Les femmes viennent de Vénus (Comment aborder les filles en soirées)

Comment aborder les filles en soirées par Fàbio Moon et Gabriel Bà

Les bienveillantes

Les bienveillantes

Une leçon de drague signée BRUCE LIT

VO : Dark Horse

VF : Urban

Tous les scans de cet article@Moon/Ba/Dark Horse/Urban

Comment aborder les filles en soirées est l’adaptation graphique par les frères Moon-Bà d’une nouvelle de Neil Gaiman (How to talk to Girls at parties) parue initialement dans le recueil : Des choses fragiles (2006).  La traduction de Patrick Marcel est, comme à son habitude, de qualité.

Contrairement à ce que l’on peut lire ça et là sur les reviews de la toile, il ne s’agit pas d’une collaboration directe entre le papa de Sandman et les auteurs de Daytripper, le scénario,  les dessins et la mise en couleur étant intégralement le fait des deux frères brésiliens.

Si les femmes viennent de Vénus, les spoilers enflammés viennent de Mars….

Nous sommes en 1977. L’Angleterre chavire sous les décibels Punk mais la voix du jeune Enn est étouffée par bien pire que la sauvagerie des Pistols ou des Stranglers : la timidité. Doté d’un physique quelconque, chaque soirée avec son ami Vic tourne au fiasco : non seulement son pote/rival est bien plus joli que lui mais il est aussi beau parleur.  Contrairement au poème de Rimbaud, le jeune homme est bien sérieux à l’aube de ses 17 ans mais aussi bien puceau (ce qui en ces années là est quand même un peu honteux…).

Incapable de trouver des sujets de conversation avec les filles, Enn passe  ses soirées à observer l’amusement des autres. Jusqu’au moment où il va tenter de faire sonner ses cordes vocales plus fort que la musique d’ambiance. Manque de pot, les 3 nanas qu’il va accoster sont aussi canons que bizarres : il ne comprend pas un mot des délires mystiques qu’elles déclament.  Se pourrait-il qu’elles viennent-littéralement- d’un autre monde ?

UIne jolie mise en page aérée au détriment d'une véritable immersion dans l'Angleterre punk de '77

Une jolie mise en page aérée au détriment d’une véritable immersion dans l’Angleterre punk de ’77

En moins de 60 pages, le lecteur reconnaît autant la patte de Gaiman que des frères Moon-Bà. C’est en fait la grande qualité et la faiblesse de ce récit : selon son humeur ou son attente face à ces pages, il appréciera d’être  en territoire connu ou, c’est mon cas, sentira poindre doucement mais invariablement le même ennui que son personnage éprouve après le premier accostage d’une jolie blonde.

Oh, bien sûr, il y a ici la même poésie Gaimanesque, des passages qui sonnent vrais notamment quand est évoqué le rapport du narrateur au Rock, au Punk, à  Bowie et Kraftwerk.  C’est toujours un plaisir de lire sur cette époque fondamentale de la musique,  dernière fulgurance sociale d’une Europe pour la dernière fois meneuse musicale avant la revanche sur le grunge de la britpop. Et Gaiman, qui donnera à son Lucifer le visage de Bowie, celui de Tori Amos au Délire,  écrira une histoire magnifique avec Alice Cooper avant d’épouser Amanda Palmer la meneuse du rock cabaret Dresden Dolls, n’est pas le dernier à savoir bien en parler.

Souvenirs de nos soirées bières-décibels-bécots

Souvenirs de nos soirées bières-décibels-bécots

Aussi empoté soit-il, il n’est pas difficile de s’identifier à Enn et à cet âge où une certaine aspiration à la pureté le dispute à la sexualité rampante. Enn, c’est forcément l’un d’entre nous à une étape de l’adolescence où toutes nos fiches mentales rédigées en cabeza  pour paraître sans disparaître  devant l’autre, se volatilisent comme neige au soleil face au sourire ravageur d’une fille qui tout à coup vous paraît si inaccessible que le monde, le votre en tout cas, semble soudain être un carrefour encombré de ralentisseurs et de feux rouges quand tout vous prédisposait à foncer. Un monde où l’on déteste l’ami qui réussit mieux que vous, sa musique de merde vers laquelle on reviendra des années plus tard l’amertume dissipée et les oreilles enfin ouvertes.

Un monde réécrit par une fertile imagination où ce qui aurait dû être dit et fait apparaît plus grand que ce qui s’est réellement passé.   C’est ce que l’on appelle l’esprit d’escalier et Gaiman en donnait une jolie définition dans Death, même si Sexton Furnival y était autrement plus déprimé que Enn.  Pour le reste, le connaisseur de Gaiman évolue dans ses obsessions habituelles : le chiffre 3 (celui des bienveillantes de Sandman) illustré par la Blonde, la Brune et la Rousse que Enn accoste.  L’articulation entre magie et réalisme.  Le mystique et le quotidien.

Sexy ou inquiétante ?

Sexy ou inquiétante ?

Seulement voilà. Tout ça on l’a déjà lu ailleurs; ces nénettes tout en Verbe qui s’incarnent dans une enveloppe physique, ces  connexions entre délire et poésie qui évoquent Délirium, encore ici incarnée en rouquine. Et les affinités des Femmes aux secrets de l’univers faisant d’elles nos muses, nos nymphes, nos déesses quand nos limites de mâles  se contenteraient d’en faire des amantes ou des servantes.

A ce titre, le dessin des frères Ba-Moon est certainement leur  travail le plus chaleureux. Loin de l’austérité antipathiques de leurs Deux Frères, leurs aquarelles et leurs sens de la composition permettent au lecteur de voyager entre les différents tableaux de l’histoire sans s’ennuyer visuellement.  On passe d’une cuisine à une verrière en passant par le salon de danse de manière harmonieuse au fil de couleurs chaudes appropriées.  Le trait à la Craig Thompson est moins torturé qu’à l’accoutumée.

Parle avec elle !

Parle avec elle !

On y trouve d’ailleurs un très sympathique clin d’oeil à la saga du Phénix Noir avec une adolescente incandescente, une histoire qui partage quelques similitudes avec les propos de Gaiman puisque Jean Grey était aussi l’hôte d’une entité cosmique se gaussant de son pouvoir sexuel sur les hommes. On sourit également lorsque Enn compare le profil d’une de ses conquêtes aux femmes de Conan le Barbare.

Pour le reste, ce gentil féminisme caché dans un conte adolescent est bien inoffensif et disons-le malgré tout le respect pour le grand Neil, vaguement démonstratif. Au delà de la poésie qu’inspire la femme et les sous textes trop appuyés (hommes et femmes ne parlent pas le même langage : les premiers sont terre à terre quand les secondes sont célestes), on est en droit de se dire : euh…oui…et ? 

Mais de quoi qu'elle me cause ?

Mais de quoi qu’elle me cause ?

Chacune des trois fées évoquent leur venue au monde, la limitation qu’impose leur incarnation de chair et le plaisir du langage (les mauvaises langues diront du verbiage). Et…?
On se rappelle déjà que Death  racontait son expérience de l’humanité à Dream en la résumant au plaisir d’avoir mangé un hot-dog. Et…?

Cette nouvelle a sa vie intrinsèque, son rythme, oui, mais Enn aurait pu rencontrer 10 gonzesses de plus à cette soirée (qui n’en est pas vraiment une d’ailleurs puisque nous sommes en pleine journée) que les propos de Gaiman n’auraient pas changé tout comme son plaisir, déjà perceptible dans Sandman, de glisser des phrases musicales et vaguement énigmatiques et surtout très gratuites dans les bulles de ses personnages.