Monsieur Sinistre !

 

La fille perverse par Junji Ito

Version holograme, c'est encore plus sinistre

Version hologramme, c’est encore plus sinistre ©Tonkham

La fille perverse est un recueil de nouvelles horrifiques de Junji Ito parues dans des nouvelles mensuelles entre 1990 et 1994.

Les scans de qualité étant tout aussi cauchemardesques à trouver et les nouvelles de qualités inégales, nous n’en commenterons que 4 sur les 7 publiées.

– La fille Perverse

Une jeune femme se souvient du plaisir sadique qu’elle avait à torturer un enfant dont elle avait la garde.

Celui-ci se manifeste 20 ans après pour la demander en mariage.

Contrairement au titre de la nouvelle et du recueil, il ne s’agit ni d’un récit pornographique, encore moins érotique, tant le sexe semble absent des considérations du mangaka.

Pourtant en terme de persuasion, de sadisme et de masochisme, Ito fait très fort sur ce coup là.

En moins de 30 pages, il réussit à bâtir un récit terrifiant de méchanceté à en faire pâlir Polanski, pourtant spécialiste du genre !

Tout a commencé dans un jardin d'enfant

Tout a commencé dans un jardin d’enfant©Tonkham

Kuriko est une jeune femme bien sous tout rapport. Alors qu’elle voulait jouer au jardin d’enfant on lui colle la garde d’un petit garçon à la présence envahissante.

Pour retrouver sa liberté, elle va le martyriser de plus en plus cruellement.

Ito décrit admirablement la naissance du sadisme. Kuriko imagine des punitions auxquelles elle prend progressivement plaisir.

Et l’objet de son sadisme dont elle devait se débarrasser devient progressivement sa raison de vivre.

torturer c'est agréable !

Torturer c’est agréable !©Tonkham

Elle finit par épouser sa victime des années plus tard et a un enfant qui le portrait craché de celui qu’elle aimait torturer.

Ito montre sa parfaite connaissance de l »âme humaine et brise le tabou de la méchanceté de l’enfant.

Kuriko est déterminée et a des raisons de sombrer dans le sadisme. Comme souvent chez cet auteur, cette écriture est celle du déclic. Le moment où des personnages bons sous tous rapports deviennent des monstres.

Ito joue avec les nerfs de ses lecteurs avec une écriture particulièrement sadique où nous prévenons mentalement des innocents du danger qu’ils encourent sans que ceux-ci puissent nous entendre.

Un enchaînement impeccable pour un chef d’oeuvre du genre.

-La maison du déserteur

8 ans après la fin de la deuxième guerre mondiale, un déserteur est toujours planqué chez des amis qui le cachent dans une remise.

Ceux-ci le manipulent et lui font croire que la guerre continue en le coupant de toute source d’information. Ils demandent également à des voisins d’organiser de fausses descente de police militaire.

Quelles sont les raisons de cette cruauté envers celui qui était un ami ?

Non seulement, la réponse implacable fait froid dans le dos mais le déroulement aux frontières du réel achèvent de donner à cette nouvelle une ambiance irrespirable.

Piégé par ses amis !

Piégé par ses amis !©Tonkham

Encore une fois, la méchanceté des personnages n’est pas innée. Elle s’est construite sur des événements dramatiques fournissant le prétexte aux protagonistes de justifier leur cruauté, leurs crimes contre leur humanité.

Une nouvelle ne permet jamais le développement des personnages que le permettrait un média long format. Pour autant, Ito réussit toujours à instaurer en moins de 30 pages une ambiance, des personnalités fortes, une tension dramatique incroyable.

Pas une ligne, pas une page qui ne soit en trop et un final inattendu qui montre l’étendue du talent d’Ito à choquer son lecteur.

-Le coeur d’un père

Attention, lecture traumatisante ! 3 enfants d’un père tyrannique sont victimes de transes passagères.

Après le suicide du plus vieux de la fratrie, les deux autres s’interrogent sur l’origine des migraines et continuent d’avoir un comportement erratique.

Ils’agit à mon sens d’une oeuvre majeure d’Ito. Le père réussit de manière surnaturelle à prendre possession du corps de ses enfants pour vivre une innocence qu’il n’a pas connu.

Voici une allégorie remarquable autour de la tyrannie paternelle, de son culte au japon et bien sûr autour du viol d’un enfant.

En déplaçant  son discours sur vers le surnaturel, l’auteur titille la curiosité de son lecteur qui continue d’investiguer autour de drames épouvantables qui le feraient fuir dans la réalité.

Pour rendre tout cela supportable, il instaure, chose rare des héros sympathiques et une fin morale, preuve qu’il agit auprès de son lectorat de manière responsable.

Après un tel chef d’oeuvre, les nouvelles qui suivent sont forcément moins bonnes, moins développées même si les trames restent excellentes comme celles de la capsule enterrée.

D’anciens collégiens déterrent  20 ans après dans leur école une capsule remplie de leur souvenir d’enfance. Ce qu’ils vont y trouver va être aux antipodes de ce qu’ils se rappelaient de cette époque…

Je est un autre....

Je est un autre….©Tonkham

– Souvenirs

Une jeune femme physiquement parfaite se souvient avoir été difforme pendant son enfance. Pourquoi ses souvenirs sont flous ? Et comment son visage a t’il changé ? Une métaphore brillante sur l’identité intérieure / extérieure et de l’angoisse à son paroxysme.

Car en plus de ces tourments, comme toujours chez Ito l’individu affronte ses cauchemars sans aucune présence fiable et/ou rassurante à ses côtés.

Avec ces 7 nouvelles pas toujours égales, Ito s’affirme définitivement comme le Stephen King nippon, où les enfants n’échappent ni à la cruauté de la vie, ni à celle intrinsèque de leur nature. La violence physique est rarement représentée. La violence sexuelle jamais.

Le lecteur qui pénètre  dans cet univers doit accepter de rentrer dans un monde de cruauté psychologique aux effets jamais gratuits et aux ramifications existentielles.

Tonkham publie un belle couverture en 3 D mais qui perturbe un peu la lecture du fait de sa rigidité.

Question traduction, si la tournure littéraire de Jacques Lalloz n’atteint pas les horreurs de Panini, on lui demandera de réviser ses conjugaisons et notament ses participes… Pas moins d’une dizaine de fautes recensées pour 200 pages, ça aussi c’est cruel…

3 comments

  • Présence  

    Ton commentaire et les images font ressentir toute l’intensité de l’horreur émotionnelle et du poids écrasant de la condition humaine. Bravo !

  • Matt & Maticien  

    J’ai bien aimé la phrase sur l’objet que l’on veut détruire et qui devient une raison de vivre! Une situation paradoxale forte.

  • Mlle Prudence  

    Je suis littéralement bouleversée et à vrai dire j’ai la chair de poule ( la FIN de fille perverse…)
    C’est vrai ou pas ? ………………….

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