Erf par Garth Ennis et Rob Steen
Un article d’ALEX NIKOLAVITCH
VO : Dynamite
VF : Noël en janvier
Publié en VO uniquement pour l’instant, ERF est un conte pour enfants écrit par Garth Ennis.
Si je vous dis que Garth Ennis a fait un album tout mignon pour les petits n’enfants, vous me croyez ou pas ? Je vous vois venir, en fait, vous allez me dire « non, c’est forcément un homonyme. Qu’il fasse un livre pour enfant, passe encore, mais que quelqu’un le laisse le publier, vous êtes en pleine science-fiction, mon cher ! »
Je reconnais, quand notre bien aimé Jonah J. MonsieurBruce m’a parlé du truc, ça a été un peu ma réaction. Je sais que ça a bien changé, les albums pour les enfants, mais j’imaginais assez mal, je sais pas, un album pour enfant avec un type qui se fait s*******r par un hamster ou un teckel. Ou avec des tankistes de Stalingrad qui doivent bouffer les cadavres de leurs ennemis pour survivre sous un barrage d’artillerie intensif. Ou un héros distillant de la gnôle frelatée dans sa baignoire à partir de produit à vitres. Ou des vieilles acariâtres et complètement tarées qui ordonnent à leurs sbires de trancher le zguègue de quelqu’un pour lui enfoncer dans la gorge, devant sa famille. Tout ce qu’on attend, habituellement et légitimement, d’un bouquin estampillé Garth Ennis.
C’est donc avec un peu de circonspection que je me suis penché sur ERF, publié par Dynamite (donc un éditeur qui a l’habitude des frasques textuelles de notre Irlandais au mauvais esprit galopant) en ne sachant pas trop à quoi j’aurais affaire. Eh bien vous savez quoi ? Non seulement c’est du pur Garth Ennis, sans contestation possible, mais en plus c’est vachement bien et très malin, et totalement pipou.
Aux dessins, il y a Rob Steen, surtout connu comme lettreur, mais qui a fait un livre d’enfants avec l’humoriste Ricky Gervais, ça aussi ça promet. Il nous met en scène des bestioles rigolotes, vivant au fond de l’océan à l’ère paléozoïque, voire précambrienne, on ne sait pas trop. À l’époque, plus même encore qu’au temps des dinosaures, c’est la lutte pour la vie, à un degré dément. Des trucs complètement bizarres se bouffent entre eux et développent tout un tas de crocs, palpes, cuirasses et griffes pour manger et éviter d’être mangés. On imagine sans peine ce qu’Ennis pourrait faire d’un contexte pareil, mais non, il parvient à nous surprendre. Le récit suit quatre bestioles complètement pipou, Figwillop, Booper, Kwaah et Erf qui vivent au fond de la mer et sont potes, malgré le fait qu’elles soient de quatre espèces différentes (dont trois vaguement pisciformes, mais ça reste relativement indéterminé).
Erf, pour le coup, c’est un personnage très ennisien, à la Wee Hughie, le misfit qui n’a pas l’impression de savoir faire quand chose, quand chacun des trois autres est un cador dans son genre. Figwillop est très rapide, Booper maîtrise l’art du camouflage, Kwaah sait se faire aussi gros que le bœuf, sauf que le bœuf n’existe pas encore. Erf, lui, non. Il sait juste dire « Erf » très fort, d’où le nom et le titre.
Nos quatre compères vont néanmoins se livrer à un exploit considérable. Ils vont sortir de l’eau, à une époque où les terres émergées sont encore rares, volcaniques, inhospitalières. Ils dénichent néanmoins un petit coin de paradis, où la végétation a réussi à prendre pied. Seul problème, ils ne sont pas seuls, et les emmerdes commencent.
Voilà, je n’en dis pas plus pour ne pas déflorer, c’est très court et d’une lecture ultra agréable. Et surtout, c’est un vrai livre pour enfant, du genre que vous pouvez lire à votre petite nièce le soir. Plus que les bouquins de Gaiman et McKean dans le même genre, vous savez, les trucs du genre LE JOUR OÙ J’AI ÉCHANGÉ MON PÈRE CONTRE DEUX POISSONS ROUGES, génial, mais tellement absurde et surréaliste qu’il n’est pas forcément pour tous les mômes.
Bon, la fin est ultra ennisienne aussi. Vous savez, Ennis le gars qui après vous avoir fait marrer pendant un truc au long cours vous balance un coup de bambou d’émotion. Ben là, ouais, il y va à fond, très simplement et très astucieusement.
Il est fort, l’animal.
J’en veux d’autres comme ça.
La BO du jour :
Punaise, de bon matin et pas encore bien réveillé, j’ai cru que Noël en janvier était un nouvel éditeur VF indépendant… (faut dire qu’il y en a de plus en plus (et tant mieux)).
La couverture ne m’a guère attirée, mais le contenu a l’air trop bien ! Vivement Noël en janvier.
La BO : Le clip est cool, mais la musique, de bon matin…🥴
J’ai lu cet ouvrage et je suis resté dans l’incompréhension. Une tentative de Garth Ennis, de réaliser un livre pour très jeune lecteur. Il est assisté d’un artiste chevronné en la matière. Pas sûr qu’un lecteur adulte y trouve son content, ni pour lui, ni comme lecture pour sa progéniture, car le message sous-jacent du récit est fort étrange.
Je présume que la chute était plus facile à anticiper pour un véritable anglophone du fait de la prononciation.
Le lecteur adulte ressent la facilité d’assimilation des illustrations, leur expressivité, mais aussi leur pauvreté en termes d’informations visuelles. Il avance très rapidement dans le récit, et il peut l’apprécier comme un enfant, sans pour autant pouvoir déconnecter son esprit critique. Outre la naïveté voulue des dessins et la linéarité de la narration, il remarque la première page avec la mention : Ce livre appartient à…, l’enfant pouvant y écrire son nom. Il relève que la dernière page de l’histoire est identique à la première : le Terre flottant dans l’espace. Chacun des quatre amis est défini par sa forme et par son don. Il n’y a pas d’autre caractérisation, pas de trait de personnalité saillant. La première partie du récit insiste sur le fait que Erf n’a rien pour lui, si ce n’est visiblement d’être un bon camarade. Colossux est juste un grand plus âgé et inquiétant, un individu qui impose sa volonté par la force. Il y a plusieurs moments forts. Le premier survient quand les quatre amis font l’expérience de sortir la tête hors de l’eau. C’est bien sûr un moment mignon et drôle, mais c’est aussi une image forte : des individus qui font une expérience différente sans l’avoir sciemment recherchée, et qui découvre que le monde est beaucoup plus vaste que ce qu’ils se figuraient. Le lecteur adulte peut y voir un message à son attention : le monde est beaucoup plus divers que ce que l’entendement d’une unique personne peut se l’imaginer. Le deuxième moment surprenant survient quand les quatre amis prennent conscience qu’ils n’ont pas besoin de décider maintenant qui sera mangé, que cela peut attendre le lendemain, et qu’ils peuvent continuer à profiter de la vie jusque-là. Le troisième moment correspond au choix de qui sera mangé : cela peut sembler un peu surprenant comme message à destination des enfants, et même des adultes. Le lecteur comprend bien que c’est ce qui permet d’arriver à la chute, un jeu de mot touchant. Pour autant impossible de prendre les modalités de ce choix comme quelque chose de positif, quelque chose qui peut aider à se construire. Dans l’esprit, ce passage n’est pas si éloigné que ça d’un moment Ennis, le gore visuel en moins.
C’est drôle, après l’article d’hier sur A WALK THROUGH HELL, j’ai presque envie de demander si le monde est objectivement meilleur depuis ERF ^^ Mignon mais avec un développement assez inattendu pour un ouvrage destiné au jeune public, je trouve
Merci Niko pour la présentation de cette curiosité ! Ca a l’air super. Je découvre le terme pipou. Je note dans un coin si ça arrive en VF, sait-on jamais, un jour pourrais-je le lire à de jeunes enfants…
La BO : fan. Super clip en plus.
Salut Nico,
super BO (oui je commence par là, me souvenant très bien de mon achat de l’album, que je possède encore).
Je retiens ce ERF, un récit que je pourrais bien me procurer si VF ou si pas cher. Tu as grandement titillé ma curiosité en étant précis et concis avec ce qu’il faut de mystère. J’aime les albums et histoire pour gamines et gamins.
Tu as piqué ma curiosité et je l’ai lu en ligne.
Sur les extraits, je trouvais les couleurs un poil terne pour un livre pour enfants.
L’histoire m’a fait penser à la fable de l’ours, du renard et du lapin qui rencontrent un voyageur… (une réf bouddhiste que j’ai connue via Saint Seiya….)
Pas trop emballé par la chute. Si on veut recruter des terroristes kamikaze à la crèche, pourquoi pas mais je trouve que ça craint quand même un peu…
Sinon, j’imagine un parent qui aurait découvert et apprécié Ennis via ce récit et qui distraitement, enchainerait, sur la base du nom de l’auteur, sur THE BOYS ou PREACHER, le trauma de lecture assuré !
Ca ne m’étonne pas une seconde. Ennis est très bon dans l’émotion quand il le veut !
Ca m’intrigue !
Merci pour cette chronique
Hello, je note les réactions contrastées, guère étonnantes puisqu’Ennis s’aventure, tel ses personnages, en terre inconnue, tout en emmenant ses bagages.
Franchement, j’ai beaucoup aimé, même si je conçois que c’est pas pour tout le monde.
(navré de pas avoir répondu plus tôt, je suis en déplacements constants depuis 15 jours, j’ai du mal à me poser)