De quoi j’ai l’air ? (Wormwood )

Wormwood 2 – ça fait mal quand je fais pipi…par Ben Templesmith

Avec une bonne couche de dérision

Avec une bonne couche de dérision©Delcourt

AUTEUR : PRÉSENCE

VO : IDW

VF : Delcourt

1ère publication le 06/05/16 – MAJ le 14/03/20

Ce tome est le deuxième dans la trilogie consacrée à Wormwood. Il fait suite à Gentleman Zombie qu’il n’est pas indispensable d’avoir lu avant. Il comprend les épisodes 5 à 7, ainsi que le numéro spécial « Segue to destruction« , initialement parus en 2007, écrits, dessinés et mis en couleurs par Ben Templesmith. Il existe une intégrale de la trilogie en VO : The first few pints.

Le lecteur retrouve Wormwood, une entité extradimensionnelle en forme de ver de terre, habitant un cadavre humain, disposant de pouvoirs magiques à l’étendue des plus floues. Il a la répartie sarcastique et facile. Il est toujours accompagné de Monsieur Pendulum (un robot qu’il a créé et qui ne boit pas) et de Phoebe Phoenix, une jeune femme avec des capacités pyrotechniques (également assez floues). Ces 3 individus fréquentent toujours The dark Alley, le bar de Madame Medusa, une jeune femme responsable de la gestion d’un nexus de portes vers d’autres dimensions (pas toutes accueillantes).

À l'aise au bar

À l’aise au bar©Delcourt

Alors que l’histoire commence, une armée de César s’apprête à engager le combat, Wormwood habite le corps d’un des soldats. Puis une armée de croisées s’apprête à donner l’assaut ; Wormwood habite le corps d’un des croisés. Il en va de même pour une armée anglaise, puis pour une autre. Wormwood explique à Phoebe Phoenix que chaque fois qu’il se rend à un spectacle de combat physique, il ressent de telles remémorations. Ils font la queue, avec Monsieur Pendulum, pour entrer dans un établissement où se déroulent des combats de Leprechauns.

Comme la dernière fois qu’il s’est rendu en spectateur à des combats, ça dégénère, ici parce que l’un d’entre eux souhaite exprimer ses sentiments (ou pulsions) amoureux à Monsieur Pendulum. Le pire est qu’en intervenant, Wormwood se fait mordre par l’un d’eux. Le médecin est formel : seule la reine des Leprechauns peut lever la malédiction sous le coup de laquelle est tombé Wormwood. Il change donc de corps, se rend à The dark Alley, et fait le voyage en Leprechaunie, avec Monsieur Pendulum et Phoebe Phoenix.

Bienvenue en Leprauchaunie

Bienvenue en Leprauchaunie©Delcourt

Ben Templesmith est un artiste hors norme, qui a co-créé 30 jours de nuit avec Steve Niles. Si le lecteur a déjà lu le premier tome de Wormwood, il sait à quoi s’attendre. Sinon il découvre atterré une bande dessiné qui accumule toutes les tares. Le cadrage des 4 premières pages fait illusion, mais passé la scène avec les armées, il faut se rendre à l’évidence : les décors sont en option. Au mieux ils sont vraiment simplistes, esquissés d’un trait maladroit, au pire ils sont remplacés par des camaïeux fort jolis mais vide de tout élément concret.

Ensuite l’artiste massacre les proportions du corps humain, du début jusqu’à la fin de la tête aux pieds, en passant par les épaules. Les visages sont disgracieux, Wormwood a les lèvres retroussées du début jusqu’à la fin. On peut encore mettre à charge de ce récit, la vulgarité des Leprechauns, et le caractère générique des individus croisés avec des calmars. Pourtant c’est une lecture irrésistible du début jusqu’à la fin.

Mi homme, mi calmar

Mi homme, mi calmar©Delcourt

Les 5 pages d’ouverture avec les différentes armées montrent des costumes qui permettent de situer approximativement l’époque. La répétition des comportements montrent une constante peu reluisante dans la condition humaine : la propension à vouloir exterminer son prochain, à se protéger en tuant l’autre. Les remarques de Wormwood rappellent à quel point il est sarcastique et caustique. Les jolis camaïeux orange transcrivent de manière expressionniste l’ardeur guerrière de ces soldats. Le lecteur en ressort à la fois avec le sourire et une petite amertume devant la constance de cette agressivité.

Dans la file d’attente, le lecteur se retrouve en compagnie de vieux potes, avec une touche de cynisme et d’autodérision, une forme de chaleur humaine cassante, très confortable. L’apparence de Monsieur Pendulum est toujours aussi immuable qu’improbable : crâne rasé, grande barbe blanche complétée avec une moustache et des lunettes noires. Phoebe Phoenix arbore de jolis tatouages. La tête de Wormwood est impossible : lèvres rétractées découvrant toute la dentition dessinée sans aucun réalisme, sans que personne autour de lui ne semble le remarquer, absence de globe oculaire, pentagramme gravé sur le front, ver de terre dans l’orbite droite, costard impeccable, et clope au bec. Mais la palme revient haut la main aux Leprechauns (avec une mention spéciale pour leur reine).

À l'attaque ! ça m'émoustille

Le leprechaun dans toute sa splendeur©Delcourt

À nouveau, les Leprechauns semblent avoir été dessinés par un individu en train de griffonner à la va-vite, avec un stylo bille (à pointe fine quand même), et des notions quasi inexistantes d’anatomie (en fait juste ce qu’il faut pour être sûr de massacrer les règles basiques du bon goût). À ce niveau, inutile d’insister sur le degré zéro de l’intégration de tentacules sur la morphologie humaine. Le récit baigne dans une autodérision irrésistible, avec la sensation persistante que Wormwood conserve une forme d’espoir irraisonné que tout peut bien se finir.

En guise d’intrigue, Ben Templesmith se cale sur le modèle de Steve Niles : le plus simple possible et le plus linéaire possible. Wormwood est donc sous le coup d’un sort létal qu’il ne peut lever qu’avec l’aide de cette reine des Leprechauns. Il se rend en Leprechaunie (encore cette dérision omniprésente avec ce nom idiot) et rencontre ladite reine, seul imprévu ces gugusses mâtinés de calmars, avec des tentacules. Autant dire que cette intrigue tient sur un timbre-poste. Pourtant le lecteur ne décroche pas de ces péripéties improbables, grotesques (il faut voir la reine et son comportement pour y croire), absurdes, crétines (le rite d’accueil dans le village des Leprechauns), et la moquerie attentionnée de Wormwood. Non, ce n’est pas parce que Templesmith rajoute un arc-en-ciel en Leprechaunie que les paysages deviennent mignons.

Le leprechaun dans toute sa splendeur

À l’attaque ! ça m’émoustille©Delcourt

Le constat reste donc le même du début à la fin : les décors sont les parents pauvres du récit. Globalement, l’artiste met en scène sans rechigner sur les effets spéciaux, les changements d’angle de prise de vue et les cadrages, les individus bizarres, mais les décors coûtaient trop chers. Évidemment, le lecteur finit par se demander si Ben Templesmith sait dessiner normalement, s’il maîtrise l’anatomie, la perspective, et d’autres compétences basiques pour un dessinateur. Pourtant le lecteur ressent l’immersion qui accompagne un récit visuellement prenant. Il y a donc ces effets spéciaux de couleurs qui installent une atmosphère spécifique pour chaque endroit ou séquence. Il y a un jeu d’acteurs plutôt en retenu, émotionnellement juste, contrebalançant l’apparence outrée.

Il y a également un sens du rythme de du comique qui fait mouche. Si l’intrigue est simple et linéaire, elle existe, et elle connaît une résolution en bonne et due forme. Le fait que Ben Templesmith soit le créateur unique du récit garantit à ce dernier une cohérence narrative très forte. Les Leprechauns ont une apparence parodique et exagérée, qui va de pair avec un comportement parodique et exagéré, et un mode d’expression parodique et exagéré. La dérision omniprésente s’exprime aussi par le dessin. L’auteur installe une forme de manque de confiance en lui chez Monsieur Pendulum du fait que Wormwood ne l’a pas doté d’organe sexuel. Wormwood compense en lui offrant un énorme 4*4, de type Monstertruck. Ce dernier est dessiné avec exagération, sous forme esquissée, avec des roues démesurées, soulevant des nuages de poussières, une hauteur d’habitacle impraticable, et bien sûr une paire de dés recouverts de moumoute (accessoire indispensable).

Aucune indication visuelle du lieu

Aucune indication visuelle du lieu©Delcourt

Lorsque les Leprechauns montrent leurs attributs sexuels (si, si, il y a un motif compréhensible à cette coutume), l’artiste aurait pu se contenter d’une esquisse grossière, raccord avec le reste des dessins. Il préfère adopter un outil de censure pour encore ajouter à la dérision et l’absurdité, avec un résultat convaincant. Bien sûr les anthropoïdes à tentacules sont idiots, mais Templesmith prend soin de les rendre inquiétants dans leur armure, avec une fusion entre chair et tentacule très bien réalisée. Les expressions des visages des protagonistes transcrivent avec conviction leur état d’esprit, avec une pointe d’exagération, mais sans en rajouter. Au final, le mode de représentation si particulier (un peu je-m’en-foutiste) amalgame parfaitement le caractère improbable de ce qui est représenté, sa dimension absurde, l’autodérision, les effets spéciaux, et le caractère des personnages.

Une fois le sourire apparu sur son visage, il ne quitte plus le lecteur qui prend un grand plaisir à suivre ce ver de terre sûr de lui qui encaisse sans coup férir, qui a souvent un coup d’avance, et qui compte sur ses compagnons d’infortune. Derrière une apparence relevant de l’imposture, les dessins réalisent une narration impeccable qui ne se prend pas au sérieux, mais qui comporte ses moments féériques, et à haute teneur comique.

Une apparence dérisoire et dérivative

Une apparence dérisoire et dérivative©Delcourt

9 comments

  • Jyrille  

    Merci Présence de m’éclairer sur cette série autour de laquelle je tourne depuis trop longtemps. Tu m’as convaincu, c’est pour moi. En vrac, tout ça me fait penser à Simon Bisley, Tank Girl de Jamie Hewlett et à Lucky Luke (lorsque Goscinny appelle les habitants de Nothing Gulch les nothingulchois). Banco !

    Je n’ai pas lu 30 jours de nuit mais me film est bien.

    • Présence  

      J’ai bien aimé les 3 premiers tomes de 30 jours de nuit (je n’ai pas encore lu les suivants), malgré un scénario timbre poste, et des dessins qui exigent un temps d’adaptation. Pour Wormwood, les 2 premiers tomes m’ont beaucoup plu, le troisième m’a donné l’impression que Ben Templesmith abandonnait l’idée d’une intrigue construite, pour favoriser l’absurde comme solution de facilité, un trop grand décalage entre les moments servant l’histoire et ceux ressemblant à du n’importe quoi pour se sortir d’une impasse.

  • yuandazhukun  

    Un article fort détaillé de cette oeuvre merci Présence ! Si le 1er tome ne m’inspirait guère, ce 2eme tome semble davantage « baré » dans le bon sens, rien que le mot leprechaunie me fait rire…Je pense donc l’acquérir bientôt, surtout que j’aime bien le style de Templesmith que j’avais testé avec Fell de Ellis dans un univers urbain bien sombre…Merci Présence !

    • Présence  

      Avec le recul (et plusieurs histoires de Warren Ellis lues depuis), c’est vrai que Ben Templesmith se montre à la hauteur des exigences du scénario d’Ellis dans Fell, ce qui n’est pas le cas de certains artistes avec lesquels il a travaillé (par exemple le travail industriel et manquant d’inspiration de Mike McKone pour Avengers Endless wartime).

  • Présence  

    Un quoi ? Un pitch ? Quelle notion bourgeoise ! Ben Templesmith n’a pas besoin de ce genre de béquille narrative pour raconter une histoire.

    Wormwood est une créature venue d’une autre dimension disposant de capacités magiques peu claires. A partir du bar de Madame Medusa, il fait en sorte de renvoyer des créatures surnaturelles hostiles dans leur dimension d’origine. A plusieurs reprises, il doit se rendre dans des dimensions différentes à commencer la Leprauchaunie.

    Je ne suis pas sûr que ce soit beaucoup plus clair comme ça. Wormwood : ça se lit, ça ne s’explique pas.

  • Patrick 6  

    Le dessin m’évoque un peu Ashley Wood (notamment pour l’utilisation de l’ocre) qui lui-même m’évoquait un peu Bill Sienkiewicz… Que du bon en somme.

    Quoi qu’il en soit il faut reconnaitre que l’auteur sait choisir ses titres ! « ça fait mal quand je fais pipi ! » Le titre le plus délirant de l’année ! Fallait oser :))
    L’histoire ne dit pas ce qu’il se passe quand il fait caca mais je crois que c’est mieux ainsi !

    Ceci dit il est vrai que l’absence de décors me pose problème de prime abord, mais bon ton article me rassure plutôt sur son contenu ! je m’y risquerai donc à l’occasion !
    Well done !

    • Présence  

      Je confirme qu’à la lecture l’influence d’Ashley Wood et celle de Bill Sienkiewicz se font sentir, plus celle premier que du second. A mes yeux, le savoir-faire technique de Templesmith est largement inférieur à celui de Sienkiewicz : il ne dispose pas d’un aussi large panel de compétences graphiques. Il est un peu moins radical que Wood, un peu moins expressionniste, un peu plus figuratif.

      Désolé, le troisième tome ne dévoile pas ce qui se passe quand il fait caca. Cela restera un mystère à tout jamais.

      Comme toi, je n’aurais jamais cru que je réussirais à apprécier des planches où l’artiste s’émancipe de la représentation des décors, dans le cadre d’un récit d’aventure. Autant ça passe pour moi dans des strips de type Dilbert, autant ça m’horripile dans le cadre d’une intrigue car j’y vois surtout l’artiste en train de s’économiser, de gagner du temps, de se libérer des contraintes liées à la conception des environnements, à leur représentation, et à la mise en scène des acteurs pour que leurs gestes et leurs déplacements soient cohérents avec les lieux dans lesquels ils évoluent.

    • Présence  

      Je n’aurais pas parié grand chose sur le fait que Wormwood intéresse du monde, encore moins des lecteurs connus. Félicitations pour avoir eu le courage et l’énergie de développer un compte facebook qui semble bien participer à l’objectif de faire connaître le site.

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