Oedipe roi (Focus – THE INCREDIBLE HULK n°-1)

The Incredible Hulk par Peter David et Adam Kubert

Un article de JB VU VAN

VO : Marvel Comics

VF : Panini Comics

Mais qui a tué Brian ?
© Marvel Comics

Cet article porte sur THE INCREDIBLE HULK n°-1, de Peter David (auteur), Adam Kubert (artiste) et Mark Farmer (encreur). Ce numéro a été publié dans la revue HULK n°40 de Marvel France/Panini sorti en 1998 Comics et dans l’album IMMORTAL HULK : APOCRYPHES sorti en février 2023.

Depuis le combat des héros Marvel contre Onslaught, Hulk a changé. À l’insu de tous, il a été physiquement séparé de Bruce Banner, et ce dernier a disparu, emporté dans l’univers Heroes Reborn. Depuis cet incident, Hulk veut “plus”, sans savoir quoi : il revendique les îles des Keys en Floride, avant de devenir le Dieu vivant d’une tribu de Terre Sauvage. Une rencontre avec Wolverine et surtout avec un tyrannosaure le plonge dans le coma. Hulk a alors d’étranges visions : un fossoyeur et sa troupe de théâtre lui rejouent des événements dont il ne se rappelle pas. Un passé dont Banner le protégeait et qui revient le hanter.

Quand Stan Lee déterre le passé de Bruce Banner
© Marvel Comics

Durant l’event “Flashback”, chaque numéro des séries régulières (et quelques one-shots) reçoivent le numéro “-1”. Dans ces numéros, Stan Lee brise le 4e mur pour interrompre l’histoire en cours et présenter un récit datant d’avant les débuts de l’ère Marvel moderne (c’est-à-dire avant les débuts des 4 Fantastiques.) En règle générale, cela se traduit par l’arrivée de Stan Lee qui déchire la page du numéro que le “-1” remplace pour s’adresser directement au lecteur et apporter ses commentaires sur ce qu’il va arriver. On observe ici et là quelques variations : dans SENSATIONAL SPIDER-MAN, le jeune Peter Parker voit Stan Lee sur un écran pendant quelques cases et “The Man” finit par assommer Nightmare pour protéger le futur Spider-Man. Dans SILVER SURFER, Stan Lee fait partie d’un groupe d’humains enlevés par des extraterrestres.

Peter David joue encore davantage avec cette formule en “reconstruisant” le 4e mur. Stan Lee reste un Monsieur Loyal présentant le récit du jour, mais s’adresse uniquement à Hulk lui-même. S’il joue avec le format de la page en s’agrippant au rebord des cases, c’est uniquement pour le bénéfice du héros, dont il dévoile des souvenirs cachés. “Stan Lee” et sa troupe d’acteurs qui rejouent le passé de Banner ne sont ici qu’une projection de l’esprit de Hulk, des guides spirituels qu’il s’est lui-même créés. Enfin, plutôt que d’effectuer un retour dans le passé comme les autres numéros de l’Event, le cadre narratif prend bien place dans le présent. Loin de raconter une nouvelle histoire, Peter David apporte un nouveau point de vue sur un élément déjà connu sur le passé de son personnage, à savoir la relation entre Bruce Banner et son père.

Comment montrer les violences conjugales ?
© Marvel Comics

Brian Banner, père dément de Bruce Banner, assassin de sa femme, apparaît réellement pour la première fois dans THE INCREDIBLE HULK n°312 dans un récit de Bill Mantlo très… « inspiré » d’un synopsis de Barry Windsor-Smith (qui développera bien plus tard son idée initiale avec MONSTERS.) Bref, dans INCREDIBLE HULK 312, un Hulk privé de la personnalité de Banner revit l’enfance de ce dernier, la psychose croissante de son père qui le prend pour un monstre et finit par causer la mort de sa femme. Confronté à ce passé, Banner finissait par refaire surface. Peter David va réutiliser Brian Banner à plusieurs étapes charnières de son run : la psychanalyse et fusion des personnalités de Bruce dans INCREDIBLE HULK 377 ou encore le contrecoup des événements de FUTURE IMPERFECT dans INCREDIBLE HULK 416.

Cet épisode Flashback réalise ce qu’on appelle un retcon, terme signifiant dans le jargon des comics “continuité rétroactive” : l’histoire connue d’un personnage est modifiée soit par l’ajout d’un élément nouveau, soit par une altération des événements précédemment établis. Ici, le lecteur et Hulk découvrent que la dernière rencontre entre Bruce et Brian ne s’est pas déroulée comme il s’en souvenait (et comme décrit dans l’épisode de Mantlo). Hulk apprend ainsi que Banner a recueilli son père fraîchement sorti d’un asile psychiatrique au moment où le Général Ross l’a contacté pour construire la bombe Gamma. Bruce est alors pris entre 2 figures paternelles violentes. Mis dos au mur, Banner commet l’irréparable.

Sous les souvenirs fabriqués, la vérité
© Marvel Comics

Peter David parvient à intégrer ce nouveau passé à son run sans problème : il a déjà établi que le Maestro, avatar futur de Hulk, était un reflet de la folie de Brian Banner. Depuis plusieurs mois, bien avant Onslaught, Hulk avait commencé à glisser vers cette personnalité, allant jusqu’à clamer devant le monde entier qu’il était le Maestro. Revendiquer les Keys puis une tribu de la Terre Sauvage, c’est se rapprocher du dictateur qu’il a affronté. Dans le numéro Flashback, un rare échange sincère entre Bruce et Brian évoque ce que ce dernier a subi aux mains de son propre père, esquissant un cycle de violence dans lequel Bruce serait également piégé.
Après ce numéro, Hulk va continuer à chuter jusqu’à frapper son “fils”, Rick Jones. Si ce geste lui fait recouvrer ses esprits, Hulk n’échappe pas à de nouvelles confrontations avec Brian Banner et le Maestro lorsque Bruce revient de l’univers Heroes Reborn.

La forme adoptée pour ce flashback est originale : des acteurs d’une troupe Shakespearienne rejouent à Hulk les scènes de son passé. Outre l’aspect humoristique (un acteur fait une aparté pour saluer sa mère, un autre se trompe de costume et de rôle), la reconstitution des scènes permet à Hulk de s’en distancier. Dans le même ordre d’idée, lorsque Stan Lee évoque les violences conjugales commises par Brian sur son épouse, la scène est représentée par des marionnettes guignols. Cette reconstitution permet aussi un commentaire et une analyse raisonnée des événements. C’est d’ailleurs le seul reproche que l’on pourrait faire au récit : par le biais de Stan Lee, Peter David explicite, analyse et ne laisse aucune place à l’interprétation.

Le pire des colocataires !
© Marvel Comics

Une mention spéciale pour l’aspect graphique. Adam Kubert officie depuis le précédent numéro, et succède à un run de Mike Deodato Jr. très académique et statique. Kubert tranche avec son prédécesseur : il propose des personnages extrêmement dynamiques (Stan Lee n’en finit plus de sauter partout) et expressifs (Hulk est tour à tour confus, dans le déni ou désespéré). Bien que la mise en page reste très cadrée (splash pages, découpage en 2, 4, 6 ou 8 cases), l’illustration du script de Peter David propose plusieurs effets recherchés : ici le reflet d’un Brian armé dans les lunettes de Bruce Banner (référence à L’INCONNU DU NORD EXPRESS d’Alfred Hitchcock ?), là un gros plan sur le rictus écoeuré de Ross lorsqu’il rencontre Brian Banner.

Mais surtout, ce comics utilise de nombreux effets de raccords entre 2 scènes. Alan Moore et ses collaborateurs ont notamment recours à ce procédé de match cut pour des séquences de flashback ou d’ellipse dans WATCHMEN ou THE KILLING JOKE (ou, au cinéma, encore et toujours Hitchcock). Ici, une page en 2 cases montre d’abord un Brian Banner éructant emmené par les autorités après sa condamnation puis, des années plus tard, le même Brian apparemment repenti après plusieurs années de thérapie. Une page se conclut par Bruce s’éloignant de son père, la suivante s’ouvre sur leurs retrouvailles devant la tombe de Rebecca Banner ; enfin, l’image d’un Bruce Banner à genoux, hurlant vers le ciel est suivie de celle d’un Hulk dans la même posture.

Une narration originale, une iconographie mémorable et une révélation choc, ce numéro Flashback d’INCREDIBLE HULK est l’un des plus mémorables d’un Event souvent très sage. Peter David pave la route pour la fin de son run et offre un beau terrain de jeu à Adam Kubert. Les successeurs de Peter David sauront se souvenir de ce récit : Paul Jenkins va littéralement exhumer Brian Banner pour guérir Bruce de la Maladie de Charcot. Lors de CHAOS WAR, Greg Pak ramène brièvement Rebecca et Brian Banner à la vie pour les confronter à leur fils. Et surtout, ce récit (avec, à mon avis, l’oublié INCREDIBLE HULK 460) sera fondateur pour la série de Al Ewing sur le personnage, IMMORTAL HULK. Une belle postérité pour un Event oublié !

Brian Banner : Avant, après
© Marvel Comics

La BO du jour

BO du jour : https://www.youtube.com/watch?v=oF4QgLvFBQE

20 comments

  • Billal  

    Superbe chronique , j avais adore ce run souvent sous estime .👍

    • JB  

      Merci pour ta lecture !

  • Fletcher Arrowsmith  

    Salut JB.

    une très belle review, complète, précise, détaillée, pour un épisode important et surtout très bien écrit.

    J’ai de très bons souvenirs de ce month « flashback ». Très original dans l’approche, souvent assez auto-contenue, avec une obligation pour les scénariste d’être concis. Des années plus tard quand Marvel a remis le couvert avec Original Sins et bien c’était souvent raté.

    PaD a la particularité d’arriver à se dépatouiller des cross-over, event qu’on lui met dans les pattes. Ce Hulk -1 ne déroge pas à la règle.

    L’approche graphique de Adam Kubert est à souligner. C’est faussement classique en fait. Pendant sa prestation sur les numéros de Hulk qu’il illustre, il emploie en effet très souvent un découpage 4 cases. Et pourtant que de densité dans la narration. Ici dans le « -1 », c’est son approche Litte Nemo qui donne le petit plus, le dynamisme à sa narration graphique. comme quoi avec peu on peut faire beaucoup. La colorisation y contribue beaucoup également. Elle n’est pas flashy, asses sombre, limite neutre.

    Mais que d’idée chez Peter Davis. L’utilisation des marionnettes, ce quatrième mur explosé et puis ce thème des violences conjugales. Clairement un épisode charnière dont en effet les successeurs se sont inspirés.

    La BO : bien vu. Cela met de bonne humeur le matin (alors que l’épisode n’est pas drôle du tout).

    • JB  

      J’ai longtemps préféré Andy à Adam Kubert, je ne sais pas pourquoi. C’était l’époque des clones de Jim Lee et Andy avait un style plus conventionnel pour du super-héros alors qu’Adam proposait des pages torturées sur la série Wolverine.
      Little Nemo, une lacune dans mes lectures, même si je connais le perso.
      C’est vraiment dommage que Immortal Hulk Apocryphes ne republie pas INCREDIBLE HULK 460 (immédiatement situé après la mini-série Heroes Return) où l’on voit plus que dans cet épisode Flashback les véritables racines du titre de Ewing, avec un Bruce Banner piégé en enfer et tourmenté par son père.

  • Fletcher Arrowsmith  

    ah et super titre (coïncidence, en triant ma pal de lecture, j’ai retrouvé mon exemplaire de Oedipe roi, dimanche dernier).

    • JB  

      Un vestige de mes études de Lettres, faut bien que ça finisse par servir ^^

  • Tornado  

    Jamais lu tout ça et je doute que ça se produise (PaD me laisse totalement indifférent).
    Analyse néanmoins très impressionante, où tout est décortiqué avec une érudition sans failles. Vraiment, c’est un article qui fait autorité !
    Je n’ai pas grand chose à dire, sauf que j’adore Adam Kubert (pour le peu que j’en ai lu) autant que je trouve le frère ultra surestimé. À chaque fois, Adam a apporté une vraie personnalité à son travail, pas juste de la hype.

  • Alchimie des mots  

    Très bel article, au premier abord, on pourrait trouver cela un peu burlesque (dessin, 4e mur) mais le sujet, tel que tu nous l’a expliqué, est très profond.
    Proposer des récits de qualité après Onslaught n’est pas facile et là, ton article bien détaillé suscite l’intérêt.
    merci

    • JB  

      Merci à toi pour cette lecture !

  • Bruce lit  

    Lorsque la gamme FLASHBACK était sortie j’étais furax (pour changer). On était en plein clifhanger sur Zero Tolerance et ce truc venait tout interrompre !
    Au final celui chez les Xmen avec Magneto à Auschwitz était super et je découvre que cette histoire l’était aussi. Si un jour la chose est rééditée, je serai capable de me l’offrir en fan du Kubert de ces années.
    Les planches montrées ici m’allèchent au plus haut point. Même si je ne suis pas le plus grand fan de Peter David et du casting de Hulk.
    Restent les couvertures de ces séries qui infantilisaient au plus haut point des histoires assez sombres. Dommage.
    La BO : j’ai fait assez de compliments pour la soirée…

    • JB  

      Dans Cable-1, le style de Ladronn rendait bien l’époque pré-héros de Kirby. Je retiens aussi Spectacular Spider-Man avec la difficile enfance de Flash Thompson. Par contre, le Uncanny X-Men est à la limite du compréhensible…

  • Jyrille  

    Encore une fois merci pour ma culture car je ne connais rien de ces auteurs. J’ai du Andy et du Joe Kubert mais pas de Adam, ni de Peter David. D’ailleurs ça donne envie car la couverture, le tout premier scan, est vraiment classe je trouve.

    Le concept a l’air sympa mais un peu usé non, revenir sur le passé d’un personnage ? Bon j’ai un peu de mal à suivre les publications, le numéro -1 apparaît quand, en vrai, dans la numérotation de INCREDIBLE HULK ? Entre quel et quel numéro ?

    Je suis certain de ne pas être la bonne cible car c’est sans doute trop attaché à la continuité, mais j’adore la créativité des planches et le dessin en général des scans de l’article. Ca a déjà été vu ailleurs mais c’est bien maîtrisé, même si je ne suis pas certain d’avoir compris le principe de match cut.

    La BO : j’avais oublié ce titre, il est super raccord avec l’article mais bon, je ne te remercie pas.

    • JB  

      Ce -1 se place entre Incredible Hulk 454 et 455.
      Honnêtement, le numéro se lit sans connaître la continuité du perso, il propose une histoire autocontenue.
      Le principe du match cut, c’est de passer d’une scène à l’autre par un élément raccord visuellement. Par exemple, la transition d’une époque à l’autre dans 2001, l’odyssée de l’espace avec l’effet de l’os remplacé par un satellite, ou encore la fin de La Mort au trousse

      • Jyrille  

        Merci pour les deux explications JB ! Je comprends mieux 😉

  • JP Nguyen  

    Merci pour ma culture, j’ignorais la portée de ce retcon.
    Quand j’avais feuilleté ce run,j’avais été un peu déçu par le trait moins fouillé de Kubert,en comparaison avec ses débuts dans Wolverine. Il faudrait que je retente le coup.

  • Présence  

    J’ai lu cet épisode, mais il ne m’avait pas marqué : je présume que j’étais rétif au principe même de mettre Stan Lee en avant.

    Grâce à l’article, je prends conscience qu’il devait faire un effet très différent, pris dans la durée des dix ans pendant lesquels Peter David a écrit Hulk.

  • Doop O'Malley  

    Un très bon épisode, mais je reste toujours sur celui de MANTLO ! Mais le FLASHBACK MONTH était plutôt très sympathique !

  • Eddy Vanleffe  

    Le flashback Month, je me rappelle l’avoir délibérément boycotté, à l’époque parce que j’étais jeune et vraiment intolérant. Je ne voyais pas la raison de vouloir faire une grosse ret-con générale …
    Sur ça et bien d’autres initiatives, j’ai révisé mon jugement.
    De toute manière il faudra bien que je me fasse les HULK de PAD, l’une de mes grosses grosses lacunes Marvel (Je viens juste de combler SPIDER MAN 2099^^)…

Leave a reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *