Face à l’océan (The Walking Dead 28)

Walking Dead 28 – Vainqueurs par Robert Kirkman et Charlie Adlard

C'est qui le plus fort ?

C’est qui le plus fort ?© Image comics

Article de PRESENCE

VO : Image Comics

VF : Delcourt

Ce tome fait suite à Walking Dead, Tome 27 : Les Chuchoteurs (épisodes 157 à 162) qu’il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 163 à 168, initialement parus en 2016, écrits par Robert Kirkman, dessinés par Charlie Adlard, encrés par Stefano Gaudiano, avec des nuances de gris apposées par Cliff Rathburn.

Au sein de l’enceinte de la communauté d’Alexandria, les habitants peuvent entendre le mugissement de la marée de zombies qui sont en train d’avancer vers leur ville. Rick Grimes commence à prendre des décisions. Il accepte qu’Andrea prenne la tête d’un groupe qui va réaliser une sortie pour dévier des sous-groupes de zombies dans d’autres directions. Le groupe se compose d’Andrea, d’Eugene Porter, de Michonne, de Paul Monroe et de Dwight. En haut du rempart, Annie avertit les habitants aux aguets que le front de zombies arrive. Rick donne ses ordres : pas de coups de feu pour ne pas provoquer les zombies, Negan demande comment il peut aider, Rick lui indique qu’il est hors de question de lui confier une arme et qu’il doit rester en dehors de ses pattes. La horde de zombies s’approche du mur de clôture et les premiers rangs tombent dans le fossé creusé tout autour. Il ne tarde pas à être comblé.

De son côté, le groupe d’Andrea se rend compte qu’il ne réussira pas à diviser le groupe de zombies en plusieurs petits groupes qu’ils pourront détourner. Resté avec Paul Monroe, Michonne descend de cheval et commence à débiter du zombie, un par un. Elle indique à Paul Monroe qu’il doit surveiller ses arrières, et qu’ils changeront de rôle quand elle commencera à fatiguer. Le groupe de Rick se tient devant la grille qui protège l’entrée de la zone d’Alexandria. Il leur explique qu’ils doivent tuer les tous les zombies à portée de main. Devant leur indécision, Negan perd patience, il s’empare d’un couteau et commence à abattre de la besogne, donnant l’exemple. Rapidement les cadavres s’amoncellent sur les grilles, mais la pression ne diminue pas et va même en augmentant. Les grilles cèdent et s’écroulent vers l’intérieur de la communauté libérant le passage pour la horde de zombie qui envahit la ville.

Faut que je fasse tout ici, ou quoi ?

Faut que je fasse tout ici, ou quoi ?© Image comics

Comme à chaque fois, le lecteur est impatient d’entamer sa lecture pour savoir ce qui va se passer. Robert Kirkman & Charlie Adlard ont beau user de grosses ficelles… Ils ont beau concocter des images tragiques préparées longtemps à l’avance pour un impact maximal… Ils ont beau jouer avec les nerfs du lecteur sur des prises de risques où un personnage peut mourir à tout moment de manière totalement arbitraire… Il n’empêche qu’ils utilisent ces dispositifs narratifs éculés avec dextérité et que le lecteur revient pour connaître la suite, que ce soit le sort des personnages auxquels il est attaché, que ce soit le déroulement de l’attaque des zombies, que ce soit l’évolution des intrigues secondaires.

Le scénariste réussit à ne pas faire retomber le soufflé, à ce que le rythme de succombe pas à l’inertie du nombre des personnages ou de fils narratifs. Comme d’habitude, scénariste & dessinateur (sans oublier l’encreur) travaillent en concertation, et le lecteur pourrait croire que la série est réalisée par une unique personne, avec quand même un fort goût pour les dialogues dans certains passages.

Le retour des pages à 16 cases

Le retour des pages à 16 cases© Image comics

Bien évidemment, le fil narratif principal réside dans l’attaque des zombies, ou plutôt dans leur marche automatique sur le village d’Alexandria. Les auteurs ont montré dans le tome précédent, l’ampleur de la horde et le lecteur a bien compris que les humains ne font pas le poids. La page d’ouverture est saisissante, non pas à cause d’une case avec des zombies à perte de vue, mais à cause du bruit. Ça peut paraître paradoxal de parler de son dans un média visuel, mais en fait Rick Grimes réagit au bourdonnement sourd généré par l’océan des morts, et le dessin de son visage ne laisse pas de place au doute quant à l’angoisse qui l’étreint.

Les pages suivantes montrent les personnages en train de se mettre d’accord sur les actions à entreprendre séance tenante. Le lecteur peut lire leur détermination et leur conviction sur leur visage, alors qu’ils se déplacent qu’ils échangent des paroles sèches et rapides. Adlard est toujours aussi bon metteur en scène, pour s’accommoder du volume de paroles et montrer ce que font les personnages en même temps. Cette séquence débouche sur un dessin en pleine page, spectaculaire à souhait, l’une des marques de fabrique de la série : le groupe mené par Andrea s’élançant au galop en sortant de la zone d’Alexandria.

Le bourdonnement sourd généré par l'océan des morts

Le bourdonnement sourd généré par l’océan des morts© Image comics

L’enjeu de la séquence suivante est de montrer au lecteur l’avancée de l’océan de morts. À nouveau, les prises de vue d’Adlard sont impeccables : une vision d’ensemble depuis le haut de la muraille d’enceinte pour que le lecteur puisse voir ce que voit Annie, puis des plans rapprochés sur les personnages se demandant ce qu’ils peuvent faire, pour donner l’impression qu’ils sont coincés, confinés dans l’enceinte. Le dessinateur consacre ensuite 2 pages contenant chacune 3 cases de la largeur de la page, à l’avancée muette des zombies. Le lecteur peut apprécier l’humour morbide des corps de zombie comblant le fossé, se faisant piétiner par ceux de derrière, sans aucune arrière-pensée, perdant encore d’autres bouts de corps décomposé (comme un globe oculaire), avec des détails discrets comme une belle basket bien lacée.

Adlard et Gaudiano privilégient une représentation de zombies comme une masse d’individus anthropoïdes dénués de caractéristiques permettant de les individualiser. Ils présentent tous les mêmes marques de peau déchirée, les mêmes vêtements sales et troués. Les images jouent sur l’effet de masse, pour renforcer l’idée de marée qui emporte tout sur son passage. À chaque fois qu’ils apparaissent, les zombies forment une masse compacte, donnant l’impression d’un flux continu et sans fin que rien ne peut endiguer.

Au pieu, les zombies !

Au pieu, les zombies !© Image comics

Cet océan de zombies provoque une inquiétude grandissante et les visages expriment ce sentiment à de degré divers. Le lecteur peut voir que l’encrage de Gaudiano se fait de plus en plus naturel sur les crayonnés de Charlie Adlard, avec une amélioration dans la précision, qui se retrouve dans les nuances des états d’esprit et des sentiments lisibles sur les visages des personnages. Il reste peut-être encore une proportion un peu trop importante d’individus avec la bouche plus ou moins grande ouverte, encore que cela puisse se comprendre au vu de l’intensité de leurs émotions face au danger. Mais d’une manière générale, les dessins expriment toute la gamme d’émotions mises en jeu. Le lecteur peut voir dans les postures et dans les visages la tension qui habite certains protagonistes, ainsi que leur détermination, avec des visages durs et fermés d’individus tendus vers l’objectif ou l’action qu’ils ont en tête. Le lecteur peut aussi voir l’inquiétude, la méfiance, l’assurance, et même parfois le calme. Le déroulement des événements ménage de nombreux face-à-face dans lesquels se joue bien plus qu’un simple échange d’information ou la prise d’une décision.

Bien évidemment, le lecteur guette les apparitions de Negan, savourant à l’avance son assurance, sa capacité à prendre le dessus sur presque n’importe quelle situation. La première fois, il est cantonné en fond de case, comme un individu secondaire et même avec un train de retard sur les événements. La seconde fois, il apparaît sur 2 pages et donne l’exemple en enfonçant une arme blanche dans tous les crânes de zombies à sa portée. Le lecteur constate ses gestes assurés, le rythme maîtrisé. Par la suite, Rick Grimes et lui se réfugient dans une maison, pour se mettre à l’abri des zombies, et le lecteur a le droit à une séquence intense de plusieurs pages pendant laquelle Negan tente de convaincre Rick Grimes, de la sincérité de son comportement. En scrutant les gestes et les mimiques de Negan, le lecteur se rend compte qu’il se retrouve aussi indécis que Rick Grimes.

Attends, j't'explique…

Attends, j’t’explique…© Image comics

D’un côté, Negan reste le répugnant personnage qui a éclaté un crâne à coup de batte de baseball par 2 fois, en s’assurant que tout le monde soit contraint de regarder cette boucherie écœurante. À plusieurs reprises, il a fait en sorte de faire souffrir ses ennemis pour être craint, pour s’assurer d’une obéissance totale, nourrie par la peur. Adlard & Gaudiano lui ont conservé son teeshirt blanc immaculé et son perfecto noir, établissant ainsi une continuité avec l’individu meneur des Sauveurs, renforçant visuellement le fait qu’il s’agit du même homme, inchangé. Comme précédemment, Negan reste un individu qui laisse apparaître ses émotions, son état d’esprit, sans beaucoup de filtres. Les autres autour de lui ressentent ces émotions, à en être presque submergés.

Sa présence dans chaque case conserve cette incroyable intensité, qui repousse au second plan tous les autres, même Rick. Le lecteur appréhende le moment où la force animale de Negan, son magnétisme va vraiment submerger les autres, lui permettant d’assurer son ascendant naturel. C’est un réel tour de force des artistes que d’arriver à faire passer cet élan vital, ce caractère qui sort de l’ordinaire. Ils accomplissent ce tour de force à chaque fois. Negan se retrouve face à des membres du groupe des sauveurs à la fin de ce tome, et à nouveau sa force de conviction emporte tout sur son passage faisant oublier ses pires crimes, même la punition avec le fer à repasser.

Laisse, j'm'en occupe…

Laisse, j’m’en occupe…© Image comics

D’un autre côté, le lecteur ne pas s’empêcher de penser que mise au service de Rick, la force de Negan permettrait d’accomplir des progrès durables en un rien de temps. Il est prêt à tout pardonner à Negan pour le voir seconder Rick Grimes, et ce dernier sent ses réticences et ses précautions fondre comme neige au soleil, l’une après l’autre. Avec ses émotions si facilement lisibles, Negan provoque une forte empathie, arrachant une forme de sympathie au lecteur. À nouveau ce processus ne fonctionne que grâce à la direction d’acteur extrêmement juste, rendu par les dessins. Le jeu d »acteur de celui qui incarne Negan donne l’impression au lecteur d’être face à un individu en chair et en os. Quand Negan s’adresse aux Sauveurs, le lecteur boit ses paroles, admire la manière dont il s’y prend pour capturer l’attention de son audience, pour les emmener avec lui dans sa rhétorique, ses gestes, ses postures. L’existence et le comportement de ce personnage sont aussi évidents que naturels.

Avec une telle équipe artistique, Robert Kirkman peut presque tout se permettre. Il peut faire croire que Rick Grimes laisse le doute l’emporter en écoutant Negan. Il peut faire croire que la plupart des individus respectent Rick Grimes pour sa sagesse, pour la perspicacité pénétrante de ses choix pour la marche à suivre par la communauté, le cap à garder. Il peut faire croire qu’une poignée ne parvient pas à accepter son mode de gouvernance et souhaite revenir à l’usage de la force. Bien sûr il reste des moments énormes tant sous la forme de révélation que sous une forme visuelle dans ce tome, et le divertissement reste assuré par des pages spectaculaires.

Il reste des moments énormes

Il reste des moments énormes© Image comics

Comme dans les tomes, précédents, le lecteur sent bien à 2 ou 3 reprises qu’il est soumis aux décisions arbitraires de l’auteur, que Robert Kirkman a conçu une situation dans laquelle il peut décider de tuer n’importe quel personnage, ou de faire basculer la situation par une révélation d’un personnage, ou au contraire le contraindre à se taire, à différer cette révélation par la survenance d’un événement sorti du chapeau ou peu s’en faut. Par exemple, dans une scène qui dure 8 pages, un personnage tombe à la renverse et sa tête heurte l’arrête d’une table. Le lecteur se rend bien compte que le mouvement qui a permis de le repousser aurait très bien pu s’avérer moins efficace, ou que la chute du personnage aurait pu juste se solder par une perte de connaissance, plutôt que par un décès. Il se dit alors que le scénariste manque vraiment de finesse, tout ça juste pour jeter de l’huile sur le feu entre l’agresseur et les autres membres de la communauté de la victime. Même Adlard réalise une mise en scène un peu poussive, pour bien montrer le choc de la tête contre la table.

Quelques pages plus loin, Kirkman met les pieds dans le plat quant à l’incompréhension entre l’agresseur tentant de convaincre et les amis du défunt, alors qu’il n’y avait aucun témoin à la scène. Le lecteur s’apprête à conspuer le scénariste pour son manque de finesse. Il découvre alors une séquence qui lui fait tout oublier, et qui le convainc de passer l’éponge sur cette maladresse, au vu de l’intelligence de la suite. Top fort !

S'attaquer à un infirme

S’attaquer à un infirme© Image comics

En plus, Robert Kirkman mène à son terme le déferlement de zombies d’une manière logique et quand même pleine de suspense. Il teste le caractère de ses personnages face au combat, avec des passages plus subtils comme la volonté d’Eugene Porter de continuer à prouver son utilité et son courage, comportement présent depuis plusieurs tomes. Bien sûr il survient plusieurs morts dont certaines imprévisibles. Le scénariste en profite pour développer la nécessité de l’entraide d’une manière inattendue, avec une forme de soutien touchante pouvant faire pleurer les plus sensibles, pour mettre en scène la nécessité de tenir bon pour continuer.

Ce tome délivre au lecteur tout ce qu’il attend : l’avancée inexorable de la marée de zombies, le combat avec un niveau de risque inimaginable des affrontements homériques, des protagonistes qui existent avec leur personnalité propre, des images chocs, une direction d’acteur irréprochable, une mise en scène d’une grande clarté et d’une grande conviction, des morts, et un fond de réflexion sur les enjeux d’une société. Comme à chaque fois, la force de conviction narrative est impeccable et les auteurs surprennent et déstabilisent le lecteur. Ils réussissent même à glisser des propos décalés, comme cette réflexion écologique sur le fait de se servir de l’océan comme de poubelle, en déversant les zombies dedans, ou encore une forme de fellation avec les pieds.

Sonnez hautbois, résonnez musettes

Sonnez hautbois, résonnez musettes© Image comics

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Les Zombies attaquent Alexandrie et plus rien ne sera jamais comme avant ! Le dernier tome de Walking Dead disséqué au cadavre près par Présence !

La Bo du jour : Les Zombies attaquent Aaaaaalexannndrie,
Ils n’font rien qu’embêteeeeer Ricky…..

23 comments

  • Bruce lit  

    Cher Présence,
    Tu as échappé à pire : Face à la mer de Passi et Calogero…
    Nous avions eu cette conversation il y a longtemps sur amazon avec Tornado : il m’aura fallu longtemps, presque 35 ans pour reconnaître que j’aimais certaines chansons de Claude François. Le type étant tellement odieux, sa musique étant tellement associée à des moments pénibles de ma vie….

    Sur l’article, je le trouve superbe. Mille fois meilleur que ce que j’aurais pu signer. Tu traduis simplement de retrouver cette association contre nature entre Negan et Rick Grimes. La finesse de l’analyse psychologique des personnages et des situations de crises qu’ils doivent affronter aux grosses ficelles que tu évoques.
    C’est un tome que pour ma part j’ai moyennement aimé. Non pas à cause de la mort de XXXX qui m’a quand même touché, mais l’excès de sentimentalisme inusuel qui l’accompagne. Et cette séquence à la Bendis en 16 cases aussi agaçante qu’efficace.
    Définitivement je préfère le comics à la série que je finirais par regarder (je n’ai pas vu la dernière saison et ne suis pas plus motivé pour y retourner). Je suis très curieux de voir la suite de tout ça et nous sommes désormais à égalité dans la découverte de WD.

    • Présence  

      Effectivement, j’ai échappé au pire concernant la BO.

      Comme toi, j’ai pris la mort de XXX comme un développement obligatoire, mais trop mécanique pour qu’il me touche vraiment. C’est la rançon des 160 épisodes précédents, et d’un prix à payer en vies humaines, trop régulier.

      Je n’avais pas formulé explicitement le constat de sentimentalisme inusuel, mais c’est exactement ça. En te lisant, je me suis dis que ce sentimentalisme constitue aussi une preuve du degré de sécurité assez élevé que les différentes communautés ont atteint. Les personnages peuvent maintenant se permettre des sentiments qui ne son pas liés directement à la survie.

  • JP Nguyen  

    Bon, je ne saurai ajouter de commentaire pertinent sur le comicbook lui-même, étant que je ne suis pas la série…
    Mais je tenais à saluer ce énième remarquable article de Présence, qui a pour particularité notable de se terminer par l’expression « fellation avec les pieds ».
    Si avec ça le blog n’explose pas les scores d’audience, je ne comprends plus Internet 😉 !

    • Présence  

      Merci pour ce petit mot sympathique, car je crains que ta compréhension ne soit à réévaluer à l’aune du peu de remarques pour ce commentaire. Quand Negan prend le devant de la scène, le lecteur peut compter sur lui pour mettre l’ambiance avec des évocations crues de pratiques sexuelles sortant de l’ordinaire, à défaut d’être déviantes.

      • Jyrille  

        Ah voilà ça me revient, j’avais oublié cette histoire de fellation avec les pieds mais ton commentaire m’a ravivé la mémoire.

        Depuis le week-end dernier, on a Netflix. Je pourrai regarder la série télé mais je n’ai toujours pas envie…

        • Présence  

          J’ai cité cette histoire de fellation avec les pieds, un peu pour choquer, mais plus parce que c’est une expression du caractère de Negan. En y repensant, c’est un individu épuisant et écrasant. Il est toujours en forme, il a toujours la répartie qui tue prête à fuser. Il a toujours raison et il impose toujours sa volonté avec aisance.

          Pour m’être lié d’amitié avec des hommes à la forte personnalité à plusieurs reprises (pourvu qu’OmacSpyder ne lise pas cette phrase, et n’aille pas en déduire des choses 🙂 ), c’est à la fois très stimulant du fait de l’énergie qu’ils dégagent, mais aussi un peu déprimant car il n’est pas possible d’entrer en compétition avec eux, ou de sortir du rôle de figurant (pas forcément de très bonne qualité) dans leur vie.

          Robert Kirkman a poussé ces caractéristiques assez loin pour Negan, grâce aux libertés offertes par la fiction. Il n’est jamais malade, jamais fatigué. Il a la force avec lui pour imposer sa volonté, ses valeurs et ses critères de jugement. Du fait de son absence d’empathie, il peut ignorer les valeurs d’autrui, et en ayant construit ses critères jugement à partir de ses propres capacités, il est le meilleur en tout.

          Pour en revenir aux remarques d’ordre sexuelles de Negan, c’est paradoxal. Comme il est montré à plusieurs reprises, il ne tolère pas les violences faites aux femmes, ayant déjà tué froidement un de ses propres hommes tentant de violer une prisonnière. Dans le même temps, il émaille ses propos d’images liées à la performance sexuelle mâle et virile, certes pour choquer, mais il le fait sciemment.

          De ce que montre Kirkman & Adlard, il n’a pas l’air d’avoir un appétit sexuel particulièrement important. En outre, les pratiques qu’il évoque sortent des rapports basiques, mais sans aller jusqu’aux performances hallucinantes, sadiques ou avilissantes qui sont monnaie courante dans les films pornographiques. Dans la vie de tous les jours, Negan serait un individu provoquant le rire par des propos transgressifs d’ordre sexuel, mais sans confondre les blagues avec la réalité.

          • Chip  

            « Robert Kirkman a poussé ces caractéristiques assez loin pour Negan, grâce aux libertés offertes par la fiction. Il n’est jamais malade, jamais fatigué. Il a la force avec lui pour imposer sa volonté, ses valeurs et ses critères de jugement. »

            Plus fort encore : plusieurs années d’isolement dans une poignée de mètres carrés n’ont eu aucun effet délétère sur sa santé mentale (OK il était déjà barré au départ, mais quand même) ni physique!

            En revanche fort désaccord ici : « Comme il est montré à plusieurs reprises, il ne tolère pas les violences faites aux femmes, ayant déjà tué froidement un de ses propres hommes tentant de violer une prisonnière. Dans le même temps, il émaille ses propos d’images liées à la performance sexuelle mâle et virile, certes pour choquer, mais il le fait sciemment.

            […]Dans la vie de tous les jours, Negan serait un individu provoquant le rire par des propos transgressifs d’ordre sexuel, mais sans confondre les blagues avec la réalité. »

            Il avait quand même monté un système de harem. Je pense que Negan incarne une masculinité archaïque, obsédée par la bite en tant que symbole de pouvoir, pour laquelle la femme est un trophée (on dit souvent que dans la masculinité toxique la femme n’est pas un joueur adverse mais le ballon).

            Il ne recule devant rien pour imposer sa volonté, mais a une dernière barrière : le viol pur et simple, dans sa version caricaturale et anecdotique, càd avec violence et par des étrangers – avec le sens relatif que prend ce terme pour des communautés de petit volume, certes, mais aussi composées de bric et de broc pour de simples raisons de survie. Negan ne peut comprendre une notion comme le consentement ou le viol conjugal, il n’est pas outillé pour. Peut-être un jour dans un moment de révélation, comme lors de la fin de la guerre?

            Sa vulgarité verbale est l’outil de l’assertion de sa dominance, sur les hommes comme les femmes. Comme beaucoup de survivalistes et personnages de la série, Negan croit à l’ordre naturel des individus alpha (qui ne s’applique même pas aux loups, en définitive), que ce soit intuitivement ou non.

            Après, j’imagine tout à fait Kirkman lui écrire un dialogue dans lequel il rationnalise ces prises de position pour la tenue d’un groupe et dans le contexte de la survie, il n’empêche : Negan est un calque du masculinisme actuel.

          • Présence  

            En lisant ton commentaire et ta conclusion sur le masculinisme, je me suis rendu compte qu’effectivement je ne me souviens pas de femme en position de pouvoir dans l’organisation de Negan, alors qu’il y en a plusieurs dans le groupe de Rick, et pas pour la décoration ou comme alibi.

  • Jyrille  

    Comme toujours je suis épaté par la finesse de ton analyse que je rejoins totalement, Présence. Tout est juste, autant pour Negan qui prend le devant de la scène (on veut un personnage fort, un héros) que pour les facilités scénaristiques. J’ai lu ce tome assez récemment et je ne sais même plus qui est mort, donc comme tu dis, ce n’est plus très marquant, on s’habitue après autant de tomes. Je suis un peu jaloux, car j’aurai apprécié lire tout WD presque d’un coup comme toi. Moi ce fut le cas jusqu’au tome 9.

    Mais je trouve que la qualité est largement remontée depuis une dizaine de tomes, le changement de situation et le bond dans le futur a été très bénéfique, comme une sorte de reboot de la série.

    La BO : impardonnable. Et pourtant moi aussi j’aime certaines chansons de Cloclo.

    • Présence  

      Effectivement, grâce à la gentillesse de Bruce (et à son entêtement), j’ai pu lire les 28 tomes en 1 peu plus d’un an. Merci chef.

      En ce qui me concerne, je n’ai pas ressenti de baisse dans l’intérêt de la série en comics. J’ai rédigé un article pour chaque tome que j’ai soumis à Bruce (mais un mois The Walking Dead risquerait bien de faire fuir les lecteurs du site). En prenant le point de vue politique développé par Thierry Araud dans ses 2 articles sur le présent site, il y a toujours quelque chose de nouveau dans la série, un enjeu fort sur le mode de reconstruction.

      • Jyrille  

        Voilà, en lisant tout ceci d’un bloc, l’intérêt est peut-être plus visible, tandis que lorsque tu attends un tome pendant six mois, tu ne sais plus trop quoi penser, surtout lorsqu’il ne se passe plus grand chose. Tout le contraire de ce tome 28, tout comme les trois ou quatre précédents.

        • Présence  

          Comme à mon habitude, je ne peux pas m’empêcher de réagir quand je lis l’expression : il ne se passe pas grand chose. Est-ce qu’on parle bien de l’affrontement entre la communauté d’Alexandrie et les Sauveurs ? L’action n’était pas en reste. Ou alors s’agit-il du début avec les Chuchoteurs ? Kirkman a réussi à confronter la volonté de construction d’une société inclusive par Rick Grimes, à un groupe d’individus dont les valeurs sont inconciliables avec les siennes, dans une confrontation tant physique qu’idéologique.

          Pendant mes vacances du moment, j’ai fini par trouver le courage de me plonger dans le tome de la petite bédéthèque des savoirs sur Les droits de l’homme. La confrontation avec les Chuchoteurs et l’impossibilité d’une coexistence pacifique (sans même parler d’unification des 2 communautés) se base exactement sur l’enjeu de la Déclaration universelle des droits de l’homme, à savoir l’attente implicite du citoyen quant à ses droits, ceux-là même qui sont explicités dans la Déclaration universelle.

          • Jyrille  

            Pardon Présence, je n’avais pas vu ton message avant. C’est très intéressant ce que tu dis des Chuchoteurs, il faut que j’y réfléchisse.

            Pour ce qui est du « il ne se passe rien », je crois que j’ai eu ce sentiment après le tome 9, bien avant Alexandrie et les Chuchoteurs. Et ce sur plusieurs tomes. Il faudrait que je les rouvre pour me souvenir, car c’est assez flou dans mon esprit. Comme je te le disais, ce sentiment a dû arriver alors que l’attente de six mois entre chaque tome était longue. Avec des épisodes plus posés qui ne semblent pas donner de direction, j’ai eu le sentiment qu’il ne se passait pas grand-chose.

            Par contre le saut dans le temps m’a immédiatement redonné envie de continuer à lire et a redonné une dynamique à la série, et depuis ce moment-là, je ne ressens plus cette monotonie que j’avais croisée auparavant.

  • Eddy Vanleffe  

    il est aujourd’hui assez aisé de « dézinguer » ce titre, mais c’est un tour de force que Kirkman a réalisé sur cette série.
    je suis admiratif et sans ironie.
    si j’ai jeté l’éponge parce que je ne parviens pas à suivre un truc sur des centaines d’épisodes, je ne pense pas que la qualité ait vraiment baissé. c’est juste que comme des trucs comme Garfield, y’a du mou de temps en temps…
    c’est aussi un fer de lance pour la BD indépendante, un truc qui prouve que c’est possible d’être ET indé et populaire. Clairement cela a rendu possible des trucs comme SAGA….
    les auteurs caressent de nouveau l’espoir de dépasser les 20 épisodes

    • Bruce lit  

      J’opine du chef.
      Pour ma part Kirkman a désormais dépassé l’héritage de Romero en matière de parabole zombie.

      • Matt  

        On est surtout arrivé à un point où les histoires de zombies de Romero qui visaient la société de consommation…est devenu un produit de consommation avec une série interminable et des tonnes de produits dérivés. Les zombies sont déjà là, ce sont les fans de Walking Dead^^

        Bon ok je provoque. M’enfin quand même je viens de lire le volume de la petite bedetheque des savoirs…et ça fait peur quand même de voir que les américains se sont sérieusement mis à mettre en place un protocole militaire en cas d’invasion zombie. ça rend tout le monde taré ou quoi cette mode ?

        • Bruce lit  

          Le survivalisme tout ça….
          Sauf que Robert Kirkman n’aborde pas ça de manière superficielle et pose tous les jalons d’une société à reconstruire. Ses zombies sont un procédé dramatique que l’on aurait pu remplacer par la peste ou n’importe quelle maladie.
          Lorsqu’il a commencé WD il y a 10 ans, personne n’aurait parié sur une série en noir et blanc avec des zombies. Il est effectivement devenu le symbole de la Hype. Un peu comme Star Wars et Lucas qui a bataillé pour mettre en scène son premier épisode. Sauf qu’à l’inverse de SW, WD a encore des histoires à raconter.
          Les romans que tu évoques viennent de Max Brooks l’auteur de World War Z. Je ne m’y suis jamais intéressé.

    • Présence  

      Je ne lisais plus de comics dans les années 2000, donc je n’ai pas vécu la montée en puissance de The Walking Dead. Du coup j’apprécie ta remarque sur que cette série a apporté en termes de mise en confiance d’autres créateurs indépendants.

  • Franz  

    Opiniâtre tel un rôdeur, je continue la série contre vents et marées putrides. Je dois avouer avoir marqué le pas sur ce volume en sur-place. La mort de qui vous savez est sans panache et son agonie s’éternise. Pour une série brutale jetant nos contemporains dans le chaos, révisant les rapports humains à l’aune de la survie, je pensais éviter cet étalage de bons sentiments. La confrontation Negan/Grimes est pathétique de ridicule. Heureusement, le tome suivant semble reprendre du poil de zombi et promettre plus qu’il ne pourra probablement tenir. Aargh ! Grrr !

  • Présence  

    Si vous avez lu mon commentaire, vous savez que je ne partage pas entièrement votre avis. Rick Grimes a vieilli depuis le début de la série, et il ne peut plus jouer le rôle d’alpha-mâle, alors que Negan est toujours autant d’attaque. En outre, Rick refuse catégoriquement un modèle de société qui appliquerait la peine de mort. De ce point de vue, le nouveau face-à-face entre Rick et Negan n’est pas plus artificiel ou contraint que celui qui avait lieu à la fin de la guerre entre les Sauveurs et le camp de Rick. Negan est devenu une ressource qu’il serait dommage de gaspiller. Kirkman affiche ses convictions sur la possibilité de la rédemption.

    Que la mort de qui vous savez soit sans panache est une alternative narrative à un dispositif déjà trop employé dans la série, de tuer des personnages principaux dans une mise en scène sensationnaliste. Mais au final, je partage votre avis, elle reste mécanique, sans réel impact émotionnel.

    Les bons sentiments – Je comprends qu’on puisse venir lire un tome de Walking Dead pour autre chose que des bons sentiments. D’un autre côté, ils trouvent plutôt bien leur place dans cette société qui a réussi à rétablir un minimum de sécurité, de planification à moyen terme, qui n’est plus dans l’urgence de la survie de chaque instant.

    Comme vous, je reviendrai pour le tome suivant.

  • Bruce lit  

    « Grimes a vieilli depuis le début de la série, et il ne peut plus jouer le rôle d’alpha-mâle ». Moui….pas tout à fait d’accord. Je pense surtout qu’il s’agit plus de limites physiques ou morales que de vieillissement physique. Depuis le début de la série Rick a perdu sa femme et son bébé, ses amis, sa maison, une partie de son humanité, sa main droite, sa jambe gauche et une balle dans le bide, ça calmerait n’importe qui.
    Ajoutons à ça la mort, le stentatives d’assassinat et les complots dont il est victime et l’on comprendra que Negan est quand même en meilleur état que son frère ennemi.
    J’ai lu le dernier volume hier, qui est encore un tome de transition avec un nouveau personnage haut en couleur.

    • Présence  

      C’est ce que je voulais dire : la suite de traumatismes subis par Rick Grimes a laissé des traces, comme tu le soulignes pas seulement physiques.

      Parce que je suis d’humeur taquine : à force de sur-utilisation, la formule Tome de transition s’est vidée de son sens à mes yeux. Il se passe forcément quelque chose pendant le tome, pas seulement du déplacement de pion. À chaque fois Kirkman prend grand soin d’inclure des développements que ce soit de l’intrigue ou des personnages.

      • Jyrille  

        Sur le terme de transition, je suis totalement d’accord avec toi, Présence.

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