Come-back ou clap de fin ? (Batman White Knight : Harley Quinn)

Batman White Knight : Harley Quinn

Un article de JB VU VAN

VO : DC Comics

VF : Urban Comics

Femme à lunettes, toujours en quête d’une bluette
© DC Comics
© Urban Comics

Cet article portera sur la mini-série Batman: White Knight presents Harley Quinn écrite par Katana Collins et Sean Murphy, illustrée par Matteo Scalera. Publiée en 6 numéros en 2020, cette histoire se situe après BATMAN: WHITE KNIGHT et BATMAN: CURSE OF THE WHITE KNIGHT de Sean Murphy. Urban Comics sort cette histoire en 2021 sous le titre BATMAN WHITE KNIGHT : HARLEY QUINN en y ajoutant un court prologue des mêmes auteurs paru dans Harley Quinn Black White and Red. La traduction française est assurée par Benjamin Rivière.

Si je vais tâcher de limiter les spoilers pour cette histoire, il est absolument impossible d’en parler sans évoquer les événements de WHITE KNIGHT et de CURSE OF THE WHITE KNIGHT.

2 ans ont passé depuis l’arrestation de Bruce Wayne et la mort de Jack Napier, alias le Joker. Après la purge du monde criminel effectuée par Jean-Paul Valley, Gotham City connaît une période de paix que vient menacer une série de meurtres. Les victimes, d’anciennes gloires du cinéma, sont maquillées en noir et blanc. Dans le cadre de l’enquête, Hector Quimby, consultant du FBI auprès de la police de Gotham, demande une aide inattendue, celle du Dr Harleen Quinzel. Cette dernière hésite : rangée et devenue mère, elle craint de se perdre à nouveau sous l’identité de Harley Quinn.

En toute logique, j’aurais dû trouver ce comics tout au plus moyen. J’avais trouvé BATMAN WHITE KNIGHT sympa sans plus, et la hype autour de ce Elseworld parmi tant d’autres m’a toujours étonné, tant Sean Murphy rend ses personnages méconnaissables pour pouvoir raconter son histoire (un Joker bien moins dangereux que ses incarnations habituelles, un Batman violent à l’extrême). Et ce spin-off sur Harley Quinn ne fait pas exception : Harley n’a pas l’obsession pour le Joker qui la caractérise, elle reste toujours en contrôle de ses sentiments pour lui. Non, la grosse différence, c’est que cette série parvient à donner au lecteur de l’empathie pour les personnages, ce qui n’avait pas marché pour moi sur White Knight.

Psychiatre, acolyte, mère
© DC Comics

En effet, les auteurs (Katana Collins et Sean Murphy, son compagnon à la ville) évitent de faire de Harley une âme perdue ou une “Mary Sue” parfaite. Ils dépeignent une femme forte et intelligente, mais faillible (sa première déduction est aux fraises, un sauvetage crucial est effectué par un autre, etc.). De plus, elle s’éloigne des clichés de personnages maternelles avec une fâcheuse tendance, lorsqu’on lui parle de ses “bébés”, à penser à ses hyènes de compagnie plutôt qu’à ses enfants biologiques. Et surtout, elle fait face à son passé et à sa responsabilité dans l’émergence du Joker.

Dans une série de flashbacks, cette série montre ainsi la rencontre entre Harley Quinn et Jack Napier. Contrairement aux origines habituelles, cette Harley rencontre son “Puddin’” bien avant qu’il ne devienne le Joker. Une romance se crée dès les premières pages de ce récit entre une Harleen qui danse dans un club pour payer ses études de médecine et un Jack qui monte les échelons de la criminalité. Alors que dans le présent, Harley doit à nouveau se plonger dans l’esprit criminel, elle se souvient des bons et mauvais moments. La jeune psychiatre tentait de soutenir un homme troublé, dont la folie faisait ponctuellement surface, à l’image du Joker de BATMAN: FINI DE RIRE. Mais ces efforts n’auraient-ils pas poussé Napier vers son destin ?

Sur les traces de son passé
© DC Comics

Katana Collins, autrice du script qui, je l’imagine, a été peaufiné par la suite en compagnie de Sean Murphy, a également écrit plusieurs séries de romans de type Harlequin, genre dont elle est avide lectrice depuis toujours. J’ai fait un tour sur sa page Amazon : Collins s’est spécialisée dans le genre de la romance interdite, avec par exemple une collection qui se veut une mise à jour de Roméo et Juliette. La relation entre Napier et Harleen est donc dans ses cordes, mais ne sombre jamais dans l’eau de rose de HARLEEN ni dans le glauque de Criminal Sanity : les flashbacks s’arrêtent lorsque les actes du Joker deviennent inacceptables, la limite étant la torture de Jason Todd.

Si ces flashbacks constituent le cœur de l’histoire et sa partie la plus mémorable, la partie se déroulant dans le présent suit une enquête autour de meurtres en série. L’intrigue propose plusieurs rebondissements, multiplie les suspects et fausses pistes. La série renoue d’ailleurs avec les hommages à la série animée Batman lorsque Simon Trent, acteur de la vieille école qui a incarné à l’écran Le Fantôme Gris (épisode Le Plastiqueur Fou / Beware the Gray Ghost) devient une cible. Le récit tombe sur quelques poncifs (la découverte d’une obsession cachée, une mère excessivement abusive) cependant justifiés par le gimmick du criminel.

Obsession, quand tu nous tiens
© DC Comics

Cependant, mon intérêt a moins été éveillé par ce côté polar que par le portrait du personnage principal et ses relations avec les autres personnages. Harley Quinn reçoit un soutien constant de ses proches, qu’il s’agisse de l’entourage de Batman (Bruce, Leslie), du GCPD (Montoya, Bullock) ou même ses anciens collègues criminels comme Poison Ivy, tous prêts à la rattraper en cas de chute, qu’ils soient en accord ou non avec les choix de la consultante. Et de manière générale, Harley m’a été rendue bien plus sympathique que Napier et Batman dans WHITE KNIGHT pour une raison très simple : elle reconnaît ses échecs et accepte sa part de responsabilité face aux conséquences de ses erreurs. Une perte tragique m’a même fait verser une larme…

A mon avis, la grosse faille de cette histoire est son échec à proposer un antagoniste intéressant. Les motivations pour les crimes sont très basiques, manichéennes, voire “comic bookesques“ à mon goût, et la conclusion reste bien trop ouverte et, à ma connaissance, n’est pas reprise directement par les séries suivantes. Harley est renvoyée par l’un de ses adversaires à sa condition de sidekick et paraît s’élever à un statut de protectrice de Gotham à l’issue de l’aventure. Cependant, le résultat de son intervention ne m’a pas exactement convaincu, notamment quand l’intention métatextuelle est clairement explicitée par le méchant.

Adieu, Jack
© DC Comics

Niveau graphique, le trait de l’artiste, Matteo Scalera (déjà vu sur BLACK SCIENCE), ne dépareille pas à première vue de la charte établie par Sean Murphy dans les 2 séries WHITE KNIGHT précédentes. Les visages restent anguleux, des pleines pages dépeignent l’état mental des personnages, chaque scène se déroule sous une couleur dominante particulière. Mais on note peu à peu des différences. Là où Sean Murphy aime à dépeindre des décors imposants, Matteo Scalera se focalise sur les personnages et leurs expressions. Face au côté très monolithique des scènes d’action de WHITE KNIGHT et CURSE OF THE WHITE KNIGHT, qui mettaient en valeur la violence des coups, Scalera propose une fluidité d’action accentuant les talents de gymnaste de l’héroïne. J’ai même cru percevoir une influence Tim Sale, notamment lors de la première apparition de la tueuse.

Au final, j’ai eu l’impression d’un titre sans prétention, épuré des personnages qui m’avaient déplu dans WHITE KNIGHT (ses versions de Batman et du Joker) pour se concentrer sur une protagoniste en pleine reconstruction. L’histoire reste un prétexte pour explorer ses doutes, et le conflit final permet plus à Harley Quinn d’affronter son passé que de donner des réponses au lecteur.

Au carrefour de Crime Alley et du Boulevard du Crépuscule
© DC Comics

BO :

14 comments

  • Eddy Vanleffe  

    Je ne me suis pas intéressé aux spin-off par contre…

    « un elseworlds parmi tant d’autres » Précisément, ce récit a mis en exergue l’engouement du lecteur pour ce genre d’histoire, déconnectée, intemporelle, personnelle et ponctuelle (même si celle -ci commence à durer…)
    « sans prétention »…c’est pas un si gros défaut finalement

    Merci pour ce retour et finalement, je me le prendrais bien celui là…le murphyverse étant quand même j’ai l’impression une lecture plus enlevée que le mensuel officiel auquel je ne comprends plus rien avec les milliers de Robin

  • Tornado  

    Bizarre de lire consécutivement deux articles sur la même « série » mais dans le désordre chronologique ! (ou alors c’est moi et mon esprit linéaire)…
    Je suis d’accord avec Eddy (et plus encore avec cette phrase qui dit exactement le fond de ma pensée : « l’impression d’une lecture plus enlevée que le mensuel officiel auquel je ne comprends plus rien avec les milliers de Robin« ) : Cette mini donne envie du fait que ce soit une lecture fraiche, autonome, centrée sur un personnage. Parce que oui, le Batverse ongoing, c’est devenu un foutoir à la X-men, quoi…
    Reste à espérer que le Murphyverse ne dure pas trop longtemps, parce que sinon ça va évidemment nous refaire le coup du gros bordel ramené dans la continuité par un crossover ou un event (une CRISE ?) qui va fusionner le multivers… (ras la nouille de tout ce foutoir complètement grotesque)…
    Imaginez la prochaine CRISE de l’univers DC où plus rien ne sera jamais comme avant : le grand méga Trucschmoll a ouvert une brêche dans le mégainfinivers et a aspiré dans le même maelstrom intergalacticotemporel les 36 Robin de la Terre 666 et les 250 Robin de la Terre 25698748542169844145885 qui ont atterri par mégarde dans le Murphyverse où apparait dans le même prisme multidimensionnel le Batman Zu-en-arr et le Joker des films de Tim Burton en même temps que vient de ressusciter le Jack Napier du Murphyverse ! Bientôt chez votre marchand de journaux à cheval sur trois magazines mensuels, deux magazines hors-séries et douze tomes des séries dédiées respectivement à Batman, Robin, Harley Queen, la Bat-family, Red Hood, Black Canary, Birds of Prey, Gotham City heroes, Batman NEW 156, Superman & friends, Flash Corps, Green Lantern infinity et DC patcwork & co…

    La BO : comment il brosse le boss dans le sens du poil ! 😀 Très beau malgré une prod atroce.

    • JB  

      Tous les univers partagés, y compris Ultimate ou ce Murphyverse, courent le risque de s’écrouler sous le poids de leur continuité à courte ou moyenne échéance 🙂

      • Jyrille  

        Espérons que celui-ci ne devienne pas partagé et qu’il ne dure pas trop longtemps. J’ai l’impression en lisant BEYOND qu’elle est très proche… mais je peux me tromper.

        • Eddy Vanleffe  

          L’article Wikipédia que as partagé hier, fait un peu peur à ce sujet avec des spin-off sur tout le monde…
          J’ai l’impression que la série principale va encore durer un ou deux tomes…
          mais après il y aura, le nightwing, le montoya, le catwoman, le voisin de palier, l’annual flashbak -1….
          là encore il va falloir faire du tri.

          • JB  

            Sans vouloir te faire peur, quelques éléments du Murphyverse ouvrent sur le monde en dehors de Gotham…

          • Eddy Vanleffe  

            J’ai vu un Superman oui….

  • Jyrille  

    Très heureux de te lire JB sur cette bd ! C’est à la fois un spin-off mais également une histoire qui fait partie intégrante du murphyverse pour moi, je la trouve nécessaire pour lire BEYOND.

    Tu fais bien de citer FINI DE RIRE car j’avais beaucoup apprécié cette variation de LAST KRAVEN HUNT (je trouve). Je n’avais pas poussé la curiosité à regarder ce que Katana Collins avait écrit d’autre. J’ai récemment vu l’épisode de BTAS « Le Fantôme Gris (épisode Le Plastiqueur Fou / Beware the Gray Ghost) », pas un des meilleurs mais très sympa, très pulp finalement. Il va falloir que je rouvre ce Harley Quinn pour voir ça.

    Complètement d’accord pour cette itération du personnage de Harley. Mais on la voyait déjà ainsi dès la fin du premier WHITE KNIGHT, ce ne fut pas une surprise pour moi. Le soutien indéfectible dont elle jouit ne semble que plus cohérent.

    En y repensant, je pense que tu as raison pour l’influence de Tim Sale, on la voit un peu dans le dernier scan que tu as mis.

    La BO : je dois toujours m’intéresser à Christophe, ses albums des années 90 et 2000, c’est un chanteur que je n’ai pas encore exploré malgré tout le bien que j’en entends depuis longtemps. Je ne comprends pas trop le choix de ce titre mais j’aime bien, un petit côté Rodolphe Burger / Kat Onoma.

    • JB  

      C’est la même image qui m’a fait penser à Tim Sale ^^
      Petit aveu : pour la BO, c’est notamment parce que la partie parlée vient de la VF de Boulevard du Crépuscule 😉

      • Jyrille  

        Ah oui très subtil ! Si je l’ai vu, il y a très longtemps, je n’ai aucun souvenir de SUNSET BOULEVARD. Je devrais le revoir peut-être.

  • Présence  

    Agréable de pouvoir découvrir ce comics avec un autre regard.

    Harley Quinn reçoit un soutien constant de ses proches : je me souviens de cette particularité, qui rend tout de suite le récit plus humain.

    Harley Quinn reconnaît ses échecs et accepte sa part de responsabilité face aux conséquences de ses erreurs : un concept limite disruptif 😀

    A ma manière, j’avais également trouvé qu’il restait un petit peu trop de superhéros traditionnel dans cette histoire :

    Le lecteur se dit que les auteurs vont donc emprunter une voie naturaliste pour explorer la psychologie d’Harley Quinn, avec une sensibilité adulte. L’intrigue se déroule posément sur le mode d’une enquête pour essayer de déterminer l’identité des deux criminels et de les devancer avant qu’ils ne commettent un nouveau meurtre. La progression est régulière, mais sans réellement réussir à manipuler le lecteur pour qu’il se livre à des conjectures sur leur identité. Les coscénaristes reprennent donc les conflits intérieurs qui animent Harley Quinn, entre son amour pour Jack Napier qui a dû s’accommoder de l’existence de Joker et ses responsabilités de mère. Mais ils quittent le strict domaine réaliste avec ses deux hyènes domestiquées qui diminuent d’autant le niveau de plausibilité. Au fil des séquences, il apparaît également qu’ils ne parviennent pas réellement à faire croire que Harley s’occupe de deux enfants en bas âge, ni d’ailleurs à faire exister ces deux bambins. Par ailleurs, Harley Quinn finit par avoir besoin de l’intervention de Batman pour pouvoir surmonter un obstacle dans son affrontement contre les deux criminels, ce qui sape un peu sa capacité d’autonomie. La qualité de l’étude de caractère du personnage se heurte à ces éléments trop fantaisistes. L’histoire supplémentaire de 10 pages appartient à la même veine, avec les prémices de la relation entre Harley et Batman, également agréable à la lecture.

    Les auteurs réalisent un récit focalisé sur Harley Quinn, version White Knight, avec un niveau de qualité quasi similaire à celui des deux premiers récits. La narration visuelle de Matteo Scalera est dans la continuité de celle de Murphy, avec un peu moins d’énergie esthétique dans les scènes d’action. La mise en couleurs est d’une qualité extraordinaire, un travail d’orfèvre. L’intrigue est consistante, avec de beaux moments consacrés à Harley Quinn, tout en ne réussissant pas tout à fait à s’émanciper des clichés superhéros, ni à les mettre totalement à profit pour le portrait de cette jeune femme.

    • JB  

      Je crois qu’on se rejoint sur la plupart des points ^^ j’ai moins été choqué par le traitement des gosses dans la mesure où le récit-même indique qu’Harley n’est pas la plus consciencieuse des mamans avec un recours régulier à Leslie Thompkins comme nounou ou le fait qu’elle pense d’abord à ses hyènes quand on lui parle de ses « bébés »

      « le portrait de cette jeune femme » Un problème des White Knight en générale et de cette série en particulier est l’incertitude sur l’âge des personnages, notamment dans le cas de Harley qui était acolyte du Joker quand un personnage adulte du récit était encore mineur…

  • Bruce lit  

    Le personnage ne m’interesse pas plus que ça, mais les graphismes moins anguleux me sont tout à fait agréables. Si le truc existe en Nomad je peux me laisser tenter.
    Deux points forts à ton article : le coup de canif au Harleen de Seijic et bien étendu la BO du jour.

    • JB  

      C’est cadeau !
      Sinon, je me demande si la prochaine vague de Nomad va passer par cette série ou ira directement sur « Beyond » de Sean Murphy en solo.

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