C’est comme ça que font les gentils. Ils essaient. Ils ne laissent pas tomber (La route)

Un article de PRESENCE

VF : Dargaud

1ère publication le 14/06/24 – MAJ le 01/09/24

Aller de l’avant © Dargaud  

Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il s’agit d’une adaptation en bande dessinée, du roman La route, paru en 2006, de l’écrivain Cormac McCarthy. Sa parution originale date de 2024. Il a été réalisé par Manu Larcenet pour l’adaptation en scénario et les dessins, et pour la mise en couleurs. Il compte cent cinquante-deux pages de bande dessinée. L’auteur a déjà réalisé une adaptation précédemment : Le Rapport de Brodeck (2 tomes) en 2015 & 2016, du roman de Philippe Claudel. Il est également présent sur le site avec Bill Baroud (1988-2002, 4 tomes), Le retour à la terre (2002-2019, 6 tomes), Blast (2009-2014, 4 tomes, Thérapie de groupe (2020-2022, 3 tomes).

Des nuages chargés de cendres, de particules qui tourbillonnent sans fin, qui vont en s’épaississant, jusqu’à saturer l’air. Sous une toile tendue pour faire un abri de fortune, Père et Fils dorment, sous plusieurs couches de vêtements. Père se lève et s’éloigne un peu jusqu’à un promontoire. Il porte les jumelles à ses yeux et regarde : des paysages désolés, des constructions délabrées s’effondrant progressivement, des arbres décharnés sans feuilles, des immeubles massifs sans aucune lumière, la route qui s’étend vide, dans le lointain un pont métallique. Il retourne au campement de fortune : Fils s’est réveillé et l’attend. Ensemble, ils enlèvent la toile et la plie, et récupèrent les piquets qu’ils chargent dans leur caddie. Ils reprennent la route, en silence, père poussant le caddie devant lui. À un moment, il fait le constat en deux phrases brèves qu’ils ne pourront pas survivre à un autre hiver par ici, il faut continuer vers le sud. Le fils répond laconiquement en deux mots : D’accord alors… Et ils continuent de marcher, les cendres et les particules continuant de voleter dans l’air. Ils atteignent le pont à hauban et le franchissent, toujours sans un mot. D’autres arbres décharnés, une côte à monter qui coupe le souffle à Père qui doit faire une pause.

Asphyxiant © Dargaud 

Fils demande s’il peut regarder, en désignant les jumelles ce que père accepte. Fils regarde alentour, et Père demande ce qu’il voit. La réponse est fonctionnelle : Rien, il va pleuvoir, c’est tout. Père ajoute que ça va encore faire une boue bien collante avec la cendre. Ils reprennent leur marche sur la route. La pluie commence à tomber assez drue. Père indique que c’est fichu pour aujourd’hui et il va faire nuit. Ils vont aller chercher un abri en forêt. Ils trouvent un endroit abrité, sous une avancée rocheuse, et ils s’installent. Père reprend les jumelles pour observer alentour : pas de feu, on dirait qu’il n’y a personne, c’est bon, Fils peut allumer un feu. Ce dernier prend la boîte d’allumettes et s’exécute. Il allume une petite lampe à pétrole, ils attendent en silence. Le lendemain, la luminosité a un peu changé : moins grise, avec une nuance verdâtre. Ils reprennent la route. Fils a repéré une station-service. Un drapeau à damier flotte encore au vent. Père décide qu’ils devraient aller voir. Ils fouillent méthodiquement le site : chaque recoin, chaque tiroir, chaque placard, chaque étagère. Il n’y a rien d’intéressant, le lieu a déjà été fouillé. Par acquis de conscience ou par réflexe, mais sans espoir, Père décroche le combiné téléphonique. Puis il découvre un bidon avec quelques gouttes d’essence.

Un défi peu raisonnable, relevé par un bédéiste hors norme au vu de sa bibliographie. Une démarche affichée : raconter ce roman en images, avec le moins de mots possible. De fait, la narration visuelle semble de prime abord très simple et même très terre à terre. Des nuages de cendres, et hop ! deux pages de remplies. Un type qui se réveille et qui regarde à la jumelle. Père & Fils qui se mettent à marcher dans un environnement mangé par l’air chargé en particule qui ne permet pas de voir bien loi, et hop ! des fonds de case en ombre chinoise, pour une première séquence de cinq pages presque sans un mot. Le lecteur éprouve rapidement la sensation d’un monde silencieux, ce qui induit un vrai effort de la part des personnages pour parler, briser le silence. Il peut compter trente-quatre pages sans aucun mot, tout en ayant l’impression qu’il y en ait beaucoup plus. Ce choix narratif lui donne l’impression de se trouver aux côtés des deux principaux personnages et de regarder avec eux ce qui les entoure. Il scrute avec eux chaque centimètre carré de la station-service pour ne pas rater quelque chose qui pourrait être récupéré. Il observe avec la même inquiétude les silhouettes indistinctes et assez massives au loin, prêt à aller se planquer fissa lui aussi. Il reprend la route en poussant son chariot devant lui, par automatise, sans plus penser à autre chose.

Fouille systématique © Dargaud    

Dès la couverture, le lecteur est frappé par l’investissement de l’artiste pour donner à voir, pour représenter, pour faire exister ces lieux, le quotidien concret de Père et de Fils. Il peut voir chaque pli des vêtements, leur épaisseur lui donnant une indication du nombre de couches superposées, hypothèse confirmée quand ils en viennent à se baigner. Il prend la mesure du chargement du caddie, avec tous ces paquets soigneusement emballés, certainement également de plusieurs couches pour être certain que leur contenu ne soit ni endommagé, ni altéré. Il se retrouve littéralement projeté à leurs côtés en voyant ce qu’ils voient, en vision subjective, découvrant en temps réel un lieu par leurs yeux : en fonction des lieux, des bâtiments délabrés, des cadavres en état de décomposition avancée avec tout juste la peau sur les os, des restes calcinés d’ossements humains, des cadavres encore attachés ou des membres tranchés. L’imagination du lecteur tourne alors à plein régime, quant aux circonstances dans lesquelles des êtres humains ont pu infliger de tels traitements à d’autres êtres humains, puis dans un second temps quant aux conséquences sur le moral et l’état d’esprit de Père et de Fils. Le même mécanisme intellectuel se produit quand les deux voyageurs découvrent un abri enterré en parfait état, et que leurs regards parcourent les étagères chargées de tout ce qu’il faut pour survivre, à commencer par la nourriture. Il ressent physiquement le contentement qui vient avec les six premières cases de la page cent-trois : une ampoule qui brille, une goutte d’eau qui finit de se former à l’extrémité d’un robinet, des gélules de médicament en parfait été dans leur plaquette, une canette de soda qui vient d’être bue, un plat de coquillettes chacun, de l’eau à volonté pour tous les usages.

La narration visuelle génère une immersion d’une rare qualité. Le lecteur peut se dire que telle case lui fait penser à André Franquin (1924-1997) période Idées noires (1977-1983), que telle autre évoque (merci Bruce d’avoir pointé du doigt les deux références suivantes) le célèbre tableau Christina’s World (1948) d’Andrew Wyeth (1917-2009), ou qu’il y a du Francisco de Goya (1746-1828) dans certains cadavres, une touche de Gustave Doré (1832-1883) par-ci, une touche d’Albrecht Dürer (1471-1528) par-là, etc. Autant d’influences plausibles, pleinement assimilées par l’artiste qui les a faites siennes consciemment ou inconsciemment pour les mettre à profit dans un tout personnel. Il joue admirablement bien avec les couleurs : le lecteur sort de ce tome persuadé que les pages sont en noir & blanc avec des nuances de gris à une ou deux exceptions près. Un feuilletage a posteriori met en évidence des ambiances discrètement différentes d’une séquence en l’autre, par l’usage d’une teinte très effacée. Le lecteur se fait l’observation que les pages sont variées, alors que pourtant la marche sur la route revient très régulièrement. Il voit que l’artiste utilise des cases sagement alignées en bande, avec un nombre variable en fonction de ce qui est raconté, pouvant aller d’un dessin en pleine pages, à treize cases dans une seule page. Il observe également que le dessinateur joue sur le niveau de détail : de descriptions très précises, à de simples ombres chinoises, de bâtiments avec chaque débris apparent, chaque poutrelle, chaque plateau, à de simples silhouettes en ombre chinoise pouvant évoquer les meilleurs dessinateurs de strips britanniques comme Jim Holdaway (1927-1970) dans MODESTY BLAISE.

Jusqu’à la dernière goutte © Dargaud  

Le lecteur est donc de tout cœur avec ces deux personnages, dans un récit linéaire et simple : ils vont de l’avant vers le Sud en essayant d’atteindre l’océan. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut y voir un conte. L’auteur prend grand soin de représenter la désintégration progressive du monde : les immeubles qui s’effondrent, les véhicules abandonnés et immobiles, les ressources quasi inexistantes, l’air toujours chargé en particules diverses, le monde végétal à l’agonie, la faune brillant par son absence. Pour autant, ces visions ne se veulent pas être une projection scientifique ou technique sur le délabrement progressif du monde, à la suite d’une catastrophe planétaire et l’absence de toute maintenance humaine, de tout entretien, de la déliquescence progressive au fur et à mesure que l’entropie fait son œuvre. La question des médicaments est évoquée, toutefois le lecteur sent bien qu’avec cet air pollué, l’eau également polluée, l’absence de légumes et fruits frais, l’état des rares survivants devrait être beaucoup plus dégradé, ce qui ne retire rien de bouleversant, de dramatique, d’émouvant, d’oppressant, de pathétique, de tragique, au récit.

Le périple de ce fils et de son père s’avère accablant pour le lecteur. Ils survivent. À peine. Aucun espoir d’assouvir leurs besoins de sécurité : leur situation n’est ni stable ni prévisible, elle est remise en cause à chaque risque de rencontre, à chaque fois que l’eau ou la nourriture vient à manquer, l’anxiété est permanente. Ils ne peuvent que penser à court terme. Ils trouvent juste assez de quoi assurer leurs besoins physiologiques comme boire et s’alimenter, pour tenir jusqu’au lendemain, tout en éprouvant continuellement un état de manque et d’inquiétude. À plusieurs reprises, ils se posent la question de savoir s’ils vont mourir. Le père prépare même son fils à se donner la mort, plutôt que de risquer d’être capturé, torturé, estropié, et finalement mangé. Outre la méfiance envers tout autre humain, le plus important savoir qu’il lui transmet est de lui apprendre comment se suicider efficacement avec leur revolver. Par ailleurs, chaque rencontre est un danger grave et imminent, mortel après des souffrances ignobles. Là encore, il s’agit d’une dynamique paradoxale : à deux, ils sont tout juste (à peine) capables de survivre, leur seule possibilité de faire un peu mieux serait de s’unir avec au moins un autre survivant. Paradoxalement, envisager d’établir un contact avec un autre revient à jouer à la roulette russe, avec cinq balles dans le barillet. Les individus isolés sont encore plus démunis qu’eux, plus proches de la mort, les petits groupes ne négocieront rien, s’accapareront les maigres possessions d’autrui et les réduiront en esclavage ou les tueront.

Vision de l’enfer © Dargaud

D’une certaine manière, en termes d’intrigues, le lecteur peut aussi rapprocher ce récit de deux œuvres majeures de la bande dessinée Lone Wolf & Cub (1970-1976) par Kazuo Koike (1936-2019) & Gôseki Kojima (1928-2000), pour le voyage sans espoir d’un père et de son fils. The walking dead (2003-2019) par Robert Kirkman & Charlie Adlard, pour le thème de la survie dans un monde dévasté où les autres survivants constituent majoritairement un danger fatal. En établissant cette comparaison, le lecteur voit également apparaître les différences. Contrairement à Itto Ogami et Daigoro, Père & Fils ne font pas preuve d’une sensibilité spirituelle, encore moins religieuse. Ils sont entre la résignation et l’acceptation de l’état du monde, sans espoir d’un futur, quasiment sans vie intérieure. Il ne semble pas y avoir d’autres enfants, et ils ne croisent pas de femmes. Contrairement à Rick Grimes, Père n’a pas de vocation pour la justice, et les deux vagabonds sont bloqués au stade de la survie animale, déjà bien avancés vers l’état de morts qui marchent. Pour autant, d’autres thèmes affleurent. Par exemple, Fils veut savoir si son père et lui font partie des gentils. La réponse : Les gentils, ils essaient, ils ne laissent pas tomber. Une réponse qui mêle pulsion de vie et valeur morale. À un autre moment, le père se montre catégorique : on ne tue pas les chiens. En outre, incidemment, Fils interroge son père à deux ou trois reprises sur leur comportement, ce qui constitue une remise en question sur leur relation à autrui, par exemple quand ils abandonnent un homme isolé après l’avoir dépouillé de ses vêtements. Le dénouement illustre également le fait que le père a pris leur situation comme un état de fait généralisé, cela fait ressortir sa conception personnelle du monde, comment il l’a projeté à tout jusqu’à en faire une vérité absolue, et comment il y a adapté son comportement.

Avec cette adaptation, Manu Larcenet réalise une bande dessinée d’une qualité remarquable. Il met à profit tout son savoir-faire de bédéiste pour donner à voir un fils et son père continuant à aller de l’avant, ou du moins à marcher, dans un monde postapocalyptique dévasté, toute civilisation anéantie, toute rencontre un danger mortel. La narration visuelle génère une immersion sensorielle et émotionnelle grâce des dessins pouvant aussi bien être des descriptions concrètes quasi photoréalistes, que des évocations hantées et expressionnistes. Le périple ressemble à une marche sans espoir, des êtres humains continuant vaille que vaille, malgré l’absence de tout espoir, la pulsion de vie contrebalançant tout juste des conditions de survie fragile, une vie dépourvue de tout plaisir. Ils continuent de marcher presque comme des poulets sans tête, pris dans le paradoxe de ne pas pouvoir stabiliser leur situation tout seuls et de ne pas pouvoir courir le risque d’un contact avec autrui. Poignant.

Avertissement macabre © Dargaud 

BO

29 comments

  • JB  

    Un article qui sert de magnifique écrin pour une BD qui a l’air terrifiante. Je crains de n’avoir ni lu le roman ni vu son adaptation, mais on découvre dans ces lignes le travail soigné d’artisan mené par l’auteur pour cette adaptation.

    • JB  

      A cet égard, j’aime bien la (quasi) répétition de la case de Fils (je suppose ?) attendant à la porte dans les 2 scènes de fouilles présentées dans l’article. ça m’évoque à la fois une méthodologie rigoureuse de l’opération et une monotonie pour le personnage

  • phil  

    bravo, bel article

    Je suis adepte du taff de Larcenet quasi depuis ses débuts Il n’est pas , loin s’en faut, exempt de défaut, avec son côté éponge graphique qui a tant pris aux autres, souvent en le reconnaissant (Winshluss, Blutch…) mais au final son approche et si sincère pour moi qu’il emporte tout
    J’ai aimé énormément de ses livres, dont Le retour à la Terre avec le génial Ferri et Le Combat Ordinaire, mais là…
    probablement le livre le plus marquant de ces derniers mois, et de loin
    Il est si puissant et si important que son succès incroyable me sidère (pas que je considère le grand public comme de mauvais goût, mais quand même ce livre n’est pas du Marc Levy)

    • Présence  

      Son approche et si sincère : 100% d’accord.Dans Thérapie de groupe, il y a une sincérité qui reste intacte à la fois dans une composition très littéraire, et à la fois à travers un humour débridé.

      Son succès incroyable me sidère : pas du tout contrariant par principe 🙂 j’étais à deux doigts de lâcher l’affaire avant que Bruce ne me prête cette bande dessinée, juste parce que ma curiosité évolue souvent de manière inversement proportionnelle à à l’ampleur du phénomène médiatique.

      D’ailleurs, j’ai ressenti un soupçon de déception parce que l’œuvre n’est pas tout à fait (à quelques millimètres) à la hauteur du battage et du retentissement médiatiques.

      • phil  

        je comprends, et j’ai souvent à la fois le même a priori et agacement face à un tel engouement Là non car je l’ai acheté avant, dès le premier jour 🙂

        • Présence  

          Ma pile de BD à lire, je devrais dire mes piles de BD à lire, a pris une telle ampleur que même si j’achète une bande dessinée la semaine de sa sortie, je ne la lie jamais avant plusieurs semaines, c’est-à-dire après le phénomène médiatique quelle qu’en soit son ampleur, indétectable ou omniprésent.

  • Ludovic  

    Wow ! bel article ! j’aime bien comment même quand tu racontes l’histoire, tu essaies de retrouver un peu le style laconique de McCarthy et de faire comprendre les émotions très particulières que font passer son écriture pour mieux expliquer après comment Larcenet tente de les retranscrire visuellement !

    J’ai malheureusement pas encore eu le temps de lire le livre de Larcenet, j’avais lu le roman à sa sorti ! il faut que je trouve le temps de m’y (re)plonger !

    Bravo en tous cas !

    • Présence  

      Ta remarque sur les deux premiers paragraphes me va droit au cœur. Je suis presque systématiquement frustré par les 4ème de couvertures ou par les résumés. Du coup, je me suis fixé l’objectif de donner une impression plus précise de la lecture des premières pages, dans mes articles, ce qui me force également à regarder de près le travail du bédéiste, plutôt que de rester sur une impression générale trop pétrie de mes biais divers et variés.

  • Fletcher Arrowsmith  

    Bonjour Présence.

    Grande bd. Une de mes meilleurs lectures de l’année. J’ai pu comparer au livre et au film et Manu Larcenet relève le défi de cette adaptation de manière magistrale. J’y suis allé avec prudence, ne voulant pas tomber dans la pré-euphorie générale, un des syndromes modernes de la blogosphère (et certaines librairie de quartier ont également souffert du volume de vente imposé).

    L’imagination du lecteur tourne alors à plein régime, quant aux circonstances dans lesquelles des êtres humains ont pu infliger de tels traitements à d’autres êtres humains, puis dans un second temps quant aux conséquences sur le moral et l’état d’esprit de Père et de Fils. En cela Larcenent réussi un tour de force avec des images au niveau des écrits de McCarthy. Il réussi là où le film de John Hillcoat échoue, à mon sens.

    les deux vagabonds sont bloqués au stade de la survie animale, déjà bien avancés vers l’état de morts qui marchent. Bien vu et écrit.

    Les gentils, ils essaient, ils ne laissent pas tomber. Une réponse qui mêle pulsion de vie et valeur morale Larcenet arrive en effet à capter ces retournements des valeurs. Le monde décrit impose de nouvelles questions morales.

    La narration visuelle génère une immersion sensorielle et émotionnelle grâce des dessins pouvant aussi bien être des descriptions concrètes quasi photoréalistes, que des évocations hantées et expressionnistes La variation de style, le soin et la réflexion apportés à chaque cases et planches en font une oeuvre majeure.

    La BO, surement choisie pour son titre ?, n’est pas pour moi. Pas aimé du tout en fait. Pas le style de musique que j’ai écouté (si il fallait en écouter d’ailleurs) quand j’ai lu cette bd. J’aurais bien vu du DEAD CAN DANSE ou LISA GERARD seule. Ou bien un titre de Kronos Quartet de la BO de HEAT. Ou un morceaux de Jazz bien mélancolique, bien sombre.

    • Présence  

      J’y suis allé avec prudence, ne voulant pas tomber dans la pré-euphorie générale : exactement mon état d’esprit initial, avec même une pointe de défiance, voulant conserver un point de vue personnel, plutôt qu’une disposition d’esprit en pâmoison.

      La BO choisie pour le titre, mais aussi pour le thème, et même l’ambiance musicale : à la lecture, j’ai trouvé que Manu Larcenet parvient à faire ressentir la violence de ces conditions de vie pour l’esprit de deux protagonistes.

      The wreckage of my past keeps haunting me
      It just won’t leave me alone

  • Jyrille  

    Oh yeah ! Je l’attendais celui-ci ! Déjà, tu fais bien de rappeler les autres articles du site sur Larcenet, merci pour ça. On pourrait croire qu’il s’agit d’une continuité comics 🙂

    Je n’ai pas pensé à faire le rapprochement avec les Idées noires (encore merci, j’avais oublié cet article) mais j’ai eu la chance de voir « le célèbre tableau Christina’s World (1948) d’Andrew Wyeth » en vrai au Moma et il est splendide. Je l’aime beaucoup car il peut raconter tellement de choses. Je me souviens que BWS l’a aussi utilisé dans son MONSTER (toujours pas lu ni acheté). Je ne connais pas Jim Holdaway.

    J’ai également préféré prendre la version couleur car inconsciemment, en voyant quelques planches, je m’étais dit exactement ce que tu soulignes. Mais je me demande ce que donne la version noire et blanche qui existe.

    Je suis étonné que tu ne fasses pas référence à Sempé (même si les autres que tu cites sont pertinentes – encore un tome et j’aurai l’intégrale de Lone Wolf and Cub et penserais à m’y mettre) car il y a un peu une inconnue quant à la localisation. Je pense que cela se passe aux Etats-Unis, mais pourquoi pas, Sempé étant un habitué du New Yorker, ses oeuvres doivent sans doute s’y trouver également.

    Sinon article impeccable et profond comme toutjours. Merci.

    La BO : pas ma came, je crois bien n’avoir écouté qu’un seul album de Ozzy en entier. Evidemment, j’aurais choisi une des plus belles chansons de tous les temps : youtube.com/watch?v=7nxWP9BhI7w

    • Jyrille  

      Merci Fletcher !

      Pour répondre à Zen, le Road to nowhere des Talking Heads ne fonctionne clairement pas ici (titre très joyeux) mais je dis oui pour le Atmosphere. Je vais aller écouter l’autre morceau que tu cites que je ne connais pas.

      Etonné par contre que tu n’aimes pas Larcenet, c’est un des plus grands.

      • zen arcade  

        « Etonné par contre que tu n’aimes pas Larcenet, c’est un des plus grands. »

        Larcenet a un jour menacé de me casser la gueule s’il me rencontrait.
        Depuis, il est exclu que je donne un euro pour ce type.

    • Présence  

      Les idées noires : Bruce et moi avons effectué ce même rapprochement, en particulier pour les silhouettes de grue.

      Sempé : ma sensibilité ne m’y a pas fait penser. A mes yeux, il n’y a pas de case avec la délicatesse de son trait, le décalage poétique et généralement gentil.

      La localisation : inconsciemment et par automatisme j’ai pensé aux Etats-Unis.

      • Jyrille  

        Ah oui, les grues, bien vu. Pour Sempé, c’est qu’une de ses oeuvres est explicitement montrée dans la bd, c’est de ça que je voulais te parler, pas de son influence sur le trait. L’extrait peut être vu dans le lien ci-dessous.

        telerama.fr/livre/la-bd-la-route-de-manu-larcenet-j-ai-remplace-les-mots-de-cormac-mccarthy-par-mes-traits-7019974.php

        focus.telerama.fr/2024/04/05/0/0/2000/2490/1200/0/60/0/e8ba031_1712314060928-la-route-104.jpg/webp

  • zen arcade  

    Larcenet, c’est sans moi.

    La BO : quitte à choisir un morceau titré Road to nowhere, j’aurais évidemment plutôt opté pour Talking Heads. Mais on n’aurait pas vraiment été dans le bon mood.
    Le bon mood pour accompagner The Road, pour moi, c’est le sublime morceau de Nico « Janitor of lunacy ». L’expression parfaite du sentiment de désolation.
    Ou alors, « Atmosphere » de Joy Division.

    Walk in silence
    Don’t walk away, in silence
    See the danger
    Always danger
    Endless talking
    Life rebuilding
    Don’t walk away
    Walk in silence
    Don’t turn away, in silence
    Your confusion
    My illusion
    Worn like a mask of self-hate
    Confronts and then dies
    Don’t walk away
    People like you find it easy
    Naked to see
    Walking on air
    Hunting by the rivers, through the streets, every corner
    Abandoned too soon
    Set down with due care
    Don’t walk away in silence
    Don’t walk away

    • Présence  

      Larcenet, c’est sans moi. – C’est ton droit. Je n’ai commencé à lire sérieusement (avec article à la clé) que récemment. Il est dans ma nature d’être sensible et admiratif devant la virtuosité, ce que je trouve chez ce bédéiste. A la fois sa capacité à dessiner sérieux et à dessiner comique, ainsi que son sens du rythme, et ce que je ressens comme une implication intense et honnête.

      • zen arcade  

        J’ai beaucoup beaucoup lu Larcenet : tous ses Fluide, ses Poisson Pilote, ses Donjon, ses albums plus graves chez les Rêveurs, Le retour à la terre, Le combat ordinaire et j’en oublie sans doute.
        Il a en effet énormément de talent.
        Au moment de la Larcenet mania qui a suivi la sortie du Combat ordinaire, j’ai émis une note discordante sur un forum à l’époque bien fréquenté, mais moribond depuis, en jugeant que cette mania me paraissait exagérée et que l’album ne me paraissait pas à la hauteur de la ferveur qu’il suscitait.
        Larcenet a déboulé dans la discussion et ça a fini par des menaces physiques à mon égard.
        J’ai depuis rayé les albums de ce monsieur de mes listes d’achat.

        • Présence  

          He ben !!!

          Je comprends mieux ta réaction.

          Je n’aurais jamais supposé ça de la part d’un auteur de cet envergure.

  • Jyrille  

    Ah oui, dans ce cas c’est compréhensible…

    • zen arcade  

      Sinon, pour accompagner The Road, il y a aussi le 15ème et dernier quatuor de Dmitri Chostakovitch qui me semble particulièrement approprié.
      C’est sublime mais ça donne envie d’aller s’acheter une corde.

  • Tornado  

    Super article, scans magnifiques, voire époustouflants. En fait, quant on a pris conscience de la versatilité de l’artiste, capable de passer d’un style à l’autre (tantôt semi-humoristique à gros nez, ou ici très réaliste), et que l’on voit un tel travail abattu pour une telle adaptation vachement ambitieuse), où les planches sont tellement abouties, comme si elles coulaient de source (comme lorsqu’on regarde les planches d’un mangaka qui bosse dessus 12h par jour…), c’est vraiment, mais alors vraiment impressionnant. Quel boulot de fou ! Succès mérité, pour le coup.

    Encore bravo pour cette review immersive et habitée. N’ayant pas lu le roman, ni la BD, ni même vu le film, j’avais l’impression d’y être, d’être à la fois suffoqué, écoeuré, terrifié et fasciné…

    La BO : Pas du tout le genre que j’écoute au quotidien et… pourtant… pourtant… je me suis surpris à l’écouter en entier, et à me le repasser deux fois de suite (donc trois fois en tout), en étant agréablement surpris et particulièrement interpellé par le (superbe) solo de guitare !

    • Présence  

      Un tel travail abattu… et une vision graphique cohérente, la capacité d’imaginer une approche graphique avec ses caractéristiques qui fonctionne tout au long de l’album et sans effet de lassitude ou de monotonie. Il y a du boulot et une vraie sensibilité visuelle.

      • Jyrille  

        Au fait Présence j’ai oublié de te demander : as-tu lu le livre et/ou vu le film ?

        • Présence  

          Je n’ai pas lu le livre, et je n’ai pas vu le film, c’était une découverte totale pour moi.

  • JP Nguyen  

    THE ROAD est apparu sur mon radar lors de la sortie du film avec Vigo Mortensen. Mais avec le pitch, je me suis toujours dit qu’il fallait que j’aborde cette œuvre dans de bonnes conditions sous peine de surdose dépressive. Au fil des années, l’opportunité ne s’est pas présentée ou je n’ai pas cherché à la provoquer…
    C’est le concept de monde post-apo sans aucun espoir qui me rebute. Je veux bien voir des trucs horribles comme dans HOKUTO NO KEN à condition de pouvoir espérer que Kenshiro le sauveur rendra le monde meilleur…
    Dans une idée similaire, j’avais emprunté il y a des années à la bibli un livre de Paul Auster : LE VOYAGE d’ANNA BLUME / IN THE COUNTRY OF LAST THINGS et ce récit crépusculaire m’avait marqué. Moins par son intrigue, dont j’ai oublié les détails, que par l’atmosphère de fin du monde établie dans certaines pages, à la fois absurde et crédible. Avec le temps, j’ai des réticences croissantes pour me plonger dans des récits trop noirs et désespérés. Après tout, pour ça, on a déjà la vraie vie.

    • Présence  

      En parlant avec mes enfants, ils éprouvent effectivement cette sensation d’atmosphère de fin du monde, engendrée par la fragilité mise en avant par le COVID et par la finitude des ressources. Et je me souviens qu’à leur âge, je vivais avec la conviction que le monde n’en avait pas non plus pour longtemps avec une guerre nucléaire sûre et certaine à brève échéance (MAD : Mutalliy Assured Destruction).

  • Bruce lit  

    Fascinant : ta review reprend peu ou prou les arguments que mon article pour Geek Magazine et ce, quasiment dans le même ordre ! Lorsque j’ai rencontré Larcenet, il me disait que la plus grande preuve d’amour que ce père réservait à son enfant était cette fameuse balle de revolver que tu évoques.
    Un monument de bande dessiné quand le film m’avait indifféré. C’est terriblement excitant d’assister à la sortie de ce genre d’évènement : c’est un peu comme vivre en direct la sortie de THE WALL ou THE DOWNWARD SPIRAL de NIN.
    Merci de lui avoir rendu justice, Présence.

    • Présence  

      Un véritable événement : une lecture sur laquelle nos avis convergent ! 😀

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