Atlas du geek cultivé

Planetary Tome 1 à 5 par Warren Ellis et John Casssaday

AUTEUR : TORNADO

Première publication le 22/04/14. Mise à jour le 08/02/17

Editeur VO : Image Wildstorm

Editeur VF : Semic (tome 1 & 2), Panini (tomes suivants) – (épuisé)- Urban

Planetary, la série kaleïdoscope !

Planetary, la série kaleïdoscope ! ©Urban Comics

 Planetary est publié à partir de 1998. Il s’agit d’une série issue de l’univers Wildstorm. Je propose un article distinct pour le recueil regroupant les trois one-shot ( Planetary : D’un monde à l’autre). Ecrite par le scénariste Warren Ellis et dessinée par John Cassaday, elle se déroule dans le même univers et dans la même continuité que la série The Authority (une autre série phare écrite par Ellis) avec laquelle elle entretient quelques liens.

Il n’est pas nécessaire d’avoir lu The Authority pour apprécier Planetary, mais c’est recommandé si l’on veut en saisir toute la portée. La série comprend 27 épisodes et trois one-shot d’une cinquantaine de pages. Elle a connu beaucoup de retard sur son dénouement et s’est achevée en 2009… L’ensemble a entièrement été publié en VF, mais en deux temps : L’éditeur Semic a proposé les douze premiers épisodes en deux tomes. Panini Comics a publié la suite, avec trois tomes pour boucler la série, et un tome bonus pour regrouper les trois one-shot.

Planetary, une série couillue !

Planetary, une série couillue ! ©Urban Comics

Tous ces recueils sont aujourd’hui épuisés et vendus à prix d’or. Il faut espérer que l’éditeur Urban Comics, qui détient aujourd’hui les droits de la série, réédite l’ensemble sous la forme d’une belle collection dont il a le secret…

Dès le début de Planetary, le lecteur est invité à suivre le parcours d’un trio d’êtres aux pouvoirs étranges : Jakita Wagner, femme austère et indépendante, à la force et à la vitesse surhumaine ; Elijah Snow, personnage centenaire en partie amnésique, capable de manipuler la température ; et enfin le Batteur, sorte de geek qui tape tout le temps sur une batterie imaginaire. Ce dernier possède le pouvoir de communiquer avec les machines. Ensemble, ils forment l’équipe appelée Planetary, dont la mission consiste à répertorier tout ce qu’il y a d’étrange dans le monde.

Planetary : Une série Pulp !

Planetary : Une série Pulp ! ©Urban Comics

En réalisant cette série, Warren Ellis nous offre un condensé mythologique à plusieurs niveaux de lectures : Il y a tout d’abord une exploration mythologique de l’univers partagé Wildstorm (l’éditeur de la série), puisque les découvertes de l’équipe font le lien, comme on l’a dit plus haut, avec The Authority. C’est déjà en soi une réussite puisque le scénariste donne de l’épaisseur à cet univers en lui apportant une véritable archéologie, un squelette, une histoire et une structure.

Il y a ensuite une rétrospective de tout ce qui a nourri l’imaginaire des amateurs d’univers fantastiques et science-fictionnels au cours du siècle dernier : les romans d’aventure, les pulps, les comics de super-héros, les films de monstres, les histoires de fantômes. Selon sa sensibilité et sa culture personnelle, le lecteur est ainsi invité à reconnaître un nombre incalculable de références.

Zorro est arrivé : On commence la débauche de références !

Zorro est arrivé : On commence la débauche de références ! ©Urban Comics

Pour ma part, dans le tome 1, les monstres japonais du passage de « l’Île zéro » ne m’ont pas échappés et j’ai fait un sans faute ! Dans l’ordre : Mothra, Gidrah, Godzilla et Rodan !
Dans le tome 2, ce sont cette fois les films d’anticipation des années 50 (en particulier Des monstres attaquent la ville), les comics de l’âge d’or des super-héros (Superman, Green Lantern et Wonder Woman) et leurs successeurs modernes, naturalistes et désabusés (Hellblazer John Constantine ou encore… Transmetropolitan – soit une autre série en partie écrite par Warren Ellis, ainsi que l’une de ses plus célèbres créations !).
Dans le tome 3, c’est au tour de Frankenstein, Sherlock Holmes, Dracula, Les Fantastic Four (ainsi qu’une allusion à Thor),les films d’arts martiaux chinois (plus exactement ceux du « Wuxiapian », avec un hommage appuyé au réalisateur Tsui Hark), Tarzan et Jules Verne…

 Et ça continue avec Mothra, la mite géante préhistorique…


Et ça continue avec Mothra, la mite géante préhistorique… ©Urban Comics

Les récits fondateurs de la littérature d’évasion, de la science-fiction, des comics de super-héros et du cinéma fantastique continuent de défiler sous la forme d’avatars parfois identiques, parfois légèrement déguisés, constituant la mise en abîme narrative tissée par le scénariste. A partir du tome 4, La série entame sa conclusion et prend un chemin un peu différent, cessant d’entremêler divers épisodes distincts, pour se focaliser sur l’intrigue principale tout en se rapprochant de son dénouement.

La succession de références à l’histoire de la littérature d’évasion et de science-fiction s’efface alors pour laisser la place au vif du sujet (bien qu’il y ait tout de même le superbe hommage à Galactus).  Il y a enfin une véritable autopsie du comicbook dans le comicbook, car dans la forme de son récit, Ellis fait écho à l’histoire des comics, en explore l’essence afin d’en exposer le florilège. L’âge d’or, l’âge d’argent, l’ère moderne, toutes les époques distinctes de l’histoire du médium se rejoignent pour se marier dans ce qu’il est coutume d’appeler aujourd’hui « l’acte postmoderne » (ou encore l’âge baroque des comics).

…et Godzilla, le plus grand des Caïju (les monstres japonais) !

et Godzilla, le plus grand des Caïju (les monstres japonais) ! ©Urban Comics

Les références relevées plus haut participent donc tout autant d’une déclaration d’amour à un genre littéraire (le fantastique et la science-fiction) que d’une mise en abîme du médium comicbook avec son Histoire et ses racines. Warren Ellis en profite d’ailleurs pour explorer tout un pan de l’Histoire réelle correspondante, notamment à travers la « Guerre froide » ou la création des premières fusées et des premières expériences spatiales de l’humanité.

Au fil des tomes, les épisodes se révèlent de plus en plus denses et demandent une attention particulière afin d’y repérer toute la profondeur du méta-commentaire. A partir du tome 4, notamment, Il est clair que nous ne sommes plus du tout dans une lecture purement divertissante. Nous voilà au contraire plongés dans une expérimentation séquentielle qui requiert un sérieux éveil des neurones. Je me suis malgré tout senti en phase avec cette expérience. L’épisode 21, dans lequel Elijah Snow réalise un trip hallucinatoire, m’a particulièrement envoûté.
Non pas par rapport au fait qu’Ellis utilise le thème des drogues, dimension qui ne m’intéresse absolument pas, mais parce que les méandres métaphysiques de la mort tels qu’ils sont évoqués correspondent tout particulièrement à ma propre vision de la chose, loin des habituelles propositions théologiques et monothéistes. Plus loin encore, le scénariste tente de donner de la substance scientifique au concept du « multivers ». De la même façon, il nous emmène dans une trame scénaristique qui demande une solide attention intellectuelle, dans laquelle la science et l’imagination se mêlent d’une manière vertigineuse.

Cette fois, c’est le sosie de Doc Savage qui s’y colle !

Cette fois, c’est le sosie de Doc Savage qui s’y colle ! ©Urban Comics

Il s’agit donc d’une œuvre qui exige un bel effort intellectuel de la part du lecteur. Mais la récompense tombe à un double niveau lorsque l’on ressort plus cultivé qu’on ne l’était avant sa lecture et que l’on constate à quel point le scénario est d’une virtuosité incroyable alors que toutes les pistes abordées retombent proprement sur leurs pieds. Car cette densité exceptionnelle s’accompagne également d’une réussite formelle à la hauteur de sa vertigineuse profondeur.

L’histoire que nous raconte Warren Ellis, au départ fragmentée sous la forme d’une succession d’épisodes distincts mais finissant par former un tout cohérent, profite de tout le talent narratif de notre scénariste, capable de donner vie à des personnages fascinants qui ne ressemblent à rien de connu ; d’aligner des pages de dialogues passionnants, d’imaginer des séquences science-fictionnelles inédites, et d’inverser la pression en détournant systématiquement ses icônes.

… Et pour terminer, un superbe hommage à Galactus !

… Et pour terminer, un superbe hommage à Galactus ! ©Urban Comics

C’est-à-dire que son florilège mythologique n’est jamais réduit à de la simple récupération : La moindre icone est détournée. Le moindre cliché est inversé, transformé, enrichi. Deux bémols, cependant :
1) Il semble, à partir du tome 4, qu’Ellis n’avait pas tout prévu dès le départ et que le récit infléchisse vers une direction bien différente des débuts de la série, autant dans la forme que dans le fond. Je pense qu’arrivée à ce stade de la lecture, n’importe quelle personne s’amusant à relire les tout premiers épisodes se dirait que tout cela n’a vraiment plus rien à voir !
2) La série trouve une conclusion en dents de scie. Le moins que je puisse dire, c’est que j’ai été très déçu sur ce point là. Le climax est effectivement très convenu, manichéen et sans le moindre suspense. J’avais espéré un dénouement haletant, où j’aurais tremblé pour mes héros. Et puis non… Toute l’originalité formelle du début de la série, avec l’enchevêtrement d’épisodes distincts à la fois dans le temps et dans l’espace, a complètement disparu au détriment d’une banale linéarité, qui aboutit à une résolution totalement prévisible.

Par ailleurs, Warren Ellis s’enferme encore davantage dans ses errances et nous assomme de ses explications métaphysico-science-fictionnelles qui, si elles étaient souvent passionnantes dans les segments précédents, deviennent quasiment insupportables lorsqu’elles composent 90% de certains épisodes vers la fin. En réalité, ça me le fait toujours : Dès lors qu’une série est brillante, je m’attends à un final pharaonique. Partant de là, il est inévitable que la déception s’installe.

De la science-fiction au conceptuel...

De la science-fiction au conceptuel… ©Urban Comics

Toutefois, je ne peux pas dire que j’ai détesté la conclusion de Planetary. Premièrement, le scénario ne nous fait pas le coup de l’oubli et s’emploie à résoudre absolument toutes les questions restées en suspens dans les épisodes précédents. Mais surtout, le plaisir est arrivé là où je ne l’attendais pas forcément, car en lieu et place d’un climax à la hauteur de mes espérances, Ellis a soigné au maximum l’exposition de ses personnages, parvenant à faire passer toute une série d’émotions, en finesse. L’épisode épilogue a réussi à me procurer un déluge de frissons, sauvant complètement le naufrage d’une fin ratée… En définitive, alors que l’essentiel du dénouement était déjà passé, j’ai trouvé dans l’épilogue tout le suspense, l’émotion et la surprise que j’espérais.

Les dessins de John Cassaday sont excellents. L’élégance de son trait, éclatante sur les premiers épisodes, devient un peu plus quelconque dans le second recueil, tandis qu’il montre des signes de fatigue sur la succession des plans et le détail des décors. Mais les dessins reprennent du poil de la bête et retrouvent toute leur superbe à partir du tome 3. Dans l’ensemble, le bonhomme réalise tout de même un superbe travail et surtout, il parvient à donner corps aux délires parfois abstraits de son scénariste avec une simplicité extrême. Et ça, ça n’a pas dû être facile !

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Planetary : Ou les archives de la littérature pour geeks ! ©Urban Comics

Planetary, autopsie des récits d’évasion, est une odyssée qui, tout en déroulant sa propre trame, cherche perpétuellement son inspiration à travers ses racines. Une véritable idée de génie et un incroyable travail de titans, en somme.
La série se déroule en enchaînant les pièces du puzzle. Passé et présent, Histoire et fiction s’entremêlent dans un dispositif narratif incroyablement virtuose, qui apporte peu à peu au lecteur les pièces manquantes afin qu’il puisse embrasser la chronique conceptuelle que développe l’auteur. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser face à une telle avalanche de références, Ellis délivre l’une des créations les plus originales et singulières de toute l’histoire des comics.

Ça vaut ce que ça vaut, mais de mon humble avis, et malgré les deux bémols exposés plus haut, Warren Ellis rivalise ici avec Alan Moore sur le terrain de ses meilleurs travaux. Soit l’une des plus brillantes séries qu’il m’ait été donné de lire, tous genres confondus.
Alors que je me dis que Planetary, dans sa qualité ultime et ses thèmes, est à ranger à côté des œuvres d’Alan Moore de la même époque (Tom Strong, Top 10, La ligue des gentlemen extraordinaires), je prends conscience qu’il fut là une époque d’exception pour les comics qui vivaient ce que l’on appelle aujourd’hui l’âge baroque (des comics qui parlent de comics !). Allez chercher, aujourd’hui, une telle originalité, une telle exigence scénaristique et une telle profondeur thématique : Il n’en existe plus ! Et c’est bien dommage…

Planetary : Une véritable série-puzzle…

Planetary : Une véritable série-puzzle… ©Urban Comics

23 comments

  • Tornado  

    Oui, le message parait assez clair. Planetary représente un moment dans l’histoire des comics où il se passe vraiment quelque chose. Et où l’on désire passer à autre chose.
    L’un des thèmes principaux de la série est celui de l’héritage. Et il semblerait qu’au bout du compte cet héritage soit dépassé.
    Hélas, cette courte période de l’âge baroque des comics est déjà derrière nous, quand bien même les Fantastic Four ont disparu pour de vrai…

    • JP Nguyen  

      L’ironie de tout ça, c’est que dans les années 2000, c’est finalement la licence Avengers qui a pris trop de place dans le mainstream, pas les FF.
      Dans un monde post 11 septembre, les super – soldats séduisent davantage que les explorateurs.

      • Matt  

        Surement pour ça que j’ai pas percuté. Les FF ne semblent plus attirer les foules depuis un moment donc je n’ai pas fait le lien avec l’incarnation des comics mainstream.

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