Prescience de l’Holocauste (L’étoile mystérieuse)

L’Etoile Mystérieuse, par Hergé

Par : TORNADO

1ère publication le  09/05/18 – MAJ le 13/11/21

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La partie émergée de l’iceberg…

La partie émergée de l’iceberg… @Copyright Casterman-Editions moulinsart

Cet article portera sur le dixième album (si l’on tient compte également de Tintin Au Pays des Soviets) des aventures de Tintin : L’Etoile Mystérieuse.

Cet article est le septième d’une suite regroupant l’intégralité de la série, après :
1) Tintin Au Pays des Soviets 
2) Tintin au Congo & Tintin en Amérique 
3) Les Cigares du Pharaon & Le Lotus Bleu
4) L’Oreille Cassée & L’Île Noire
5) Le Sceptre d’Ottokar 
6) Le Crabe Aux Pinces D’Or

Comme toujours avec Tintin, l’Aventure est au coin de la rue…

Comme toujours avec Tintin, l’Aventure est au coin de la rue… @Copyright Casterman-Editions moulinsart

Bien qu’il ait été publié une première fois sous la forme d’un long feuilleton en noir et blanc, entre 1941 et 1942, dans les pages du journal belge Le Soir, L’Etoile mystérieuse est le premier album de Tintin à avoir été conçu pour être édité directement en album couleur sous sa pagination définitive de 62 planches. Il fut donc le premier album publié directement en couleur.

Sur bien des points, L’Etoile mystérieuse demeure un tome un peu à part dans la série des 22 albums de Tintin (même s’il est vrai qu’ils sont presque tous à part !) et mérite un focus à lui seul.

L’histoire en elle-même est spéciale, puisqu’elle marque la rencontre entre Hergé et le genre de la science-fiction, un genre que l’auteur ne retrouvera guère qu’à l’occasion de On A Marché Sur la Lune, mais de manière scientifique (sans la dimension fantastique), et lors du final de Vol 714 Pour Sidney. Ici, Hergé embrasse le genre pleinement en multipliant les manifestations surnaturelles, qui culminent lors du dénouement sur la fameuse « étoile », en réalité la partie émergée du fragment de météorite censé, au début du récit, déclencher la fin du monde…

La fin du monde… Voilà un thème qui porte une résonnance toute particulière en ces années 1941/42 (en plein cœur de l’Holocauste que l’on nommera un jour la Shoah), alors que la Belgique est envahie par l’Allemagne et qu’Hergé travaille pour Le Soir, un journal collaborant officiellement avec l’occupant.
A maintes reprises, il a été reproché au créateur de Tintin de prendre parti pour le régime nazi et d’afficher un racisme et un antisémitisme prononcé. A ce titre, L’Etoile Mystérieuse arrive en second, après Tintin au Congo pour ce qui est d’alimenter cette polémique, et s’impose avec le recul comme l’un des albums les plus sulfureux de toute la série sur le terrain des accusations perpétrées à l’encontre de l’auteur.

Holocauste (1), du Grec Holokaustos (de Holos : entier, et Kaustos : brûlé).

Holocauste (1), du Grec Holokaustos (de Holos : entier, et Kaustos : brûlé). @Copyright Casterman-Editions moulinsart

Accuser Hergé d’avoir collaboré avec l’envahisseur nazi en écrivant le script de L’Etoile Mystérieuse, et même si l’album n’est pas exempt d’éléments embarrassants comme nous le verrons plus bas, est tout de même paradoxal. Car, comme il l’avait fait un an auparavant avec Le Crabe Aux Pinces d’Or, Hergé cherchait avant tout à fuir les sujets pouvant le rattacher aux événements de la guerre et cette plongée dans la science-fiction relève précisément de ce désir de s’écarter de la réalité afin de s’orienter vers la destination la plus opposée possible, c’est-à-dire celle de l’imaginaire.

Avant le début de la guerre, le créateur de Tintin avait multiplié les critiques envers les états totalitaires, fascistes et agressifs, dénonçant l’invasion de la Chine par le Japon dans Le Lotus Bleu, critiquant la politique impie des dictatures sud-américaines dans L’Oreille Cassée, et illustrant un Anschluss raté en Europe centrale, soit une manière de dénoncer l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne, dans Le Sceptre d’Ottokar. Ainsi, il s’était imposé comme l’un des premiers auteurs à avoir clairement pris conscience des méfaits perpétrés par ces états totalitaires et à avoir annoncé, par le biais de quelques analogies, l’avènement de l’impérialisme allemand.
Il y a donc quelque chose qui cloche lorsque l’on entend aujourd’hui qu’il fut un collaborateur actif du régime nazi au temps de l’occupation. Alors peut-être ne voyons-nous que la partie émergée de l’iceberg (comme semble l’indiquer l’infime partie visible de la fameuse étoile mystérieuse) et peut-être faut-il essayer de lire entre les lignes (ou entre les vignettes)…

N’y aurait-il pas comme un message subliminal chez Hergé ?

N’y aurait-il pas comme un message subliminal chez Hergé ? @Copyright Casterman-Editions moulinsart

Pourtant, c’est vrai : La première version de L’Etoile Mystérieuse, principalement celle qui fut publiée dans Le Soir, est jalonnée d’éléments qui pourraient laisser penser qu’Hergé faisait de l’œil à son occupant.

Tout le monde connait l’histoire de L’Etoile Mystérieuse : Une météorite s’apprête à s’écraser sur Terre et à déclencher la fin du monde. Finalement, le bolide frôle la Terre et le choc se révèle moins tragique que prévu, n’engendrant qu’un simple tremblement de terre dû à la chute d’un fragment de l’étoile. Tintin embarque avec un groupe de scientifiques afin de rejoindre l’arctique, où une partie du rocher est probablement émergée, spéculant sur la possibilité qu’il soit fait d’un matériau extraterrestre encore inconnu. Mais un pays rival envoie lui aussi une expédition, n’hésitant pas à choisir les solutions les plus infâmes afin de gagner la course contre la montre.
Finalement, Tintin parviendra à rejoindre l’île le premier, vivra quelques aventures surnaturelles sur le sol encore chaud du fragment d’étoile, avant que celui-ci ne soit définitivement englouti par les eaux.

 Ambiance au beau fixe pour une aventure censée nous distraire…

Ambiance au beau fixe pour une aventure censée nous distraire… @Copyright Casterman-Editions moulinsart

Concédons le : La version de L’Etoile Mystérieuse publiée sous forme de feuilleton dans Le Soir entre octobre 1941 et mai 1942 est dans l’ensemble une simple aventure fantastique déconnectée du cadre de la guerre et de l’occupation, mais elle est teintée de plusieurs éléments qui, avec le recul, semblent aller dans le sens du III° Reich : Les gentils forment une équipe de scientifiques qui sont, soit issus de pays neutres (Belgique, Suède, Portugal, Suisse), soit des pays de l’Axe (l’Allemagne) ou en cobelligérance (l’Espagne). Les méchants sont américains et, qui plus-est, à la solde d’un banquier new-yorkais qui se nomme « Blumenstein » et qui arbore un faciès qui ressemble fortement aux caricatures antisémites qui s’affichent en Europe sous l’impulsion du régime nazi. C’est d’ailleurs en Belgique que, dès 1942, sont publiées les lois antijuives les plus répressives de tout l’Axe.
Dans L’Etoile Mystérieuse, le concurrent américain qui envoie son expédition en Arctique n’est pas avare de fourberies et, sous l’impulsion de son commanditaire (le fameux Blumenstein), s’adonne à toutes les bassesses afin de damer le pion à Tintin et ses amis. De plus, Tintin pilote un hydravion allemand. Mais surtout, un passage publié dans les pages du Soir, et qui n’apparaitra pas dans la version éditée en album, montre deux juifs entrain de plaisanter sur la fin du monde. En cherchant un peu, on peut retrouver l’image et le dialogue en question, qui donnent ceci :

 No comment.

No comment. @Copyright Casterman-Editions moulinsart

Non seulement Hergé enlèvera le passage des deux juifs dans la première version de l’album, mais il transformera aussi l’ennemi américain dès la fin de la guerre en remplaçant les Etats-Unis par le « Sao Rico », un pays imaginaire dans la lignée de ceux qu’il avait créés avant le conflit à partir de L’Oreille Cassée.
Enfin, Hergé remplacera le nom du méchant banquier « Blumenstein » par « Bohlwinkel », qui signifie « magasin de bombons » en flamand.

On ne peut nier que tous ces éléments sont gênants et, d’ailleurs, ironie du sort, on apprendra par la suite que « Bohlwinkel » est un véritable patronyme sémite, au grand dam d’un Hergé en quête de rédemption, incapable de se débarrasser de ses casseroles bruyantes !

USA puis Sao Rico. Changement de cap entre les deux versions de l’album ?

USA puis Sao Rico. Changement de cap entre les deux versions de l’album ? @Copyright Casterman-Editions moulinsart

Alors posons franchement la question : Est-ce qu’Hergé était véritablement un infâme collabo et est-ce qu’il était aussi antijuif que le premier nazi venu ? Personnellement, j’aime à penser que c’est complètement faux. J’en suis même intimement convaincu.
Pour commencer, pourquoi Hergé aurait-il enlevé le gag des deux juifs dès la publication en album en cette même année 1942 s’il était vraiment aussi antisémite que certains veulent bien le croire ? Je pense que tous les vrais fans de Tintin seront d’accord avec moi quand je dis que ce gag n’était probablement pas une idée d’Hergé. Ceux qui connaissent bien son humour habituel ne peuvent nier que cette blague primaire ne lui ressemble pas. Elle ne sonne pas « Hergé », tout simplement.
Ensuite, il faut se remettre dans le contexte de l’époque : C’est facile de jeter la pierre aujourd’hui et d’accuser à tout-va. Mais en 1942, personne en dehors des victimes et de leurs bourreaux n’était au courant de l’Holocauste nazi (rappelons que les russes et les américains, en libérant les prisonniers des camps de la mort, avaient été traumatisés en découvrant un spectacle auquel ils ne s’attendaient pas du tout). Charles Chaplin lui-même affirmait qu’il n’aurait jamais tourné Le Dictateur sous forme de comédie burlesque s’il avait pris connaissance de la Shoah et s’il avait su à quel point l’horreur de la réalité était au dessus de son imagination.
Pour les gens qui vivaient sous l’occupation, les nazis faisaient peur, certes, mais le monde était loin de se douter de ce qu’il se passait réellement à Auschwitz. Ainsi, même si ce passage ne fait pas honneur à Hergé, je suis convaincu qu’il effectuait, à travers ces quelques éléments aujourd’hui gênants, une poignée de concessions afin qu’on le laisse travailler dans de bonnes conditions (la censure de l’occupant lui ayant déjà interdit de réimprimer Tintin en Amérique et… L’Île Noire, dans lequel le principal antagoniste était un allemand nommé Müller, et ce en pleine montée du III° Reich !), sans imaginer que sa maladresse allait prendre, à la lumière d’événements encore inconnus à cette période, une dimension extrêmement grave.

Comme il l’avait fait au temps du Lotus Bleu, dont l’objectif était de gommer les erreurs et l’aveuglement colonialiste du Congo, Hergé fera tout, ensuite, pour effectuer une véritable quête de rédemption. Et très franchement, faut-il être à ce point obtus pour ne pas voir l’humanisme sincère et lumineux de l’auteur lorsqu’il prend, à travers Tintin, la défense de roms dans Les Bijoux de la Castafiore ? Alors personne ne parlera donc de l‘élégance de son discours lorsqu’il aborde avec un respect infini les peuples que l’on pourrait qualifier de « primitifs » dans Le Temple du Soleil, Tintin au Tibet et Tintin et les Picaros ? Et enfin, personne ne se souviendra de l’album Coke en Stock, dans lequel Hergé pointait admirablement l’horrible réalité d’une époque moderne où le trafic d’esclaves noirs existait encore dans l’actualité, alors que personne ne s’en souciait ?
Soyons un peu clairvoyants et ne confondons pas racisme primaire avec erreurs de jeunesse : L’humanisme d’Hergé n’est plus à prouver, et toute son œuvre n’est qu’une longue déconstruction de lui-même, à travers laquelle il aura essayé, toute sa vie, d’être un homme meilleur, transmettant au final un grand nombre de valeurs universelles destinées à tous les enfants de 7 à 77 ans, transcendées par un message de tolérance et d’empathie parmi les plus beaux jamais écrits.

Et pour terminer je dirais ceci : C’est encore facile d’exiger la perfection chez un autre être humain et de l’accuser depuis son fauteuil et son anonymat quand on ne fait rien de sa vie. Hergé, lui, aura eu le courage de travailler comme un forcené à une époque trouble et d’offrir au monde une œuvre totale. Enfin, il aura pris le taureau par les cornes afin d’affronter ses démons, ses erreurs, et aura tout fait pour tenter de les racheter. Qui peut en dire autant ?
Fin de la plaidoirie.

Et si, à travers Tintin, Hergé s’était lui-même menacé de quelque châtiment ?

Et si, à travers Tintin, Hergé s’était lui-même menacé de quelque châtiment ? @Copyright Casterman-Editions moulinsart

Et sinon, L’Etoile Mystérieuse, est-ce que c’est bien ?
Pour l’avoir relu à l’occasion de cet article, je dois dire que j’ai été très impressionné par la qualité formelle de l’ensemble qui se lit d’une traite, et qui frise la perfection malgré un deuxième acte un peu moins dynamique que le reste de l’album. Car le récit est découpé en trois actes : La montée en puissance de la peur de la fin du monde avec l’arrivée depuis l’espace du météorite ; la course contre la montre entre les deux navires concurrents pour arriver le premier sur les lieux convoités ; et les aventures de Tintin coincé sur la fameuse étoile mystérieuse.

Toujours cet arthropode, métaphore de l’apocalypse…

Toujours cet arthropode, métaphore de l’apocalypse… @Copyright Casterman-Editions moulinsart

Le premier acte a conservé toute sa magie depuis la première fois que je l’ai lu, enfant. Il s’y dégage une atmosphère angoissante qui suscite une vertigineuse montée de terreur pulsionnelle, dans une ambiance d’apocalypse qui fait, avec le recul, curieusement écho aux événements encore inconnus de l’Holocauste dont nous parlions plus haut. Comme très souvent, Hergé se montre visionnaire et, dix ans avant que le genre « science-fiction » ne devienne la mode à Hollywood, aborde une série de thèmes que l’on retrouvera plus tard au cinéma. Ce qui est étonnant, c’est que les américains se saisiront de cet univers romanesque afin de dresser une métaphore de la guerre froide (avec des films comme Le Choc des Mondes ou L’Invasion Vient de Mars, où la menace venant de l’espace symbolisait la peur de voir tomber la bombe atomique, et où le martien incarnait l’horreur venue de Russie la rouge !) quand Hergé utilisait certains de ces mêmes codes dans le cadre de la 2nde guerre mondiale. Un peu comme si la science-fiction était le terrain idéal dès qu’il s’agit de dresser une parabole de nos peurs eschatologiques.

… qui revient comme un écho !

… qui revient comme un écho ! @Copyright Casterman-Editions moulinsart

Un premier acte magique, où les scènes d’anthologie se succèdent, avec la chaleur montante qui fait fondre l’asphalte, les hordes de rats qui se déversent des égouts, les apparitions stressantes de Philippulus le prophète qui annonce le châtiment divin, et l’image de la fausse araignée géante, qui fait savamment écho au dernier acte, comme pour préparer le lecteur à l’horreur à venir…

Le tout nous est conté avec un art consommé de la narration concise, où chaque élément forme un tout épuré, où rien ne manque et où rien n’est en trop, où tout est fondé sur cet équilibre entre l’efficacité narrative et le graphisme purgé de tout détail inutile, que l’on nommera un jour la « Ligne claire ».
Exceptionnel ! surtout pour une époque encore immature en termes de bandes dessinées.

Et encore des bestioles de cauchemar !

Et encore des bestioles de cauchemar ! @Copyright Casterman-Editions moulinsart

Le deuxième acte est le plus long et, de ce fait, opère une rupture de ton qui fait parfois souffrir le récit de quelques longueurs. Hergé ne chôme pourtant pas en revenant à son genre de prédilection –le récit d’aventures aux multiples rebondissements- et en pimentant cette traversée marine d’une série de gags dont il a le secret (et ce malgré l’absence exceptionnelle des Dupondt). Un passage a notamment ma préférence : c’est celui où le capitaine Haddock, qui vient de rencontrer un vieil ami (le capitaine Chester), lui propose de fêter leurs retrouvailles en commandant une bouteille de whisky dans un bar. Je vous laisse apprécier la scène dans l’image ci-dessous, sachant que notre bon vieux loup de mer est sensé, désormais, être le président de la « Ligue des Marins Antialcooliques »…

Et c’est plutôt rock’n roll en plus, non ?

Et c’est plutôt rock’n roll en plus, non ? @Copyright Casterman-Editions moulinsart

Pour le reste, cette longue poursuite maritime souffre de quelques aspects répétitifs, heureusement contrebalancés par toute cette série de gags parfaitement disséminés au fur et à mesure de la traversée, et bien entendu par la présence du truculent capitaine Haddock, qui marque ainsi l’essai (après avoir rencontré Tintin dans Le Crabe Aux Pinces d’Or) en confirmant qu’il fait désormais entièrement partie de cet univers de papier.

Le dernier acte, bien qu’assez court (15 pages tout au plus, mais le premier acte ne faisait que 13 pages également) opère une plongée brutale dans le fantastique tout en isolant Tintin du reste des protagonistes de l’album. Cette soudaine séparation exhale un sentiment de stress très particulier, un peu comme si le lecteur se sentait isolé lui aussi, perdu en milieu hostile, d’autant que la nature mystérieuse du météorite se révèle propice à toutes les manifestations surnaturelles et nous entraine inexorablement vers un ailleurs inconnu et terrifiant.
Hergé, une fois encore, joue merveilleusement de son art de conteur en jonglant systématiquement entre l’émerveillement et l’angoisse, comme lorsque l’on voit ces champignons géants venir joliment colorer le décor (affreusement morne et désertique jusqu’ici), avant de commencer à exploser dans tous les coins, annonçant de manière prophétique le futur péril atomique (Bruxelles fera par ailleurs les frais, avec Londres, des premiers bombardements de missiles V1 en 1944) !
Bien entendu, le tout culmine avec l’apparition de l’araignée géante (qui était nettement plus grande et effrayante dans mes souvenirs d’enfance) et, in fine, avec cette oppressante submersion de l’étoile, faisant écho, ici encore, à notre monde fragile et aux apocalyptiques possibilités de voir un jour la fin des temps nous rayer de la surface de la planète…

Des champignons… atomiques ?

Des champignons… atomiques ? @Copyright Casterman-Editions moulinsart

Tel est ce dixième album de la série. Une nouvelle étape extraordinaire sur le chemin de l’une des plus belles œuvres du XX° siècle. Où un auteur traverse une époque trouble et parvient à saisir l’esprit de son temps, tout en essayant de raconter une simple histoire d’aventures divertissantes.
Le postulat est bel et bien édifiant : en cherchant à fuir l’actualité brûlante et cauchemardesque de cette période de guerre par le biais de l’évasion dans l’imaginaire, Hergé n’aura fait que tisser une métaphore du conflit en parvenant même, de manière plus ou moins inconsciente mais visionnaire, à en percevoir les conséquences qui nous feront prononcer un jour, à propos de l’Holocauste et de la menace nucléaire, le mot « Apocalypse ». Y a-t-il encore quelqu’un, ici, pour nier le statut de génie du créateur de Tintin ?

(1) : Pour diverses raisons tenant à l’histoire de leur religion, les Juifs considèrent le terme « holocauste » (qui désigne un sacrifice par le feu, offert à Dieu) comme un contresens important. Ce terme avait néanmoins été employé dès 1937 par le poète Max Jacob à propos d’une possible « solution finale » (car la souffrance du peuple juif était selon lui vécu comme un sacrifice). Il devait rester le terme principal pour dénoncer le génocide juif jusqu’au début des années 80, avant que celui de « Shoah » (qui signifie « catastrophe » en hébreu) ne lui soit préféré.

C’est comment la vision de la guerre pour un homme bon ?

C’est comment la vision de la guerre pour un homme bon ? @Copyright Casterman-Editions moulinsart

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La fin du monde ! Philipus et l’araignée géante ! L’accusation d’antisémitisme qui éclate comme les champignons de cette étoile mystérieuse. Review et analyse par Tornado chez Bruce Lit.

BO  du jour : Stevie Wonder – Visions

Stevie Wonder rêvait d’un monde meilleur tout en sachant que l’automne succède à l’été. Hergé voulait fuir la réalité de la guerre avec une histoire de science-fiction mais ne faisait rien d’autre que de tisser des analogies sur les conséquences du conflit. On est visionnaire chez les génies…

27 comments

  • Bruno. ;)  

    Avant que j’oublie -parce que je les écoute rarement (ma flemme et le fait que je ne peux pas lire en musique…!)- : j’adore la BO ! C’est absolument magnifique de délicatesse et de subtilité ; tellement bien ficelé (et interprété !!!) que, même moi, j’arrive à en percevoir la profondeur créative. Trop classe (aussi !), le chant de Stevie Wonder, sur ce morceau-ci.

    Cet album faisait parti de mes préférés à lire, quand j’étais Schtroumpf ; ne serait-ce qu’à cause du contexte « gentiment » S.F. matinée de film catastrophe de l’introduction et -bien entendu !- de la présence effective de cette araignée géante, dans les dernières pages, prophétisée de manière si flippante au début de l’album. Très casse-gueule à introduire, une idée pareille dans l’univers de Tintin, qui commençait à sérieusement se « sérieuriser », justement ; mais ça fonctionne vraiment bien et je trouve même que la brièveté de son rôle au sein des évènements renforce encore la plausibilité des circonstances de son existence monstrueuse.
    Je fonctionnais très fort -et toujours pas mal, aujourd’hui- à la noirceur de l’ambiance mise en place par Hergé : même Philipulus, au delà de sa « mission » et de sa folie homicide, enfonce encore d’avantage notre ressenti car il est précisé que c’est un ancien ami du professeur Calys ; et, donc, qu’il a été « normal » à un moment de sa vie. Je pense qu’avoir compris qu’on ne naissait pas fou, mais qu’on pouvait bel et bien le devenir, a rajouté à mon angoisse de lecteur, sur le moment -même si je suis sûr de ne pas m’être fait si clairement la réflexion, à l’époque. Mais ce personnage est aujourd’hui beaucoup plus impactant dans mon appréciation de cette histoire : il incarnerait presque l’inéluctabilité des évènements à venir, bien au delà de nos possibilités d’intervention, tant il est impossible de le rejoindre, et surtout de le ramener, de là où il se trouve.
    Évidemment, après lecture de l’article, j’avoue que l’obscurité si pesante de la première partie de l’histoire aura désormais une profondeur beaucoup plus malaisante, pour moi : le contexte Historique la colore fatalement ; et quand je dis « colore », c’est évidemment une litote. Mais, encore (encore !) une fois, je te suis très reconnaissant de la clarté de tes arguments, ainsi que de la chaleur de tes avis : non seulement c’est facile à lire, mais en plus ça fait du bien 🙂.
    Sans trop m’avancer, et bien que je ne les ai à aucun moment perçu comme tels lors de mes lectures, trop pris que j’étais par la « dramaturgie », je suis assez d’accord avec ton analyse plutôt poussée de la vision « prophétique » de Hergé, quant aux fortes résonances contemporaines des symboles mis en place au long du récit (et le commentaire de Bruce sur le sujet ne me semble pas du tout exagéré) ; et, oui : ces champignons géants « atomiques » m’apparaissent comme une percée visionnaire de l’inconscient collectif, à posteriori. Le travail de Fiction/Anticipation a ceci de fascinant que, en s’appuyant sur des bases bien réelles (et cela même de manière légère/frivole), on peut néanmoins extrapoler un certains nombre de probabilités, alors même qu’on ne maitrise consciemment que très peu d’éléments factuels, très circonscrits par l’époque où on vit : le cerveau possède des capacités qu’on ne fait qu’effleurer, toujours, à l’heure actuelle ; et qui peut dire de quoi il est réellement capable, surtout dans ses fonctionnements inconscients, et surtout chez des créateurs de cet acabit (et encore plus en période de crise !) ?!

    • Tornado  

      Merci à toi, Bruno !

      Oui, plus on étudie TINTIN, plus le génie visionnaire d’Hergé et la richesse de son oeuvre impressionne à postériori. Et c’est d’autant plus paradoxal que le résultat épuré ne laisse en rien imaginer une telle densité !

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