Interview Robin Recht (Adieu Aaricia)

Interview Robin Recht

Propos recueillis par BRUCE LIT

VF Le Lombard

1ère publication le 06/02/23- MAJ le 05/08/23

Crépusculaire
©Le Lombard

ADIEU AARICIA est un One Shot d’une centaine de pages (soit plus du double du gabarit original des aventures du viking balafré) écrit et dessiné par Robin Recht déjà coupable d’un admirable récit chez Glénat pour CONAN. Il s’agit d’une nouvelle collection, THORGAL SAGA qui confie à ses auteurs le soin de raconter un haut fait de Thorgal à un moment de son histoire.

C’est un récit qui peut se lire indépendamment de la série mère et de ses spin-offs. Ce qui est mon cas puisque j’avais choisi de mettre un point final aux interminables aventures du héros après le départ de Van Hamme (LE SACRIFICE). Cette histoire pourrait donc être l’épilogue de la série un peu à la manière de PUNISHER : THE END ou de DARK KNIGHT RETURNS.

Après la mort d’Aaricia, un Thorgal de 70 ans usé et désespéré se voit offrir par le serpent Nidhogg un anneau d’Ouroboros qui lui permettrait de revoir son aimée lorsqu’elle était jeune et vigoureuse.
Bien entendu tout va se compliquer lorsqu’Aaricia enfant va être kidnappée et promise à un sacrifice que seuls Thorgal et son double enfant peuvent empêcher.

En exclusivité et avant tout le monde, nous avons rencontré Robin Recht à s’exprimer sur ce récit crépusculaire mais enamouré.

Le silence de l’anneau
©Le lombard

Tu es le premier à ouvrir le bal des aventures de Thorgal dans cette carte blanche que Le Lombard laisse à ses auteurs. Et tu choisis de commencer par la fin de l’enfant des étoiles. Pourquoi ce choix ?

Peut-être une impertinence, me situer « à part » dans la vie de Thorgal. Puisque je n’allais en faire qu’un, autant que ce soit le dernier ! Et puis, cela me permet de ne pas avoir à représenter un Thorgal adulte qui est un enfer de dessin ! Enfin, le thème de la vieillesse des hommes me travaille autant qu’il me fascine. J’aime ces moments de la vie où l’enfant  qui reste en chacun de nous se débat avec le poids des années qui s’accumule dans son corps fatigué mais plein de sagesse. Terry Pratchett avait une phrase merveilleuse: « Dans tout vieux, il y a un enfant qui se demande ce qui s’est passé. »

 A plusieurs reprises de la saga, Thorgal remontait déjà le temps…

Oui, c’est un thème que Van Hamme avait déjà visité avec maestria dans Le maître des montagnes. Pour moi l’un des trois meilleurs albums de la série. Un chef d’œuvre d’histoire adulte en 46 planches.

3 ans de travail, une pagination double, la supervision de Rosinsky, l’attente de milliers de fans : comment as-tu géré la pression ?

Avec inconscience ! Je n’ai commencé à sentir cette pression que lorsque j’ai fini l’album : « mais qu’est-ce que j’ai fait ? C’est à côté de la plaque, hors sujet. »
Avant cela, je me suis enfermé dans une bulle totalement égoïste. Sur un album, je redeviens l’enfant solitaire que j’ai été qui s’invente des histoires avec les jouets qui me faisait rêver. L’extérieur n’a plus vraiment de prise sur moi. Ce n’est pas de la solidité ou du caractère mais vraiment la plus grande inconscience.

L’épreuve la plus cruelle de notre héros : survivre à l’être aimé.
©Le Lombard

Après Conan, tu écris un nouveau barbare. Qu’est-ce que l’Heroïc Fantasy représente pour toi ?

Pour moi, l’Heroïc Fantasy n’est pas seulement cool, c’est important ! C’est le mariage de l’histoire et de la poésie, l’imaginaire du passé. C’est la matrice des récits. Qu’est-ce que La Bible ou la mythologie grecque sinon de l’Heroic fantasy?
Je viens de cette culture, elle a irrigué mon enfance puis mon adolescence et m’a constitué comme adulte. A la suite de tant de grands auteurs, j’essaye à mon tour bien modestement d’apporter mon obole avec mes livres. Tenter le pari fou de faire rêver comme on m’a fait rêver. Et puis un peu réfléchir si c’est possible… Mais rêver avant tout ! La rêverie ne fait plus beaucoup partie de notre époque très matérialiste et c’est un peu triste.

Tu as visionné la série Vikings ?

Oui, mais bien avant de commencer Adieu Aaricia. J’ai beaucoup aimé les saisons 1 et 2. Moins les suivantes qui étaient plus convenues à mon goût. Le casting est formidable, de même que le soin apporté aux décors et aux costumes ! J’ai bien sûr revu quelques épisodes pendant mon travail sur Thorgal même si la série de Van Hamme et Rosinski est restée mon inspiration principale.

Que serait la tentation sans son serpent ?
©Le Lombard

Adieu Aaricia se démarque des autres histoires car ce voyage dans le temps s’achève dans la mélancolie et l’échec le plus total…

La mélancolie sans aucun doute mais je ne pense pas que l’échec soit total. J’ai pensé cet album comme une représentation de la vie humaine. Les gens très vieux n’ont plus que leur souvenir. Le monde dans lequel ils sont nés et ont vécu leurs plus grandes émotions n’est plus là, emporté par le temps. Il reste les souvenirs et la certitude d’avoir vécu ces moments intenses. Voilà pourquoi c’est nécessairement « mieux avant ». Et puis il y a la jeunesse. On a beau lui dire que tout va aller bien, que la vie sera douce, rien n’est jamais écrit. L’inconnu du futur est un dictateur intransigeant, rien n’est écrit pour l’enfant et tout est écrit pour le vieillard.

2 personnages inattendus s’y taillent la part du lion : Gandalf que tu réhabilites et Skraeling-la-noire toute droit sortie d’une histoire de Frank Miller…

J’adore les personnages comme Gandalf. C’est un mec que je comprends. Il a la malédiction d’être orgueilleux et ambitieux sans avoir de génie. Ça aurait pu être un brave type, il est un bon père mais il a des rêves trop grands pour lui et il le sait. C’est terrible de savoir qu’on est un imposteur surtout quand il y a un Thorgal dans les parages. J’aime ces personnages un peu médiocres. Skraeling est tout l’inverse. Sa vie a sans doute été malheureuse mais pleine de tous ses talents, elle s’est levée et a décidé de rêver sa vie et ne pas la subir. C’est aussi un personnage tragique mais plutôt dans la tradition d’un Achille dans l’Illiade.
Pour moi, le héros c’est celui qui refuse son destin. Dans ce sens, Skraeling et Gandalf sont deux vrais héros.

Un album où plane l’ombre sanglante de Frank Miller
©Le Lombard

Puisque l’on parle de Frank Miller, il semble omniprésent dans ton travail : le Thorgal vieillissant évoque son Batman de Dark Knight Returns qui rencontrerait celui de Year 1.

Miller est la comète qui m’a fracassé et modelé mon paysage intérieur quand j’avais 14 ans. Aucun auteur n’a eu autant d’impact sur moi et sur un nombre impressionnant d’artistes.
C’est pour moi l’auteur le plus important des années 80 et 90. C’est tout simplement honteux qu’il n’ait pas eu le grand prix d’Angoulême. Et il ne l’aura jamais… Tant pis, nous sommes nombreux à savoir ce qu’il a apporté et ce qu’on lui doit.

La colorisation de Gaëtan Georges, l’agencement de ton gaufrier sont très proches des premiers albums de Rosinski : est-ce un choix que tu t’es imposé ?

Tout à fait. Une politesse pour la série et ses fans. Je voulais avoir ma place dans cette histoire et m’inscrire dans une continuité. Respecter tous ces chefs d’œuvre qu’ont créés Rosinski et Van Hamme. J’en profite pour clamer haut et fort mon admiration énorme pour le travail de Gaëtan ! Sans lui et son talent, cet album ne serait pas le même et serait certainement moins abouti.

Thorgal et son mini-moi
©Le Lombard

 Quels sont les albums que tu as conservés pendant l’élaboration de l’album ?

Je dirai l’Enfant des étoiles et Aaricia pour la mythologie, Le maître des montagnes pour le voyage temporel, Louve pour l’encrage.

 Qu’est-ce que ce Thorgal vieillissant t’a appris ?

La tendresse. Il est au pire moment de sa vie mais il reste droit. Digne. Il ne lâche pas. Et si sa vie part en lambeaux, il reste tout de même fidèle à ses valeurs, il ne succombe pas à l’amertume.

Si Robin Recht pouvait remonter le temps, que dirait-il au jeune dessinateur ? 

« Continue de rêver seul avec tes jouets, tu prépares le plus beau cadeau possible à l’adulte que tu seras ».


Robin Recht : un autre viking aux cheveux blancs
©Pierre Antoine Querry

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56 comments

  • Tornado  

    J’avais oublié de venir faire un coucou pour un petit cr. Je l’ai lu pendant les vacances.

    J’en suis ressorti un peu tiède.
    Par moment, on entre de plein pied dans le récit et on oublie que ce ne sont pas Van-Hamme et Rosinsky les auteurs, en ayant l’impression de lire un récit classique de la série. Mais, régulièrement, on retombe en constatant que, tout aussi brillant et sincère qu’il soit, Recht n’est pas Rosinsky, et surtout pas Van-hamme. C’est de ce côté surtout que la comparaison joue en sa défaveur : Van-Hamme serait parvenu à trousser la même histoire en deux fois moins de pages et avec deux fois plus de force et d’efficacité. Le final en deux temps est très réussi dans le fond, mais sous la plume de Van-Hamme il nous aurait arrâché des larmes là où, ici, on sent qu’il y a manqué quelques rendez-vous.
    En bref, cette lecture m’a surtout démontré le génie de Jean Van-Hamme par le jeu des comparaisons. En dehors de ça, c’est juste une bonne lecture et une belle déclaration d’amour à la série. C’est bien, mais pas suffisant pour convaincre complètement.

    • Fletcher Arrowsmith  

      D’accord avec Tornado. C’est une bonne lecture mais il manque clairement un certains nombre de marqueurs pour en faire un récit essentiel. Il faut toujours se méfier d’être trop dans l’hommage, d’essayer de ne pas dépasser du cadre. Il en ressort une copie, car cela en est une, trop propre.

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