Pluto par Naoki Urasawa d’après une histoire d’Osamu Tezuka
Un article de BRUCE LIT
VO: Shōgakukan
VF : Kana
1ère publication le 18/09/15- MAJ le 16/04/24
Pluto est une histoire complète en 8 volumes publiéé en VF chez Kana. Le scénario et le dessin sont signés Naoki Urasawa , auteur, entre autres, de Monster et de 20th Century Boys. Le sens de lecture est japonais.
Pluto est l’adaptation d’une histoire d’Osamu Tezuka: Le robot le plus fort du monde publiée dans la série Astro. Ce « remake » a été réalisé en 2003 à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Tezuka. Les héritiers confient avoir laissé carte blanche, non sans appréhension, à Urasawa pour bâtir une histoire complète de 1000 pages contre une vingtaine pour le modèle original.
Il n’est pas nécessaire de connaître l’univers d’Astro le robot pour en apprécier la teneur.
Et splash ! L’arroseur arrosé ! A force de clamer haut et fort sur ce blog que la science fiction ne m’intéressait pas, que je trouvais la littérature d’Asimov trop glaciale, et que je n’étais jamais parvenu à aller jusqu’au bout de Blade Runner, voilà que je me prends de passion pour une histoire de robots dans une uchronie où ceux-ci cohabiteraient pacifiquement avec les humains, seraient dotés de droits constitutionnels, autorisés à adopter des enfants et à travailler. Pluto met en scène une histoire totalement addictive où, comme pour Monster, le point de départ emmène le lecteur bien plus loin qu’il ne l’aurait escompté. Une multitude de personnages intervient au quatre coin du monde pour achever de donner à ce récit un propos universaliste sur notre rapport à la violence.
Le monde est en état d’alerte ! Les 7 robots les plus performants au monde, véritables icônes populaires, sont assassinés les uns après les autres. La série suit notamment les destins d’Epsillon, un robot pacifique qui refuse de mettre sa puissance hallucinante au service de conflits armés, Hercule et Brando des catcheurs mécaniques admirés pour leur éthique ainsi qu’Astro incarnation de l’enfance dans toute sa pureté et sa gentillesse. Pourtant la première originalité de ce récit est de mettre Astro en retrait (il n’apparaît que dans trois volumes !) pour laisser la vedette à Gesicht, un robot-flic européen.
Gesicht est un inspecteur de génie qui va enquêter sur le meurtre de ses amis par un mystérieux Pluto (surnommé ainsi en honneur de Pluton, le Dieu de la mort). Comme dans Watchmen, l’enquêteur fait partie de la liste des robots susceptibles d’être assassiné. Et comme dans Watchmen, il va découvrir que l’assassinat de ces idoles populaires cachent d’épouvantables secrets à l’origine d’une menace mondiale. Car les robots ne sont pas les seuls visés; les concepteurs de ces Intelligences Artificielles ainsi que les défenseurs de leurs droits tombent également les uns après les autres.
Quel est le point commun entre les victimes ? Tous sont intervenus durant la guerre entre les Etats Unis de Thrace et la Perse Irakienne. Ce pays soupçonné de fabriquer des robots de destruction massive est annexé par la commission Bora qui n’y trouve rien. Malgré cela, les Etats Unis détruisent l’Irak avec l’aide des 7 robots. Certains ont leur mémoire effacée, d’autres vivent dans le remord, car à l’inverse d’un humain, un robot n’oublie rien. Des cendres de ce pays ravagé, va surgir Pluto, une arme de destruction massive dont la programmation se nourrit de la haine et la tristesse de ces bombardements.
Lorsque l’histoire commence, Gesicht pressent que sa mémoire a été manipulée. Par qui ? et pourquoi ? Fort de ses tourments intérieurs, le robot-flic va mener une enquête haletante et incroyablement sombre au regard du récit original de Tezuka qui utilisait déjà son médium pour écrire sur les bombardements américains sur le Japon en 1945.
Urasawa, qui avait beaucoup disserté sur la chute du mur de Berlin dans Monster, s’attarde consciencieusement sur le conflit Irakien post 11 septembre 2001. Du déclenchement à la fin du conflit, des intérêts économiques à la souffrance de la population civile en passant par l’ambiguïté de cette guerre, Ursawa est raccord avec Monster qui posait déjà cette question : faut il devenir un Monstre pour en éliminer d’autres ?
La ligne de conduite d’Urasawa n’a pas dévié d’un iota. La mise en scène de robots imitant les émotions humaines pour mieux les comprendre lui permet d’explorer les nuances et les contradictions de notre humanité.
On l’aura compris, Urasawa utilise toute la panoplie de la science fiction pour interroger nos valeurs sociétales et philosophiques : est il de guerres justes ? De légitimité à la violence ? Qu’est ce qu’un souvenir ? Comment renoncer à la pulsion naturelle de vengeance ? L’homme est il bon ou mauvais ? Pour peu, on se croirait chez Rousseau !
Ce qui est fascinant dans cette fable d’Urasawa reste le parallélisme entre l’escalade de la violence et la compassion de l’auteur pour le vilain de l’histoire. Le mangaka, par cette profonde empathie envers l’âme humaine ne peut être taxé d’angélisme tant il aura montré par ailleurs les horreurs de la guerre. La renonciation à la violence qu’Urasawa plaide n’est ni de la lâcheté, ni de la faiblesse. Il démontre au contraire ce qu’il en coûte de renoncer à ses idéologies haineuses voire à la haine tout court. L’abandon de la vengeance est tout simplement un réflexe de survie pour les générations futures.
Ainsi Pluto met en scène des tableaux fascinants d’ambivalence : un pacifiste qui prend les armes après que sa vie ait été détruite tandis qu’un membre d’extrême droite réalise son erreur lorsqu’il est sauvé par celui qu’il tentait d’assassiner ! Des humains agissant froidement comme des machines et des robots en quête d’émotions !
Les allers et retours entre l’oeuvre de Tezuka et celle d’Urosawa peuvent donner le vertige ! Chez Tezuka, le Dr Tenma (le créateur d’Astro) est un père endeuillé qui crée une machine pour remplacer son fils qui surpasse en tout l’enfant décédé. Chez Urasawa, Tenma est un chirurgien qui s’engage à tuer l’enfant dont il a sauvé la vie et devenu criminel de masse. Dans les deux cas de figure les enfants Tenma dépassent ou déçoivent l’espoir que leurs pères avaient placé en eux.
L’inspecteur Rung, l’inquiétant flic de Monster, est quant à lui un humain au comportement de robot : froid, impassible, calculateur, dépourvu de toute émotion humaine au désespoir de sa famille qui finit par l’abandonner. Inversement l’inspecteur Gesicht de Pluto, est un androïde qui à force d’imiter les humains est capable d’éprouver la tristesse, l’amertume et l’envie d’adopter un enfant !
Les héros de Monster et de Pluto sont aussi des personnages confrontés au drame le plus épouvantable qui soit : survivre à la mort d’un enfant. Dans cette relecture fabuleuse de Pinocchio où il n’est plus possible de reconnaître la marionnette du marionnettiste, le lecteur reste diverti par un Thriller implacable où les héros tombent comme des mouches et où les vilains ne le sont jamais tout à fait.
Bien sûr qu’il y a du Blade Runner et du Total Recall là dedans et Urasawa est très à l’aise dans le design de cités futuristes. Pourtant, il y a chez lui un refus de s’adonner à de la Sci-fi pure. Le lecteur contemporain n’a aucun effort à faire pour se projeter dans les unités de temps et de lieux proposés. L’histoire contemporaine, les formes de langage lui sont immédiatement familières. Et les quelques gadgets mis en scène ne sont jamais qu’un moyen au service de son histoire et jamais une fin.
En cela, Pluto privilégie une approche réaliste : Astro et ses amis ont abandonné leurs oripeaux futuristes pour ressembler à de réels humains. Il s’agit pour Urasawa de mettre en scène une lecture à plusieurs niveaux : la première est la mise en situation de robots comme les enfants neufs et bienveillants de l’humanité.
La deuxième lecture est bien sûr celle de l’asservissement d’un enfant à son créateur : faut’il accepter l’éducation / le programme qui dirigera notre destin ?
La troisième lecture est enfin un hommage à Osamu Tezuka et un acte de liberté : en s’affranchissant de la version originale de Pluto, Urasawa parvient à raconter un récit personnel sans jamais trahir son père spirituel. C’est beau. C’est rare…
Les détracteurs d’Urasawa ne se réconcilieront pas avec lui: si Pluto reste une histoire étonnamment courte eu égard aux volumes de Monster ou de 20th Century Boys, son écriture en poupées russes rebutera autant qu’elle séduira. Pour ma part, il m’est arrivé d’être parfois agacé par les bifurcations d’Urasawa et son refus de clore l’intrigue….plus tôt….
Dans cette histoire emplie de compassion et de mélancolie, Urasawa va jusqu’au bout de l’histoire qu’il souhaitait raconter et réalise le tour de force de former avec Tezuka une entité indissociable pour un nouveau chef d’oeuvre qu’il faudra désormais attribuer à l’un et à l’autre. Loin, très loin des crossovers Marvel, utilisant le 11 septembre comme alibi pour enfermer les lecteurs dans des histoires au conservatisme effrayant, Naoki Urasawa bouscule son auditoire en mobilisant histoire, sagesse et questionnement autour de la méta-humanité.
Une étonnante lecture cathartique où le lecteur en ressort habité et qui mériterait d’être inscrite aux programmes scolaires d’enseignement de la culture de paix le Pluto possible….
Séduisant. Ton article donne vraiment envie de se précipiter lire cet ouvrage qui me rappelle ghost in the shell que j’ai beaucoup apprécié. Le parallèle avec Pinocchio est très fort.
BRAVO. Ton article est fantastique et encore une fois va bien loin dans l’analyse, mettant en scène des éléments que j’avais senti mais pas identifiés. Il faut dire que je n’ai pas relu la série depuis sa fin et que je l’ai lue en attendant impatiemment chaque tome. Il faudrait donc que je la relise en totalité.
N’ayant pas lu d’autre Urasawa à part les trois premiers tomes de 20th Century Boys, je te crois sur parole quant aux idées de cet auteur. Cependant, je trouve que le parallèle avec K Dick est mal trouvé : chez ce dernier, la technologie passe au second plan, ou est inexistante, et sa SF s’intéresse surtout à la réalité et aux relations humaines. Tu cites Blade Runner inspiré par K Dick, je pense donc qu’au contraire, le fan de K Dick (dont je fais partie, c’est le seul écrivain de SF que je connaisse vraiment, avec Douglas Adams, c’est dire) se retrouvera complètement dans Pluto !
Merci Cyrille.
Celui-là, je ne voulais pas le faire parce que j’avais peur d’être redondant avec l’article de Monster. Au final, c’est la comparaison entre les deux oeuvres qui a guidé mes idées.
Le parallèle avec Dick : tu as sûrement raison. Etant donné que la culture science fiction m’est totalement étrangère, je ne connais de cet auteur que via des adaptations ciné toujours plus high tech, notamment à Minority Repport. Je voulais vraiment dire qu’il ne fait pas s’attendre à une débauche de gadgets, de pouvoirs, de vaisseaux et tout le folklore…
Si tu regardes bien Minority Report, c’est surtout la première partie qui est hi-tech. De plus, pour toutes les adaptations de K Dick, les films se basent sur des nouvelles plutôt courtes, c’est sans cesse développé (et en général, plutôt bien). Total Recall, la nouvelle, s’arrête au bout de 25 minutes de film. Et quand tu regardes la seconde partie de Minority Report, il n’y a quasiment plus de technologie, mais une réflexion sur la religion et sur le libre-arbitre et la justice.
Mais je comprends ce que tu voulais dire. Je ne connais pas d’auteur qui fasse de space-opera dans la littérature SF. Même Barjavel (que je déteste) et Bradbury n’ont pas ces travers. La SF, c’est une extrapolation de ce que peut devenir l’humanité, c’est assez large, et beaucoup de sous-genres s’y côtoient.
Digression: L’une des caractéristiques principales des récits de Dick, c’est les univers en chausse-trappe (avec les anti héros et un humour cruel, comme dans sa nouvelle « Colonie »), et la technologie y est souvent oppressante. Pour se faire une idée plus authentique de son ambiance via des films, les petits budgets Planète Hurlante et Impostor sont plus fidèles.
En dehors de ça, l’ambiguïté robot / humain est effectivement présente aussi bien dans le film Blade Runner que dans le livre, et Pluto explore brillamment cette thématique.
Bonjour,
Merci pour cet article très sympa.
Pour ma part j’ai beaucoup aimé cette série, que j’ai trouvé très intéressante.
L’enquêteur est vraiment intéressant et attachant.
@Bruce : Pour ma part je n’ai pas non plus réussi à regarder Blade Runner en entier par contre j’ai adoré « Les androides revent ils de moutons électriques », le livre de K. Dick dont est tiré blade runner.
Bonne journée.
Il ne te reste plus qu’à répondre à une question. Ta prochaine lecture, c’est 20th century boys, ou Billy Bat ?
En grand amateur de Philip K. Dick je trouve surprenant de le juger à l’aune de l’adaptation de ses œuvres pour le cinéma américain. Je sais que je suis de mauvaise foi à ton égard, mais quand même.
J’ai bien aimé la construction de ton article, en miroir renvoyant Pluto à Monster.
Oui, cette oeuvre est un chef d’oeuvre de l’humanité, dans 1000 ans elle touchera encore le cœur des enfants !
Vous avez raison de faire connaitre ces 8 tomes, c’est beau, c’est intelligent, on est ému jusqu’au larmes. Le background est merveilleux, le character design est à couper le souffle..
Je ne comprends pas que cette merveille n’ait pas été connue Pluto, parce que finalement mieux vaut tard que jamais..
Ok, je sors, je vais allez me préparer un milk-shake électronique avant que le goudron lymphatique ne m’écorche les genoux !
Très bon article !! Cependant, le centième anniversaire de naissance de Tezuka ? Le manga a commencé en 2003, Tezuka est né en 1928, loin du compte ^^
@ALLENW: ce genre de bourdes, c’est ma spécialité !
Toutefois, là je plaide non coupable ! C’est l’éditeur qui imprime des sottises 🙂
Bon, une âme généreuse m’ayant fait don des deux premiers tomes, je reviens poster mon impression de lecture…
Ben en fait, je trouve ça bien fait mais ça ne me transporte pas vraiment (non, pas taper…) Urasawa est un excellent feuilletoniste, certains passages sont très sympas mais… je trouve ses personnages un peu tarte et ses méchants mystérieux me fatiguent… Je suis curieux de lire toute la série mais ça se fera certainement en médiathèque pour moi… Sorry !
Je ne suis pas un grand connaisseur en manga et je suis tombé dessus grâce à une promo de l’éditeur … je voulais essayer alors 2 pour le prix d’un j’ai dit go. Quand j’ai eut dévoré le premier tome j’ai tout de suite dit STOP ! Mais stop, il me faut les 8 tomes pour tout lire !!! Si effectivement le côté parallèle avec une certaine réalité historique ( ils ont des armes nucléaires … il nous faut lancer la guerre !! ) ne m’a pas échappé. Ce qui m’a particulièrement touché et enchanté c’est ce futur où les robots sont semblables aux hommes, où ils peuvent vivre comme les hommes et en copient les comportements. Avec cet étrange moment où ils approchent des sentiments, des larmes et de la haine. Cette réflexion sur le développement de leur IA et l’éthique de la construction de telles entités est très prenante et passionnante.
Je viens de lire cette série il y a juste quelques semaines, elle est toute fraîche dans ma mémoire. Et franchement je suis sûr qu’une deuxième lecture me donnerait bien du plaisir dans la reprise de détails !
Ooooooh…
Je n’en avais jamais entendu parler… Et ça donne vraiment envie…
C’est absolument splendide Pluto. Content que tu aimes, Nicolas B !
Urasawa est sans doute le meilleur auteur japonais actuel.
Monster, 20th century boys, Happy, Pluto.
Bientôt Yawara! va arriver en France, je suis impatient.
Content que cette rediffusion ait trouvé bon écho. J’aimerais pouvoir finir BILLY BAT qui m’exaspère par sa décompression autant qu’il me passionne par son intelligence.
Bonjour.
Je viens de me lire à nouveau les 8 tomes composant PLUTO. C’est toujours aussi grandiose et malheureusement encore plus d’actualité avec le conflit actuel au Moyen Orient. Graphiquement ce n’est pas loin d’être son meilleur travail je trouve.
A signaler que la série NETFLIX est d’excellente qualité, avec la particularité que chaque épisode de 1h en moyenne environ, (8 au total) adapte en intégralité chaque volume. Cela peut donner une impression de longueur, au contraire de l’adaptation de MONSTER avec un épisode = un chapitre.
Je ne garde Netflix que pour ses animés car sinon ce serait poubelle.
Vaste débat que Netflix….
Il y a quand même une grosse base de données
Après les exclusivités, c’est ce qu’on appelait avant le Direct to DVD…
Depuis la Maison Usher, je ne laisse plus « hyper »…c’est trop aux fraises.
C’est quand même pas inintéressant LA MAISON USHER. Si tu enlèves le wokisme extrême du machin, tu as un script vachement bien trouvé et un réalisateur qui commence à émerger avec ses thèmes récurents. C’est pas un chef d’oeuvre à cause de son cahier des charges woke moisi, mais c’est loin d’être mauvais.
C’est même pas ça, l’aspect progressiste forcé est voyant et comme tu le dis, fonctionne vraiment visiblement comme un cahier des charges avec des éléments à cocher…
MAIS c’est pas ça…
C’est comme Marvel, le détective s’appelle Dupin pour faire un clin d’œil mais qu’est ce que peut le rattacher un tantinet à quoi que ce soit au personnage de Poe?
L’auteur disparait derrière tous les aménagements et c’est ça qui me dérange au fond.
j’ai relu la nouvelle pour me mettre dans le bain de la série et je ne reconnait pas du tout la dynamique entre le frère et la soeur.
Rien que le fait que le protagoniste (qui ne semble plus avoir de problème avec la musique ) ait plein d’enfants en fait un personnage totalement différent que le reclus dans son manoir…
Du coup pour moi, c’est raté comme leur adaptation du tour d’écrou qui zappe l’ambiguïté de la gouvernante…
Je le redis, qu’ils fassent des récits originaux (SERMONS DE MINUIT),
Ici c’est un article qui parle de PLUTO, l’adaptation est à la virgule près (j’exagère mais quand même…) Tout le monde s’accorde à dire que c’est excellent.
Pas compliqué quand même!