Le lecteur au Paradis !

Strangers in Paradise par Terry Moore

Welcome to Delcourt

Welcome to Delcourt © Abstract Studios

Première publication le 29/08/14- Mise à jour le 03/07/17

BRUCE LIT

VO : Abstract Studios

VF : Le téméraire, Bulle Dog, Kymera, Delcourt

Cet article porte sur les deux premiers arcs de la série. La série vient d’être rééditée façon Omnibus par Delcourt pour une édition définitive avec une préface de la blogueuse Katchoo de Lesbian Geek.

Encore une série qui aura souffert des aléas des éditions françaises puisque ce ne sont pas moins de trois éditions (Le Téméraire, Bulle Dog et Kymera qui a  publié jusqu’au bout la série)  qui ont couvert les aventures de Francine et Katchoo.  Mais le jeu en valait la chandelle, deux décennies après son lancement SIP a gardé sa fraîcheur.

La série suit donc deux amies dans leurs joies, leurs chagrins d’amour, leurs mésaventures. Francine est douce , rêveuse et sa gentillesse naturelle lui joue de mauvais tours. Lorsque commence l’histoire, elle vient de se faire larguer par Freddy Femur (!) qui ne pensait qu’à son corps. C’est la dernière fois que le lecteur voit notre brune sympathique à peu près svelte. Moore mettra en scène par la suite une héroïne rondouillarde irrésistible à mille lieux des super modèles des comics.

Le Fémur se casse ! ( j'en suis fier de celle là )

Le Fémur se casse !  © Abstract Studios

Son amie, Katchoo est colérique, tourmentée et mystérieuse. C’est aussi une artiste talentueuse dont les peintures commencent à être exposées au début de la saga. Elle va tomber amoureuse de David un jeune asiatique. De là commence un triangle amoureux comme les soaps excellent à en mettre en scène. Car, on a oublié de vous le dire : Francine hétérosexuelle convaincue n’assume pas ses pulsions homosexuelles pour son amie Katchoo qui n’attend que ça.

La série sera bien sûr basée sur les atermoiements de Francine capable de franchir ou non le cap de cette homosexualité et celui du regard des autres.  Nous sommes dans les années 90 et l’homosexualité aux Etats Unis reste encore un sujet tabou.

Vos deux futures meilleures copines

Vos deux futures meilleures copines © Abstract Studios

Mais SIP, n’est pas une BD de nanas pour les nanas (sic).  C’est une série  qui trouve un équilibre unique entre un humour dévastateur, des comiques de situation irrésistibles, des moments de grandes tristesse et …d’ultra violence ! Katchoo est une criminelle repentie qui a fui un réseau de prostitution à l’influence nationale  et qui va finir par la retrouver

Voila à quoi ressemble un bon comic-book : un vecteur à la fois métaphorique et divertissant de notre réalité. Terry Moore possède un coup de crayon épatant. C’est simple : ses deux héroïnes crèvent le papier, leurs regards vous transpercent  et vous avez la sensation de les connaître depuis toujours. Dans le premier acte Moore  met en scène des comiques de situations souvent tordants histoire de vous mettre dans sa poche.  Pour le deuxième  on rigole déjà moins. Une amie de Katchoo meurt du SIDA et son passé  dramatique est révélé.

Don't fuck with Katchoo ! Jamais !

Don’t fuck with Katchoo ! Jamais ! © Abstract Studios

Il y a très peu de figures masculines dans SIP . Les méchants sont également des femmes brutales et vénales  Peu à peu l’étau se resserre pour créer un vrai suspense : comment nos amies vont t’elle s’en sortir ? Et surtout que va donner la confrontation inévitable entre la douce et naïve Francine face à de vraies assassins ?

Francine et Katchoo n’osent pas franchir le pas de leur homosexualité (nous sommes en 1993). Afin d’être sûres de ne pas être anormales, elles vivent des expériences où la normalité est franchement effrayante : conformisme, individualisme, étroitesse d’esprit, perversité des émotions, tout pousse nos amies à se réfugier l’une auprès de l’autre. Il est admirable qu’un homme ait réussit à trouver la voix intérieures de ces deux femmes subtiles. Tout comme il est admirable qu’il dépeigne David comme une homme efféminé et sensible. Et enfin, histoire de ne pas banaliser ses propos, Moore dépeint des hommes au machisme effrayant, et des femmes vaniteuses creuses.

Après les rires, en route pour le drame ! © Abstract Studios

Et Moore a un talent remarquable. Il détourne des clichés (une victime en quête de rédemption , un meurtre dans un hôpital commis par une infirmière , les adieux déchirants de deux amies main dans la main) pour les utiliser à bon escient pour son histoire. Car Moore a une histoire à raconter, c’est indubitable.

Alors que d’aucuns auraient étiré les mystères de Katchoo sur plusieurs années par petites touches, Moore lève le voile sur notre amie dès le début de la série. Il décide de faire de Katchoo une jeune femme de notre temps, drôle, cynique et artiste. Les dialogues restent savoureux avec des répliques cultes. Ma préférée : Katchoo ! c’est quoi ces cernes ? On dirait Jimmy Page !

Un volontaire pour réveiller Katchoo ?

Un volontaire pour réveiller Katchoo ? © Abstract Studios

Francine et Katchoo sont deux femmes profondes fragiles et fortes, naïves et impertinentes. Le lecteur reste à leurs côtés quoiqu’elle fassent. Et le talent graphique de Moore, son énergie et la véracité des regards de nos amies fait le reste.

Tout au long de cette saga qui durera 14 ans, Terry Moore racontera seul une histoire d’amitié profonde inoubliable. Moore trouve les voix de personnages féminins si emblématiques tant tout sonne juste, vrai, authentique. C’est un artiste complet qui aura tout au long de sa série réalisé les couvertures, les dessins, les dialogues, le scénario, le lettrage et parsemé les histoires de chansons qu’il a composées.

La méchante Darcy Parker. Non, son frère ne sappelle pas Peter !

La méchante Darcy Parker. Non, son frère ne s’appelle pas Peter ! © Abstract Studios

Alors que les Comic mettent en scène à 90% des hommes écrits par des hommes lus pars des hommes, SIP abordent avec une rare intelligence la féminité contemporaine, la sexualité tourmentée de nos héroïnes avec beaucoup de violence et d’humour. Il faut voir la justesse des regards de Francine lorsque, ne supportant plus que l’homosexualité de Katchoo soit raillée par ses collègues, elle délaisse tout, abandonne toute convenance sociale, court pieds nus dans la rue pour enlacer son amie. Celle ci la voyant en larmes ne lui demande rien, elle répond tendrement à son étreinte et pleure avec elle sans savoir pourquoi ! C’est bouleversant , c’est aussi beau que du Taniguchi et nous ramène à ce que l’être humain a de meilleur en lui : cette capacité à s’oublier totalement envers l’être aimé.

Un OVNI dans le monde de la BD qu’il n’est jamais trop tard pour découvrir.  La série est un peu longue et au moins 3 tomes sont en trop, mais la fin est magnifique. SIP c’est un peu comme le Velvet Underground. A l’origine peu de personnes ont acheté cette BD, mais tout ceux qui l’ont fait l’ont immédiatement adoré !

Dont fuck with Katchoo part 3. Never. Ever.

Dont fuck up with Katchoo. Never. Ever. Jamàs ! © Abstract Studios

—–
Les Rediffs de l’été

Strangers in Paradise est enfin réédité par Delcourt avec une Préface de Katchoo Scarlettinred . C’est l’occasion rêvée de redécouvrir une série  comparable à nulle autre. 

La BO du Jour : On rit beaucoup autant que l’on pleure dans SIP. Comme les larmes d’une étoile. 

53 comments

  • Jyrille  

    Je ne relis pas l’article puisque je viens de me payer le premier tome de la réédition. Mais la publication est bien vue, Bruce !

  • redwave  

    Jamais compris comment on pouvait aimer ces deux poufs hystériques! Dessin cartoonesque et scénario confus! Grand Bof

  • Eddy Vanleffe  

    Bon, Ben ça, C’est fait 🙂 …

  • Bruce lit  

    Après 1 an d’hésitation du fait de ma haine de la censure, je vous annonce avoir (enfin) bloqué redwave et l’autre petite merde de SM. Voilà, ils ne viendront plus nous emmerder !

    • Jyrille  

      \o/

  • Matt  

    Je me suis procuré l’intégrale de Echo du même Terry Moore. Qui sait ? Si je suis conquis par l’auteur je pourrais essayer ce comics. C’est surtout la durée de la série qui me retient un peu pour l’instant. Alors j’ai voulu commencer avec une autre série.

    • Bruce lit  

      J’ai lu tout Rachel Rising. J’en suis sorti mitigé sans….savoir si j’ai aimé ou non. C’est admirablement dessiné, il y a du suspense mais la fin est précipitée et les personnages un peu creux. Il y a cependant de très bons passages. Du coup, je n’ai pas lu Echo.

      • Matt  

        Niveau dessins en tous cas il s’est vachement amélioré par rapport aux débuts de Strangers. D’après ce que j’ai pu voir. Après je pense que son style s’affine au fil des épisodes dans Strangers quand on compare des scans du début et de la fin.
        J’ai choisi Echo parce que j’en avais entendu de bons…échos (ha ha…), et notamment sur UMAC à l’époque.

  • Matt  

    Bon j’ai lu Echo et c’était très sympa^^
    J’aime beaucoup la manière qu’à Terry Moore d’établir des relations entre les persos, avec des dialogues parfois comiques qui flirtent avec l’immobilité amusante des comic strips (un long silence, une situation gênante avec un petit regard en coin, etc.)
    L’histoire tourne autour d’une découverte scientifique tenue secrète qui pourrait avoir des applications médicales mais dont certains aimeraient faire une arme bien entendu, c’est pas forcément le concept le plus original mais ce sont vraiment les persos qui font le sel de l’histoire.

    Je n’ai pas lu « Strangers in Paradise » mais j’ai compris lors de la mention d’une certaine Darcy qu’il y a un bref caméo de 2 ou 3 pages d’une grande nana taillée comme une armoire à glace et d’une autre femme qui aurait changé de boulot depuis la mort de la fameuse Darcy. Elles filent juste un coup de main à un des protagonistes pour obtenir une info.

    Bref ça m’a donné envie de lire davantage de Terry Moore. Mais Rachel Rising n’est pas sorti en intégrale et Strangers est…super long (et cher)^^ En plus le dessin de Moore est excellent dans Echo mais on sent bien qu’au début de Strangers, c’était loin d’être aussi maitrisé.
    Ouais je cherche des excuses pour ne pas me ruiner, mais surement que je testerai un jour.

    • Bruce lit  

      Je n’ai pas lu Echo.
      SIP est réédité chez Delcourt en omnibus, je le trouve souvent en occas’ à Gibert.

    • matt  

      Je sais que tu ne l’as pas lu, on en parle juste au dessus^^ Je te faisais justement un retour.
      Pour Strangers, ouais je sais, mais c’est pas donné quand même ces éditions.

  • Matt  

    Dans le genre histoires de ragots sur l’homosexualité entre deux femmes, je viens de voir La rumeur de William Wyler avec Audrey Hepburn et Shirley MacLaine (1961)
    Ouch !
    C’était pas beau à voir dans les années 60 quand les gens t’imaginaient homo…
    Super film, très bien joué par deux grandes actrices.
    Et triste.

    • Tornado  

      Je ne l’ai jamais vu. Je vais tâcher de me trouver ça…

    • Matt  

      Bon film sur la diffamation surtout. Toujours d’actualité d’ailleurs avec tous les cons qui se harcèlent ou se dénoncent via les réseaux sociaux. Certes on accepte davantage ces choses de nos jours mais…ça dépend quand même dans quel milieu.

      Y’a pas de karaté par contre hein ^^ (je rigole)

      Je me suis fait pas mal de films avec Audrey Hepburn récemment, et par extension certains de Billy Wilder et WIlliam Wyler.
      Et aussi un Terence Young : seule dans la nuit, assez Hitchcockien, où elle joue une aveugle prise pour cible par des escrocs dangereux. tout se passe quasiment dans son appartement avec des va et vient de persos louches.
      Charade de Stanley Donen est bien sympa aussi, avec Cary Grant. Il y est aussi question d’escrocs et de manipulation.

      • Jyrille  

        Tu donnes envie Matt. Charade c’est très bien dans le genre comédie policière, en plus ça se passe en France il y a plein de clichés mais c’est marrant (j’ai dû le voir trois fois au moins). La chanson est super et avait été reprise par Fantômas, le groupe de Mike Patton avec Buzz Osborne, Dave Lombardo et Trevor Dunn.

        https://www.youtube.com/watch?v=ZkYLSfLN7Z8

      • Matt  

        Vi c’est sympa. Clichés ? Moui bon on étant dans les années 60. C’était pas encore vraiment des clichés.

        Seule dans la nuit est très sérieux. Il y a un petit côté « fenêtre sur cour » ou « le meurtre était presque parfait » avec un huis clos en appart avec une Audrey Hepburn aveugle et des sales types qui essaient de lui soutirer des infos en se faisant passer pour des gens qu’ils ne sont pas. Alan Arkin est un peu flippant dans ce film.

        Et La rumeur bah, film assez osé pour l’époque. La question de la diffamation éclipse un peu le sujet de l’homosexualité puisque c’était sans doute difficile de faire un film là dessus à l’époque, mais ça n’empêche pas qu’une des deux femmes dit ressentir une attirance pour son amie…alors qu’elle n’a jamais rien fait en ce sens et qu’elles ont été « punies » juste à cause d’une sale gosse qui a colporté de faux ragots qui ont pris des proportions absurdes. C’est super bien joué. Et alors que le film semble commencer comme une sorte de comédie romantique, ça part vite en drame…

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