In Otero

Le roman de Boddah par Nicolas Otero

Kurt Cobain : un homme enfant, un homme en femme, un homme enfin ?

Kurt Cobain : un homme enfant, un homme en femme, un homme enfin ?©Glénat

VF : Glénat

Le roman de Boddah est un roman graphique écrit et dessiné par Nicolas Otero et adapté du roman éponyme de Héloïse Guay De Bellissen.  Il s’agit d’une biographie de Kurt Cobain, le leader de Nirvana.

Boddah était l’ami imaginaire de Cobain depuis l’enfance. La lettre d’adieu de Cobain découverte près de son cadavre lui sera adressée ainsi qu’à sa femme et sa petite fille Frances alors âgée de 2 ans.  

Votre serviteur n’a pas lu le roman de De Bellissen mais il connait son Culte Cobain par coeur et a bien les boules en écrivant cet article le jour de la mort de David Bowie…..

Pas de spoilers pour cet article, tout le monde connaît la fin…..

Bien…après cette joyeuse entrée en matière, continuons donc avec le contenu tout aussi jovial.  Voici donc une illustration des derniers jours de Kurt Cobain. Enfin, pas exactement, puisque le concernant, on peut se demander quand ce petit bonhomme chétif à la beauté d’un ange et cette voix, cette voix unique, semblable au papier de verre que l’on déchire sortie de cette bouche aux contours magnifiques (et, semble t’il malodorante), avait déjà prémédité d’en finir avec la vie.

In my head / I'm so ugly....

In my head / I’m so ugly….©Glénat

Cobain, c’est à lui seul toute la mythologie du rock mais aussi celle du suicidé de la société. Parlez en encore à table pour bien animer vos soirées. Certains le considéreront comme le héros ultime refusant de se laisser corrompre par le système et utilisant sa liberté pour s’auto-détruire plutôt que de devenir un vendu.

D’autres trouveront qu’il a agit comme un couard égoïste en laissant une pauvre gosse orpheline qui, après une mère héroïnomane et des placements en famille d’accueil dès son plus jeune âge, allait devoir composer avec un père mort et quelques photos en souvenir.
Enfin, certains et ils sont souvent les plus pénibles, vous expliqueront que Cobain a été assassiné par sa femme et avec un peu de chance tenteront de vous persuader qu’Elvis est vivant, que les chambres à gaz n’ont jamais existé et que le 11 septembre est une mise en scène de l’état major américain…

About a girl...

About a girl…©Glénat

Le roman de Boddah ne tranche pas sur le sujet. Ou plutôt si. A sa manière.  Etape par étape, le processus d’agonie mentale de  Cobain y est décrit de manière froide, souvent terrifiante, aboutissant au résultat que l’on sait.

J’avais 21 ans lorsque Kurt est mort. Comme tout le monde, je fus choqué. mais pas surpris. Cobain avait suffisamment mis en scène sa propre mort pour distiller son adieu en pointillé. Les interviews où il disait tout et son contraire comme un petit garçon qui voudrait rassurer sa famille trop inquiète mais qui ne trompaient personne, les rumeurs les plus folles sur cet album qui devait s’appeler « Je me déteste et je veux crever« , les photos de lui prises pour rigoler un flingue dans la bouche, ses concerts où il semblait dissocié, son regard absent s’opposant à la souffrance qu’il nous hurlait sous les hourras. Et bien sûr cet Unplugged que nous découvrîmes en France Post-Mortem où la majorité des chansons parlaient de… la mort, de sa mort, sur un plateau, décoré selon ses vœux comme pour une veillée funèbre.

Smells like Kurt's spirit

Smells like Kurt’s spirit©Glénat

Le roman de Boddah évoque, sommairement, ces séquences. Comme le Golgotha du Christ, ces étapes sont connues par coeur des apôtres d’un Cobain qui refusait d’être leur messie, après avoir été brièvement intéressé par le rôle. Le bébé flottant derrière le dollar de Nevermind, c’était lui, ex-rocker underground signé par une major avec une production léchée et tubes en puissance. Cette BD rappelle s’il fallait encore en douter que l’envers du rock fut un vrai cauchemar pour Cobain, un cercueil qu’il avait cloué tout seul.

Ce qui surprend de prime abord, c’est le courage artistique dont Otero fait montre. Malgré la gloire, l’amour et le pognon, à aucun moment le lecteur n’a envie d’être à la place de Cobain. Oui, le rocker était un écorché vif. Doté de pulsions autodestructrices non feintes. Terrorisé par la vie, et le bonheur. Qui fait promettre à Courtney Love de mourir avec lui. Incapable de baiser sans drogues. Sur le point de se suicider-déjà– devant sa fille née depuis quelques minutes (il faudra que Love lui arrache le flingue de la main après avoir accouché !). Victime d’hallucinations laissant augurer une personnalité borderline.

It's hard to find / But Whatever/ Nevermind

Happiness ? It’s hard to find / But Whatever/ Nevermind©Glénat

Le roman de Boddah montre que l’artiste incroyable se nourrissait de l’homme sans que la réciproque soit vraie, Cobain se voyant souvent comme son propre parasite agonisant, vomissant crapauds et serpents.  Otero ne cherche à aucun moment à glorifier le suicide de l’artiste. Il le représente au contraire le visage arraché par la détonation,  le corps de l’idole réduit à de la viande froide baignant dans son sang, loin de tout glamour hollywoodien.
Il en sera ainsi tout du long. Utilisant trois trames de couleurs grises (trois comme le trio que constituait Nirvana), Le roman de Boddah suit Cobain de sa première rencontre avec Courtney Love (au passage plutôt réhabilitée, en tout cas la moins folle des deux et semble t’il réellement amoureuse), à ce jour d’avril 94 où seul comme un chien, il se fit sauter le caisson. Toute rumeur concernant l’infidélité de Love qui aurait mis Cobain au désespoir a été soigneusement écarté.

Otero met en image avec un talent fou, ce que tout le monde imaginait, sans se le représenter : le quotidien glauque et morbide d’un (Polly)toxicomane, superstar adulée le jour, SDF la nuit. On savait que Kurt n’était pas du genre à attacher grande importance à son image, mais quand même le voir allongé dans des squats, des caniveaux ou près des poubelles, donne l’ample mesure de l’errance du « Negative Creep ». A cela près que cette odyssée mentale l’emmène aux confins de la paranoïa sans la lucarne d’espérance d’un Roger Waters au moment de The Wall.

I'm a Negative Creep/ And I'm Stoned !

I’m a Negative Creep/ And I’m Stoned !©Glénat

Chaque chapitre de Boddah est une brique dans le mur que Cobain construit pour s’isoler du monde qui l’agresse et des gens qui l’aiment. Voici la tragédie de ce grand maniaco-dépressif : à aucun moment, le bonheur, l’amour et la reconnaissance ne semblent le nourrir.  Comme une bouteille trouée, qui, peu importe la qualité du liquide y pénétrant, ne se remplirait jamais. Tout est chez lui motif d’insatisfaction et de suspicion. A croire qu’à l’extrême simplicité de sa musique se disputait une multitude d’émotions contradictoires de cet homme qui, en fin de vie, ne se lavait ni ne s’alimentait plus.

De la première séance cul avec Courtney à la tentative de suicide de Rome en passant par l’inoubliable passage à NPA, tout est donc là dans toute sa décrépitude. Tout au plus pourrions nous reprocher à Otero de ne s’être axé que sur les  instants les plus pathétiques de la vie de Cobain en occultant les quelques moments de joie. Nirvana savait quand même déconner et Kurt sourire de temps à autre. Il y a certes un irrésistible duel avec le groupe Killing Joke  pour compenser le plagiat avéré de Cobain de la chanson Eighties pour l’intro de Comes as you are, mais ces moments sont trop rares pour alléger un récit marqué par la tristesse.
Bien entendu, comme dans beaucoup de Biopics, le reste du groupe apparaît sommairement et il est aussi frustrant que le volet musical soit presque totalement occulté.

I hate myself and I want to die....

I hate myself and I want to die….©Glénat

Enfin les apartés entre Cobain et Bodah ne m’ont pas plus convaincus que ça : quelque peu redondants, un truc sympathique mais aussi artificiel que la Gueule de Gainsbourg dans Biopic de Sfar. Il était tout à fait possible de poursuivre le récit sans ces monologues qui n’apportent finalement pas d’éclairage inédit sur la personnalité de Cobain.

Il n’en demeure pas moins que ce Roman de Boddah reste un bel objet de BD Rock, bien dessiné, résolument Américain, habilement mis en scène et sans compromissions. Selon que l’on verra la seringue à moitié pleine ou vide, les qualités de du récit de Otero en sont aussi ses défauts : un rythme haletant mais haché, la personnalité de Cobain bien rendue mais incomplète, un récit souvent brillant dans les détails au détriment de la trame de fond.  But heyNevermind.

24 comments

  • Matt & Maticien  

    Un peu trash dès le matin mais conforme à l’idée que l’on s’en fait. La nouvelle génération se reconnaît elle dans ce chanteur ?

  • Kurt Lit  

    « For those about to rock » 3/6
    Il n’arrêtait pas de dire qu’il se détestait et qu’il voulait crever….En voilà un au moins qui aura appliqué son programme…Kurt Cobain. L’ascension et la chute de l’ange nirvanesque racontée avec brio par Nicolas Otero dans un album sans compromission ni complaisance, c’est à la une de Bruce Lit.

    La BO du jour : Cobain, héros ou lâche ? Punk ou vendu ? Homme ou enfant ? Tout s’est dit sur le Culte Cobain. Et lui, qu’en pensait il ? Il s’en foutait….et donnait raison à tout le monde….Tout Nirvana en 3′..https://www.youtube.com/watch?v=qv96yJYhk3M.

    Salut Mat,
    Je ne saurais te parler de la nouvelle génération tant le rock post 2000 et sa multitude de groupe nu psychédélique (MGMT-les moins pires, 2 doors cinema down, Foals, Tame Impala, Jaco Gardner , Florence and ses Machins, mais aussi en France Lily et bidule, Christine qui couine) m’horripilent au plus haut point….C’est horrible. Je ne me reconnais ni dans cette musique, ni dans l’attitude de ses groupes.
    De toute façon, est il encore possible de l’avoir l’attitude rock ? Nos politiciens et les stars people ont définitivement prouvé leur attitude à être trash et sex’ tandis que les rockers sont désormais plutôt matures et éco-responsables….
    Je dirais que Elliot Smith, PJ Harvey, Radiohead, Muse ont été les continuateurs directs de l’héritage de Cobain. Josh Homme aussi très certainement.
    Les dernières rock star à mon sens : Marilyn Manson avant qu’il ne découvre les chips, Amy Winehouse et chez nous Daniel Darc… Ils sont tous morts ! euh…sauf Manson…enfin si….enfin non….

    • Jyrille  

      Même MGMT je les trouve mauvais ! Pour le reste je suis d’accord avec toi. Mais il y a plein de rockers. Sauf qu’eux ont compris : ils ne veulent pas être des stars. Cela décrédibilise la musique. Josh Homme est de cette trempe, oui. Mais comme le rap est lui aussi devenu la nouvelle variété, c’est sans doute vers l’electro qu’on trouvera le plus l’esprit rock désormais. Il suffit d’écouter The Knife ou Actress ou Fever Ray (moitié de The Knife) pour s’en faire une idée. Et il reste Mike Patton, qui vient de sortir un album très moyen avec un membre de TV on the radio et Doseone (Nevermen) : c’est de l’electro.

  • JP Nguyen  

    Les dessins ont l’air chouette ! Une esthétique très « comics » surprenante pour un dessinateur français… Le sujet par contre… je tenterai quand même le coup en médiathèque si je tombe dessus, plutôt intrigué par la belle prose de Bruce…

    Allez, la minute de l’inculte : j’ai découvert « The man who sold the world » à travers la reprise de Nirvana (et je préfère toujours cette version à l’original).
    J’avais un pote qui ressemblait physiquement à Cobain et qui s’était laissé pousser les cheveux pour lui ressembler encore plus… et tomber les nanas (ça marchait plutôt bien pour lui).
    Moi, honnêtement, j’étais pas plus fan que ça, à part deux ou trois morceaux. Et j’ai aussi dansé un pogo sur « Smells like teen spirit ». Un, pas plus (j’ai un squelette d’aluminium).

    • Jyrille  

      Pareil pour The Man Who Sold The World. Mais j’aime les deux versions indépendamment, elles sont vraiment très proches.

  • Otero Nicolas  

    Salut Bruce, Salut les lecteurs du blog,
    Merci pour cet article érudit et bien documenté, en espérant que la lecture du bouquin vous donnera quand même envie d’écouter quelques riffs de Nirvana…

    Toujours disponible dans toutes les bonnes librairies, des bises.
    Love and Fuck.
    N.

    • Bruce lit  

      @Nicolas : merci mec ! Tu nous écris une comédie la prochaine fois ? ‘Sais pas moi….Qui y’a de marrant dans le rock ? Tiens ? Iggy ?
      @JP : c’est pas moins sombre que la vie de Johnny Cash tu sais….La version de The man who sold the world est effectivement superbe. Pour rappel, Bowie la reprendra systématiquement par la suite pour rappeler qu’il en était l’auteur. Un grand succès de camping en tout cas, peux vous le dire et très facile à jouer et à chanter….

  • Tornado  

    Belle chronique, habitée par la passion.
    Les dessins sont très beaux. C’est vrai que ça sonne comme un comic-book !

    Je ne sais que penser de la vie de Kurt Cobain.
    Je n’ai jamais compris comment quelqu’un qui avait la beauté, le talent et le succès pouvait en arriver à se suicider. Je n’ai pas accès à ce concept.
    Du coup, ce genre de tragédie ne m’émeut pas tellement (à part sur le fait que mourir jeune est tragique). Il y a un je ne sais quoi d’air d’enfant gâté et irresponsable qui plane derrière tout ça. Le résultat ? C’est encore cette petite fille qui va devoir grandir avec cette héritage (ressemblance physique très impressionnante avec son père !)…

  • Patrick 6  

    Je ne suis pas loin de partager l’opinion de Torando, car si je pense que « Nevermind « est l’un des disques plus marquants des années 90 (et l’un des plus marquants toutes périodes confondues d’ailleurs !) je ne porte pourtant aucun culte particulier à Cobain en tant que personne.
    Je n’ai jamais trop compris les excès rock’n’rolliens que je conçois plus comme des manifestations d’hystérie que comme l’expression d’un réel désespoir.
    Au final Kurt n’aura été pour moi ni un messie ni idole juste un post-ado paumé qui faisait ce qu’il pouvait avec ce qu’il était… Exactement un certain Ian Curtis 10 ans plus tôt.

    Dire que bien qu’étant fan de Killing joke je n’avais jamais fait le lien avec « Come as you are » avant qu’on me le signale ! Mince le vol est pourtant manifeste :))

    Concernant la BD la démarche me semble très intéressante, je vais tacher de lire ça dés que possible !

    • Bruce lit  

      @Patrick: je préfère nettement In Utero à Nevermind. Et j’adore Insecticide.

  • Thierry Araud  

    Encore un bel article. La semaine rock s’annonce bien (il me reste à lire celui sur Johnny Cash). Concernant Cobain, j’ai accroché à l’Unplugged et à Nevermind, beaucoup moins aux autres. Dans le club des 27, je me sens plus proche d’un Morrison, d’une Joplin ou d’une Winehouse…

    • Bruce lit  

      Le teaser de Présence « For those about to rock » 3/6
      Un couard égoïste laissant une pauvre gosse orpheline à sa mère héroïnomane, ou le héros ultime refusant de se laisser corrompre par le système ? Le roman de Boddah adapte en bande dessinée un livre. Nicolas Otero rend compte de la personnalité de Kurt Cobain, et Bruce parle de cette BD.

      @ Thierry : L’Unplugged fut un choc traumatisant. L’équivalent je pense du BLack Star de Bowie, puisque la mort de Cobain y était annoncée, orchestrée et le poignant Where did you sleep last night est un cri de douleur à l’état pur à l’adresse de sa femme supposée infidèle….Peut être l’un des rares disques où j’ai écouté chaque note, chaque nuance. Seulement égalable par celui tout aussi joyeux d’Alice In Chains. Pour ceux que ça intéresse je mets en copié collé, ma critique amazon de l’unplugged.

      @Patrick et Tornado : je n’ai jamais vu le destin de Cobain comme celui d’un enfant gâté. On parle d’un type quand même qui part de chez sa mère pour vivre sous un pont. Je trouve que la mythologie rock égale celle des Comics. Il s’agit de destin singuliers, romanesques, de héros de la classe moyenne où le symbolisme est poussé à l’extrême, celui du voyant cher à Rimbaud. Il n’y a aucune difficulté à faire de Cobain, un symbole de son époque comme Jimmy Dean, Elvis, Morrison ou Iggy, Lennon ou Bowie. Où le destin d’un individu démultiplié sur une société. Il ne serait pas inenvisageable non ? d’avoir des rues John Lennon ou David Bowie plutôt que des ordures comme des boulevards Lenine, Thiers etc.

      Bien sûr que c’est pas marrant pour les familles. Pensons aux enfants de Kinski, Brando, Gainsbourg, Lennon qui ont morflé. Bien sûr qu’en tant qu’assistant social, je placerai immédiatement une gamine qui auraient des parents comme Cobain-Love. Mais inversement, si l’on dissocie les hommes des artistes, pensons à leur héritage spirituel et musical.
      Pour avoir lu pas mal de bouquin sur Cobain, c’est juste l’histoire d’un homme qui n’aimait pas vivre et qui aura essayé jusqu’au bout de faire plaisir aux autres sans y trouver son compte. Ce qui est le plus étonnant, c’est finalement que personne de son entourage n’ait détecté les signes d’une dépression monstrueuse.

      Pour ma part, je pense que cet homme aurait sûrement vécu moins longtemps sans le rock….

      Critique de l’Unplugged sur amazon :
      5.0 étoiles sur 5L’homme qui ne s’aimait pas
      Par Bruce Tringale TOP 500 COMMENTATEURS le 5 avril 2014
      Format: CD
      Il y a 20 ans, jour pour jour Kurt Cobain disait une dernière fois qu’il ne s’aimait pas.
      De l’exterieur il avait tout : une gueule d’ange, femme et enfant, du pognon et la vénération de millions de fans au travers le monde. Cobain pendant deux ans avait réalisé un exploit comme nul autre avec les Beatles : parvenir à introduire un disque de rock qui plairait même à ceux qui n’en écoutait pas ! Rappelons quand même que Nevermind nous débarrassa entre autre de Michael Jackson !

      Ecrire sur l’Unplugged est difficile; c’est comme trouver quelque chose d’original à dire sur Abbey Road,The Dark Side Of The Moon Experience ou Never Mind The Bollocks, Here’S The Sex Pistols.

      Mais tu le vaux bien, Kurt. Ce disque, c’est l’adieu à ton public, un adieu bien plus beau,plus fort que ta lettre pleurnicharde.
      Une scène disposée de bougies comme pour une élégie funèbre, les yeux fermés pendant tout le concert, et des chansons ne parlant que de mort, de regret et de trahison. Nevermind avait fait de toi un millionnaire. Mais ce soir là tu étais habillé avec un chandail bon pour aller jeter les poubelles.

      Tes versions acoustiques de Come as you are et About a girl étaient traumatisantes et rappelaient que derrière la rage, il y avait des chansons.
      Mais ces adieux tu les faisais aussi à toi même, à ton art et à ton groupe : Pennyroyal Tea tout en falsetto et solo dénotait de ton obsession pour REM. Une interprétation bouleversante, inoubliable que des millions de gamins (+ mon frère et moi) allaient imiter avec leurs guitares et un air éploré pendant des années.

      Mais cet adieu c’est aussi un dernier bras d’honneur à ton propre répertoire : sur les 14 chansons chantées ce soir là, seulement 8 étaient de toi !
      Enfin façon de parler car « Man who Sold the World » n’appartient plus à Bowie, et les Vaselins et Meat Puppets n’ont pas vendu plus de disques après ta mort.

      Et bien sûr ce terrorisant requiem de Leadbelly « Where Did you Sleep Last Night », ta peine et ta haine qui explosent, cette voix qui se brise sur l’avant dernière note, ce dernier soupir que tu rends publiquement, ce dernier regard caméra, j’en ai encore des frissons tiens !

      20 ans Kurt ! Et ton disque tourne encore. Et les autres aussi ! Des disques qu’il est bien difficile de remplacer. Ma gosse est née, la tienne a grandi et Courtney est plus pathétique que jamais. Sans le vouloir, ton Unplugged si macabre allaient devenir un disque pop ultime. Presque des comptines…

      Kurt, un homme qui ne s’aimait pas. Et qui n’aimait pas ce qu’il était devenu, prenait son ticket pour l’éternité avec ce disque …immortel…

  • Présence  

    Un article qui permet de bien comprendre l’intention de l’auteur, ainsi que sa démarche narrative. Cela semble effectivement assez courageux de refuser de faire de Kurt Cobain un héros romantique tragique, et de montrer sa pulsion de mort dans ce qu’elle a de plus glauque (les squats, la défonce).

  • Jyrille  

    Aaah oui le passage à NPA ! Grandiose. Ma mère m’avait dit « Au moins, ils sont bien habillés, eux »… Je ne sais pas à quels autres rockers de l’époque auxquels je rendais un culte elle pensait (les Pixies ? Nick Cave ?) mais sa remarque était bien à côté de la plaque.

    Je n’ai jamais été un fan hardcore de Nirvana, pour moi ils étaient la partie émergée de l’iceberg indie, ils représentaient les Pixies, Sonic Youth, Pavement… Mais malgré tout, ce groupe a forcément compté. J’ai énormément écouté leur live at Reading sorti il y a deux ou trois ans, j’ai même le DVD. Peut-être leur meilleur album.

    Hervé Bourhis, dans son excellent Petit livre Rock, définissait sa musique comme du « blues blanc ». C’est très bien vu non ?

    Pourtant, je n’ai pas envie de lire cette bd. J’ai acheté le Journal de Kurt Cobain, chez 10/18, et je ne l’ai jamais lu. Je n’ai pas envie de voir le documentaire récemment sorti sur grand écran. Je préfère me souvenir du documentaire Live ! Tonite ! Sold Out ! qui était fantastique par son rythme et ses vidéos amateures, ses passages télé punk, un vrai documentaire centré sur la musique menée par un dépressif qui adorait faire le con et hurler son désarroi.

    Le trait de Otero me rappelle celui de Jim, surtout celui de sa bd Petites éclipses, mais j’accroche moins, j’y vois un certain manque de solidité même si le dessin reste très agréable. Mais au-delà de ça, je crois que je n’ai pas envie de lire cette histoire, qui m’a choquée à l’époque, mais pas étonnée non plus, tout comme toi, Bruce. Ce fut un sale moment, surtout que j’avais vu le Unplugged peu de temps avant (un pote avait MTV) et qu’on avait trouvé ça chiant, trop loin, absolument pas en phase avec notre bouillante joie de vivre de l’époque. Le souvenir est très vif.

    En tout cas merci de t’y être mis, j’en aurai été incapable, le destin de Kurt ne me parle pas, ne m’inspire pas, et m’attriste profondément.

  • Lone Sloane  

    Sur tes scans Bruce, on a un aperçu du talent de Nicolas Otero, que j’ai découvert avec la série Amerikkka. Série qui traite du Klan avec plusieurs K et des afficionados de la cagoule et de la suprématie blanche, sympathique programme s’il en est.
    Je découvre avec ta chro ce travail récent et je suis plus circonspect, peut-être comme certains de mes camarades, parce que la musique me suffit et que je n’ai pas une grande empathie pour Kurt Cobain.
    Je n’ai pas de doute qu’on trouve toujours du rock qui couine, suinte et brûle ses vieilles idoles, et l’energie est sûrement à trouver dans des endroits plus improbables et lointains où le home studio ne sévit pas, et où l’adage de Ian Dury a encore la bite dure…

    • Bruce lit  

      @Jyrille : tiens , ça ne m’étonne pas de toi que tu préférasses le rock underground. Le destin de Cobain est tellement déprimant qu’il n’est pas étonnant que la pulsion de vie en éloigne beaucoup. Mais le rock est aussi fait de symbole, de vie romanesque. Juste pour te titiller, tu ne me donne pas d’exemple de rockers récents brillants à découvrir, la plupart étant Post-Cobain :).

      Tiens ! l’un des derniers à avoir foutu la merde, c’était Doherty, mais je peux pas le sacquer avec ses grains de beauté, et ses chapeaux et son air de bouffon joufflu….Surtout, je trouve les libertines amplement surestimés : leurs chansons sont mignonnes, mais rien d’immortel quand même. Ce qui me marque chez Nirvana, c’est qu’il n’y a quasiment aucune mauvaise chanson. C’est la puissance des guitares. L’intensité dé l’interprétation. L’énergie du désespoir. La confusion poétique des paroles. L’alchimie entre les trois. Ce mélange de pop-métal. Et le chant habité de Cobain bien entendu….

      J’ai commencé la guitare peu avant Nevermind…..Je m’arrachais les cheveux avec les partitions de groupe classic-rock. Et puis , tout à coup Nevermind est sorti et pof ! j’étais capable de jouer tout un album à la guitare !! C’était comme entrer dans une famille.
      Au delà de l’aspect geignard de Cobain, j’ajouterai que malgré son âge, il était un amateur de musique averti comme en témoigne sa connaissance parfaite des groupes obscurs. Il aura fait découvrir Leadbelly, The Vaselines, Bowie à plein de gamins, son discours proto gay et droits des femmes dissonait tellement des conneries machistes des groupes de l’époques, Guns’n’roses en tête…POur ma part, c’est grace à lui, que j’ai vraiment écouté les Beatles, forcément trop respectables à l’époque !
      Merci à lui quand même d’avoir fait déguerpir tous les Poison, Malmsteem, Van Halen, Mötley Crüe (que j’aimais bien) pour se recentrer sur ce que je recherche en musique et ailleurs : l’émotion.

      Mais aujourd’hui j’adore les guns, et j’admire beaucoup le jeu scénique de Rose et sa voix impressionnante….Je pourrai même me tenter à aller courir les voir sur scène fair leur show imposable…..
      Et puis bon, sans Cobain, pas de Arseface 🙂

      @Lone : alors l’intw du jour est pour toi 😉

      • Jyrille  

        Tu as raison, Bruce : je préfère les trucs un peu plus indés (et encore…) et je n’ai pas d’exemples de rockers flamboyants récents. Juste des noms de groupe : BRMC, Flaming Lips, Pulled Apart By Horses, Fidlar, Girl Band, At The Drive-In, Anna Calvi, Battles, Beirut, We Were Proéised Jetpacks, Wilco, Black Keys, Chelsea Wolfe… J’écoutais les Beatles avant Nirvana. Mais pour le romantisme et Doherty, je te rejoins complètement.

      • Jyrille  

        En ce qui concerne les Guns, à l’époque, je n’aimais pas, mais leur côté rock romantique (mélange de Aerosmith et Stones, avec une légende du même genre des années 70 – sexe drogues alcool grosses guitares) m’avait séduit. Par contre même si j’aime certains de leurs titres (j’ai adoré leur prestation au concert hommage à Freddy Mercury. J’avais (je crois que je ne l’ai plus) le cd deux titres avec la reprise de Dylan de cette soirée, je m’amusais à mettre la VHS pile au même moment que le cd pour avoir un meilleur son avec l’image) je n’ai jamais réellement apprécié le groupe. Après Use Your Illusion II, soit pratiquement tout de suite, le groupe était déjà fini. Et puis ces clips mégalos… Enfin bref, je ne suis pas client des Guns mais j’ai adoré leur image et leurs frasques, mon côté voyeur sans doute.

  • Tornado  

    Je déteste les Guns. Ce groupe mégalo dont la moindre mèche de cheveux est calculée, qui ne fait quasiment que des reprises boursoufflées (la reprise de Knockin On Heavens Door de Dylan est atroce !, un massacre !), avec des démonstrations techniques en veux-tu en voilà, c’est au dessus de mes forces.

  • Kaori  

    25 ans déjà… Putain je les ai pas vus passer…

    La description que tu fais de Kurt est exactement celle qui reste dans ma mémoire…
    Il y avait dans son regard tout le désespoir de vivre.

    « Nevermind », je l’ai écouté tous les soirs pendant au moins une semaine, parce que ma meilleure amie avec qui je partageais la chambre et les écouteurs lors de notre séjour en Angleterre ne pouvait pas s’endormir sans… Je n’ai jamais trouvé ça désagréable, même si ce n’était pas ma came. En fait, la chanson qui me parle vraiment, de Nirvana, n’est même pas d’eux. Je savais que c’était une reprise, mais vous m’avez appris qu’elle était de Bowie : « The man who sold the world ». Je suis fan du riff du début… et après la mort de Kurt, ça résonne forcément de manière très particulière.
    Je n’avais jamais fait attention aux décors de l’unplugged… Terrible, comme il présente sa propre veillée funèbre..

    Sa mort, c’est quelque chose qui m’a touchée, oui, clairement. Parce que je suis sensible aux écorchés vifs, à ceux qui ne trouvent pas leur place dans ce monde. C’est quelque chose que je peux facilement comprendre, peu importe qu’on ait le pognon ou la gloire… Bon, l’amour et les gosses, ça, je comprends moins facilement, mais quand on parle de dépression, on sait que rien ne peut faire passer ce mal-être.

    Tu parles d’une bouteille trouée qu’aucun liquide ne peut remplir, c’est exactement l’impression que j’ai de lui aussi.

    Je ne pense pas lire la BD, mais j’ai aimé et été très émue de te lire parler de lui, dans l’article et dans ton commentaire sur l’amazone…

    • Bruce lit  

      25 ans déjà… Putain je les ai pas vus passer…
      Bienvenue au club !
      De ce que je comprends le personnage de Kurt Cobain te touche plus que sa musique. LA célèbre photo qui fera la une après sa mort a largement contribué je pense à la diffusion de la vulnérabilité du chanteur : ici . Un enfant vulnérable et lunaire que l’on a envie de chérir et consoler.
      L’unplugged est un disque phénoménal qui permettra à plein de personnes comme JP (je pense) ou toi Kaori d’apprécier les mélodies de Nirvana sans les hurlements et les feedbacks.
      Moi j’adorais leur musique, leurs disques, leurs concerts. Ce coup d’arrêt a donc été terrible pour mon frangin et moi mais quelque part j’en suis encore content. J’aime les morts brutales.

      • Jyrille  

        Kaori, si tu peux, regarde le documentaire Montage of Heck, c’est très bien fait et à la fois informatif et émouvant.

        • Kaori  

          @Cyrille : j’évite les documentaires où je sais que je vais finir en larmes. Je n’ai plus spécialement envie de me faire du mal. Mais en fait, j’évite les documentaires tout court. A une époque, j’avais envie de comprendre les artistes. Maintenant, je trouve que la vie est trop courte pour perdre du temps à essayer de comprendre celle des autres.
          Mais qui sait, un jour, par curiosité…

      • Kaori  

        @Bruce : j’aime leurs chansons, j’écoute toujours avec plaisir « Come as you are » ou même « Rape me », « Smells like teen spirits », etc, je les aime. Mais celle qui me touche vraiment, avec son son de guitare, c’est « The man who sold the world ». Celle-ci, elle a un truc indéfinissable qui résonne en moi. Tu vois, on peut aimer des chansons, mais y en a certaines qui font un truc qui ne s’explique pas. Celle-ci en fait partie.

        Quand Kurt est mort, ça a été un choc, mais pas comme si je perdais mon artiste préféré. J’ai surtout pensé à mes potes qui l’adoraient. Et c’est là que tout le monde s’est mis à parler de Nirvana, le groupe qui avait inventé le grunge. Ça m’a gonflé. Que tous les médias se mettent à parler de lui seulement après sa mort… Comme des mouches à merde…

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