Interview Johsua Dysart

Interview de Joshua Dysart

Un entretien mené et retranscrit par BRUCE LIT

Photos par PATRICK 6

Cet article est la retranscription de l’entretien avec Joshua Dysart l’auteur de HARBINGER, du SOLDAT INCONNU et de UN3 mené grâce à une accréditation presse de l’éditeur Bliss Comics.  Il s’agit d’un travail de traduction et de réinterprétation plus fluide et rythmé des propos de Dysart  sans les hésitations, les phrases ouvertes et les parasitages en tout genre de l’entretien.  Alex Nikolavitch a supervisé la traduction français-anglais la veille de l’interview. 
La version originale de l’entretien en anglais  enregistrée sur mon téléphone est disponible en fin d’article en Mp3.

This is the French Translation of the Joshua Dysart’s interview at the parisian comic con 2019.  The entire English Recording of this interview is listenable in MP3 at the very end of this article. 

Les deux membres fondateurs du club anti-Millar...  ©Patrick 6

Les deux membres fondateurs du club anti-Millar…
©Patrick 6

Bonjour Joshua. C’est toujours un grand plaisir de rencontrer un scénariste à la fibre sociale.
Tu n’es pas très productif mais tout ce que tu écris est très au dessus de la moyenne. Quels sont les comics qui t’ont donné envie d’écrire ?

J’ai grandi au Texas, dans une province assez isolée et à l’époque apparaissaient les premières boutiques de comics. On était particulièrement approvisionnés en BD britanniques : 2000AD et surtout JUDGE DREDD m’ont beaucoup influencé tout comme les comics indépendants des années 90 : CEREBUS, LOVE AND ROCKETS, bien plus que les Marvel / DC Comics qui ont eu plus d’impact sur mes collègues que sur moi-même.
J’aimais particulièrement les premiers TPB comme WATCHMEN, le DARK KNIGHT RETURNS de Miller m’a énormément influencé. La musique et le cinéma aussi.

Lorsque j’ai découvert ton HARBINGER, je me suis immédiatement dit que l’on tenait là la meilleure version des Xmen New-Age. En avais-tu conscience ?

Ah Ah !
J’ai toujours un peu la honte de dire ça parce que mon travail sur HARBINGER a souvent été comparé à celui de Chris Claremont sur les XMEN, mais je ne l’ai jamais lu, je sais c’est incroyable ! (rires). Ce qui est certain, c’est qu’il a dû influencer beaucoup d’auteurs que j’aime  et donc, indirectement, j’aime Chris Claremont.

Leila, une jeune américaine quitte de le confort de son pays pour plonger dans la violence de Daesch en Irak.  ©Bliss Editions

Leila, une jeune américaine quitte de le confort de son pays pour plonger dans la violence de Daesch en Irak.
©Bliss Editions

Peter Stanchek dans HARBINGER, Moses Lwanga dans UNKNOWN SOLDIER, Leila Helal dans UN3, serais-tu d’accord pour dire que tous tes personnages se retrouvent mêlés à des guerres plus ou moins volontairement et où ils se perdent progressivement ?

Oui, absolument !  Mes personnages se trouvent toujours dans des conflits qui les dépassent et font ce qu’ils peuvent pour s’en sortir. La plupart du temps et malgré le fait que leurs intentions soient bonnes, ils n’y arrivent pas.

C’est la clé de ton travail !

Intéressant ! Oui, c’est aussi le reflet de mes propres luttes personnelles. 

Après le succès de HARBINGER et IMPERIUM, plutôt de capitaliser ton succès et signer un crossover chez Marvel, tu préfères partir en mission humanitaire en Irak et au Soudan.…

Je voulais être un citoyen du monde, m’inclure dans ce que signifie être un meilleur être humain et un crossover Marvel ne me le permettrait pas. J’avais également ce sentiment de faire partie d’une économie privilégiée et me sentais coupable de cela…

Justement, UN3 débute avec une jeune musulmane qui réalise la futilité de la vie occidentale, l’absurdité de chercher à manger Bio quand des millions d’êtres humains quittent leur foyer, perdent leur honneur et quelquefois la vie pour sauver leur enfant d’une mort certaine…Les tourments de Leila sont-ils les tiens ?

Exactement ! Leila est sûrement le personnage qui me ressemble le plus. Je n’ai jamais mérité mes 3 repas par jour, ni de naître dans une économie stable et dans un pays où je suis relativement à l’abri. C’était ma responsabilité d’aller de l’autre côté. Leila, c’est moi.

Une oeuvre coup de poing d'un courage et d'une intégrité sans faille : UN3. ©Bliss Comics

Une oeuvre coup de poing d’un courage et d’une intégrité sans faille : UN3.
©Bliss Comics

Comment as-tu été accueilli dans ces pays en tant qu’Américain blanc et Texan ?

Relativement bien ! Toutes les personnes prêtes à écouter les histoires des réfugiés sont les bienvenues.  C’en est presque honteux de savoir avec quelle liberté, quelle facilité je pouvais me déplacer pour recueillir ces témoignages. 
C’est toujours plus simple de se montrer humble face à la culture de l’autre pour qu’il s’ouvre à toi. Je ne suis pas dupe : il s’agit de mon privilège occidental de pouvoir le faire. En Ouganda, il y avait plein d’enfants touchés par ce conflit parqués dans des camps gardés par des militaires et moi je passais tranquillement sans jamais être inquiété. C’est un pouvoir que j’avais  et c’était très dérangeant.

Dans la dernière histoire de UN3 illustrée par Pat Masioni, Jonathan Dumont raconte sa prise d’otage et à quel point cette experience l’a rapproché de ceux qui n’ont rien. Ta vie a t-elle été menacée ?

Dumont , lui c’est un vrai ! Moi je ne suis qu’un auteur de Comics. Tu sais, il y a toujours une chance que cela se passe mal, notamment en Irak où j’étais assez près des opérations de Daesh mais je ne me suis jamais senti en danger. Les héros, ce sont les humanitaires comme Jonathan Dumont qui acheminent des convois humanitaires au cœur du danger.

En tant que travailleur social, je me retrouves complètement dans tes interrogations sur ce que aider l’autre nous apporte. L’aide que fournit Leila est à la fois signifiante (elle organise le circuit des colis alimentaires) et dérisoire. Que ce soit la violence du Soldat Inconnu ou le Pacifisme de Leila, rien ne change…

Hum…Ma philosophie c’est que même si le combat est perdu d’avance, il faut se battre. Un combat perdu reste un combat.

Le vilain le plus fascinant depuis Magneto : Toyo Harada, une victime d'Hiroshima.  ©Valiant Comics

Le vilain le plus fascinant depuis Magneto : Toyo Harada, une victime d’Hiroshima.
©Valiant Comics

Ton vilain Toyo Harada est une victime d’Hiroshima, ses intentions sont nobles, il sauve l’honneur du tiers-monde, tente de renverser le capitalisme, lave les pieds des pauvres mais commet en même temps les pires atrocités. Essaies-tu de nous dire que rien ne peut changer ?

Harada reflète ma lutte interne. Il y a les conflits au Soudan et en Irak d’un côté et la ré-émergence du fascisme dans nos démocraties.  J’ai commencé à me poser de vraies questions sur la démocratie, ses failles et son mode d’expression.  Harada est né de ça.

Leila écoute patiemment les récits des victimes de Daesh ou de la guerre ou Soudan : l’écoutant est-il un nouveau Shaman, celui qui soulage l’autre de sa souffrance en s’en faisant le réceptacle ?

Oh, j’adore cette idée ! Ecouter, c’est guérir. Je n’aurais jamais pensé dans ma vie avoir des gens qui me fassent confiance au point de me raconter les pires moments de leurs vies.  Comme Leila mon héroïne,  tu as ensuite ce noeud qui est en toi, cette souffrance que tu partages. Il y a aussi ce folklore que j’ai entendu de nonnes bouddhistes  qui vivaient près d’un cimetière parce qu’il était réputé hanté.  Si les fantômes devaient posséder quelqu’un, c’étaient les nones qui s’offraient volontairement en sacrifice. C’est le boulot de l’écoutant, ou de chaque être humain de soulager l’autre de sa souffrance.

(Mon téléphone / dictaphone  est posé sur mon volume de Xmen à dédicacer est intitulé GHOSTS. Dysart s’esclaffe quand je le lui en fais remarquer la synchronicité.  » Tu as dû inconsciemment m’influencer ! »

HARBINGER met en scène un jeune Edward Snwoden (@). Si tu devais le réécrire aujourd’hui, il y aurait Greta Thunberg ?

Hé, super idée ! J’ai toujours voulu rendre la réalité de l’actualité dans mon écriture, @ vient de l’affaire Snowden effectivement. Vraiment, super idée, je l’adore !

Le soldat inconnu : le chef d'oeuvre de Dysart. Une parabole violente et sans concession sur le monstre tapi en chacun de nous. ©Vertigo

Le soldat inconnu : le chef d’oeuvre de Dysart.
©Vertigo

Déportation, enfants soldats, charniers, famine, tu es conscient que le lecteur lambda n’a pas forcément envie de se taper ça après une journée de travail…
N’as tu pas l’impression de prendre le comic-book et ton lecteur en otage ?

(Rires) Mes ventes d’albums auraient tendance à te donner raison (rires). Peu de scénaristes me semblent aussi engagés, c’est encore mon sens des responsabilités.

Tu es le  Bob Dylan, la Joan Baez, le Sting et le Bob Geldof des comics ?

(Rires) Oh non, jamais de la vie ! Ces gens ont eu de vrais impacts sur notre culture, je n’en suis pas là du tout. Dylan est un génie.  Je ne suis pas un « escapist », j’aime les gens, les comics sont souvent dans la représentation, moi je tente de faire de l’authentique. Je ne veux pas que Superman me sauve mais bien mes congénères.

Tôt ou tard HARBINGER finira par être adapté à l’écran. Attends-tu ce moment ou le redoutes-tu ?

On verra… L’intérêt pour moi serait vraiment financier (rires) . Actuellement, je ne gagne pas un radis…J’ai presque 50 ans, j’ai besoin de sécurité financière. Mais je vais te dire un truc: tant qu’ils me mettent le personnage de Faith dedans, une actrice capable de sauver le monde, là je serais fier, oui.

Le viol par Peter au début de l’histoire, ça passerait à l’écran ?

Je ne sais pas. Je n’ai jamais su si mon choix de raconter ce viol a été le bon. Encore une fois, j’ai essayé d’être réaliste : que se passerait-il si tu avais le pouvoir d’influer sur la personne que tu aimes ?  Mark Millar a fait pire que moi, hé Mark te vexe pas mais vraiment ta déontologie laisse à désirer (rires). (A ce moment, je sais que j’aime Dysart pour la vie- Ndr).
Ce que je fais vivre à Peter, c’est mon angoisse du pouvoir, du danger quand tu ne te sens pas aimé, de la masculinité. Je pense que le film JOKER que je n’ai pas vu traite aussi de ça.
Je sais que beaucoup de lecteurs ont lâché l’affaire à cause de ce chapitre. C’est l’histoire de ma vie (rires).

La fin d'une trilogie commencée il y a 11 ans. ©Bliss Comics

La fin d’une trilogie commencée il y a 11 ans.
©Bliss Comics

As-tu été contacté par DC Comics ou Marvel ?

Si Marvel venait me chercher pour écrire les Xmen, et je ne vois aucune raison pour que ça arrive, je serai franc avec toi, je serais incapable de refuser ! C’est le moyen idéal d’attirer de nouveaux lecteurs vers mon travail. Si j’avais, ne serait-ce que 10 nouveaux lecteurs pour lire ma nouvelle histoire GOODNIGHT PARADISE qui traite des SDF, ce serait un succès.

Les films de Super-Héros monopolisent l’industrie du cinéma. Pense-tu comme Roger Waters, que notre civilisation se divertira jusqu’en crever ?

J’adore tes questions , je me rappelais de toi tu sais ? (Alors qu’arrive mon heure de gloire, Nicolas, l’attaché presse, nous indique que l’heure tourne, il ne reste que 10 minutes, pas grave j’y arriverai -Ndr)
Euh…Je crois toujours en nous, en l’homme. Si nous devions nous amuser jusque la mort, ce serait déjà arrivé.  Ce qui a changé à mes yeux, c’est le réchauffement climatique. Par le passé nous pouvions nous dire que nous avions tout le temps du monde pour changer les choses. Ce n’est plus le cas.  Si nous ne ressaisissons pas, c’est foutu et jamais les sociétés n’ont jamais été si fracturées. Après la seconde guerre mondiale, rien n’était facile, mais de nombreux traités de paix ont permis une certaine stabilité pendant des années. Ce n’est plus le cas, le nihilisme nous guette. Ma réponse aurait été plus optimiste il y a des années.

N’y-a-t-il pas une certaine ironie à discuter ici de la pauvreté dans le monde au Comic Con, un grand supermarché de la consommation ?

Parfaitement, la fantaisie permet de nous enfuir mais aussi de nous désintéresser de ce qui se passe ailleurs. Ce qui explique que je reste tout seul dans mon coin avec mes comics (rires).

Le comics de ceux qui ne sont rien... ©TKO Editions

Le comics de ceux qui ne sont rien…
©TKO Editions

LA VIE ET LA MORT DE TOYO HARADA sort prochainement pour clore ta trilogie Valiant. Tu nous en parles ?

Sans trop spoiler, c’est ma dernière histoire pour Valiant, la fin d’un cycle commencé il y a 11 ans. Nous avons commencé avec les héros et nous finissons avec le vilain  après avoir exploré les parts d’ombres et de lumières de chacun d’entre eux. C’est la fin de ces personnages et mon ultime réflexion sur l’auto-gouvernance.  J’espère que tu vas aimer.
Je voudrais juste te parler de GOODNIGHT PARADISE, c’est seulement en VO pour l’instant et ça raconte mon experience avec les sans-abris de Los Angeles, il y a 17 ans.   J’en suis très fier.

Est-ce que, comme Joe Kubert dans FAX FROM SARAJEVO, tu irais jusque dire que les comics peuvent sauver des vies ?

Certainement, les comics peuvent changer la vie d’une personne. Le monde ? Nous sommes dans le mythe du super-héros et, si le super-héros véhicule plein de choses formidables, il peut-être aussi dangereux. Ce n’est pas tant les films mais le pouvoir de la fantasy dont je te parlais.  Les super héros détruisent alors que c’est à nous de construire.
Le héros, le vrai doit faire des sacrifices, la société humaine est basé sur des sacrifices.
C’est facile pour Spider-Man d’aider les faibles, car il est fort. C’est plus difficile pour les faibles et les déclassés de s’entraider.   Je ne veux pas dévaloriser les super-héros mais mes histoires privilégient des personnages sans supers-pouvoirs . La complexité du super héros est qu’il doit protéger les gens de menaces toujours exagérées. Il devient à son tour une menace mais nos menaces à nous, ce n’est pas une invasion alien, mais bien le fascisme de nos sociétés.

 L’interview se termine et clôt un moment d’alchimie entre Dysart et moi assez grisant. S’il existe des miracles que produisent les comics, c’est bien celui de rencontrer un type dont l’écriture restera à jamais gravé dans ma mémoire : je lis la fin d’Harbinger sur une plage en Croatie. Ma fille apprend à nager dans l’océan et mon fils dans le ventre de sa maman. Je suis ému aux larmes par les destins croisés de Peter et Toyo et pousse un très rare : »Whouah » en relisant le livre dans la foulée.  Une petite foulée qui, à force d’un travail acharné me conduit à ce moment et à présenter Luna à Dysart ; mon enfant, qui, on l’espère ne devra pas nager dans une banquise d’un monde qui fond comme neige au soleil ; les amateurs de IMPERIUM apprécieront…

Josh, arrête de parler, l'interview est finie !  ©Patrick 6

Josh, arrête de parler, l’interview est finie !
©Patrick 6

The Johsua Dysart Interview in English – Paris, the 26/10/19

Uncut Version


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La BO du jour : impossible au vu de l’engagement de Joshua Dysart de ne pas penser à celui de Balavoine, son humanité, sa générosité et son talent intact 30 ans après sa mort.

43 comments

  • Jyrille  

    Wow ! Une courte mais intense interview ! Je n’ai pas écouté ce que donnait la version audio (forcément moins épique…) mais j’y jetterai une oreille.

    Minute Relektor : j’ai vu un « peut-être » à la place d’un « peut être ».

    En tout cas tu dois être très fier, Bruce, tu as rencontré quelqu’un avec lequel tu partages beaucoup de préoccupations et de valeurs. C’est toujours grisant comme tu le dis. Mais c’est rare. Patrick ne vous a pas gâché le moment avec ses directives de photographe ? 😀

    Je ne connais que Harbinger et je n’ai pas voulu continuer l’aventure après ce gros pavé mais j’en ai un bon souvenir. Peut-être que je devrai chercher ses autres comics un peu plus naturalistes. Je ne sais pas pourquoi, tout comme le Sheriff of Babylon de King, j’ai l’impression que ces histoires sont moins déprimantes que d’autres que j’évite. C’est totalement subjectif, je n’ai pas d’explication.

    La BO : super titre, très en adéquation avec l’entretien.

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