Humanité poignante (Rusty Brown)

Rusty Brown de Chris Ware

Un article de PRESENCE

VO : Jonathan Cape

VF : Delcourt

Bribes de réalité
© Jonathan Cape      

Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Ce récit a été publié pour la première fois en entier en 2019. En fin de tome, l’auteur explicite quelles parties ont fait l’objet d’une prépublication. La première partie (113 pages) a été publiée dans NEW CITY et dans CHICAGO READER entre 2000 et 2003. La deuxième (pages 114 à 182) a été dessinée entre 2002 et 2004, et a été sérialisée dans CHICAGO READER. La troisième (pages 183 à 263) a été réalisée en 2010, et publiée dans THE BOOK OF OTHER PEOPLE, puis sérialisée dans CHICAGO READER. La quatrième partie est inédite (sauf pour les 4 premières pages) et réalisée entre 2012 et 2018. Cette bande dessinée est l’œuvre d’un unique auteur : Chris Ware, pour le scénario, le dessin, les couleurs, le lettrage.

Le tome débute par un dessin de la ville où réside Rusty Brown et ses parents, puis leur maison, puis sa chambre, respectivement qualifiés de Metropolis, de quartier général et de centre de commande. Puis un dessin en pleine page montre son école. Il n’y en a pas deux semblables : les cristaux de neige. Quel phénomène remarquable ! Les principaux personnages de cet ouvrage sont W.K. Brown dans le rôle de W.K. (Woody) Brown, Alison White dans le rôle d’Alice White, Jordan Wellington Lint III dans le rôle de Jason Lint, Chalky White dans le rôle de Calcium (Chalky) White, Joanna Cole dans le rôle de Joanne Cole, Franklin Christenson Ware dans le rôle de M. Ware, et Rusty Brown dans le rôle de Rusty Brown. En 1975, au lever du jour, un unique flocon de neige vient se poser sur le rebord de la fenêtre de Chalky White, alors que dans une autre maison, Rusty déclare son amour. Dans le même temps, la grand-mère vient réveiller Alice pour qu’elle fasse sa toilette.

Bien au chaud sous la couette, Rusty Brown est en train de jouer avec sa figurine de Supergirl, comme dans une romance entre elle et lui. Sa mère le rappelle à l’ordre : il doit se lever, et dégager l’allée, en pelletant la neige. Bien au chaud sous sa couette, Chalky entend sa grande sœur lui dire qu’elle passe la première dans la salle de bains. Rusty est sorti chaudement habillé avec sa poupée de Supergirl sous sa parka, se disant qu’elle enlèverait toute cette neige en un rien de temps avec sa vision calorifique. Il finit par se demander s’il lui arrive de rencontrer des difficultés pour l’arrêter. Chalky reste tranquille sans penser à rien. Puis il entend ses parents parler de lui depuis l’intérieur de la maison : il se dit qu’il bénéficie sûrement du superpouvoir de super-audition. Chalky reste tranquille dans son lit en contemplant le plafond. Rusty a fini de déblayer l’allée et la porte du garage s’ouvre, le laissant rentrer : il se demande comment il a acquis son superpouvoir, et comment il va améliorer le sort du monde avec la responsabilité que ça lui donne. Chalky s’est levé discrètement et se tient devant la porte de la salle de bain où sa grande sœur finit de s’habiller : il lui dit qu’il ne veut pas aller à l’école. William regarde par la fenêtre et se demande pour quelle raison son fils reste planté dans le garage sans rien faire.

Au chaud sous la couette
© Delcourt  

Plusieurs façons d’aborder cette œuvre : un respect intimidé, presque craintif, pour un auteur reconnu comme faisant œuvre de littérature, ou une inconscience très normale car il ne s’agit après tout que de dessins dans des cases, alignées en bande, rien de bien compliqué à lire. Le lecteur se rend bien compte du soin maniaque apporté à l’ouvrage : la jaquette amovible dépliable, la couverture avec les différentes typographies du nom du héros, dans des motifs géométriques, la deuxième de couverture avec un cadre indiquant que ce livre est la propriété de Rusty Brown (nom porté au crayon de couleur), les trois premières pages montrent les lieux de vie de Rusty, puis vient la double page sur l’unicité de chaque flocon de neige, la présentation de sept principaux personnages, une double page pour le titre, et l’histoire débute. Le premier chapitre est donc consacré à la première journée d’école de Chalky et à la même journée pour les autres personnages qui se croisent en fonction des moments de la journée.

Les dessins sont d’une grande lisibilité, très proches de la ligne claire, avec de nombreuses formes géométriques simples pour les éléments de décors, une représentation de la réalité tout public. Puis le récit se focalise sur le père de Rusty au temps présent avec des retours en arrière et la nouvelle qu’il a écrite ici racontée sous forme de bande dessinée intégré à la narration. Vient ensuite l’histoire de Jason Lint, celui qui maltraite Rusty à l’école, sa vie racontée depuis sa naissance jusqu’à sa mort. Le dernier chapitre s’attache à la maîtresse d’école afro-américaine Joanne Cole au temps présent avec de nombreux retours en arrière sur sa vie jusqu’à ce moment. Tout du long, les dessins conservent cette précision incroyable, réalistes avec un degré de simplification. Le nombre de cases par page est assez élevé : une quinzaine en moyenne. Cela peut aller d’une page qui contient une demi-douzaine de cases, à une qui en contient 176 (minuscules, mais parfaitement lisibles). Les couleurs sont posées en aplat à quelques exceptions près. Le lecteur note que l’artiste varie la graphie des textes en fonction du contexte, avec des phylactères parfois minuscules également.

176 cases en 1 page
© Delcourt 

Donc, oui, c’est bien une bande dessinée avec des cases bien rectangulaires, des dessins très faciles à lire (même dans les petites cases) racontant la vie de personnages auxquels le lecteur s’attache vite du fait de leur fragilité (Rusty, Chalky), de leur gentillesse (Alice, Joanne), de leur mal-être (William), de leur détachement (Chris), de leur manque de maîtrise sur leur vie (Jason). C’est aussi plus que ça. Dès la prise en main, le lecteur fait ce constat : format à l’italienne, un peu plus d’un kilo et demi. Sa curiosité le pousse à enlever la jaquette amovible : il découvre la reliure de très grande qualité, ainsi que ce jeu sur les formes géométriques et sur la graphie de Rusty Brown. Il se rend compte que la jaquette se déplie : en plus des ronds se focalisant sur un détail visuel du récit, il découvre un labyrinthe, une autre façon de plier la jaquette, un très joli motif de tapisserie, des vues isométriques des principaux lieux, et une vue en coupe de la fusée dans laquelle voyage les personnages de la nouvelle écrite par WK Brown. Un soin rare et une minutie maniaque apportés à une simple jaquette. Puis il y a cette présentation des personnages qui portent un nom légèrement différent dans l’histoire, comme s’ils jouaient un rôle de composition. L’auteur attire l’attention du lecteur sur l’artificialité de ses personnages.

Puis le lecteur plonge dans cette journée et il est frappé par l’apparence de Rusty Brown dents de devant en avant, yeux ronds et vide, coupe de cheveux à la Playmobil, visage exprimant souvent le mal-être de la victime sans défense. Pourtant les formes de sa silhouette sont rondes et douces, en rien agressives ou tourmentées. De la même manière son père a l’air totalement inoffensif : rondouillard, dégarni, avec des grosses lunettes. L’auteur se met en scène avec encore moins de cheveux, et également un peu empâté. Chalky a l’air plus jeune que Rusty, craintif à l’idée de se retrouver dans une école où il ne connaît personne, moins défaitiste que Rusty. Alice est une jeune fille attentionnée, respectueuse, dans des habits sans fantaisie. Le cas de Jason est un peu différent : les contours de sa personne restent doux et arrondis, mais le lecteur le voit vieillir au fur et à mesure, de nourrisson à vieillard, dans les différentes phases de sa vie. Il en va de même pour Joanne. Cette représentation des individus, simplifiées et tout public, rend la projection du lecteur dans chaque personnage, plus facile car ils sont plus expressifs et leurs différences sont moins marquées. À quelques reprises, l’artiste joue sur le mode de représentation en en changeant radicalement. Par exemple, quand Jason est encore un nourrisson, la représentation des individus et des environnements est nettement simplifiée comme s’ils étaient vus par son esprit encore en développement. Le mode de représentation change également radicalement d’apparence pour l’autobiographie du fils de Jason qui exprime toute la colère qu’il ressent envers son père.

Chris Ware ne craint pas le ridicule.
© Jonathan Cape

S’étant embarqué dans les cent premières pages que Chris Ware qualifie d’introduction, le lecteur commence par se rendre compte que la lecture est lente, du fait du nombre de cases, du fait des petits (voire très petits caractères), du fait de la double narration (les quatre cinquièmes du haut consacrés à Rusty, et la bande inférieure consacrée à Chalky & Alice), et du fait de la narration très carrée, et très naturaliste. Il est frappé par la banalité de ce qui est décrit : se lever, accomplir les tâches quotidiennes, la fascination de Rusty pour les superhéros, le décalage avec les préoccupations des adultes, les phrases toutes faites échangées entre collègues, l’entrée en classe, etc. En même temps, il est tout aussi frappé par les particularités qui lui sont montrées. La complémentarité entre dessins et phylactères est extraordinaire, sans jamais de répétition avec des interactions si évidentes qu’elles sont invisibles si le lecteur n’y prête pas attention.

Cette banalité du quotidien est indissociable de l’environnement. Il neige : l’artiste laisse des zones blanches sur la page, ajoute des flocons qui semblent comme manger le dessin ou l’effacer à l’endroit où ils se trouvent. La pureté immaculée de cette neige ne semble pas de ce monde, et introduit une forme d’hostilité douce dans l’environnement. Du coup, le quotidien des uns et des autres est fortement contraint par ces intempéries, à commencer par le rituel de s’habiller en conséquence, et de se départir de sa tenue d’extérieur en entrant dans un bâtiment, des gestes banals pour des individus habitués au grand froid, des gestes exotiques pour des individus vivant dans des régions tempérées. Dans le même temps, le lecteur se retrouve vite à compatir aux malheurs de Rusty qui n’est pas battu, mais déconsidéré aux yeux de son propre père, et en butte aux mesquineries de certains de ses camarades de classe. En quelques (petites) cases, l’auteur montre l’attachement de Rusty à ses moufles offertes par sa grand-mère (un souvenir chaud et agréable) et la méchanceté presqu’inoffensive d’un grand qui crache dans une de ses moufles juste pour l’embêter. Ware ne déploie aucun effet mélodramatique : il reste juste factuel avec ses dessins un peu froids, presque dépassionnés.

Joane Cole apprend à jouer du banjo.
© Delcourt   

Ainsi le lecteur compatit avec ces individus banals et sans éclats, apprécie comment chacun voit la réalité à sa manière, et vit les petits riens de la vie de son point de vue, avec sa position sociale, son âge, son caractère : un récit choral mettant en avant la particularité de chaque vie quotidienne. Il arrive à la fin de l’introduction, éprouvant la sensation d’avoir lu un roman complet, réalisé par un auteur attentionné pour ses personnages, mais sans sensiblerie pour autant, avec un ton très personnel. Sans marque particulière, il passe à la seconde partie… et il découvre un second roman tout aussi riche que le premier, de 68 pages dont 22 pages sont en fait la nouvelle écrite par WK Brown, et présentée sous forme de bande dessinée. Cette nouvelle est supposée avoir été écrite dans les années1950, et Ware met en œuvre l’imagerie SF correspondante. La suite de ce chapitre est consacrée aux débuts professionnels de William, et à sa relation avec la femme qui l’a dépucelé. Les dessins sont toujours aussi ronds et un peu froids, très factuels, et c’est dans cette partie que se trouve la page avec 176 cases. Avec un peu de recul, le lecteur y voit un auteur à la carrière artistique contrariée, et son œuvre majeure (la nouvelle en question). Il peut prendre la mesure de l’influence de la vie quotidienne et de l’histoire personnelle de Brown sur ce qu’il écrit, et projeter ces liens sur Chris Ware auteur lui-même, à ceci près que lui a réussi sa carrière artistique.

La troisième partie est consacrée à la vie d’un homme né dans une famille aisée, et menant sa vie de manière plutôt égoïste. Mais il se produit un phénomène psychologique étrange chez le lecteur. Il ne juge pas tant que ça Jason Lint. C’est le personnage principal, et dans les deux chapitres précédents, le lecteur a éprouvé une forte empathie pour plusieurs personnages, chacun imparfait, prenant conscience du degré auquel le déroulement de leur vie découle de leur milieu social, de l’environnement dans lequel ils vivent, de leurs parents, de leur éducation. Le même processus d’identification et d’empathie se produit avec Jason alors qu’il est responsable de la mort d’un de ses amis sur le siège passager, alors que Jason était le conducteur sous l’emprise d’un produit psychotrope. Le lecteur voit également revenir les thèmes des chapitres précédents : l’éducation, la filiation, le conditionnement social et familial, les moments de plaisir, les premières fois qui ont laissé une empreinte indélébile dans l’individu qui va chercher à les retrouver ou à les recréer, consciemment ou inconsciemment, tout le long de sa vie, l’angoisse, la maladresse, la solitude, l’incommunicabilité, mais aussi la richesse du monde intérieur de chaque individu, son unicité et les différentes couches de conscience qui coexistent dans l’esprit d’un individu. Dans cette partie, de temps à autre, le lecteur prend conscience d’autres effets visuels subtils. Dans le premier chapitre, l’artiste a habitué l’œil du lecteur aux répétions visuelles : un même plan sur deux pages en vis-à-vis, un motif récurrent à peu de cases de distance. Ainsi le lecteur se fait la remarque que telle case répond à un autre moment, ou que Chris Ware s’amuse bien avec le motif géométrique du cercle, pouvant aussi bien devenir le symbole d’une fleur que du sein d’une femme.

Le père de Rusty, ex-écrivain
© Delcourt  

La dernière partie, celle inédite, s’attache à la maîtresse de Rusty Brown. La tonalité du récit change imperceptiblement et il faut un peu de temps au lecteur pour comprendre en quoi. Cette institutrice a choisi une vie solitaire : rien n’indique qu’elle lui a été imposée, ni par son éducation, ni par les circonstances de sa vie. C’est un choix positif, alors que les précédents personnages souffrent de solitude, même quand ils ont une vie de famille normale. Visuellement, Joanne ne semble avoir qu’une seule expression : un visage impassible, et souvent compréhensif pour tous ses interlocuteurs. Elle se rend à l’église, elle est croyante, et elle joue du banjo (comme Chris Ware lui-même). Elle est en butte à un racisme sous-jacent, non-agressif mais humiliant. Certains individus blancs s’adressent à elle comme si elle avait une intelligence limitée, celle d’un enfant, malgré son statut d’institutrice. Elle est à la fois bien intégrée dans la société, et à la fois une personne irrémédiablement différente. Le lecteur fait le rapprochement avec le fait que Rusty est roux, ce qui le différencie aussi, mais d’une autre manière, des autres. Son père est également roux. Jason se retrouve également un peu à l’écart du fait de la fortune de ses parents. Malgré son impassibilité apparente et son altruisme naturel (ou peut-être cultivé), Joanne n’est pas une sainte et connaît aussi des moments de déprime ou peut être excédée par certaines situations qu’elle vit comme des injustices. Elle reste un personnage positif et admirable tout du long… et pourtant quelque chose semble clocher, ou manquer pour faire sens. Cette pièce manquante arrive en fin de tome et est un crève-cœur. Puis, le lecteur tourne la dernière page et découvre un mot s’étalant sur la double page : entracte. Cela annonce-t-il un deuxième tome ?

Ce n’est qu’une bande dessinée avec des dessins bien faits dans des cases bien délimitées avec une sensation de rigueur géométrique, qui raconte la vie de quatre personnes pour la première partie, d’un homme sur une journée pour la seconde sur plusieurs décennies, pour la troisième d’un autre homme de sa naissance à sa mort, et pour la dernière d’une femme de son enfance à quarante ou cinquante ans. Ce n’est que la vie banale de personnages de papier. Une fois qu’il s’est accoutumé à la narration en petites cases, le lecteur se retrouve ému par ces individus si particuliers dans ce coin précis du Nebraska, et pourtant éprouvant des sensations si identiques aux siennes. Il n’y a aucun mélodrame appuyé ou savamment épicé, mais plutôt une honnêteté franche avec une sensibilité aiguisée, et l’expérience de ce qui fait tout le drame de la vie humaine. Qu’il soit sensible ou non à l’extraordinaire habileté de la narration visuelle, le lecteur ressent ces récits poignants dans son âme, des êtres identiques à lui, alors que la société dans laquelle ils vivent semble incapables de créer les conditions nécessaires pour que chacun en ait conscience. En fonction de son propre parcours de vie, le lecteur reconnaît des états d’esprit par lesquels il a pu passer, des réflexions qu’il a pu se faire, ou se dit que telle façon de voir les choses est originale, qu’il n’y aurait pas pensé comme ça, mais que ça reflète bien ce qu’il a ressenti. Il lui suffit pour ça de penser à l’intensité des premières fois et à l’empreinte durable qu’elles laissent Ces personnages de papier, pathétiques perdus dans un petit patelin du Nebraska, sont ses frères en humanité, avec une rare profondeur.

Lieux de vie de Rusty
© Delcourt

30 comments

  • zen arcade  

    « Ces personnages de papier, pathétiques perdus dans un petit patelin du Nebraska, sont ses frères en humanité, avec une rare profondeur. »

    Voilà, c’est tout à fait ça.
    Immense chef d’oeuvre.

    • Présence  

      Merci. Immense chef d’œuvre : il m’a ému jusqu’aux larmes malgré mon cœur de pierre. C’est une œuvre à la fois très personnelle, l’histoire racontée par quelqu’un d’autre n’aurait pas du tout la même saveur, serait peut-être même insipide. Et dans le même temps les émotions sont universelles, défiant toute barrière de langue ou de culture. Un tour de force.

  • Ludovic  

    Ça détaille bien comment Chris Ware arrive à chaque fois (et ici à l’intérieur d’un même livre) à renouveler son dispositif pour raconter ses histoires et de fait à chaque fois nous faire découvrir ses personnages sous un nouvel angle et à chaque fois enrichir, complexifier et renforcer notre empathie pour eux, au point que ça en devient parfois troublant et souvent poignant.

    Tout le segment sur Jason Lint est vraiment sidérant.

    • Présence  

      A chaque fois enrichir, complexifier et renforcer notre empathie pour eux, au point que ça en devient parfois troublant et souvent poignant : c’est tout à fait ce que j’ai ressenti.

  • JB  

    Je dois dire que le genre « tranche de vie » m’intéresse généralement peu, quel que soit le médium. Mais le talent de l’artiste et l’innovation graphique dont il fait preuve risquent de me convertir !

    • Présence  

      Au départ, c’était surtout un défi pour moi. J’avais lu Jimmy Corrigan en VF il y a une vingtaine d’années : j’avais ressenti des émotions, mais je m’étais ennuyé. J’ai réessayé avec Rusty Brown en prenant mon temps, en savourant : je me dis que forcément la maturité (en supposant que j’en ai acquis un peu 😀 ) m’a aidé à m’adapter à cette écriture si particulière.

  • Eddy Vanleffe  

    Le récit a l’air captivant, je coince plus sur l’aspect géométrique du graphisme.
    Je le lirais comme tant de choses volontiers en médiathèque.
    Comme d’hab, ton explication Présence, est d’une clarté absolue.

    • Présence  

      Je te confirme que la sensation géométrique se ressent également à la lecture. Je n’ai pas réussi à exprimer ce qu’elle induit dans le ressenti chez le lecteur.

  • Tornado  

    Je connais l’artiste parce que j’ai montré des planches à mes élèves dans l’optique de leur faire découvrir des BDs contemporaines différentes et créatives, sortant du canon ordinaire.
    A décortiquer, comme ça, c’est très intéressant.
    Franchement je dois quand même confesser que j’ai autant envie de lire ça qu’un traité sur la plomberie ou la mécanique auto…
    La vie banale des gens, c’est le sujet que je fuis à des kms. Je me souviens être sorti du cinéma furieux après avoir vu LE GAMIN A VELO des frères Dardenne. 1h30 de ma vie consacrée à voir sur un écran ce que je n’ai qu’à observer dans la rue ? Ce n’est vraiment pas ce que je recherche.
    Les planches de Chris Ware dégagent néanmoins un charme certain malgré une approche plus qu’aseptisée.
    Notez que je ne conteste pas le talent de l’auteur. Mais je le laisse aux amateurs de ce type de BD.

    • Présence  

      A décortiquer, comme ça, c’est très intéressant : voilà un cours auquel j’aurais bien aimé assister car j’ai beau essayer de décortiquer, je ne saisis pas l’état d’esprit ou la démarche artistique qui aboutit à une telle forme, et comment elle est aussi parlante pour exprimer des sentiments aussi profonds, des sensations aussi subtiles.

  • Fletcher Arrowsmith  

    Bonjour Présence,

    j’aime beaucoup ce que fait Chris Ware. Il fait parti à mes yeux, d’un cercle restreint de génies modernes de la bd internationale, par son approche et son humanité. Les lignes bougent avec Chris Ware et on a à chaque fois l’impression de redécouvrir le médium. BUILDING STORIES est une expérience extraordinaire.

    J’ai parcouru ton billet, très bien écrit, avec grand intérêt. D’ailleurs ton style d’écriture convient bien à l’œuvre de Chris Ware

    En fonction de son propre parcours de vie, le lecteur reconnaît des états d’esprit par lesquels il a pu passer, des réflexions qu’il a pu se faire, ou se dit que telle façon de voir les choses est originale, qu’il n’y aurait pas pensé comme ça, mais que ça reflète bien ce qu’il a ressenti. Il lui suffit pour ça de penser à l’intensité des premières fois et à l’empreinte durable qu’elles laissent Ces personnages de papier, pathétiques perdus dans un petit patelin du Nebraska, sont ses frères en humanité, avec une rare profondeur. : tout est dit.

    Comme pour JIMMY CORRIGAN, il y a 5 ans, je sais désormais ce que je vais m’offrir pour mon anniversaire (Bruce c’est demain il me semble, moi c’est samedi) : RUSTY BROWN.

    Et si on parle du Nebraska, j’en profite pour rappeler que l’autre Bruce, l’autre boss, lui a consacré un album intimiste entier. (il y a même un tribute à cet album).

    • Présence  

      J’étais passé complètement à côté de ma première lecture de Jimmy Corrigan, emprunté en bibliothèque. Du coup, je vais le relire en VO, après avoir lu l’ouvrage de Jacques Sampson et Benoît Peeters sur Chris Ware.

  • Jyrille  

    Bravo et respect Présence pour avoir relevé le défi de chroniquer du Ware. Tu le dis toi-même : ce peut être intimidant. Pour ma part, j’ai noté depuis longtemps que je dois écrire sur BUILDING STORIES, mais je ne l’ai pas encore fini. En fait, je me suis refusé à acheter ce Rusty Brown pour le moment car j’ai trois Chris Ware débutés que je n’ai pas finis : BUILDING STORIES, ACME et QUIMBY THE MOUSE. A chaque édition, il y a un travail maniaque sur les détails, la conception de la pochette etc… Or tu dis que c’est lisible, mais je ne pouvais plus le faire sans avoir de lunettes. Maintenant que j’en ai et m’en sers quotidiennement pour le travail ou la lecture, je vais pouvoir m’y remettre.

    Est-ce ton premier Ware ? Car tant dans la forme, l’édition et le fond, il ressemble au seul Chris Ware que j’ai pu finir, JIMMY CORRIGAN. Une lecture fantastique, où l’on ressent ce que tu décris ici pour ses personnages. De plus, le thème de la filiation et du père y est très prégnant également, Ware s’en explique d’ailleurs dans la postface…

    J’ai vu le livre dont tu parles dans ton premier commentaire, cela a l’air en effet extrêmement intéressant, mais je préfère avoir ton retour : après tout, je dois lire mes Ware d’abord.

    • zen arcade  

      Par rapport à Jimmy Corrigan, Ware enrichit encore sa palette de personnages.
      Par exemple, le personnage de Joanne Cole, développé dans le dernier segment du livre, me parait neuf dans son oeuvre et ouvrir son oeuvre à quelque chose de plus solaire. On a pu reprocher à Ware de se complaire à ne raconter que des histoires de personnages neurasthéinques, ici, Joanne Cole échappe à ce carcan.
      C’est ce qui rend ce Rusty Brown encore plus précieux à mes yeux que Jimmy Corrigan.
      Tout est extraordinaire dans Rusty Brown mais les deux derniers segments du livre le portent à un niveau de perfection rarement atteint.
      Le segment Lint qui en 80 planches raconte les 80 années de la vie d’un homme, une planche par année, est un tour de force formel extraordinaire qui ne renonce en rien à l’émotion qu’il suscite à sa lecture et ensuite le segment Joanne Cole est sans doute la bande-dessinée la plus émouvante qu’il m’ait jamais été donnée de lire. Je n’ai pas de mots pour en décrire la perfection absolue. Avec un final qui transformerait le coeur le plus endurci en midinette éplorée.

      • Jyrille  

        Merci Zen, enfin non, tu m’aides pas, et là maintenant je me dis que je n’ai plus le choix, je dois la prendre.

    • Présence  

      @Jyrille

      Pour l’instant, je suis en train de finir un autre livre de Benoît Peeters : 3 minutes pour comprendre 50 moments-clés de l’histoire de la bande dessinée. Un ouvrage remarquable de concision et de précision, aussi bien abordable par le grand public que par le lecteur chevronné de bandes dessinées.

      J’avais déjà lu Jimmy Corrigan, mais sans y prendre beaucoup de plaisir. Je présume que je n’étais pas encore assez mûr, ou pas dans un état d’esprit réceptif pour pouvoir comprendre.

  • Bruce lit  

    Je suis très partagé.
    L’album est dans ma PAL, imposant peut-être trop. Je ne goûte pas du tout aux graphismes pattes de mouches géométriques et aux couleurs notices d’évacuation des compagnies aériennes.
    Mais c’est un argument superficiel au regard de la profondeur que tu décris Présence. C’est même carrément dans mes cordes et dans les histoires que j’apprécie et recherche si je me m’y mets.
    Il n’empêche que pour l’instant l’eau est froide et je peine à me jeter à l’eau.

    • Présence  

      Imposant peut-être trop : j’avais la même appréhension, mais après tout, c’est juste des dessins dans des (petites) cases, avec un peu de texte.

      • Bruce lit  

        Je n’arrive pas à m’expliquer comment des dessins si froids et désincarnés peuvent servir un histoire semble t-il si émouvante.

        • Présence  

          C’est également un mystère pour moi, c’est la raison pour laquelle j’ai acheté le bouquin de Samson et Peeters sur Chris Ware.

          • zen arcade  

            Un chef d’oeuvre, n’est-ce pas une oeuvre de laquelle il n’est plus possible de rien retrancher ?
            Ce n’est pas froid et désincarné, c’est travaillé à la moëlle.
            Il y a une justesse dans le trait de Chris Ware qui entre en adéquation parfaite avec la justesse du regard qu’il porte sur ses personnages.
            Ca ressemble à de l’alchimie mais c’est évidemment plutôt l’accumulation d’une quantité énorme de travail, d’une précision presque surnaturelle, pour trouver le trait juste et l’émotion juste.

          • Présence  

            L’accumulation d’une quantité énorme de travail, d’une précision presque surnaturelle : cette caractéristique, je l’ai bien ressentie à la lecture, cette minutie exquise et maniaque, avec une structure d’une grande rigueur qui reste sous-jacente, qui n’est pas mise en avant comme une propriété remarquable pour elle-même. Un tour de force qui dépasse mon entendement, qui me fait supputer que cette œuvre peut m’apporter beaucoup plus sous réserve que d’autres me tiennent pas la main dans cette découverte.

  • Surfer  

    Il faut absolument que je lise du CHRIS WARE. J’ai envie de vivre cette expérience qui me semble incontournable pour tout amateur d’art séquentiel.

    Entre JIMMY CORRIGAN et RUSTY BROWN mon cœur balance . Mais je crois que je vais commencer par JiMMY car il me semble qu’il est sorti avant.

    En tout cas ton pouvoir de persuasion m’a convaincu du génie de cet auteur.
    Sors de ce corps Zebediah Killgrave…!!!!! Tu vas me ruiner 😀😀😀

    • Présence  

      Date de parution VO, sans compter la prépublication partielle ou totale :

      – 2000 : Jimmy Corrigan
      – 2003 : Quimby the mouse (strips pour partie parus avant Jimmy Corrigan, et pour partie après)
      – 2005 : The Acme Novelty Library Annual Report to Shareholders,
      – 2012 : Building stories
      – 2019 : Rusty Brown

  • Jyrille  

    Bon ben vous m’avez eu, je me le suis pris…

    • Présence  

      Reste à trouver le bon moment pour le lire. C’est ainsi que Jimmy Corrigan m’attend sur ma pile de lecture…

      • Jyrille  

        Voilà… j’ai plus de 250 bds dans ma pile à lire…

  • Présence  

    De la minute 45′ à la minute 50′, Benoît Peeters prend en exemple le chapitre Lint de Rusty Brown pour expliquer la la construction subtile et émouvante de la narration de la vie d’un homme.

    https://www.youtube.com/watch?v=xW2lbbaCNGQ&t=1626s

Répondre à zen arcade Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *