai passer des heures dans un musée à contempler des tableaux.

    Par contre je me méfie toujours des BDs en peinture directe.
    Je trouve qu’avec ce procédé on perd beaucoup en dynamisme. C’est souvent beau mais souvent le mouvement en pâti !

    Dans ce cas précis , le problème ne se pose pas puisque, a priori, ce n’est pas une BD d’action. De plus on traite d’un sujet sur la peinture donc c’est complètement raccord… cela permet une parfaite immersion.

    Et puis Rosinski maîtrise bien cette technique. Dans sa BD Western, il s’en sort magistralement.

    Tu dis que le scénariste est le digne successeur de Van Hamme. C’est un sacré compliment.
    Que c’est un chef-d’œuvre… Que d’éloges;-)

    QueJe crois que cette intégrale va finir dans mon panier Amazon ou Rakuten .

  • Patrick 6  

    La classe internationale ! Merci de cette découverte, j’achète d’office !

  • Tornado  

    Merci pour les retours. Toutes les personnes à qui j’ai conseillé ou offert cette BD ont été conquis. Je ne pense pas prendre trop de risques… ^^

  • JP Nguyen  

    Tu le vends bien, dis…
    Question histoire de vengeance, je me suis refait un truc moins raffiné hier soir : le 1er John Wick !
    Tu évoquais il y a quelques temps l’effort qu’il te fallait pour lire une BD, du fait de ton souhait d’analyser en même temps fond et forme… Pour moi c’est pire, je suis atteint depuis quelques mois d’une grande fatigue mentale qui me détourne des œuvres ambitieuses.
    Lire que ça se passe à St Malo m’inspire le regret de ne pas y être passé cet été alors que je n’étais pas très loin.
    Au 19eme siècle, un de mes ancêtres a embarqué à St Malo pour partir en Indochine !
    Secret origins : j’ai un pouillème de sang breton !

    • Matt  

      Moi la fatigue mentale m’empêche d’écrire…

    • Tornado  

      Idem : J’ai été à Honfleur. je suis monté sur les collines d’où l’on voit St Malo en contre-bas, mais je n’y suis pas allé. Un jour peut-être. Un jour sûrement !

      Ces derniers temps je regarde énormément de films et je lis aussi énormément. Mais très peu de BD. C’est effectivement devenu une lecture difficile pour moi. Paradoxal pour un art du divertissement, non ?

    • Matt  

      C’est joli Saint Malo.
      J’y suis allé en 2015. J’ai fait un tour de la Bretagne, sur la côte d’émeraude (St Malo, le cap Fréhel, le fort La Latte – lieu du film les Vikings^^), et puis dans le Finistère, au Crozon, tout ça…
      Chouettes vacances.

  • Kaori  

    Ah mais c’est que tu me donnerais envie !

    Je n’ai jamais lu un seul roman d’Alexandre Dumas. Ni même regardé une adaptation du roman du Comte de Monte-Cristo… Et la lecture de romans m’endort depuis quelques mois… Contrairement à Tornado, je préfère lire des BDs… Mais parce que je ne suis pas une analyste de l’image, comme certains ^^.

    Comme Jyrille, j’aime bien l’évolution des scans de Rembrandt. Ma culture en peinture est proche du zéro absolu. J’en apprends donc tous les jours en venant ici !

    Pour Saint-Malo, j’y suis allée. J’avais été fasciné par ce fonctionnement « intra-extramuros »… Et l’intra est vraiment très chouette… Un peu trop touristique (=cher) mais bien…

    Pour Biolay, j’ai toujours aimé son côté tête à claque. Mais jamais acheté d’album encore. Je pense de plus sérieusement à combler cette lacune. Comme dit Jyrille, le dernier a l’air très sympa… J’aime bien m’écouter sa « peine », c’est chouette de l’entendre chanter et pas juste slamer. Je vais creuser un peu tout ça ^^
    Musicalement, il est au top. Il avait réussi à me faire apprécier Elodie Frégé et son « en dessous de la ceinture ». Un très bon compositeur et arrangeur. Commencerais-je à l’apprécier en tant que chanteur ? C’est bien possible…

    • Tornado  

      Oui, Biolay c’est vraiment excellent. Mais c’est très… Gainsbourg ! 😀

  • Bruce lit  

    @Kaori : LA SUPERBE est un album maîtrisé de bout en bout. Mais tu peux y aller les yeux fermés : tous ses albums sont bons. Même si j’aime un peu moins les deux derniers.

    • Tornado  

      Moi c’est les featuring avec les rappeurs qui ne passent pas…

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