The tale of one bad rat par Bryan Talbot
AUTEUR: PRÉSENCE
Cette histoire est parue initialement sous forme d’une minisérie en 4 épisodes, éditée par Dark Horse comics en 1994.
L’histoire s’ouvre une publicité murale pour un paysage vert et vallonné ventant le tourisme de la campagne anglaise.
C’est l’affiche que contemple Helen Potter,une très jeune femme. Elle est assise en tailleur adossée contre un mur du métro en faisant la manche. Une rame arrive, elle se jette dessous, le sang éclabousse l’affiche sous les regards horrifiés des gens.
En fait, Helen est toujours assise, elle a juste imaginé qu’elle se suicidait. 2 ou 3 personnes échangent une ou deux paroles avec elle, jusqu’à ce qu’un monsieur faisant du prosélytisme finisse par la faire fuir à la surface.
Elle contemple un instant le sapin géant décorant Trafalgar Square, avant d’aller se débarbouiller dans les lavabos de toilettes publiques et de reprendre sa mendicité à l’air libre.
En même temps, elle se remémore la première fois qu’elle a lu un livre de Beatrix Potter (auteur du grand livre de Beatrix Potter: L’intégrale des 23 contes classiques de l’auteur). Depuis elle a pris l’habitude de reproduire ses illustrations.
Un soir elle est abordée par un grand bourgeois aviné qui lui fait des avances. Une bande de jeunes la tire de cette situation difficile et pénible. Après réflexion, elle accepte d’aller squatter avec eux dans une maison spacieuse inoccupée. L’un des squatteurs construit une œuvre d’art à base d’objets hétéroclites de récupérations qu’il met en couleurs à l’aide de bombes.
Mais Helen a du mal à supporter cette forme de société et les démonstrations affectives de tout ordre. Il apparaît qu’elle a été la victime d’attouchements de la part de son père. Elle finit par reprendre son indépendance et son errance l’amène dans le comté de Cumbrie, la région d’Angleterre où s’était établie Beatrix Potter.
Bryan Talbot est un créateur britannique avec un parcours atypique. En 1994, il se lance donc dans cette histoire qui met en scène une très jeune femme qui a souffert de parents indignes (la mère qui lui répète régulièrement qu’elle aurait préféré ne jamais l’avoir et le père qui la contraint par la culpabilité à le toucher), qui vit dans la rue et qui va finir par se débarrasser de sa position de victime pour pouvoir aller de l’avant.
En 1994, il n’y avait pas d’équivalent dans les comics (même underground), et encore moins publié par un éditeur majeur comme Dark Horse. Cette histoire bénéficie de rééditions régulières. Bryan Talbot raconte avant tout une histoire avec une progression dramatique, un début, une fin et des thèmes qui ne se limitent pas à celui de la maltraitance.
Le lecteur découvre également une première déclaration d’amour à la campagne anglaise, superbement mise en valeur par les illustrations de Talbot (il ira encore plus loin dans ce sens avec Alice in Sunderland). Il ne s’agit pas d’une ode pastorale, mais simplement de la mise en valeur du plaisir de la proximité de la nature.
Ce thème découle naturellement de la passion que nourrit Helen pour Beatrix Potter, une auteure qui a écrit des livres pour enfants avec des animaux anthropomorphes, livres inscrits au patrimoine culturel de l’Angleterre. Talbot utilise quelques éléments de la biographie de Potter pour faire grandir Helen. Il attire l’attention du lecteur sur le fait que derrière chaque livre il y a un créateur qui est un être humain.
La couverture de ce tome est un hommage graphique aux éditions classiques des livres de Potter. Et Talbot consacre 10 pages à écrire un pastiche intitulé « The tale of one bad rat » qui sera sûrement la première œuvre d’Helen Potter. Il décrit également Helen comme une artiste qui doit s’exprimer par le dessin, qui doit coucher sur le papier les images oniriques qui l’habite.
Et puis il y a Helen et la souffrance qui consume ses forces psychologiques. Bryan Talbot a construit son histoire sur des choix délicats : les parents d’Helen sont uniquement présentés sous le jour défavorable de leurs défauts.
Ils sont vraiment les bourreaux qui l’ont torturée psychologiquement, sans même avoir conscience du mal qu’ils faisaient. Bryan Talbot ne se complaît jamais dans le voyeurisme, il met en scène la souffrance terrible d’Helen, son cheminement, la culpabilité dont elle s’accable (certainement l’un des aspects les mieux expliqués et les plus éclairants sur les mécanismes psychologiques de la victime) et l’impossibilité d’oublier ces mauvais traitements.
Du début à la fin, il utilise un style assez réaliste et méticuleux qui place le lecteur dans les rues de Londres, dans le squat, dans l’auberge de campagne. Il ne joue jamais sur le registre du misérabilisme ou du sordide.
Bryan Talbot propose à son lecteur de suivre le chemin qui mène à l’émancipation du statut de victime d’Helen Potter. Le récit comporte d’autres composantes toutes aussi prenantes et éloignées des lieux communs.
C’est un récit qui vous fait partager le quotidien d’une jeune femme blessée, avec délicatesse et intelligence, sans recourir à un pathos larmoyant. Dans sa postface, Talbot rappelle la nécessité de dire ces maltraitances, d’en parler pour en reconnaître l’existence, de délivrer les victimes de leur culpabilité et de leur crédo : si ça m’est arrivé, c’est que je l’avais mérité.
Je l’ai lu cet été et ai trouvé les dessins magnifiques. Le scénario est un peu vieillot je trouve, en deça de ce que j’attendais. Mais il est vrai qu’en travaillant auprès d’enfants en danger, mon niveau d’exigence est ( encore plus ) élevé ( que d’habitude). En tout cas, cette histoire a le mérite d’exister et l’ouverture est très réussie !
Bon je l’ai relu. Je trouve que la résolution du conflit est un peu maladroite au vu du travail que je fais au quotidien avec « mes » familles. Mais l’intention de Talbot est indéniable et je trouve la première partie dans Londres très réussie.
La personnalité d’Helen m’a plus ému qu’à la première lecture et j’ai mieux saisi les métaphores que Talbot distille au long de son récit. Je trouve les couleurs très belles. Je l’aurais noté 4 étoiles mais finalement le volet social étant intrinsèquement lié à la fantaisie de Talbot, c’est finalement très pardonnable. Je ne regrette pas du tout mon achat, d’autant plus que je suis très fier de ma dédicace. Ma femme s’en est emparé et a été plus critique que moi…. Oui dans le couple, c’est moi le moins sévère….