Another Tear In The Wall

 

Première publication le 17 juillet 2014-Mise à jour le 02 octobre 2015

Le Muret par Céline Fraipont et Pierre Bailly

En fait, tu n es qu une  autre brique sur le mur...

En fait, tu n’es qu’une autre brique sur le mur…©Casterman

VF : Casterman

Le Muret est un roman graphique publié chez Casterman.

Lorsque la mère de la jeune Rosie se barre avec un autre homme sans laisser d’adresse, le monde de cette ado de 13 ans s’écroule. Son père est dévasté de chagrin et se noie dans le travail. Rosie, fille unique elle se noie dans les larmes puis dans l’alcool et les conneries.

Le Muret raconte l’apocalypse intérieure d’une brave gamine qui, abandonnée dans tous les sens du terme, essaie de reconstruire une vie avec les faibles moyens dont dispose une mineure…

L’écriture de Céline Fraipont, jeune auteur belge, ne fait jamais dans le pathos. Rosie ne fait pas le trottoir, n’est pas retrouvée morte dans le caniveau une aiguille dans le bras, et n’est pas violée dans des squats lugubres. Sur un sujet rebattu voire clichesque, la révolte des ados face à la démission parentale, Fraipont écrit une fable délicate et pleine de tendresse.

Un père absent même quand il est là©Casterman

Rosie est souvent représentée en état de sidération face à des événements qui la dépassent. Le filtre parental n’existe plus, lorsque son père apparaît, il est dessiné sans visage et couvre celui de sa fille d’une gifle Lino Venturesque.

Rosie attire immédiatement l’empathie de son lecteur. Son langage corporel voûté, l’angoisse de son regard, sa peur la nuit seule dans une maison d’une famille qui n’existe plus, elle est le petit chat blessé que le lecteur veut recueillir et cajoler. Elle cherche du soutien auprès d’une copine qui est à mille lieux d’imaginer ce qu’elle ressent.Ou d’une jeune coiffeuse qui lui rappelle sa mère. Finalement c’est le son de la télé qui va remplacer la voix de sa famille.

La télé regarde Rosie dormir...

La télé regarde Rosie dormir…©Casterman

Un soir de trop, la gamine tombe sur la bouteille de Whisky de son père. Très vite elle y trouve ce qui lui manquait : une présence rassurante de la bouteille en guise de figure paternelle et la chaleur que procure l’alcool comme substitut maternel. Impossible à ce moment de ne pas penser à la chanson culte de JJ Burnel Le Whisky : seul avec mon cafard / j ai le moral qui se barre/ dans le whisky bar.

Le talent de Fraipont est de réussir à trouver l’équilibre entre la renonciation déterminée de Rosie à la normalité, sans en faire ni une salope ni une victime. Elle néglige ses études, tombe amoureuse d’un jeune punk ce qui donne lieu à d’adorables séquences : l’initiation à la musique de The Cure où Rosie écoute en silence le spleen de Robert Smith en espérant y trouver un remède ( A Cure)  à son mal de vivre. Elle va découvrir la colle, le shit, va voler dans un super marché et s’évanouir à un concert Skinhead. Mais elle découvre aussi l’amour, le bonheur de se sentir une avec l’autre.

Et la fin douce amère la voit accepter avec une froide détermination ce qu’elle est devenue. A cela, ľ auteure ajoute d’authentiques moments de grâce qui parleront à tous les apprentis rockers des 80’s. La découverte et l’écoute religieuse ďun album rock, les discobus passant dans les quartiers avec les derniers imports Outre atlantique. Et enfin, les troquets de bled paumés, complètement merdiques avec des baby foot désintégrés et des jeux vidéos tout pourris. Ma séquence préférée voit une vieille bartender dire à notre jeune amie : t’as rien de mieux à faire un samedi que de venir ennuyer dans mon bistrot pourri ?

 De très belles séquences muettes

De très belles séquences muettes©Casterman

Le dessin de Bailly n’est pas en reste. Son travail à la plume évoque clairement le comics indépendant façon Graig Thompson et son Blankets. Bailly alterne des planches au trait allégé pour des séquences plus optimistes à de larges aplats de noirs où Rosie se confond avec les ténèbres. Comme Thompson, Bailly traduit remarquablement ľattirance des corps en rendant le tout sensuel mais pas racoleur. Et excelle aussi au rendu des reproductions ďalbum Punk Rock. Son découpage peut rappeler celui de Chester Brown.

Au final, voilà une histoire qui donne furieusement envie de faire le mur, avec son héroïne paumée mais jamais pathétique. Avec son écriture pleine de délicatesse, Le Muret alterne une voix of crédible où notre jeune femme ne sonne pas comme une attardée avec de longues séquences silencieuses où langages et pensées s’éclipsent au profit émotions intérieures bouleversantes que le dessin de Bailly retranscrit avec brio. Et si le rap n’est pas la tasse de thé de la maison, impossible par moment de ne pas penser à la chanson de NTM : Laisse pas traîner ton fils/ si tu ne veux pas qu’il glisse…

Whole Lotta Rosie !

Whole Lotta Rosie !©Casterman

5 comments

  • Mlle Prudence  

    J’ai eu beaucoup de plaisir à lire.
    On sent la mélancolie et la détresse de cette enfadolescente transparaitre dans l’encre.
    On a envie de l’aider de la câliner…….
    Petit découverte du punk pour moi : )
    Merci …!

  • jyrille  

    Très belle chro. Je ne connais pas du tout, j’ai bien envie. Le trait semble également se rapprocher de celui de Bastien Vivès.

  • Présence  

    Un commentaire très intéressant qui prouve encore une fois qu’il est possible de tout raconter en BD, de parler de tout, qu’il s’agit d’un médium comme un autre.

  • xabaris  

    Voici un BD qui ne m’aurait pas intéressé au premier abord. Pas parce que des choses plus « sérieuses » ne m’intéressent pas, loin de la.

    C’est plutôt que dans le vaste univers des histoires illustré il y a tellement à lire que je n’aime pas prendre le risque.

    C’est pour cela que http://www.brucetringale.com fut inventé, pour me permettre de découvrir des BD comme l’Enragé que jamais je n’aurais pris le risque d’acheter!

    Merci à Bruce et a la team!

  • Lone Sloane  

    Salut Bruce,
    Lu ce wek-end et tout à fait convaincu par ce traitement à l’encre empathique d’une adolescence en marge. C’est ton article qui m’avait convaincu d’entreprendre ce voyage avec ces auteurs que mes enfants et moi connaissions sous un jour plus coloré et fantaisiste, une des plus sympathiques entrées dans le monde merveilleux du 9ème art que je puisse conseiller:
    http://www.petitpoilu.com/auteurs.php

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