La petite bédéthèque des savoirs : Le féminisme par Anne-Charlotte Husson & Thomas Mathieu
VF : Le Lombard
Il s’agit d’une bande dessinée de 71 pages, en couleurs. Elle est initialement parue en 2016, écrite par Anne-Charlotte Husson, dessinée et mise en couleurs par Thomas Mathieu. Elle fait partie de la collection intitulée La petite bédéthèque des savoirs, éditée par Le Lombard. Cette collection s’est fixé comme but d’explorer le champ des sciences humaines et de la non-fiction. Elle regroupe donc des bandes dessinées didactiques, associant un spécialiste à un dessinateur professionnel, en proscrivant la forme du récit de fiction. Il s’agit donc d’une entreprise de vulgarisation sous une forme qui se veut ludique.
Cette bande dessinée se présente sous une forme assez petite, 13,9cm*19,6cm. Elle s’ouvre avec un solide avant-propos de David Vandermeulen de 10 pages, plus deux pages de notes. Il commence par évoquer la place de la femme telle qu’elle apparaît dans des textes antiques, avec l’exemple de Pandore (qui répand sur le monde des maux tels que la vieillesse, le travail, la maladie, la folie, le vice et la passion) et d’Ève qui porte aussi une lourde responsabilité dans la souffrance de l’humanité. Puis il cite la place de la femme dans des ouvrages comme l’Illiade et l’Odyssée, le Yi-King et le Mahâbhârata. Il passe ensuite au proto féminisme qui apparaît au quinzième siècle avec Christine de Pizan, puis au dix-septième siècle avec Marie de Gournay, pour arriver à Benoîte Groult. Il évoque la lente évolution de la place de la femme dans la société, les différentes formes de féminisme, l’attente exprimée de nombreuses lectrices et lecteurs concernant cet ouvrage à l’annonce de sa mise en chantier, et la construction même de l’ouvrage.
La bande dessinée commence par les 2 auteurs se mettant en scène dans une discussion, constatant qu’il n’est pas possible de réduire le féminisme en une définition simple. Anne-Charlotte Husson indique qu’il y a accord sur un constat : l’existence d’une dévalorisation sociale, politique, économique et symbolique des femmes. Par contre il y a des divergences sur la cause de cette dévalorisation et sur les moyens de lutter contre.
Les auteurs ont donc choisi d’explorer le féminisme à partir de citations ou de slogans, ouvrant autant de chapitres différents. (1) Olympe de Gouges (1748-1793) – La femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune. (2) Slogan : le privé est politique. (3) Simone de Beauvoir (1908-1986) – On ne naît pas femme, on le devient. (4) Slogan : white woman listen! (5) Slogan : nos désirs font désordre. (6) Benoîte Groult (1920-2016) – Le féminisme n’a jamais tué personne, le machisme tue tous les jours. (7) Slogan : ne me libère pas, je m’en charge !
Dans son avant-propos, David Vandermeulen braque la lumière sur la place implicite de la femme dans la société telle que formulée par de nombreux textes antiques, fondateurs de différentes civilisations de par le monde. Il cite ensuite des exemples de femmes ayant contesté les visions patriarcales, condescendantes et franchement insultantes d’hommes célèbres depuis le Moyen-Âge jusqu’au dix-neuvième siècle. Ainsi il établit une vision historique des discriminations faites aux femmes, tout en rappelant qu’elles avaient obtenu plus de droits au Moyen-Âge qu’à la fin du dix-huitième siècle, en termes de propriété privée, mais aussi professionnel (par exemple des femmes médecins au treizième siècle).
Paradoxalement la Révolution Française met la gente féminine sous le coup de la législation conçue et rédigée par des hommes, diminuant leurs libertés. Son exposé l’amène jusqu’au développement du féminisme dans sa pluralité, la réalité des violences faites aux femmes aujourd’hui et le choix de la structure de l’ouvrage. Cette introduction s’avère très instructive, piochant des faits établis au travers les siècles dressant le tableau de sociétés construites et régimentées par les hommes, dans lesquelles les femmes ont dû conquérir leurs droits par la lutte. Le lecteur apprécie également que cet avant-propos constitue une solide introduction à la bande dessinée, sans redite, sans redondance avec la suite.
L’avant-propos annonce clairement l’impossibilité de synthétiser les différentes formes du féminisme dans un ouvrage de vulgarisation. Les auteurs commencent en expliquant qu’effectivement, ils ne peuvent pas couvrir des siècles de féminisme, ce qui ne les empêche pas de conserver l’objectif de faire œuvre de vulgarisation. Afin de structurer son propos, Anne-Charlotte Husson part de citations, ordonnées par ordre chronologique, et fixant le thème de chaque chapitre. Elle explore ainsi le féminisme au travers de ces thèmes partant d’une féministe historique, ou d’un mouvement particulier. Le lecteur constate que cette structure offre une grande lisibilité à un discours rigoureux et dense. Par exemple, le chapitre s’ouvrant avec la citation d’Olympe de Gouges s’articule sur l’évolution de la place de la femme dans la politique et dans les organes politiques, pour finir par une frise chronologique de l’année d’accès des femmes au droit de vote par pays, complété par la liste des 22 gouvernements dirigés par des femmes en 2015.
Anne-Charlotte Husson arrive à combiner un fil directeur par thème, et la mention de nombreuses femmes, et de nombreux faits sans donner l’impression le noyer le lecteur. Ce n’est pas si évident que ça quand en l’espace de 7 pages pour le chapitre Nos désirs font désordre, elle mentionne aussi bien le film Certains l’aiment chaud, que la conception restrictive de la sexualité des femmes (limitée à la procréation avant la deuxième vague du féminisme), la nature de l’hystérie (en passant par l’invention du premier vibromasseur), les théories freudiennes sur la sexualité féminine (la libido ne pouvant être que masculine, chez l’homme comme chez la femme), la réalité de l’invisibilisation de la sexualité féminine, le développement de la théorie Queer (initiée par Monique Wittig, reprise par Judith Buter), l’hégémonie du regard masculin (à commencer par la vision de la sexualité dans les films pornographiques, y compris celle des lesbiennes) et le mouvement LGBTQI (en insistant sur le fait que les êtres humains ne devraient pas être déterminés par leur biologie). Au cours de ce chapitre, comme les autres, le lecteur s’est immergé à la fois dans l’évolution historique de la notion du désir féminin, à la fois dans la diversité des approches, jusqu’aux positions contemporaines, soit un réel tour de force, au vu de la richesse de chaque thème.
Comme souvent dans un exercice de vulgarisation, la partie graphique se retrouve entièrement inféodée au texte. Il en va de même ici. Thomas Mathieu avait déjà réalisé Les crocodiles (2014), un ouvrage sur le harcèlement de rue. Il doit relever le défi de mettre en images un exposé dense et copieux, en essayant de faire en sorte que les dessins apportent une information supplémentaire par rapport au texte. Pour Olympe de Gouges, il rend compte de son apparence, en particulier de sa robe, avec des dessins simplifiés.
Pour chaque personnage historique, le dessinateur réalise ainsi des dessins comprenant suffisamment de caractéristiques visuelles pour évoquer une époque (Napoléon, le sénat lorsque Simone Veil présente sa loi du 17 janvier 1975, l’esclavage et les lynchages aux États-Unis, etc.), pour des graphiques d’ordre ou de relation (la somme des problèmes partagés par les femmes sous la forme d’un Rubik’s cube, le groupe des hommes qui profite de l’oppression des femmes sous forme d’un organigramme), la diversification des identités de genre et de sexualités sous forme d’un continuum. À chaque chapitre, le lecteur peut apprécier l’inventivité de l’artiste pour trouver des images qui viennent en appui du texte. Il repère même en page 42, une parodie du tableau Le cri (1893-1917) d’Edvard Munch, pour rendre compte de l’impact émotionnel généré par les écrits de Simone de Beauvoir.
À plusieurs reprises, le lecteur se rend compte qu’il est difficile de vraiment parler de bande dessinée pour cet ouvrage. Il s’agit bien d’une suite de cases (même si elles n’ont pas de bordure) agencées de façon séquentielle sur la page. Dans le même temps, il est aussi possible de considérer l’ouvrage comme un texte illustré, la narration étant tout entièrement contenue dans le texte, les dessins illustrant chaque phrase, sans établir de suite. La frise chronologique en fin de premier chapitre est très basique (des drapeaux mis en regard des années), pas une infographie.
Le trombinoscope enfin du chapitre 3 associé des bustes de féministes aux régions du globe d’où elles sont originaires, cela permet de visualiser la diversité géographique des féminismes. Arrivé dans les 2 derniers chapitres, les dessins s’effacent derrière une série de chiffres statistiques sur la violence faite aux femmes, puis derrière des citations de plusieurs femmes relatives à leur condition et leur perception du féminisme. Cependant, malgré le recul des images, la lecture reste facile et agréable, plus vivante que dans un ouvrage universitaire.
Le lecteur ressort de cet ouvrage avec une vision protéiforme des féminismes, ancrée dans son évolution historique. Les auteurs ont atteint leur objectif de vulgarisation sans rien sacrifier de la complexité des féminismes. Ils en évoquent les différentes dimensions : pouvoir politique, discrimination systémique, construction du genre, intersectionnalité entre différentes discriminations, plaisir sexuel féminin, violences faites aux femmes, expressions. Ils terminent avec un choix de déclarations d’anonymes, appliquant le principe de rendre la parole aux femmes. Si le lecteur peut parfois regretter qu’il ne s’agisse pas à proprement parler d’une bande dessinée, il constate avec plaisir que le l’ouvrage se lit facilement malgré la densité de son propos. Il s’agit d’un ouvrage de vulgarisation efficace et limpide, malgré la complexité de la problématique.
De fait, le défi que cette collection s’est lancé n’est pas évident, un format plus long et large aurait peut-être facilité la chose, et ceux que j’ai lu étaient effectivement très denses. En tout cas je me félicite – et ce d’autant plus que je n’y suis absolument pour rien – de la multiplication des ouvrages de vulgarisation, et surtout sous forme de BD depuis… quoi? 10 15 ans?
Je partage complètement ton avis : le défi de cette collection plaçait la barre haut. Le premier tome avait ouvert le bal sous les meilleures auspices possibles avec Marion Montaigne apportant sa verve à l’exposé de Jean-Noël Lafargue, sur l’intelligence artificielle.
Par la suite, certains tomes se sont apparentés à un texte livré clé en main, charge à l’artiste de rajouter des visuels, pas forcément indispensables, puisque l’exposé était complet en lui-même.
Je situerais la publication d’ouvrage de vulgarisation en BD dans le même créneau que toi, pour ce qui est d’une production régulière, avec quelques parutions éparses avant.
Il n’y a rien qui m’intéresse moins en bd que les ouvrages didactiques.
Nan mais franchement, quand, par exemple, je vois qu’en regard du texte : « Le terma anglais Queer signifie bizarre, tordu », le dessinateur ne trouve rien de mieux à faire que de croquer péniblement quelques objets tordus et bizarres, je prends mes jambes à mon cou et je fuis le plus loin possible.
Ce truc, c’est du Que sais-je avec des illustrations atroces.
Mais bon, tant mieux si ça trouve son public. J’ai rien contre.
Dans cette collection, le fait que le dessinateur soit rompu à l’exercice apporte souvent un plus. Dans celui sur le rugby illustré par Bouzard, c’est une vraie bd, drôle et mise en scène, pas comme ici une suite de dessins. Tout dépend du sujet et du dessinateur ou de la dessinatrice.
Entièrement d’accord avec toi : dans cette collection, il y a des dessinateurs qui ont dû voir arriver dans leur boîte aux lettres, un exposé livré clé en main, et bonne chance à eux pour le compléter par des visuels, et quelques autres (les moins nombreux) qui ont bénéficié d’une vraie collaboration pour concevoir une bande dessinée.
Du Que sais-je avec des illustrations atroces : pour avoir lu une trentaine de tomes dans cette collection, il m’a semblé percevoir deux limites, ou deux paramètres.
Le premier est celui que relève Jyrille : l’expérience de l’artiste en la matière.
Le niveau de collaboration entre l’expert et l’artiste : cela pouvait aller d’une co-conception, à la livraison d’un texte se suffisant à lui-même et bonne chance à l’artiste.
Pour en avoir lu d’autres publiés par différents éditeurs, il s’agit de paramètres et de limites qui se retrouvent à chaque fois.
La collection la plus libérée en la matière me semble être celle consacrée aux grands peintres, publiée par Glénat, avec de belles surprises au didactisme plus original.
J’aime beaucoup cette collection, je trouve ça dommage qu’elle soit finie. J’ai encore un tome à lire sur ceux que j’ai achetés de la Petite Bédéthèque des savoirs, celui sur le Minimalisme. Peut-être prendrai-je celui-ci si je tombe dessus, car je suis certain que c’est passionnant et que j’apprendrais des choses, mais j’avoue que tu me refroidis en disant que niveau dessin, ce n’est plus de la bd. Merci en tout cas pour le tour d’horizon didactique et précis.
J’avais beaucoup aimé le tome sur le minimalisme :
les-bd-de-presence.blogspot.com/2018/04/la-petite-bedetheque-des-savoirs-tome.html
Je trouve que cette collection devait beaucoup à David Vandermeulen, en tant que responsable ou éditeur.
Ce tome représentait ce que je cherchais en termes de vulgarisation des différents courants féministes, replacés dans une perspective historique.
Merci, je ne manquerai pas de te lire et commenter une fois que je l’aurais lue ! Je comprends ta démarche, en lisant JP avec lequel je partage les réflexions, il n’est pas simple de s’y retrouver.
Comme dirait l’autre : Simple. Basique.
Sur un sujet aussi propre à la polémique, aussi inflammatoire à la seule mention du terme « féminisme », le style adopté, qui ressemble à ce qu’on pourrait retrouver sur des posters et affiches explicatifs, me semble tout à fait approprié.
Et puis, tordre le cou à quelques idées reçues, comme le supposé idéal de liberté amenée par la Révolution, ça me paraît nécessaire dans un pays abreuvé via CNEWS des malheurs du pauvre homme blanc hétéro face aux hordes wokes.
Simple et basique : toute la réussite de l’ouvrage tient dans la capacité de synthèse pour arriver à une présentation simple.
Posters et affiches explicatifs : cela correspond bien à certaines pages, belle comparaison.
Tordre le cou à quelques idées reçues : l’ouvrage va plus loin que cette démarche basique, avec une dimension historique accompagné par son contexte.
En littérature comme en bande dessinée, ma préférence naturelle va à la fiction et donc je lis peu de bandes dessinées didactiques. De cette collection, j’ai le volume sur le Nouvel Hollywood écrit par Thoret et dessiné par Bruno, c’est sympa et il y a quelques trouvailles narratives intéressantes qui font sortir le livre d’un simple digest des analyses d’un spécialiste de tel ou tel sujet.
Il semble en tous cas que le dialogue ou la conversation soit devenu un cliché en terme de mise en scène dans la BD didactique; j’ai l’impression de voir ça partout. En général, le novice auquel va s’identifier le lecteur confronté à l’expert qui déroule son discours vulgarisateur. Loo Hui Phang a un peu détourné ça dans sa dernière BD sur Yves Saint Laurent, elle reprend la forme du dialogue qui sert à véhiculer la matière didactique et documentaire (en s’appuyant de vraies citations) mais joue avec le caractère fantaisiste des situations: Saint Laurent et sa muse déambulent dans New York et croisent Coco Chanel, Simone de Beauvoir, Andy Wahrol et plein d’autres, parfois au mépris de tout réalisme… pour un propos là aussi ouvertement féministe.
Le dialogue ou la conversation soit devenu un cliché en terme de mise en scène dans la BD didactique : c’est en tout cas un dispositif simple et efficace, tout en étant assez convenu.
Pour sortir du dispositif Maître & élève, ou de celui de professeur, cela nécessite une collaboration réelle et conséquente entre Sachant et Bédéiste, avec le temps nécessaire, ce qui ne se produit pas si fréquemment.
Je note la référence de cette BD de Loo Hui Phang & Benjamin Bachelier pour aller y jeter un coup d’œil quand l’occasion se présentera.
Merci pour l’ article Présence. Pense tu que l on pourrait recommander ce livre de vulgarisation à une pré-ado de 12-13 ans ? Au vu de ce que tu décris, ma fille semble encore un peu jeune.
Mes 12-13 ans sont maintenant bien loin, et même ceux de mes enfants… 🙂
Il me semble qu’il faut disposer d’une capacité à envisager les questionnements sur la vie en société, et être prêt(e) à aborder des questions de sexualité pour apprécier cet ouvrage.
J’interviens en me déguisant en Présence (hop là) : un lecteur n’est pas un autre lecteur, tu sauras probablement mieux que quiconque quand tu verras les ouvrages; ceci dit, ma propre expérience, avec deux très gros lecteurs autour de cet âge : ça reste un peu académique et abstrait dans l’ensemble à mon sens, même s’il y a toujours quelque chose à en tirer. Si ta jeune lectrice n’a pas encore lu les Culottées, je trouve ça beaucoup plus digeste et ça aborde pas mal de thèmes par l’exemple.
Merci pour cette intervention : le déguisement est très réussi. 😀
Merci à vous 2 les gars ! Je retiens les Culottées.
(il existe aussi une version animée, en replay sur France TV je crois)
Merci Présence pour cette présentation. Plus que de féminisme je parlerai de respect des femmes en général. Pas la moitié de l’homme ni son avenir mais son complément. Une forme d’égalité saine qui me paraît aller de soi. Ma femme par exemple gagne plus que moi et a une meilleure situation. Il me paraîtrait mesquin de la jalouser ou de le lui faire payer d’une quelconque manière. Si une bande dessinée peut aider à sensibiliser sur un sujet qui est souvent mis sous le tapis. Je ne sais pas où en est l’Education Nationale sur ce point aujourd’hui mais je pense qu’il faudrait vraiment insister sur ce débat, sans démagogie et sans activisme excessif. Juste un humanisme factuel. Et si l’aspect religieux présenté au début pèse beaucoup à l’origine il pèse encore beaucoup aujourd’hui tant la place de la femme ne va pas de soi dans de nombreuses cultures. La réélection d’une certaine Bête Orange ne me paraît pas aller dans le sens de la protection des femmes ni leur élévation. Je ne sais pas si l’ouvrage aborde aussi la question de la charge mentale. La lutte féministe passe aussi je pense par la levée de cette charge et un partage équitable. Je ne connaissais pas cette BD et je ne manquerai pas de la lire.
Une forme d’égalité saine qui me paraît aller de soi : cela me fait penser à la phrase de Descartes qui veut que le bon sens soit la chose du monde la mieux partagée… je n’en suis pas si sûr. 😀
Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ; car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux mêmes qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont. – Discours de la méthode
Cette BD reste un ouvrage de vulgarisation : il n’aborde pas tous les aspects du féminisme.
Au passage on devrait passer Descartes (enfin, son discours) au Bullshit Detector : il a deux formules extraordinaires, celle que tu as citée et le fameux « cogito ergo sum » qui devrait tordre le cou à toute prétention d’autarcie intellectuelle, le reste… C’est au-dessous, Descartes.
Dessous, Descartes – L’émission de Jean-Christophe Victor ?
Oui, même si ce dernier est depuis quelques temps très silencieux, pour ne pas dire en-dessous des carpes, pour une bonne raison.
Sur la forme : la première planche montrée témoigne d’un effort de construction pour que les bulles du dialogue et les à-côtés s’enchaînent et se complètent bien.
Sur d’autres planches, ça me paraît moins digeste.
Sur le fond : je ne suis pas très confiant sur l’avancement de la cause des femmes. J’ai l’impression que le débat public est de plus en plus polarisé et fait la part belle aux extrêmes. Il y a des représentantes féministes pour lesquelles un homme est coupable d’office. Et il y a de l’autre côté des masculinistes décomplexés, comme Andrew Tate. Le juste milieu n’est pas vraiment représenté, quand on voit que le Président appelait de ses vœux un réarmement démographique, forcément plus lourd à assumer pour les femmes. Plus tous les scandales sexuels qui continuent à être étouffés.
Si les choses avaient vraiment changé, les DSK et Depardieu devraient être des parias médiatiques… Pour au moins l’un des deux, ce n’est pas le cas. Et on peut relancer d’un Hulot ou d’un Abbé Pierre (mais pour lui c’est trop tard…)
Je ne suis pas très confiant sur l’avancement de la cause des femmes : c’est pas gagné en tout cas, on peut rajouter l’affaire insoutenable des viols de Mazan, et tant d’autres.
Moi c’est la médiatisation du procès Depp-Heard et son instrumentalisation qui m’avaient foutu un coup. Celle du procès de Mazan a plutôt tendance à provoquer une prise de conscience (façon être jeté dans de l’eau glacée pour dessaoûler). Le malaise qu’on peut ressentir face aux faits est absolument sain, et il aura fallu une sacrée détermination à cette dame pour assumer le regard public et que la honte change de camp.
Mais je voudrais relativiser ton pessimisme : la féministe repoussoir misandre est certainement moins réelle et en tout cas a conrètement moins le pouvoir (et donc pouvoir de nuisance) que les mascus et ceux qui en profitent – dont les mêmes qui financent ses vecteurs – mais la tendance dans les populations à ce que j’en sais US & FR au moins est à une progression de la « tolérance » (dans ce cas-ci l’intolérance aux discrimations de genre et d’orientation sexuelle). Ce que le sociologue Viuncent Tiberj disait des évolutions des opinions était que les opinions évoluaient plus vite que les générations ne se renouvelaient. Alors certes, une frange de la population (les jeunes hommes) est travaillée au corps, mais gardons-nous du docteur fatalisme.
Merci pour cet optimisme.
Pessimisme de la raison, optimisme de la volonté 🙂
Je ne suis pas optimiste, mais je ne suis pas fataliste.
Pessimisme de la raison, optimisme de la volonté : une formulation très élégante.
Personnellement, je suis plutôt verre à moitié plein, ce qui est moins joli comme formulation.
La formule est bonne, voire classique, et pour cause, elle n’est pas de moi mais d’Antonio Gramsci, qui s’y connaissait en la matière : l’essentiel de son oeuvre a été écrite dans les prisons fascistes, où il est mort (libéré deux jours avant sa mort…).
C’est aussi un clin d’oeil d’une ironie amère, puisque la vague d’extrême-droite aux US et en Europe a volontairement théorisé et mis en pratique ses enseignements…
Au rayon des formules percutantes de Gramsci, on trouve aussi ça :
« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. »
C’est malheureusement d’une pertinence toujours redoutable aujourd’hui.
Je l’ai lu, c’était bien mais dense.
Bon, il faut dire que je ne suis fan des BD explicatives et de tous les mots qui se terminent en -Isme.
Mais ton article et la Bd le rappellent : il n’existe pas un féminisme mais des féminismes et bien entendu je ne peux souscrire aux élucubrations des Caroline de Haas et Sandrine Rousseau qui discréditent le travail de terrain de nombreuses associations que je connais bien.
Je ne serai pas aussi pessimiste que JP : Billie Eillish, Dua Lippa, Chelsea Wolfe, Taylor Swift, The last dinner party : ce sont les femmes qui sont les grandes stars de la pop. En France, la chanson est animée par Clara Luciani, Zaho de Zagayan et bien d’autres.
La révolution féministe est en marche et on peut espérer qu’au nom de l’art ne seront plus cautionnés les actes inadmissibles de Depardieu, PPDA ou Miller (!)
Il existe des féminismes : ça m’a vraiment frappé à la lecture, car ma culture en la matière était quasi inexistante.
J’ai également été impressionné par la progression que cela reflète en matière de sciences sociales : ces évolutions et ces différentes formes de féminisme attestent d’un champ de recherche actif et fécond, d’analyses riches et complexes.
Bonsoir.
Sujet intéressant. Je rejoins les commentaires sur ce type d’ouvrage explicatif ou didactique où finalement la BD en tant qu’art séquentiel est trop souvent le parent pauvre. C’est finalement très compliqué de trouver un juste équilibre. Par exemple je n’ai pas du tout aimé la fin de monde Jancovici et Blain et je n’arrive pas à terminer la vie secrète des arbres.
Mais (car il y a toujours un mais) derrière les dessins il y a un propos. Et si il est intéressant, bien construit et avec une vulgarisation de qualité alors le lecteur en ressort ayant après plein de choses.
Là sur cette idée du féminisme et de l’histoire de la place de la femme, les exemples que tu cites m’ont déjà appris des choses et me donnent réellement envie de lire cette ouvrage. Je pense que sur le cas présent j’arriverais à faire abstraction de la partie graphique et encore si cela se trouve je m’y accommoderait rapidement.
Sur les femmes, je crois que je vais suivre JP. Je suis également assez pessimiste et les derniers exemples en date m’horrifient. La société patriarcale, dont je suis issu comme tous, semble de plus en plus vouloir polariser le débat, si tant est qu’elle en souhaite un, et se radicalise en espérant revenir en des temps archaïques. C’est déplorable.
Merci pour cet article et cette review, salutaire.
C’est finalement très compliqué de trouver un juste équilibre : cela reflète mon expérience de lecteur. Comme le fait remarquer Ludovic : pas facile de trouver des bandes dessinées de vulgarisation qui ne recourent pas au dispositif élève-professeur, ou à un avatar de l’expert qui est mis en scène comme dans un cour.
La société patriarcale semble de plus en plus vouloir polariser le débat : mon expérience quotidienne relève de la dissonance cognitive. D’un côté, les réseaux sociaux et la majeure partie des organes d’information (ou plutôt de débats) fonctionnent exclusivement sur la polarisation pour créer le spectacle et entretenir une dynamique antagoniste. De l’autre côté, dans les relations réelles en présentiel, les discussions ne ressemblent pas à ça, et il y a eu une évolution quantifiable, une baisse significative des violences sexistes.
Dans le genre, j’avais lu LE PETIT LIVRE BLACK MUSIC par Brüno & Hervé Bourhis. J’aime beaucoup Brüno dans TYLER CROSS, mais là je m’étais quand même vraiment ennuyé. Un exercice assez vain, sur une succession de pages découpées en rubriques rapidement vidées de leur substance (on sent le remplissage peu inspiré à plein d’endroits), imprimé sur un épouvantable papier mat épais comme du carton. Peut-être sympa pour quelqu’un de pas tellement exigeant, mais pour quelqu’un qui connait bien le sujet, c’était quand même léger léger.
Les articles de Présence sur cette collection sont toujours aussi intéressants à lire, mais je ne suis vraiment pas client de ce genre de médium.
J’avais également envoyé l’article sur le tome 7 de la petite bédéthèque des savoirs à Bruce, consacré au Nouvel Hollywood, par Jean-Baptiste Thoret & (justement) Brüno.
les-bd-de-presence.blogspot.com/2018/07/la-petite-bedetheque-des-savoirs-tome-7.html
En revanche, je m’étais tenu à l’écart du tome 4 consacré au Heavy Metal, par Jacques de Pierpont & Hervé Bourhis, parce que je n’étais pas le bon public pour un ouvrage de vulgarisation sur le sujet.