Les Gladiateurs du Futur (Suiciders)

SUICIDERS par Lee Bermejo

Par : TORNADO

VO : DCComics

VF : Urban Comics

Il ne peut n'en rester qu'un !  © Vertigo / DC Comics

Il ne peut n’en rester qu’un !
© Vertigo / DC Comics

Cet article sera consacré à la série SUICIDERS, créée par Lee Bermejo (l’auteur de BATMAN : NOËL et le dessinateur des mini-séries JOKER, LUTHOR et BATMAN : DAMNED avec Brian Azzarello).

La première saison de SUICIDERS est entièrement réalisée par Lee Bermejo, qui officie au poste de scénariste, au dessin et à l’encrage. Seule la mise en couleur est effectuée par Matt Hollingsworth, l’un des meilleurs dans son domaine. Le premier tome regroupe les six premiers épisodes, publiés initialement en 2015.
La seconde saison est écrite par Bermejo mais illustrée par Alessandro Vitti (épisodes #1 à 5 et Gerardo Zaffino (épisode #6), sur une coloration de Matt Hollingsworth et Jordan Boyd. Lee Bermejo illustre néanmoins les quatre premières et les deux dernières planches du récit.
Ce second tome a été publié en 2016. La série est achevée au terme de ces deux saisons.

Un futur de cauchemar… © Vertigo / DC Comics

Un futur de cauchemar…
© Vertigo / DC Comics

Saison 1

Le Pitch : Dans un futur post-apocalyptique, Los Angeles a été rebaptisée New Angeles après le « Big One », l’hypothétique séisme de la faille de San Andreas ayant finalement ravagé la ville. La cité a été partiellement reconstruite mais elle est désormais séparée en deux par un mur gigantesque. Au centre vivent les riches. A l’extérieur, les pauvres tentent de survivre…
Tous les habitants se passionnent pour les Suiciders, des gladiateurs qui se livrent des combats à mort fortement médiatisés dans la gigantesque arène centrale qui domine la ville. Parmi ces combattants, le Saint est le champion absolu, car il n’a jamais été vaincu.
Le lecteur suit ainsi le parcours du Saint mais aussi du Kid, un clandestin ayant réussi à rentrer dans New Angeles et dont la puissance physique éveille rapidement l’intérêt de divers groupes influents. Plus on avance dans l’histoire, et plus les deux parcours semblent se rejoindre. Quel est donc le point commun qui unit ces deux personnages ?

 Une imagerie familière pour les amateurs de science-fiction. © Vertigo / DC Comics

Une imagerie familière pour les amateurs de science-fiction.
© Vertigo / DC Comics

ROLLERBALL (d’après William Harrison), RUNNING MAN (d’après Stephen King), SUPER BOXERS (un comic-book de Ron Wilson & John Byrne), les histoires de SF mêlant le sport à la violence et à la mort ne manquent pas. Dès le départ, Lee Bermejo fait de ce postulat le thème central de son projet et le traite avec une dimension iconique inégalée, où le mythe du gladiateur du monde antique se fond dans celui du surhomme tel que le sport de haut niveau permet de l’approcher.
Pour autant, les combats des SUICIDERS sont au final peu développés et le lecteur suit surtout les personnages dans l’envers de leur décor, pour un récit offrant la part-belle à la satyre sociale telle qu’elle était d’ailleurs à l’œuvre dans les livres et les films cités plus haut. Et à l’arrivée, ce premier arc de la série s’impose comme un récit d’anticipation dans la grande tradition du genre, où le décorum n’est finalement que le vernis derrière lequel s’étend une véritable toile de fond sociopolitique, dont les enjeux résonnent comme la caricature de notre monde bien réel.

Qu’à cela ne tienne, SUICIDERS est un récit plein de bruit et de fureur (et de violence extrême) à la portée universelle, dont le background futuriste se pare d’une patine s’aventurant aux confins du roman noir, avec une cruauté morale que ne renieraient pas Raymond Chandler et James Ellroy, deux auteurs de polars ayant justement si bien caractérisé la Cité des anges entant que réceptacle de la noirceur de l’âme humaine…
A l’arrivée, Lee Bermejo nous livre une grande histoire, évidente, à la fois convenue (le décor et les constituants du récit ont déjà été traités à maintes reprises dans le genre consacré) et imparable, qui emporte tout sur son passage.

 Le culte de la violence. © Vertigo / DC Comics

Le culte de la violence.
© Vertigo / DC Comics

L’ensemble aurait bien évidemment sombré dans la banalité s’il n’y avait pas eu deux éléments caractéristiques nivelant ces six épisodes par le haut :

– Premièrement les planches sublimes de l’auteur, dont la virtuosité réaliste et la beauté écorchée vive surnagent à des hauteurs vertigineuses au dessus du tout-venant de la bande-dessinée. On pourra être agacé par ces visages tous plus ou moins semblables (certains personnages se ressemblent comme deux gouttes d’eau mais n’est-ce pas voulu dans ce futur où les riches peuvent abuser de la chirurgie esthétique et des améliorations physiologiques, tous finissant plus ou moins par se ressembler à force d’effacer leurs défauts respectifs ?), mais dans l’ensemble le résultat est extraordinaire. Et, à ce stade, on rêve que la série perdure sous cette forme si aboutie. 

– Deuxièmement la construction du récit, qui se termine sur un twist extrêmement réussi, redistribuant toutes les cartes dans la perspective de poursuivre la série sous un angle tout à fait distinct. A ce stade, nul ne peut deviner sous quelles auspices l’histoire va se poursuivre, ni même si ce seront les mêmes personnages dont nous suivrons le destin. SUICIDERS est à l’arrivée un récit de science-fiction intense, profond juste ce qu’il faut, et un divertissement parfaitement adulte. Une très belle réussite, quoiqu’il en soit.

Saison 2

Le picth : Des années après les événements de SUICIDERS, New Angeles connait un second tremblement de terre dévastateur. La ville, ravagée, est plus que jamais livrée au chaos et à l’anarchie.
Toute une génération de jeunes désœuvrés doit survivre au sein d’une ville emmurée qu’il leur est interdit de franchir. La violence étant devenue leur quotidien, ils constituent des gangs organisés et défendent des territoires que tout le monde se dispute jusqu’à la mort, au nez et à la barbe des milices, toutes entières au service des nouveaux organismes industriels qui tentent de reconstruire la ville sans faire cas de sa population indésirable.
Trish rêve de quitter la ville en compagnie de l’homme qu’elle aime. Mais Johnny, son frère, est le chef des Kings of Hell.A.. Il n’a peur de rien et il est prêt à tout pour défendre son quartier. Il ne se doute pas que sa route va bientôt croiser Léonard, un ancien Suicider

Inutile de tourner autour du pot : Cette seconde saison est une grosse déception. Pour deux raisons en particulier :

– La première tient évidemment au fait que Lee Bermejo ne dessine que six planches sur les six épisodes de ce nouveau récit. Si les deux nouveaux dessinateurs accomplissent un travail tout à fait honorable, il convient d’admettre que l’on est à des années-lumière de ce style virtuose et iconique qui offrait ses lettres de noblesse à la première saison.

Ça commence fort avec la naissance de Trish, l’héroïne de ce nouveau récit... © Vertigo / DC Comics

Ça commence fort avec la naissance de Trish, l’héroïne de ce nouveau récit…
© Vertigo / DC Comics

– La seconde déception se joue sur le contenu de l’histoire. En effet, celle-ci n’est malheureusement pas la suite de la précédente, dont on attendait fébrilement la reprise. Il s’agit plutôt d’un spin-off se déroulant bien des années plus-tard dans le même univers, avec encore moult bouleversements.

Une fois de plus, on ne peut pas dire que l’ensemble soit mauvais. L’idée d’inverser la vapeur est très intéressante (ce sont désormais ceux qui vivent entre les murs de la cité qui rêvent de passer de l’autre côté), mais cette fois-ci le scénariste inverse également les enjeux de son écriture en mettant en avant l’action aux détriments de la toile de fond sociopolitique, qui laisse la place à une histoire nettement plus banale de lutte de gangs sur fond de décor post-apocalyptique. Le scénario de Lee Bermejo se révèle nettement moins ambitieux et, qui plus-est, se voit dédoublé de plusieurs sous-intrigues inutiles et parfois embarrassantes, comme celles avec le… vampire issu du monde de la presse.
Il y a de très bon moments, lyriques et cathartiques, tragiques comme dans la Grèce antique, ici remise au goût du jour sous la forme des ruines postmodernes de la Cité des anges. Mais on ne peut oublier l’essentiel : Ce récit est trop noir, trop pessimiste, trop glauque, trop axé sur des personnages antipathiques et surtout trop superficiel pour se hisser au niveau du précédent, lequel était porté par une puissance extrême, rendue palpable par l’osmose entre le fond et la forme, au diapason d’un concept en béton armé, reflété par les armures sanglantes de ces gladiateurs du futur, échos hypertrophiés de nos stars du showbiz qui, à ce stade, sont portés disparus de leur propre série. Ou presque.

SUICIDERS est donc une série avortée. Certes, le premier récit peut éventuellement se suffire à lui-même, tout en demeurant la promesse d’une série au long-court exceptionnelle qui ne verra jamais le jour (faut-il rappeler que l’historique éditeur Vertigo a depuis remis les clés sous la porte ?..). Certes, le second n’est pas mauvais. Mais il ne constitue nullement une suite au précédent, tout en ne bénéficiant pas de ses qualités extrêmes de conception. A l’arrivée, on referme le deuxième livre avec une déception certaine, tout en gardant l’arrière-goût malsain d’une histoire si noire, si violente et désespérée, que ce dernier élément aura pris le pas sur le plaisir de la lecture.

Un récit d’une noirceur désespérée... © Vertigo / DC Comics

Un récit d’une noirceur désespérée…
© Vertigo / DC Comics

 

——-

BO : C’est comment un futur de cauchemar ? Demander Magma pour avoir la réponse…

14 comments

  • JP Nguyen  

    J’ai acheté et lu le 1. Feuilleté et reposé le 2.
    Mon avis rejoint plutôt le tien sur la première saison même si j’ai davantage ressenti un sentiment d’inachevé.
    Dans l’interview publiée dans son artbook récemment sorti chez Urban, Bermejo évoque une saison 3 qui aurait été un prequel. Il semble bien qu’il n’ait jamais eu l’intention de raconter une longue histoire avec les protagonistes du tome 1. Autant cette approche anthologique ne me gêne pas pour des séries comme Sin City, autant pour Suiciders, je reste un peu frustré de ne jamais connaître la destinée du Saint.

    • Tornado  

      Oui, on est d’accord. Premier album fulgurant mais frustrant dans la mesure où l’on a pas de vraie suite.
      C’est un album auto-contenu néanmoins, mais c’est vrai qu’on aurait aimé une vraie prolongation à la place de ce spin-off.

  • Présence  

    Un article qui tombe bien car DC Comics/Vertigo n’avait pas été très sympa en termes d’édition pour cette série : la première saison été parue en reliure cartonne (donc plus chère) et la seconde n’avait fait l’objet d’un recueil qui comprenait les 2 saisons, c’est-à-dire qu’il fallait racheter la première histoire avec… ce que je n’ai pas fait (je suis super fier de moi : j’ai réussi à me retenir 🙂 ).

    Satyre sociale : tu en rajoutes en peu, il n’y avait pas temps de sexe que cela, qu’on puisse comparer les personnages à des satyres. Ton article met en lumière comment Lee Bermejo a su combiner une histoire d’anticipation avec un polar pour faire ressortir des caractéristiques systémiques de notre société.

    Osmose entre le fond et la forme : un critère primordial de la grille de lecture Tornado et maintenant que tu l’as écrit, je comprends mieux comment ce récit a bien fonctionné sur moi.

    Saison 2 – Grâce à ton article, je peux barrer définitivement ce récit de ma liste de lectures potentielles, sans plus éprouver aucun regret. Merci.

  • Tornado  

    Arf… Encore cette erreur de satyre/satire… Je constate que tu la relèves à chaque fois en tout cas ! 🙂

    Avec le recul, je garde en tête des passages très forts de la saison 2 (et je ne dis pas ça pour te faire regretter ton impasse). C’est vrai que le récit est moins ambitieux et nettement moins réflexif que sur la 1°. mais il est si violent et dédespéré qu’il te laisse un arrière-goût et des images tenaces dans la mémoire. C’est donc également un récit très fort, à défaut d’être remarquable.

    • Présence  

      Je ne peux pas m’empêcher de me demander à quoi peut ressembler un satyre social, c’est plus fort que moi. 🙂 En plus, c’est frustrant parce qu’il ne me vient pas d’image en tête.

  • Matt  

    ça fait aussi penser au Motorball de GUNNM cette histoire de gladiateurs et de sport extrême^^

    Pour le coup je ne pense pas m’intéresser à cette série. C’est pas trop ma came, ou du moins je préfère quand c’est intégré à un univers plus large, comme dans GUNNM justement où le motorball n’est qu’un élément de l’univers dépeint.

  • Jyrille  

    Merci Tornado, je n’avais jamais entendu parler de cette série. Ni de Super Boxeurs. Et je n’ai toujours pas vu Running Man, il va falloir ! Le Gladiateur du futur, je ne l’ai pas vu non plus, mais son affiche ne m’est pas inconnue. Ca sent bon les années 80 et Mad Max. Je suis fan de Rollerball, super film. Son remake est mauvais par contre… Je viens de revoir Demolition Man, il y a aussi cette fusion ou en tout cas un changement de nom de la mégolopole. Comme dans LES NOUVEAUX HEROS (BIG HERO 6) d’ailleurs. Quant au pitch, il rappelle aussi celui de NEW YORK 1997 de Carpenter.

    Je me rends compte que je connais peu le trait de Bermejo. Je crois que je vais relire les Hellblazer qu’il a fait avec Mike Carey (merci Présence parce que j’avais déjà oublié…). Je jetterai donc un oeil à la saison 1 si l’occasion se présente.

    La BO : encore ? ^^

  • Eddy Vanleffe  

    Ca a l’air bien sympatoche…le premier tome en tout cas^^
    J’avais bien aimé Super Boxer qui était très naïf mais récréatif et surprenant (totalement Byrne avec des femmes défigurées masquées…)
    la couv était de Scienkiewicz et ça faisait rêver dans le kiosque au milieu des autres revues…

    • Tornado  

      J’ai longtemps fantasmé sur Super Boxeurs. Comme tu le dis la couv était magique en ces anées là.
      J’ai fini par me décider et je l’ai acheté il y a deux mois. Je me suis bien installé au chaud pour lire enfin la chose, pensant que Byrne était au dessin et non au scénar… Du coup, ça m’est tombé des mains à la 5° page !
      Mais bon, je referai un essai… 😀

      • Eddy Vanleffe  

        Je ne sais pas si c’est pour toi..^^
        dis toi que c’est court et essaie d’être indulgent…
        le concept est plus intéressant que la réalisation c’est vrai, mais c’est sympa.. (j’aime me vieux TOP BD…^^)

  • Bruce lit  

    Ah, ben voilà de la Scifi qui pourrait m’intéresser. Autrefois, j’aurais appelé ça du Fantastique, la scifi étant cantonnée dans mon cerveau étroit aux aliens, à la nasa et aux insectes géants. Tu m’apprends l’existence d’une série qui aurait tout pour me plaire si ce n’est que si ça termine en eau de boudin et que en lieu et place d’une conclusion c’est spinoff et préquelle et cie, je passe.
    La BO : 17 minutes…Ceci dit, les 5 premières minutes sont chouettes. Je ne déteste pas.

    • Tornado  

      Quand je dis que tu vas finir par devenir adepte de Magma…

      Tu pourrais peut-être aimer cette série. Les personnages sont bien campés et vivent la tragédie intensément.

  • Aliénor Drake  

    J’avais beaucoup aimé le premier tome, mais j’avais un peu la flemme de lire le 2ème, tu m’en dissuades encore plus, je vais donc m’en passer, merci pour cet article utile 🙂

    • Tornado  

      C’est fait pour ça ! 😉 (pour être utile plus que pour dissuader…)

Leave a reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *