Interview Olivier Bocquet : Ladies with guns 3

Interview Olivier Bocquet

Propos recueillis par BRUCE LIT

VF : Dargaud

LADIES WITH GUNS 3 est dans les bacs. C’est la fin d’une série que nous avons soutenue dès le début notamment du fait des dessins époustouflants d’Anlor Tran et des couleurs dynamiques d’ Elvire DeCock que nous avions reçues en interview.

Ne manquait plus que le grand orchestrateur de tout cela, le scénariste Olivier Bocquet qui cumule les cartons (la reprise de SODA, c’est lui aussi) quand des ministres cumulent les fonctions. C’est bien évidemment avec plus de culture et d’intelligence de la dernière ministre en dati qu’il revient sur cette série qui, forte de son succès, entamera un nouveau cycle !

Cover incroyable !
©Dargaud

Salut Olivier, LADIES WITH GUNS 3 vient de sortir et achève son premier cycle.  Quel bilan en tires-tu ?

Je suis heureux que ce soit une fin de cycle et pas une fin de série. D’ailleurs nous on dit saison, parce que c’est plus cool et qu’il y a déjà assez de sang comme ça sur la couverture. On avait prévu 3 albums car on était réalistes : les séries qui se prolongent, ça reste l’exception en BD. Mais c’était avec la frustration grandissante, plus on avançait, de ne pas avoir le temps d’accompagner nos ladies plus longtemps. Par exemple elles ont toutes un passé qu’on connait mais que les lecteurs ignorent – pour l’instant. On voudrait raconter ça. Et puis c’est beau de voir comme ce groupe fonctionne bien ensemble. Bref, on les aime et ç’aurait été dommage de les abandonner si tôt. Heureusement, Dargaud les aime autant que nous et nous a fait comprendre que si la série pouvait ne jamais s’arrêter ça ne les dérangerait pas ! Je ne dis pas qu’on va faire une saga, mais c’est très appréciable une telle confiance, et ça ouvre des perspectives. Et puis je m’entends tellement bien avec Anlor que je pourrais travailler avec elle jusqu’à ma mort. Si ça n’avait pas été la suite de Ladies, ç’aurait sûrement été autre chose. Avec en plus Elvire et ses tubes de peinture éclatante, je trouve qu’on forme une belle équipe.

En rédigeant cette interview, je me rends compte que tu n’as pas donné de titre à chaque album. Quelle en est la raison ?

Je ne sais pas vraiment. C’est l’époque, je pense. C’est « moderne ». C’est une décision qui s’est prise en deux secondes au téléphone avec Pauline Mermet, notre éditrice. On avait la même intuition alors que, quand on a fait La Colère de Fantômas il y a 10 ans, on n’aurait pas imaginé se passer de sous-titre. En réalité, personne ne se rappelle des sous-titres des albums. Il y a aujourd’hui une crispation sur « la marque » qui fait que le sous-titre passe complètement au second plan. Qui connait les titres des albums de Frnck ? Même moi je dois réfléchir pour me les rappeler. Je n’ai pas d’exemple de série récente qui reprenne la formule des grands anciens du genre Tintin, Astérix ou Lucky Luke, dont le sous-titre est vraiment le titre principal, mis en avant sur la couverture, et dont tout le monde se souvient. Notre pari pour Ladies With Guns, c’est que les albums seront différenciés par leurs couvertures.

L’enfance martyr d’Abigail
©Dargaud

Sous couvert d’humour, j’ai trouvé que cette histoire carcérale était sans doute l’épisode le plus violent de la trilogie, notamment envers les enfants : un garçon joue avec un pistolet et qui tue…(no spoil),  la jeunesse maltraitée d’Abigail, Cassie qui se prend un coup de crosse dans le ventre en pleine grossesse. Mazette !

J’écris comme comme un arracheur de dents. Je dis « t’inquiète pas, ça ne fera pas mal », mais il arrive toujours un moment où j’arrête l’anesthésie. Cet album est plus dark que les précédents, en effet. Il y a moins cette jubilation de la prise de pouvoir et de liberté. Les couleurs aussi sont plus sombres. Les ladies sont physiquement amochées, et empêchées d’être ce à quoi elles aspirent. Elles vivent comme en sursis en attendant le pire, qui est toujours certain comme on sait. La violence à leur encontre est plus douloureuse aussi parce que plus facile à ressentir (un coup de crosse dans un ventre qui porte un bébé, on l’imagine mieux qu’une amputation), ou plus psychologique (l’humiliation du début de l’album, la crainte permanente du viol).

Concernant la violence envers les enfants, c’est bien vu. Il faut savoir que le scénariste de cette série (à savoir moi) est fondamentalement contre les armes à feu, même si j’admets qu’il peut y avoir une certaine euphorie à les utiliser, mais uniquement dans le cadre de la fiction. La série s’intitule Ladies With Guns et on peut s’imaginer a priori et même après lecture que ces ladies flinguent tout ce qui bouge. Alors que pas du tout. Abigail, oui. Les autres ? JAMAIS. J’ai fait remarquer ça à Anlor l’autre jour, même elle a eu du mal à y croire. C’est très conscient de ma part. Ladies With Guns, pour moi, c’est différent de Men With Guns. Elles ne s’en servent pas pour tuer mais pour dissuader, et ne feront feu que si réellement elles n’ont pas d’alternative. Leur choix premier c’est toujours de fuir et d’éviter le conflit. Pour l’instant, aucune balle tirée par Kathleen, Daisy, Cassie ou Chumani n’a tué ou blessé qui que ce soit. Reste la question d’Abigail. Abigail qui se fait tabasser dans cet album, et même pire. Donc oui, il y a une réelle violence contre cette enfant, et comment réagit-elle ? Sans jamais baisser les yeux. C’est une gamine et dès le tome 1 elle approche le body count de John Wick. Pourquoi ? Peut-être parce qu’elle a eu à se servir d’un flingue très jeune, avant d’avoir le temps de réfléchir à la portée de ses actes. Mais surtout, pour elle, c’est tout simplement un moyen de rester en vie. Sans armes, elle serait encore esclave et probablement morte. Je trouvais intéressant dans ce tome de mettre en parallèle le destin de deux enfants à qui on met un revolver entre les mains. Pour l’une c’est la liberté. Pour l’autre, c’est le drame. Sans ce drame, tout l’album aurait une tonalité différente. Toute la série, peut-être. Ce drame dit « On rigole, on rigole, mais les armes, ça tue aussi pour de vrai. »

A propos d’Abigail, où était-elle ? J’ai eu l’impression qu’elle sortait un peu de nulle part, comme Haddock à la fin de L’OR NOIR.

Le hors-champ, c’est ce qu’un format franco-belge impose parfois avec son nombre de pages limité. Abigail est pourtant là dès le début de l’album, avant même que l’histoire commence. Dès la page-titre on sait où elle est et ce qu’elle fait. Mais on passe dessus sans y prêter attention. Pourtant, si on retombe sur cette page après la lecture, elle prend tout son sens. Dans l’album lui-même, sans vouloir spoiler, on a des traces de ce qu’elle fait par certains objets qui disparaissent. On pourrait faire tout un album sur ce hors-champ, un survival dans la neige, ça serait une bonne histoire. Mais il faut faire des choix. Et je crois que les lecteurs et lectrices n’auront aucun mal à imaginer leur version de la vie d’Abigail pendant ce temps où on ne la voit pas.

Seules dans une prison d’hommes et c’est l’heure de la douche…
©Dargaud

J’ai aussi trouvé que c’était l’album où la synergie entre les Ladies fonctionnait à plein !

Merci, ça fait plaisir parce que c’est exactement ce qu’on cherche à réussir. C’est ce qu’on préfère je crois, avec Anlor, le lien qui se tisse, se densifie et se renforce entre nos ladies. Tu sais ce que je dis toujours : que dans toute histoire, c’est les personnages qui comptent. L’intrigue, les surprises, le suspense,les coups de théâtre, c’est juste de la mécanique. Mais le cœur de l’histoire, ce qui fait qu’on va s’en souvenir et avoir envie d’y revenir, c’est les personnages. Et sur un format franco-belge, c’est une gageure de créer des personnages qui ont une vraie épaisseur et ne se contentent pas de réagir aux évenements. D’ailleurs, on avait un format de 62 pages par album et on l’a déjà dépassé sur ce tome. J’ai souvent des discussions avec Anlor pour savoir comment doser action et temps de calme, dialogues et mitraille,  légèreté et sincérité, donner une place à chacune individuellement mais aussi au groupe. Elles commencent à se connaitre maintenant. Elles parlent plus ouvertement de ce qu’elles ressentent. Je crois qu’Anlor et moi les connaissons mieux aussi. Nous savons comment elles parlent, comment elles réagissent, même la façon dont elles habitent leurs corps, leurs postures. Ça aide à les faire vivre. Pour nous, elles existent.

C’est également l’album où le personnage de Daisy se démarque des autres, je trouve …

Daisy, c’était un peu la cheffe de troupe dans le tome 1, c’était elle qui menait l’action. Et puis elle a été handicapée dans le tome 2 et, ne pouvant plus compter sur son corps, elle est naturellement devenue « le cerveau ». Elle est plus pondérée, réfléchit plus, élabore des plans… Dans une scène de ce tome 3, alors qu’une situation va inévitablement déboucher sur la violence, elle parvient à la désamorcer avec des mots. Elle est la seule à imaginer qu’elle peut inverser le cours des choses sans castagne, en étant convaincante, en faisant appel à l’humain en face d’elle. Et en le manipulant aussi. On n’est pas obligés de se comporter comme des animaux, il y a d’autres façons de se battre. C’est d’ailleurs quelque chose que j’ai remarqué dans Rocky Balboa et qui m’a souvent inspiré depuis, même si je n’ai pas revu le film depuis sa sortie. Dans ce film, presque chaque scène est un combat… mais presque jamais sur le ring. La plupart des combats s’y mènent par le dialogue.

Malgré la violence évoquée, et le fait que nos amies doivent se débattre avec toutes les angoisses que doivent affronter des femmes dans une prison d’hommes, j’y ai trouvé un petit côté ASTERIX LEGIONNAIRE. Je m’explique : elles finissent par inverser les codes de leurs oppresseurs et les rendre dingues ! C’est brillant !

Haha, oui, je n’avais pas du tout fait le rapprochement ! D’ailleurs  je l’ai relu pour mieux répondre à ta question. Et c’est vrai que comme Astérix et Obélix, les ladies arrivent comme des grains de salbe qui font dérailler un mécanisme bien huilé. Il y a plein de scènes qui se ressemblent entre les deux albums, c’est vrai. L’autorité ridiculisée. La négociation permanente. Il y a même un dialogue sur des scones qui est presque exactement le miroir d’un dialogue sur des pâtisseries dans Astérix légionnaire, c’est incroyable ! Si ça se trouve, c’est un souvenir inconscient qui a joué… Dans Ladies, il y a une séquence de travaux forcés où les prisonniers ne veulent pas être mis en binôme avec les filles parce qu’elles vont les ralentir. Ils essaient de marchander, de se les échanger, et le maton finit par hurler sur tout le monde tellement il n’en peut plus. Elle aurait presque pu exister telle qu’elle dans Astérix, il aurait juste fallu ajouter un ou deux calembours. Autre motif assez proche de Goscinny : quand on obéit enfin aux ordres, ça se retourne contre le donneur d’ordres. Je pense au gars à qui on a dit de ne se séparer sous aucun prétexte d’une clé dont tout le monde finit par avoir besoin. Dans un autre genre : Abigail qui apprend à tirer et qui fait complètement sortir de ses gonds son instructeur… Bref, on rigole bien dans cette BD, quand même  !

Et puis, bien entendu, impossible de ne pas penser aux Dalton !

Oui, quand j’ai pensé faire un album dans un pénitencier en hiver, je trouvais ça un peu rude visuellement. Une des forces de cette série à mon avis ce sont les couleurs d’ Elvire : pop, modernes et furibardes, elles détonnent (parfois littéralement) dans l’univers ocre-beige-gris habituel des westerns en BD. On ne pouvait pas se passer de ça, et c’était un sacré défi pour Elvire. Il fallait en plus faire le deuil des habits féminins de nos héroïnes, qu’Anlor dessine tellement bien. Et puis j’ai repensé aux Dalton et il m’est apparu que cet uniforme jaune et noir était une bonne clé pour faire entrer de force de la vie et de la couleur dans ce lieu sinistre. L’uniforme réel des prisonniers était écru et noir délavé. Le jaune, c’est une invention du duo Morris – Goscinny. Merci à eux, donc !

Rien de tel que de donner un coup de crosse dans le ventre d’une femme enceinte pour imposer son autorité
©Dargaud

Tu réutilises l’évasion virtuelle telle qu’imaginée par nos amies. Tu n’as pas peur que cela devienne un gimmick ?

Pour être tout à fait honnête, ce procédé de projection mentale, ce n’est pas uniquement pour faire mon malin. C’est le seul moyen que j’ai trouvé de montrer un plan d’évasion sans faire des champ / contrechamp statiques pleins de dialogues dans une cellule de prison. Mais la crainte du gimmick, Anlor l’a eue aussi. Moi je trouvais qu’on avait juste effleuré l’idée et que ça valait le coup de la pousser un peu plus loin, de voir si on pouvait destructurer les décors, les rendre presque symboliques (de simples portes pour figurer des lieux), éclater la narration et quand même rester compréhensibles. Dans le tome 2, il y avait cette surprise de se rendre compte qu’on n’était pas là où on pensait, et le côté ludique de tester plusieurs braquages avant de passer à l’action. Dans ce tome-ci il n’y a plus de surprise, il y a juste l’élaboration en images d’un plan d’évasion. Si l’on met de côté le fait que nos ladies visitent cet espace imaginaire comme s’il était réel, c’est un procédé beaucoup plus classique : on voit ça tout le temps au cinéma.

Pour nous, ça permettait aussi de donner des repères géographiques aux lecteurs et lectrices, et de leur faire sentir la complexité du truc : on part de là, on doit arriver là, il y a deux entrées, plusieurs types d’obstacles, c’est compliqué, on perd un peu les gens, il faut qu’ils s’accrochent, ils sentent que ça va être galère. Et au moment de la tentative d’évasion à proprement parler, je re-situe les lieux par le dialogue, pour qu’on sache à chaque instant où on est malgré un montage parallèle entre plusieurs lieux. C’est assez acrobatique, ce genre de narration. Dans quel ordre met-on les cases quand trois ou quatre actions se passent en même temps ? D’ailleurs, pour moi la page 55 est un cas d’école. Tu peux lire les cases dans le sens de lecture classique, ou traverser la page en diagonale pour suivre une action puis lire les deux cases restantes, tu peux aussi décider de lire les premières cases dans le sens 1-2-3-4 ou 1-2-4-3… Et dans tous les cas, ça fonctionne. Je ne me rappelle même plus dans quel ordre les cases se trouvaient sur le scénario, c’est Anlor qui a eu l’idée de cette structure à choix multiples.

On a souvent dit de LADY WITH GUNS qu’il s’agissait d’un western à La Tarantino. N’est-ce pas une comparaison un peu facile, voire agaçante ?

Je préfère qu’on soit comparés à Tarantino qu’à Guillaume Canet, en tout cas ! Je crois que Ladies With Guns ressemble au souvenir que les gens ont des films de Tarantino, c’est-à-dire un mélange d’humour et de violence avec un certain décalage dans les dialogues. Et aussi une vision dépoussiérée du western. Je crois qu’on retrouve ça dans Ladies. Mais Tarantino, c’est infiniment plus bavard. Les personnages bavardent et bavardent et bavardent… Ils sont assis, et ils bavardent. Il peut se le permettre parce qu’il a de bons acteurs qui jouent très bien. Ce serait impossible en BD, pour deux raisons : il faut laisser de la place au dessin (les bulles, ça bouffe de l’espace), et je ne peux pas demander à Anlor ou à n’importe qui d’autre de dessiner des gens assis pendant des dizaines de pages. On fait de la bédoche, pas de la bande dessinée éducative chiante, il nous faut des images et des mises en scène qui nous en mettent plein les mirettes !

Tes œuvres carcérales cultes ? PAPILLON, LA FEMME SCORPION ?

Papillon, j’en ai de vieux souvenirs, ça fait partie des films qui, comme Luke la main froide, ont forgé mon imaginaire de la prison. La femme scorpion, je n’en avais jamais entendu parler ! Mais il y a trois œuvres carcérales qui m’ont vraiment marquées et que j’ai vu ou lu plusieurs fois.

Number one : Un Prophète, de Jacques Audiard, que je tiens pour un des meilleurs films français tous genres confondus. Un modèle d’écriture, de réalisation, de direction d’acteurs… On entre dans ce film comme dans un documentaire, c’est hyper dur et violent avec quand même, par surprise, quelques fulgurances d’humour. Les personnages sont tous intenses et assez inoubliables. Ça a un parfum de réalisme absolu alors que c’est de la fiction pure, c’est même difficile de croire qu’il s’agir de décors et pas d’une vraie prison. C’est probablement le meilleur rôle de Tahar Rahim et, à cause de ce film, Niels Arestrup me ferait peur si je le croisais dans la rue. Et la cerise, c’est le tour de force du scénario : on pense assister à la destruction d’un gamin, et ce n’est qu’à la fin du film qu’on découvre qu’on a assisté à la naissance d’un caïd. Extrêmement balaise.

En deuxième place, un roman : Le Passage, de Louis Sachar. Un roman arbitrairement destiné aux ados, mais je le conseille tout autant aux adultes. L’histoire d’un adolescent nommé Stanley Yelnats qui est incarcéré dans un camp de redressement en plein désert, où il doit creuser des trous à longueur de journée. Le titre en V.O, c’est Holes, ce qui est bien meilleur. Les personnages sont très forts et l’ambiance est admirablement rendue (on crame de chaud avec le héros, on a des ampoules aux mains comme lui). Ce qui démarre comme une histoire très linéaire finit par devenir épique, imprévisible, et à la fin tous les morceaux épars d’un puzzle que tu n’avais même pas remarqué se rassemblent pour te faire voir l’histoire sous un angle totalement inattendu et lui donner une épaisseur insoupçonnée. Je l’ai relu récemment avec l’idée d’en faire une adaptation BD, mais il est tellement parfait que je ne vois pas ce que je pourrais y apporter. J’ai presque la tentation de le faire quand même pour passer plus de temps dans cette histoire !
En troisième place, Chicken Run. Parce qu’il synthétise tous les films du genre, mais en mieux !

Le portrait du désespoir
©Dargaud

Sur certaines planches d’Anlor, j’ai reconnu l’influence de Charlie Adlard. Quels sont les comics qui t’ont accompagné ces derniers mois ?

J’ai essayé Invincible et je me suis même acharné, j’avais acheté les deux volumes du compendium, il fallait les amortir. Mais au bout de 700 ou 800 pages, j’ai finalement admis que ça me soûlait. Je n’ai aucune sympathie pour ces personnages, aucun enjeu n’existe, ils n’ont aucune émotion réelle, tout est traité de manière anecdotique… Je ne comprends pas du tout la hype. Ma culture comics étant très lacunaire, j’essaie aussi de rattraper des classiques. La série Ultimates chez Marvel, quelques Batman dont La cour des hiboux, Superman Red Son, quelques Spider-Man. Anlor m’a mis dans les mains Daredevil Born Again, de Mazzuchelli, qu’il faut absolument que je lise, apparemment. Mais la grosse claque de ces dernières années pour moi, c’est Monstres, de Barry Windsor Smith. Il est entré directement dans mon top des œuvres incontournables et je le relirai souvent. Je sais que tu en as parlé ici, je ne vais donc pas te faire l’article.

Le scénario du deuxième cycle est déjà prêt ?

Non. On sait en quoi vont consister les flashbacks sur la vie des ladies, et comment on va approfondir les personnages. Pour le reste, les grandes lignes sont posées, le tome 4 est assez en place, j’ai une bonne idée pour le tome 5 (ça me fait penser qu’il faut que j’en parle à Anlor, d’ailleurs), et j’avais plus ou moins prévu de buter tout le monde à la fin du tome 6 mais Dargaud a fait gentiment objection avec un argument de qualité : ça irait contre la tonalité générale de la série. Il y a suffisamment d’œuvres sombres ou pessimistes comme ça, et pas assez d’œuvres optimistes comme Ladies. Donc il faut qu’on trouve autre chose.


A la fin de l’album, je me suis dit que toi aussi tu finissais un cycle commencé avec TRANSPERCENEIGE – TERMINUS : ces personnages qui s’échappent dans la glace !

C’est une façon de voir les choses ! D’ailleurs c’est marrant, il y a un point commun entre Ladies With Guns et TransperceneigeTerminus : la différence entre la violence perçue et la violence réelle. À la fin de Terminus, les personnages principaux n’ont tué strictement personne, alors que la plupart des lecteurs pensent que si. Pour répondre sur cette fin de cycle personnel, il y sûrement du vrai. Ça fait 11 ans que je fais de la BD, il parait que la totalité des cellules de notre corps se renouvellent en 11 ans. Je ne serais donc, littéralement, plus la même personne. Et, même si je ne compte pas arrêter la BD, je vais investir plus sérieusement l’écriture sans images. J’ai écrit mes deux premiers romans sans trop y croire, en me posant des questions de légitimité, je les ai presque abandonnés à la naissance. Mais l’accueil fait à Du plomb dans la tête m’a fait comprendre que j’avais une place en littérature. 2024, ça va être l’année où je commence à prendre le roman au sérieux. J’y reviens avec appétit et ambition et j’ai bien l’impression que c’est un nouveau cycle qui s’ouvre.

Tu vas continuer SODA ?

Oui, si on nous prête vie. Le pasteur sanglant marche bien, on aurait tort de s’arrêter là ! On a une histoire pour le prochain tome, et des bonnes idées pour les deux suivants. Sur Soda, je réfléchis aux différents visages du NY des années 80, et aux univers qui vont avec et que je voudrais explorer. J’en parle avec Gazzotti, en général il est d’accord. Lui aussi, ça lui plait de varier les décors, les personnages et les types d’histoire. Une série de one shots est un terrain de jeu parfait pour ça. Mais on est sur un rythme tranquille d’un album tous les 3-4 ans, donc ce n’est pas la peine de trop anticiper.

Un dernier mot pour nos lecteurs ?

Meilleurs voeux ! (dans la limite des stocks disponibles)

Bon, ça y est ! Ils nous les ont énervées !
©Dargaud

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La BO du jour par une autre femme avide de libertés

8 comments

  • Jyrille  

    Encore une interview rondement menée et pleine d’enseignements ! Je n’ai toujours pas spécialement envie d’essayer, mais à l’occasion j’en serais ravi. Les dessins sont chouettes, les couleurs aussi, les scans donnent envie.

    J’ai beaucoup aimé la remarque sur le passage de la marque, alors qu’avant c’était le sous-titre de l’album ou le titre de l’album qui était prégnant plus que celui de la série. De même le parallèle avec Astérix est savoureux.

    Je me demande si Olivier Bocquet a vu la minisérie THE ENGLISH ?

    La BO : Je n’ai jamais aimé cette chanson, même si cette version est bien, je ne l’aime toujours pas pour autant. Et puis surtout, elle est un peu trop facile je trouve, trop évidente. Par contre je me demande quel est le film avec Scarlett Johansson qui illustre le clip.

    • Bruce lit  

      Je suis Olivier Bocquet depuis une dizaine d’années et il ne m’a jamais déçu.
      Il fait partie des scénaristes dont j’achète aveuglément les projets quels qu’ils soient.

      • Jyrille  

        Tu as lu son SODA ? Je ne sais plus.

    • Olivier Bocquet  

      Bonjour !
      Réponse à la question : non, je n’ai pas vu The English. Ça fait partie de ma pile à voir (surtout pour Emily Blunt, j’avoue).

  • Fletcher Arrowsmith  

    Hello.

    J’avais un avais mitigé sur le premier tome. Le deuxième m’avait bien emballé par contre. Pas encore lu cette fin de saison.

    Une interview plus longue que d’habitude, cela change mais fonctionne toujours autant : questions pertinentes et rythmée et réponses qui valent de la dynamite. Bien vu les dernières questions sur les influences. De mon côté j’ai abandonné ce type de question qui me semblaient trop évidentes et je m’en mords les doigts. En guise de conclusion cela fonctionne toujours autant.

    On sent derrière se succès critique et public, qu’il est bon d’évoquer, bordel, que c’est bon et que cela fonctionne on peut être fier de son travail, une véritable réflexion et feuille de route.

    LADY WITH GUNS western à La Tarantino : assez d’accord avec Olivier. Je trouve que l’on a tous tendance à vitre vouloir comparer des œuvres entres elles avec des référence qui parle au plus grand nombre mais qui sont souvent inadapté ou alors de apparenté assez lointaine. Tarantino c’est avant tout une certaine idée de la mise en scène et du montage ainsi que les dialogues. On a trop souvent réduit son cinéma à la violence à cause de Réservoir Dogs et Pulp Fiction (même si là c’était déjà plus soft). Je pense plutôt à MORT OU VIF de Sam RAIMI.

    J’ai apprécié les explication sur le hors-champ. C’est un procédé difficile à manier car il fait directement intervenir le lecteur, qui devient parti prenante. Mais pour cela il faut savoir lui donner les bonnes pistes, les plus pertinentes : pas trop sinon il est passif mais aussi assez car sinon trop d’efforts ou désintérêt voire incompréhension du style.

    J’apprends sur les costumes des Daltons. Très intéressant.

    La BO : bien vu d’avoir choisi une voix féminine (et par n’importe laquelle) sur ce standard maintenant fois repris qui a traversé l’atlantique. Une des premières chansons que j’ai joué à la guitare (version Le Pénitencier).

    • Bruce lit  

      Une itw plus longue : oui, car écrite et pensée pour le blog plutôt que la presse.
      La question des influences : c’est le genre de questions que j’aime lire dans la presse. Ado, je pouvais tisser des connections entre artistes : si je n’avais pas su que Trent Reznor était fan de Cure, je n’aurais sans doute pas pousser la porte d’un magasin qui ne m’avait pas attiré plus que cela jusqu’à maintenant.
      Tarantino : de lui je n’aime que deux films : Kill Bill et Django. Reservoir Dogs et Pulp Fiction ne m’ont jamais fait jubiler plus que ça. Et il fait désormais partie des cinéastes qui n’arrivent pas à raconter une histoire en moins de 3h. C’est donc rédhibitoire et ses derniers films sont tout en bas de ce que j’ai envie de voir.
      J’avais trouvé que son Inglorious Basters était assez pénible avec cette autosatisfaction dans les dialogues qui me rappelaient Bendis.

  • Présence  

    D’ailleurs nous on dit saison, parce que c’est plus cool et qu’il y a déjà assez de sang comme ça sur la couverture : Excellent ! 😀 Une interview qui commence très fort !

    Pour l’une c’est la liberté. Pour l’autre, c’est le drame. – Saisissant cette opposition de ce que peut représenter un même objet pour deux personnes différentes.

    Ce drame dit : On rigole, on rigole, mais les armes, ça tue aussi pour de vrai. – Un équilibre impressionnant que de pouvoir ainsi à la fois jouer sur l’excitation générée par la violence chez le lecteur, à la fois se rappeler qu’une arme à feu n’est pas un outil ou accessoire anodin.

    Comme d’habitude, une interview aux questions qui permettent à l’auteur de s’exprimer, et qui abordent des thèmes sous des angles propices au développement. J’ai beaucoup aimé, en vrac, les réponses sur les sous-titres, sur les autres façons de se battre, et l’analyse comparée avec Astérix légionnaire (inattendu).

    Cool du Joan Baez pour finir.

  • JB  

    Merci de partager cette interview ! C’est intéressant de voir la collaboration entre auteur et artiste avec cet exemple de la page 55. Mais cette histoire de construction mentale m’intrigue telle que présentée par Olivier Bocquet.
    BO : tiens, j’ignorais l’existence de cette version !

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