PUNISHER GET FURY par Garth Ennis et Jacen Burrows
Un article de Sébastien ZAAFVO : Marvel
VF : Panini Comics
Punisher Get Fury signe un énième retour de Garth Ennis dans la sphère Punisher Max chez Marvel. Il doit tirer le colonel Fury des griffes des Viêt-Congs ou le tuer.

©Marvel Comics
Garth Ennis sur Punisher voilà une phrase qui normalement suscite l’enthousiasme de tout un chacun appréciant les aventures d’un psychopathe à tête de mort devenu maître dans l’art de la torture et du crime au nom d’une famille qui ne lui a rien demandé. Je me faisais donc une joie de découvrir ce nouveau récit qui met en scène une fois de plus Castle et Fury dans cet univers Max, proposé en VF par Sandwich Toasté Gratiné (ah mince c’est brûlé, on y reviendra …) alias Panini. L’occasion en préambule pour moi de dire toute l’admiration que j’ai pour Garth Ennis et son œuvre avant, comme Castle, d’entrer dans le vif du sujet …
Punisher La Mission
Le pitch ne sort pas de la cuisse de Jupiter, mes excuses au scénariste. Je dis « le scénariste » comme naguère Marvel présenta Alan Moore sous le titre « l’auteur original » et je vous dirai pourquoi. Castle est approché par des barbouzes de la CIA alors qu’il est de retour au Viêtnam pour un autre « Tour of Duty » avec une mission simple dans les termes mais compliquée dans les faits. Lors d’une infiltration au Cambodge, sur les traces d’opérations douteuses, Fury est vendu par les Khmers Rouges à l’Armée du Nord Viêtnam. Tout cela nous est conté par un narrateur déjà connu des lecteurs, le général Viêt-Cong Letrong Giap, croisé à plusieurs reprises. Fury connaît bien sûr tous les sales petits secrets de l’Oncle Sam, y compris la liste des agents doubles infiltrés au Nord. Il est donc vital que tout cela ne soit pas dévoilé. Castle a donc une mission très basique : tuer Fury (niveau semi-pro) ou le récupérer (niveau légendaire). C’est donc parti pour un récit à mi-chemin entre RAMBO II LA MISSION et PORTES DISPARUS d’où l’originalité relative. Vendu comme cela, on se dit « chouette, une soirée entre Sly et Chuck Norris ». Les clichés s’enchaînent avec bien sûr les barbouzes de la CIA et le général ayant convoqués Castle mouillés dans un trafic de drogue qui fait passer la dope par les corps des soldats morts rapatriés, affaire sur laquelle Fury et Castle ont déjà oeuvré. On a effectivement vu plus original au niveau scénario avec tous les poncifs sur le Viêtnam qui y passent. S’il n’y avait que ces points, cela suffirait pour faire du récit un comics juste passable. Cependant, il y a vraiment au-delà de ça des éléments dérangeants.

Le captain et son crâne ©Marvel Comics
Marvel Kills Punisher
Le point le plus dérangeant est que l’on nous sort encore de manière plus ou moins implicite cette perpétuelle question rhétorique : Castle était-il le Punisher avant d’être le Punisher ? Sa famille est donc une fois de plus mise à contribution, sous la forme d’une lettre de sa femme lui annonçant qu’elle est à nouveau enceinte et le supplie de revenir alors qu’elle ne comprend pas qu’il soit retourné dans cet enfer. Question lancinante mais surtout question inutile : Ennis y a déjà répondu à sa manière à la fin de PUNISHER : BORN. Même les agents de la CIA y vont de leur petit commentaire prophétique, se demandant si finalement il n’y aurait pas plus chez Castle que ce qu’il y a à voir et si éventuellement il n’aimerait pas plus que tout tuer.
Relisons ensemble : des agents de la CIA au Viêtnam, trafiquants de drogue, n’hésitant pas à corrompre des officiers américains et vietnamiens pour s’approprier des corps de soldats morts afin de faire passer des tonnes de drogue aux Etats-Unis se posent la question morale de savoir si Castle n’aurait pas éventuellement des tendances psychopathiques … Sans déflorer l’histoire pour ceux qui souhaiteront la lire, vous pourrez aussi constater que les agents en question sont moins affutés intellectuellement que le pire des couteaux rouillés du Punisher, faisant d’eux une caricature comprenant à peine ce qu’ils font. L’effet narratif est curieux voire absurde. Ce récit donne surtout l’occasion à Marvel de capitaliser encore sur le personnage du Punisher, toujours cité mais jamais présent puisqu’il n’est encore que Castle. C’est très pratique pour la Maison des Idées puisque les aspects « problématiques » du personnage notamment le costume à tête de mort repris par, disons-le de manière polie, des gens qui n’en maîtrisent pas toujours la symbolique mortifère voire légèrement fasciste sont évacués. Et le fait de le situer dans le passé, au Viêtnam se retrouve ainsi dans cette perpétuelle question rhétorique faisant du Punisher, opportunément évacué dans l’univers classique, une ombre qui plane, donnant l’impression qu’il peut apparaître à tout moment sans que cela n’arrive jamais, mais suggéré tout au début avec le capitaine Castle, trônant sur le toit de son baraquement à côté d’un crâne… Le serpent qui se mord la queue d’une certaine façon. Il est d’ailleurs aussi curieux que Castle, qui n’est encore qu’un soldat, certes officier avec le grade de capitaine, aient déjà les comportements au mieux du Punisher, au pire d’un espion aguerri n’ayant rien à envier à Fury.

La complainte des bouchers de la Villette ©Marvel Comics
Welcome Barbaque Frank !
Mais ce qui m’a vraiment le plus frappé voire choqué au fil du récit c’est le côté extrêmement gore dans la mise en image de Jacen Burrows. Vous me direz, c’est un peu le fond de commerce du monsieur depuis CROSSED. Certes. Vous me direz aussi qu’Ennis a fait la même chose à plusieurs reprises, notamment avec les différents montages ou démontages du Russe, pour rester dans l’univers du Punisher. Mais là où Ennis y introduit toujours un côté satirique ou truculent, j’ai trouvé qu’ici c’est purement gratuit. On a droit à quelques scènes malaisantes entre Fury et les Viêts dans la jungle. Avec au passage des Viêts dignes des plus formidables clichés racistes du genre « l’asiatique est fourbe et cruel » si vous voyez ce que je veux dire …
Des scènes avec force entrailles et sang à l’hectolitre qui m’ont fait penser à RAMBO IV. Mais là où Stallone dénonce la dureté de la guerre en contrepoint au pacifisme et à l’humanité des volontaires des ONG, ici, point de réflexion. Vous voulez du gore, tiens, en voilà … De la même manière, la vulgarité des tortures auxquelles est soumis Fury qui raconte tout par le menu est d’une obscénité crasse. On en finit même par se demander comment le narrateur, Letrong Giap, peut éprouver une quelconque sympathie ou du respect pour ces deux hommes que sont Fury et Castle.

Quoi ma gueule? ©Marvel Comics
Punisher Fan Service
Vous aurez compris que le récit se vautre dans un fan service de plus ou moins bon aloi qui en vient parfois même à culpabiliser le lecteur. Je reviens sur la lettre de Maria suppliant Castle de revenir et les allusions plus ou moins fines des agents de la CIA. J’ai eu cette impression étrange que le scénariste nous prenait à témoin de ses propres déboires. Regardez, cet homme qui a déjà beaucoup souffert, déjà père et qui va le devenir à nouveau, mari aimant, toi lecteur, qui en veut toujours plus, tu me forces à le faire revenir au Viêtnam pour encore plus de tueries. Tu veux de la boucherie et bien je vais t’en donner jusqu’à te punir, jusqu’à la nausée. Et c’est là que vient la question du « scénariste ». Je me suis demandé comment Ennis, que je respecte vraiment pour l’ensemble de son œuvre, avait pu commettre ce récit sans âme, sans distance, ni satirique, ni drôle mais caricatural à l’excès. Les Viêts sont cruels, les Américains des salauds mais des salauds gentils qui se défendent face à ces hordes de barbares communistes se délectant dans les tortures les plus ignobles, avec des officiers viêts se vautrant dans le stupre et l’alcool avec deux personnages féminins dont je cache volontairement l’identité mais qui ne servent que la cause des hommes, leur propre sort dépendant d’un Fury présenté à l’origine comme un vulgaire GI libidineux. A tel point que je me demande si ce récit n’est pas victime de la méthode Stan Lee. Ennis ayant vaguement pitché un truc sur un coin de table et Burrows ayant rempli les trous comme pouvaient le faire Kirby ou Ditko. Ce qui arrange Marvel, Ennis sur Punisher faisant probablement plus saliver et vendre que Burrows tout seul. La meilleure preuve du fan service étant cette cover qui reprend vaguement celle de la première apparition du Punisher dans Amazing Spider-Man.
Au final cette aventure ne m’a pas marqué. J’avais déjà été mi-figue mi-raisin sur le précédent PUNISHER LA SECTION. PUNISHER : SOVIET m’avait beaucoup plus intéressé, avec un Punisher contemporain, explorant d’autres thèmes avec un antagoniste / sidekick en contrepoint et en miroir de lui-même. Ici, tout est obscène, entre fan service lourdingue et gore à la limite de l’envie de vomir.
Je l’ai en ligne il y a quelques semaines et je suis plutôt d’accord avec toi. Par rapport à VALLEY FORGE, VALLEY FORGE ou MY WAR GONE BY, il manque quelque chose voire plusieurs choses. Un soupçon d’humanité dans un protagoniste attachant, par exemple, puisque dans cette série, on ne rencontre que des psychopathes ou des demeurés.
Hello JP. Absolument il manque un attachement aux personnages. A part le narrateur ce sont tous d’affreuses caricatures.
Merci pour cette analyse !
Pas encore lu ce récit (j’y viendrais probablement), mais ce que tu évoques me rappelle beaucoup mes impressions sur la première série FURY MAX de Ennis, dont j’avais trouvé la violence écœurante (sans avoir cette impression pour le reste des écrits d’Ennis) pour une conclusion qui était finalement juste la même que son SOLDAT INCONNU.
C’est ballot, je pense qu’il y a des trucs à dire à partir des éléments disséminés sur les 2 premières périodes de service de Castle dans BORN.
A contrario, je trouve qu’il serait temps que Ennis arrête de revenir sur cette période du personnage, il n’a plus rien à dire.
Sinon, à force, les pitchs vont être de plus en plus inutilement alambiqués et répétitifs…
Tenez, je vous en donne un :
Nick Fury se fait capturer (encore) et livrer à des scientifiques du Vietnam qui veulent étudier son ADN modifié par la formule Infinity. Leurs recherches portent sur des OGM pour améliorer le rendement des rizières.
Et c’est ainsi que Nick fut riz !
« il n’a plus rien à dire »
C’est d’ailleurs censé être sa dernière histoire sur le Punisher (version MAX).
… Argh ! De si bon matin ?! Je suis mouru !! 😵💫
oh la vaaache….
je valide cet affreux calembour.
On se met en jambe pour le Figure Replay de demain ^^
Ah ah moi aussi ! Respect éternel JP !
Ah et j’ai bien aimé le « niveau légendaire » dans l’article de Sébastien…
Level 42
Tout à fait l’impression que j’ai eu. Il n’a plus rien à dire sur ce personnage et il en fait le tour depuis le temps …
Hello JB. Tu ne perd rien sur ce récit. Un catalogue de clichés qui n’apportent rien ni à la mythologie du Punisher ni à celle d’Ennis.
Je fais également partie des déçus par la lecture de cette mini-série.
Bon, d’après ce que j’ai lu, le script date de 2019 et dormait chez Marvel depuis quelques années. L’impression que ça donne, c’est que c’est un fond de tiroir.
Hell Zen. Un mauvais fond de tiroir qui sent le mauvais whisky …
J’ai eu le même sentiment de déception que vous tous en lisant ce dernier opus. On a du mal à comprendre pourquoi Ennis revient sur le personnage et cette période, on a l’impression qu’il ne sait plus trop quoi raconter mais au delà de ça, la narration et l’écriture sont étonnamment paresseuses pour un scénariste de sa trempe: la caractérisation des deux agents de la CIA et leurs interminables conversations, les apartés de Letrong Giap, tout ça donne l’impression que l’intrigue avance en pilote automatique, même les dialogues sont fades, je me suis même demandé si ce n’était pas la traduction qui péchait et rendait la lecture pénible.
Je n’ai pas lu les derniers Ennis parus (comme RIBBON QUEEN chez Panini) mais j’espère quand même qu’il s’y montre plus inspiré…
Hello Ludovic. C’est vrai qu’on a connu Ennis plus inspiré. Il y a la trame habituelle mais il manque tout ce qui fait un bon récit par Ennis. C’est complètement gratuit, sans aucun propos.
Merci pour l’article.
Je fais parti des rares à ne pas avoir tenter le Punisher de Ennis qui est loin d’être mon scénariste préféré. Donc là j’ai peu d’éléments de comparaison mais c’est clair que tu ne donnes pas envie.
Je n’arrive pas à comprendre pourquoi Marvel s’entête à essayer de boucher ses trous de son passé ou alors de refaire continuellement des récits nostalgiques. Je trouve cela pathétique.
Même graphiquement cela ne m’attire pas. Le gore pour le gore sans façons
Bon je vais quand même tenter PREACHER de Ennis qui sort en collection pocket (je prends peu de risque). J y crois.
Hello Fletcher. C’est purement pour du fan service et des billets verts que Marvel s’entête. Il n’y a plus grand chose à dire sur le passé de ce Punisher Max qu’Ennis n’ait pas déjà fait. Graphiquement c’est du Burrows pur, pas mon kiff non plus. Pour Preacher, c’est vulgaire et outrancier aussi mais au moins il y a un propos qu’on peut intellectualiser.
Dans mes souvenirs, durant le temps assez long de gestation de la précédente minisérie The Platoon, Ennis avait annoncé qu’il lui restait encore une histoire de Castle à raconter au Vietnam. C’est donc celle-ci.
L’occasion à Marvel de capitaliser encore sur le personnage du Punisher, toujours cité mais jamais présent puisqu’il n’est encore que Castle. – Pour des anciens lecteurs, c’est aussi l’occasion pour Garth Ennis de revenir à son personnage fétiche chez cet éditeur, et d’écrire ce qu’il veut, en l’occurrence un récit de guerre.
Des Viêts dignes des plus formidables clichés racistes du genre L’asiatique est fourbe et cruel. – Ennis avait déjà fait le coup dans Valley Forge, Valley Forge, un raccourci très surprenant de sa part, car il sait écrire des histoires de guerre bien plus sophistiquées.
Arrivée à la fin de ton analyse, ton hypothèse paraît plausible, c’est-à-dire qu’il y ait plus de Jacen Burrows que de Garth Ennis.
Hello Présence. Oui c’est surprenant ce récit qui est un catalogue de clichés avec des personnages tous plus neuneus ou détestables les uns que les autres. Il n’y pas de caractérisation ou si peu. Sur d’autres récits de guerre comme War is Hell je l’ai trouvé bien meilleur. Vu qu’il y a la trame habituelle mais pas le fond, je subsiste dans cette idée qu’il a griffonné un pitch et que Burrows a complété ça à vue …
je suis d’accord avec toi Sébastien. mais ça fait longtemps qu’ennis n’a plus grand chose à dire sur ses récits de guerre. alors qu’il était pas mal du tout sur de l’horreur urbaine. son titre sont je n’ai plus le nom (road to hell?) par exemple. très sympa l’article
A WALK TRHOUGH HELL
Serais-je donc le seul à avoir été déçu par ce WALK THROUGH HELL ? Je dois encore lire les articles de Présence sur Babelio à ce sujet mais pour moi, ce n’est pas bon (comme The Boys d’ailleurs).
Hello Doop. Merci d’être d’accord avec moi, je craignais d’être blasphématoire en n’ayant absolument pas apprécié ce récit d’Ennis (si c’est bien lui qui l’a écrit). Il est temps je pense qu’il laisse le Punisher de côté et que Marvel abandonne cette série Max sur laquelle il n’y a plus grand chose à dire.
Fond de tiroir ou pas, je ne suis pas tenté parce que j’estime que les Origines du Punisher au Vietnam ont été suffisamment racontées. Parce que je hais Nick Fury quelles que soient ses versions. Que Jacen Burrows ne m’impressionne pas plus que ça. Et que depuis quelques années, une bonne dizaine, je dirais qu’Ennis est devenu très verbeux au détriment de l’action. Tout ce que je craignais se confirme dans cet article même si cette histoire de carricature anti-asiatique ne lui ressemble effectivement pas.
Hello Bruce. Ce récit est complètement dispensable. J’ai vraiment eu l’impression d’être devant un de ces mauvais films signés Cannon Production des années 80, il y a tout le catalogue de clichés sur le Viêtnam. Et aucun personnage ne suscite l’empathie. Je n’ai pas même pas eu un soupçon d’émotion quand Fury raconte ses tortures. Juste du dégoût. Et à la fin du récit on est pas plus avancé en se demandant finalement ce qu’il a apporté …
Superbe diatribe et superbe analyse pleine de verve et de bons mots, Seb ! Respect total. Du Punisher, je ne connais pas grand chose en comics : je n’ai que LA FIN et LA SECTION, qui était, pour ce dernier, déjà une histoire au Vietnam. Je dois lire tous les autres Punisher par Ennis mais pour le moment je n’ai trouvé que le premier tome Icon de Panini, même pas de Punisher Max. Une aventure à suivre…
Sinon je ne tenterai pas cette série, tout ce gore ne me convient pas et il faut dire que tu ne donnes vraiment pas envie de s’y mettre. Un grand merci donc.
Hello Jyrille et merci pour les encouragements. Punisher par Ennis (avec Dillon) c’est assez outrancier aussi dans le plus pur style d’Ennis mais fun à lire et parfois assez drôle avec une galerie de persos pittoresques comme le Russe ou Ma Gnucci. Punisher Max (en 3 volumes en Icon) c’est très bien aussi. Mais pour rester sur le passage au Viêtnam, Ennis a déjà tout dit dans Born et Valley Forge, Valley Forge. La Section est dispensable aussi, juste moins gore. Punisher Soviet (en Max aussi) est vraiment bien.