Les oiseaux rendent libre ! (Review : L’envolée sauvage)

L’envolée sauvage par Laurent Galandon et Arno Monin

Envole moi

Envole moi©Grand Angle

Par:BRUCE LIT

VF : Grand Angle

L’envolée sauvage est sortie 2006 et propose une histoire complète en deux tomes. Il s’agit du premier scénario de Laurent Galandon et des premiers dessins d’Arno Monin.

Un deuxième cycle, toujours centré autour de la Shoah mais avec d’autres personnages est paru,  avec Galandon aux manettes mais sans Monin, pris par d’autres projets. Celui-ci nous a fourni les scans nécessaires pour cet article ainsi que des planches inédites. Merci à lui.

Décidément, on aurait beaucoup parlé d’Arno Monin pour cette saison 4 de Bruce Lit. Réalisée il y a plus de 10 ans, l’occasion était trop belle de découvrir le travail de celui qui nous a tant ému avec sa Qinaya. Et le pitch ne pouvait qu’intéresser votre serviteur au désespoir que le hashtag Shoah ait disparu depuis si longtemps de son propre blog !

Une très jolie séquence d'introduction au découpage impeccable

Une très jolie séquence d’introduction au découpage impeccable©Grand Angle

L’Envolée Sauvage raconte l’histoire du petit Simon, garçonnet d’une dizaine d’année qui a le tort d’être juif dans la France de 1941. Les deux tomes le suivent dans ses échappées laides de dénonciation en coup de malchance dans le premier tome pour s’axer ensuite sur son séjour à Auschwitz contrebalancée par une Happy End annoncée dès la première page de l’histoire.

Avec en arrière fond, l’épouvantable drame de la Shoah qui extermina  6 millions de Juifs d’Europe, Galandon et Monin, tout en restituant honnêtement l’ambiance de l’époque, prennent le contrepied du récit pathétique et déprimant. L’envolée sauvage est un récit coloré, plein de poésie et de touches d’espoir, porté par le tempérament égal et optimiste de son jeune héros. Privé de ses parents, Simon se découvre une passion pour l’ornithologie, qui permet à Galandon de filer doux la métaphore entre la liberté des oiseaux et celle des hommes, la migration des hirondelles et l’exil (subi) des juifs de France et au jeune héros de survivre aux épreuves qu’il traverse.

La fuite des Juifs vue par les enfants

La fuite des Juifs vue par les enfants©Grand Angle

Recruté malgré lui dans un réseau de résistance, Simon utilisera des pigeons voyagurs pour des actions contre les allemands. Un léger parfum de fantastique vient aussi émailler l’histoire puisque Simon semble comprendre les oiseaux et s’en faire obéir. Enfin, La Dame Blanche, une chouette effraie lui apparaît à des moments clés de son existence, à la fois rassurante et inquiétante.

Disons le d’emblée : cette envolée sauvage survole parfois quelques clichés et joue dangereusement avec la véracité historique. On y trouve les grandes figures du récit de l’occupation allemande : le curé débonnaire qui fait acte d’humanité, le maire marron, le nazi plus sadique que les autres auquel le héros va être confronté pour jouer sa survie et beaucoup, beaucoup d’imbéciles qui en seraient presque touchants si leur connerie n’était pas si dangereuse.

Dans les convois de la mort

Dans les convois de la mort©Grand Angle

Galandon a voulu placer au coeur de son hymne à la liberté un refrain insolite via un oiseau mystérieux dont nul ne sait s’il s’agit d’un ange gardien ou d’un oiseau de malheur. Le mystère est savamment entretenu, il donne une saveur à un récit qui n’en manque pas par ailleurs, mais au final la dernière scène où La Dame Blanche apparaît brille plus par son inconsistance (ah…euh, tout ça pour ça ?) que par une envolée finale.

Par moment enfin, le volet fable assumée évoque bien sûr La vie est belle de Begnini.  Avec toutes les qualités et les défauts du film. Notamment sur la représentation des camps de la mort. A aucun moment Galandon ne triche comme Begnini a pu le faire et son camp de carton toc : sur les 30 pages passé dans le camp, Simon assiste à une exécution, souffre de carence alimentaire, de la fatigue, de la maladie , de la fin et du froid.  Il réussit à survivre en s’occupant d’oiseaux de chasse dans une volière. Là encore, c’est un peu fantasque,  il se passait beaucoup de choses dans les camps, mais on a l’impression que Galandon force un peu sur son récit pour caser des oiseaux en captivité simultanément aux prisonniers de la Shoah.

L'arrivée en enfer

L’arrivée en enfer©Grand Angle

Pourtant, avec toute la bienveillance que le récit suscite, on a du mal à l’existence de tout ça, comme si le décorum importait d’avantage que la véracité. Et les personnages sur l’histoire. Simon voyage plutôt confortablement, assis,  dans les convois de la mort : assis, il se lie d’amitié avec une petite fille et peut même s’occuper d’un chaton. Monin fait de vrais effort quant au rendu du camp: c’est sinistre, plein de barbelés et de boue, les sabots qui ensanglantaient les pieds des prisonniers sont bien esquissés. Mais les prisonniers ont tous gardé leurs cheveux, il n’y en a pas plus à l’image et le rendu est un peu pauvre aussi bien dans l’infirmerie que dans les baraquements.

Pourtant, l’album a un charme fou. C’est une parabole, un conte, tout à fait abordable pour les enfants à qui il n’est peut être pas nécessaire de sur-représenter l’horreur des Selektions, des gazages ou de la diphtérie. Ce qui était dérangeant dans le film de Begnini, est plus adapté au format BD où les codes graphiques permettent plus de liberté d’interprétation, de distorsion de la réalité.  Et il est certain qu’avec une cinquantaine de pages, il n’est pas possible de faire oeuvre d’historien.

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Simon fait de la résistance ©Grand Angle

Galandon est nettement plus à l’aise avec la représentation de l’enfance, la vraie force de son histoire et son héros si touchant. Galandon sait écrire l’enfance. Une enfance qui sait résister à presque tout, qui refuse de mourir même dans les camps de la mort. Comme si le fait d’être différent permettait à Simon de ne pas être contaminé par la perversion de cette époque où le monde était devenu fou. En confrontant un garçon rêveur à la réalité du nazisme, le scénariste prenait un risque fou : celui d’agacer son lecteur face à tant de candeur.

Il n’en est rien ici. Simon n’est jamais dupe de ce qu’il se passe pour les autres et pour lui. La partie la plus passionnante de l’histoire reste le road movie, où l’enfant va rencontrer des personnages haut en couleurs à qui il devra s’adapter : une figure maternelle aveugle, l’idiot du village qui veut porter son étoile jaune, le résistant qui prend  le maquis, le gros dur touché par une innocence qu’il ne possède plus.  Les dialogues sonnent juste, les personnages ont suffisamment d’identité pour les séquences où ils apparaissent.

Fais comme l'oiseau...

Fais comme l’oiseau…©Avec l’aimable autorisation d’Arno Monin

Galandon peut compter sur Arno Monin pour susciter chez son lecteur des torrents d’empathie. Avec ses cheveux en pétard, son regard lunaire et son langage corporel souple, le jeune garçon est tout de suite sympathique. Qu’importe le chemin qu’il va devoir parcourir, le lecteur va l’accomplir à ses côtés.  Le contour des personnages est très appuyé donnant parfois dans les codes du dessin animé, permettant en cela d’avantage de distanciation à la terrible histoire qui les attend. Monin assure aussi ses couleurs comme dans Qinaya pour un résultat très pur et élégant. On appréciera à la relecture des petits détails passés inaperçus : l’échafaudage discret d’un clochet d’église, le matricule sur le bras de Simon vieux ou les décors d’époque.

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Exquise esquisse©Avec l’aimable autorisation d’Arno Monin

Par contre, le choix de représenter Simon semblant partir à la cueillette des champignons en sortant d’Auschwitz pour la couverture du deuxième volet est moins heureux. Et ce d’autant plus que les couvertures inédites mises à disposition par Arno Monin sont plus parlantes (mais plus violentes).

C’est un bien bel album rempli de tendresse et totalement dénué de pathos que le sujet pouvait inspirer.  Un premier album pour le scénariste et le dessinateur dont la fraîcheur l’emporte sur la maladresse. Une leçon d’espoir ,celui qui fait vivre, qui donne la force aux oiseaux de survoler les océans aux vagues brunes ou rouge.

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Le garçon au pyjama rayé©Delcourt

Et paradoxalement, Arno Monin sera parfaitement synchronisé avec son deuxième album Qinaya puisqu’il quittera un vieillard rescapé des camps entouré de ses petits enfants pour donner vie à Gabriel, un autre papi au destin peu commun, avec encore une enfant exilée loin de son Pérou et ayant aussi échappé à la mort!

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La BO du jour: chez Bruce Lit, on aime aussi les oiseaux, surtout quand ils ont l’adorable minois et le talent d’Emily Loizeau. Et puisqu’il est question de migration, voici sa meilleure chanson.

https://www.youtube.com/watch?v=1ygt1xftAmQ

11 comments

  • Nina H  

    Et bien moi, je trouve très courageuse ta programmation sur la shoah bruce. C’est nulle part ailleurs qu’un blog publierait ça. J’apprends plein de chose grâce à vous. Je préfère les comics mais j’ai bien aimé les dessins de cet article. Par contre, pourquoi tu attaques le film de Begnini ?
    N’oublions jamais 🙁

    • Bruce lit  

      Bonjour Nina
      Content que cette semaine soit à ton goût. Elle me semblait nécessaire même si je comprends que cela puisse être pesant.
      Le film de Begnini : je l’ai trouvé assez drôle la première fois et essentiellement la première partie. Celle dans les camps ma’a mis très mal à l’aise. Pourquoi ne pas utiliser une allégorie dystopique plutôt que la citation nazie ?
      Ce qui me dérange ce l’impression que donne Begnini dans la vie dans les camps. Avec un peu de ruse, on peut y cacher un enfant, de solidarité on le maintient en vie et on survit jusqu’à l’arrivée des américains….
      J’ai trouvé ça plus pataud qu’indécent….

  • Matt  

    ça semble sympa.
    Avec un petit côté fantastique pour éviter le naturalisme trop « documentaire »
    C’est un peu le problème que j’ai avec les BD qui traitent d’un sujet réaliste. Parfois on se dit qu’on aurait pu regarder un documentaire à la place. Sauf si on y trouve un petit plus. Des personnages, de la poésie.
    Oui bon ok le sujet ne se prête pas trop à la poésie m’enfin…

    Je salue aussi cette initiative de parler de cela. J’ai juste un peu de mal à dire quelque chose sur ce sujet qui ne m’attire pas, et sans passer aussi pour un mec indifférent qui s’en fout. Non, je ne m’en fous pas. Mais c’est un sujet sensible et auquel je n’ai pas spécialement envie de penser des jours d’affilés.

    Et puis bon Bruce est un expert sur le sujet donc que pourrais-je dire sans me faire reprendre ?^^ Je n’ai pas vu le film de Begnini. Sur le sujet, je n’ai vu que la liste de Schindler, le pianiste et euh…j’ai visité un camp en Alsace avec son petit musée de photos souvenirs qui font un peu flipper.

    • Bruce lit  

      Tiens ? Un lecteur !
      C’est le dernier jour. A partir du demain, on entrera dans le volet « persécuteurs » avec la tournée en dérision du nazisme…

      • Bruce lit  

        Et j’ai pas encore parlé du Tombeau des lucioles 🙂

        • Matt  

          Ah, il est bien celui-là.
          Un anime très beau, très juste, pas trop larmoyant mais très touchant.
          Tu as vu Princesse Kaguya du même Isao Takahata ?

          Here :

          https://www.youtube.com/watch?v=tM6hcHp0_kU

          Il faut se faire au style « esquisses ». Tout est en aquarelle. Un bien beau film aussi.

  • Tornado  

    Pour le coup, je rejoins Matt : Je préfère largement une oeuvre qui prend le parti de la poésie et de la métaphore plutôt que le naturalisme documentaire.
    Je trouve toutefois que La Liste de Schindler est un chef d’oeuvre et Le Pianiste un grand film. Des oeuvres essentielles, sur un sujet très important.
    Je n’ai vu qu’une seule fois « La Vie est Belle », il y a longtemps. Et je l’avais adoré.

  • Jyrille  

    Comme Tornado, j’ai adoré La liste de Schindler et Le pianiste. Par contre j’ai toujours détesté La vie est belle.

    Sinon très belle chro, avec de jolis dessins et une bd qui m’a l’air bien, mais pour les mêmes raisons qu’hier, ne m’attire pas pour son sujet… Merci de nous faire découvrir ça !

  • Bruce lit  

    Merci Anna. Si ce n’est deja fait, clique sur le tag Monin. Tu tomberas sur Qinaya’ coup de coeur 2016. Arno nous a accordé aussi une interview.
    A bientôt.

  • Présence  

    Galandon sait écrire l’enfance. – Ce qui n’est pas donné à tout le monde, je trouve par exemple que Robert Kirkman a beaucoup de mal rendre Carl crédible en dehors des moments de traumatisme.

    J’ai bien aimé tes observations sur le travail d’Arno Monin : l’apparence du petit garçon, son langage corporel, et les petits détails passés inaperçus. Ton article sur L’adoption m’avait convaincu et j’ai offert le premier tome à ma sœur pour Noël. Il me reste à savoir ce qu’elle en a pensé. Par contre, je me vois mal offrir ce genre de bande dessinée à quelqu’un d’autre.

    • Bruce lit  

      Je suis d’accord pour une fois, sur le volet enfant de WD. Mais il est vrai que l’occasion d’en être un n’est pas très présente. Globalement Kirkman s’intéresse aux enfants dans ce récit d’avantage en tant que victime que comme individus à part entière.

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