Que comprenez-vous aux faibles ?

Vagabond 37 par Takehiko Inoué

Comme souvent un portrait de Miyamoto Musashi en couverture

Comme souvent un portrait de Miyamoto Musashi en couverture©Tonkham

AUTEUR : PRÉSENCE

VO : Kōdansha dans le Weekly Morning

VF : Tonkam-Traduction de Jean-Paul Jennequin

Vagabond, qu’est-ce que c’est ? – Il s’agit d’une adaptation en manga d’un livre d’Eiji Yoshikawa qui a réalisé une biographie de Miyamoto Musashi (1584-1645), maître bushi, philosophe et le plus célèbre escrimeur de l’histoire du pays. Ce roman a été traduit en français en 2 tomes : La pierre et le sabre, et La parfaite lumière.

Le mangaka Takehiko Inoué en réalise une adaptation qui prend quelques libertés, retraçant le parcours de l’individu, son développement personnel, la construction de son système de valeurs. Individu orphelin, Miyamoto Musashi décide de devenir le plus fort au sabre, en allant à la rencontre des bretteurs les plus renommés. Il parcourt ainsi le Japon, sans attache, d’où le titre de la série Vagabond.

Au Japon, sa prépublication s’effectue dans le magazine « Weekly morning » depuis 1998, en noir & blanc. En France, elle est publiée par les éditions Tonkam depuis 2001, en respectant le sens de lecture japonais.

 

La pierre et le sabre & La lumière parfaite

La pierre et le sabre & La lumière parfaite

On en est où ?

Miyamoto Musashi a quitté son village natal depuis belle lurette. La vie de Matahachi Hon’iden, son ami d’enfance, a pris une autre direction, moins noble. D’une certaine manière, c’est lui qui raconte l’histoire. Musashi a réussi à battre plusieurs escrimeurs de renom, et a massacré le clan Yoshioka, en tuant 70 de ses membres en un seul combat, un par un. Cet acte lui a valu d’être qualifié de sans égal. Après quoi, il a repris ses errances, s’interrogeant sur ce que signifie être le plus fort, et se fixant dans un hameau misérable d’une quarantaine de personne. Il s’est installé dans la masure d’Irori un garçon orphelin d’une dizaine d’années. Musashi tente de cultiver une rizière, sous les conseils réticents de Shusaku, l’ancien du village.

Dans le tome précédent, le seigneur local Sado Nagaoka a tenté de le recruter pour le compte d’un autre seigneur, sans succès. La rizière de Musashi n’a pas pris, et le village subit une famine pendant l’hiver. Musashi est parti intercéder auprès du seigneur local.

Le plus fort des sabreurs aplati devant un seigneur

Le plus fort des sabreurs aplati devant un seigneur©Tonkham

Ce tome comprend les chapitres 316 à 322. Est-ce que c’est grave si on connaît déjà l’histoire ? Non, Takehiko Inoué écrit pour des japonais pour qui ce personnage fait partie du patrimoine historique. Ils connaissent donc déjà son histoire.

Le tome 37

Les 3 premières pages en couleurs montrent un souvenir de Musashi enfant (encore Takezo Shinmen à l’époque) maniant un bâton de bois en forme de sabre dédaignant le spectacle d’une rizière où les plants sont montés, montré par Otsu. Puis le récit reprend son cours au temps présent : Miyamoto Musashi est agenouillé devant le seigneur Sado Nagaoko et le supplie de venir en aide aux villageois du hameau dans lequel il s’est installé. Ce dernier accède immédiatement à sa requête, à une condition.

Accompagné par un serviteur du seigneur, avec un cheval portant de la nourriture, Musashi s’en retourne au hameau où il est accueilli en sauveur. Le printemps arrive bientôt, ainsi que le temps de l’ensemencement. Musashi et les paysans apprennent auprès de Shusaku comment planter, et à quel moment. Musashi accepte d’apprendre à manier le sabre à une partie inattendue de la population. Toyozaemon (un samouraï au service du seigneur Nagaoka) vient s’installer chez Iori et Musashi. Takuan Sōhō est de passage chez le seigneur Nagaoko.

Musashi attendri devant le comportement d'Iori

Musashi attendri devant le comportement d’Iori©Tonkham

Le lecteur qui en est arrivé à ce stade de la série sait que ce tome a pour objet de continuer à décrire l’évolution des valeurs de Miyamoto Musashi, avant d’arriver au duel final entre Kojiro Sasaki et lui, et à la deuxième phase de sa vie. Il n’est donc pas surprenant de le retrouver occupé à cultiver le riz, au milieu des paysans. Son degré d’investissement dans ce hameau l’a amené à accomplir un geste impensable quelques tomes plutôt (se prosterner, s’aplatir même, devant quelqu’un pour quémander de l’aide). Tout l’art de conteur de Takehiko Inoué est d’avoir su rendre cet instant crédible. Mais l’évolution n’est pas finie, et elle en se produit pas, ni ne culmine en cet instant particulier. Il s’agit d’un cheminement qui constitue la suite des instants passés, et qui se poursuit par la suite. Effectivement, le changement de paradigme dans les valeurs de Musashi est loin d’être achevé, et il convient plus de parler de bouleversements.

Le lecteur retrouve les repères familiers qui ont jalonné les différents tomes de la série jusqu’alors avec une prégnance variable en fonction des chapitres. Dans ce tome, la faune est plus présente que dans les précédents. Le lecteur peut admirer plusieurs grenouilles magnifiquement représentées, avec une exactitude telle qu’il est possible de reconnaître les 2 races différentes. Il voit passer un serpent en train de se nourrir, un héron cherchant de la nourriture dans une rizière, des papillons délicats, des libellules, quelques oiseaux, des larves bien grasses (dégustées avec gourmandise par Iori), un fougueux étalon.

Les vers, c'est plein de protéine !

Les vers, c’est plein de protéine !©Tonkham

Dans le cadre de la série, le lecteur sait qu’il s’agit autant d’établir la proximité de la nature, le fait que Musashi apprend du comportement des animaux qu’il observe, que de métaphores. Ainsi le papillon correspond à l’ouverture d’esprit des individus, mais sert aussi de métaphore pour la fragilité des plants de riz en train de se développer. Le fougueux étalon renvoie à l’impétuosité de Miyamoto Musashi du fait de sa jeunesse, l’image d’après de cet étalon évoque le fardeau psychique qu’il a accumulé durant ses années passées à ferrailler.

Dans les tomes précédents, Miyamoto Musashi en était déjà arrivé à considérer les conséquences de sa compétence sans égale en tant que bretteur (= la mort de ceux qu’il a combattus) et la vanité de son excellence dans un art dont l’objet est de tuer (= mettre fin à des vies prometteuses). Lorsqu’il a décidé de séjourner dans ce hameau, son objectif premier était de revenir à l’essentiel de sa nature profonde, pour retrouver ses sensations et sa motivation d’adolescent pour progresser au sabre, afin de trouver d’autres méthodes pour encore progresser dans cette discipline où il est déjà sans égal, c’est-à-dire sans personne pour pouvoir lui en apprendre plus. Or Musashi ne tient un sabre que le temps de 2 courtes scènes totalisant moins de 10 pages dans ce tome.

Des paysages tout en détails

Des paysages tout en détails©Tonkham

En lieu et place de duels et d’entraînement, le personnage principal met toute son énergie à cultiver le riz. L’auteur montre comment il agit sur son environnement (retourner la terre, piquer les semis), mais aussi comment son environnement au sens large (lieu, individus) agit sur lui. Le suspense premier est de savoir si les plants pousseront et aboutiront à une récolte (surtout après les difficultés pour mettre en eau un lopin de terre dans le tome précédent). Les dessins sont d’une minutie exquise, rendant compte de l’impression visuelle que produit la terre, des plants de riz, de la surface miroitante de l’eau, de l’alignement rectiligne de ces plants, et de leur inclinaison particulière pour chaque plant. Le lecteur se prend d’intérêt pour la riziculture, pour le danger que représente la présence de jacinthes et pour l’enjeu que constituent les bordures de la rizière. Il est suspendu aux lèvres de Shusaku en train de donner des explications aux paysans sur ce sujet.

Miyamoto Musashi aussi est suspendu aux lèvres de l’énigmatique Shusaku. Le lecteur n’en apprend pas plus sur son origine ou les motifs qui l’ont poussé à s’installer dans ce hameau miséreux. Mais Shusaku livre enfin le fond de sa pensée à Musashi. Il dit en termes simples l’imbécilité de tuer une personne que l’on connaît, contre qui on n’éprouve pas d’animosité, juste parce qu’il s’agit d’un samouraï ou d’un rônin. L’auteur ne met pas en scène ces déclarations sous la forme d’un prêche ou d’une tirade, mais sous la forme de phrases brèves et lapidaires. Elles présentent une clarté et une évidence telles que le lecteur s’en trouve tout bête d’avoir pu admirer Miyamoto Musashi pour ses prouesses au sabre, à tuer des inconnus.

Shusaku : Tu es incapable de comprendre les gens faibles

Shusaku : Tu es incapable de comprendre les gens faibles©Tonkham

La force émotionnelle de ces phrases est renforcée par le mépris affiché par Shusaku envers ceux qu’il qualifie de traîne-ferrailles (les bretteurs), et par la manière comique dont il rabroue les paysans. Le lecteur reçoit la confirmation d’une partie de ce qu’il subodorait quant aux motivations de Shusaku pour accepter de partager (son âge et la diminution des capacités physiques qui l’accompagne).

Les paroles de Shusaku déchirent le voile qui empêchait Musashi de voir les autres, en particulier les plus faibles que lui. C’est un moment des plus poignants car c’est une révélation pour le personnage principal, d’ordre moral, mais aussi d’ordre spirituel. Il prend conscience des conséquences de son comportement, en particulier vis-à-vis de Matahachi, ami d’enfance, moins fort que lui. La prise de conscience fait remonter le souvenir de Matahachi adolescent courant après lui et lui demandant de l’attendre. L’émotion est d’une force à faire pleurer (au sens littéral du terme), car le lecteur a déjà vu cette scène du point de vue de Matachi qui n’y voyait nulle méchanceté. À nouveau, Takehiko Inoué met en scène la notion d’interdépendance, sous un angle moral qui fait écho à un des aspects de la morale judéo-chrétienne pour un lecteur occidental.

Matahachi à Musashi : ne me laisse pas derrière

Matahachi à Musashi : ne me laisse pas derrière©Tonkham

La portée des propos de Shusaku va plus loin que l’affirmation d’actes constructifs comme credo, ou comme ligne directrice de vie. Dans le tome précédent, il a accepté de prendre la responsabilité de chef ou guide du village, et de prendre des décisions pour les paysans, engageant leur avenir. Miyamoto Musashi se retrouve engagé sur la même voie, car en le voyant travailler, les paysans ont décidé (petit à petit) de suivre son exemple. Il y a là l’illustration d’une forme de responsabilité politique très concrète, et aussi d’autorité, de forme de pouvoir. Alors que l’histoire montre un rônin dépenaillé peinant à réussir à cultiver du riz, le récit est celui de la construction politique de ce personnage, de ses convictions et valeurs politiques. Libre au lecteur de se faire sa propre opinion sur cette façon d’envisager la politique, et l’autorité gouvernementale, mais cette réflexion n’a rien de superficielle, ou stéréotypée.

La notion d’individus faibles est également développée au travers de la situation des femmes du village, et de l’enfant qu’est Iori. À l’inverse des clichés attendus, l’interaction entre les femmes et Musashi se fait à leur initiative et dans un sens étonnant. Alors qu’elles étaient réduites à la portion congrue dans le récit, l’auteur leur rend leur place qui est celle de la moitié de l’humanité, avec malice et intelligence. L’artiste les représente sans jouer sur la dimension d’objet sexuel, sans insister sur leurs courbes féminines, ou une forme de douceur maternelle. De la même manière, le lecteur se rend compte qu’il s’est beaucoup investi émotionnellement dans le garçon Iori, au point de sourire quand il sert son poing dans son sommeil comme s’il souhaitait agripper un bâton, ou quand il va se recueillir sur un tronc d’arbre en souvenir de son père.

Musashi prend soin d'Iori, un plus faible

Musashi prend soin d’Iori, un plus faible©Tonkham

C’est que ce récit comprend aussi une dimension psychanalytique discrète et élégante. L’auteur ne recourt jamais à un langage psychanalytique, il préfère montrer des gestes discrets. Ainsi quand Iori va se recueillir sur un tronc d’arbre, cela renvoie à la fois à la mémoire de son défunt père pour une raison expliquée précédemment, mais aussi au sentiment d’avoir été abandonné par Musashi, parti sans prévenir. Quand Iori manie le sabre avec un naturel confondant, les images montrent qu’il applique les conseils de Musashi, mais aussi qu’il se souvient de la manière dont s’entraînait son propre père. Takuan Sōhō (moine bouddhiste) fait une courte apparition et évoque sa première rencontre avec Musashi (alors appelé Takezo Shinmen dans le tome 2), ainsi que la leçon qu’il lui avait infligée et le conseil qu’il lui avait donné (Si tu es ici, c’est pour rester en vie). Le lecteur mesure le chemin parcouru par Musashi depuis, ainsi que la pertinence de ce conseil.

La scène psychanalytique la plus impressionnante se trouve dans les premières pages, celle où Musashi enfant regarde avec contentement le bâton qui lui sert de sabre, dédaignant les propos d’Otsu, sa copine d’enfance. Ces 3 pages anecdotiques et vite oubliées peuvent être rapprochées de l’acharnement de Musahsi à cultiver le riz, comme si son inconscient souhaitait se rapprocher d’Otsu, en accomplissant une tâche à laquelle elle prêtait alors de l’importance.

Ce tome 37 repose sur une intrigue pauvre en rebondissements, sans scène d’action, et pourtant il se passe énormément de choses. De nombreux niveaux de lecture s’offrent au lecteur : la vie de ce personnage historique (dans une partie de sa vie pour laquelle il n’existe pas de traces historiques, c’est un peu paradoxal), un exemple de développement personnel et d’acquisition de valeurs humanistes, une réflexion personnelle sur l’architecture d’une société, avec une dimension politique fondamentale, des éclairages psychanalytiques pénétrants relatés sous forme visuelle, des leçons de dessins, du plus photoréaliste au tracé de pinceau chargé le plus expressionniste.

Quelques dessins entre concret et abstrait

Quelques dessins entre concret et abstrait©Tonkham

16 comments

  • JP Nguyen  

    Oh lala, Présence, tu me ferais presque replonger ! J’ai arrêté la série au tome 27, après la grande bataille contre le clan Yoshioka…
    En fait, ce n’était pas que la qualité baissait mais je trouvais frustrant de dévorer un tome et de devoir attendre de longs mois pour voir l’histoire avancer à un train de sénateur…
    Je ré-attaquerais peut-être la lecture de cette série si elle se termine un jour…

    Oui, j’admets, c’est paradoxal, je sais, je suis familier des comics de super-héros où rien ne finit jamais et je reproche à un manga de ne pas finir… Disons qu’à des moments dans Vagabond, même si le style est très différent, le résultat n’est pas loin de la décompression bendisienne…

    As-tu lu les romans de Yoshikawa ? Je crois qu’il y a plus que « quelques libertés » entre le manga et le roman (qui diffère déjà des faits « historiques », connus avec plus ou moins de certitude). C’est un pote qui m’en avait parlé… Par exemple, Kojiro Sasaki ne serait pas du tout sourd dans le roman…

    • Présence  

      Ma relation de lecture avec cette série est à l’identique de al tienne. J’avais commencé en 2001 avec le premier tome et je m’étais arrêté au bout d’une dizaine (tu as été plus persévérant que moi), trop frustré par l’attente entre les tomes, par cette fragmentation de la lecture (tout en continuant à acheter les tomes suivants). C’est l’année dernière que je me suis décidé à tout reprendre depuis le début, en écrivant un commentaire par tome (disponibles sur le site habituel).

      C’est écrivant mes impressions sur cette lecture que je me suis aperçu de sa richesse, de l’évolution du trait de Takehiko Inoué, de la progression de sa mise en scène, du perfectionnement de son mode de représentation (il suffit de regarder les brins d’herbe pour en prendre conscience). J’ai donc eu la chance de lire les 37 tomes en moins d’un an, et de me servir de l’écrit pour pallier une mémoire pas suffisante pour me souvenir de certains détails, des milliers de pages plus tard.

      Oui, j’ai lu le roman de Yoshikawa (en effet au Japon il s’agit d’un seul et unique tome, découpé en 2 en France, donc un seul roman, merci wikipedia). Après avoir lu une dizaine de tomes de Vagabond, j’ai éprouvé la curiosité de savoir ce dont il retournait, de faire un pas de plus vers la culture japonaise en lisant un roman faisant partie du patrimoine culturel japonais. Comme la plupart des critiques que j’ai pu lire, j’ai trouvé que le manga devenait de plus en plus personnel et intéressant, au fur et à mesure que Inoué s’éloigne de la construction narrative du roman.

      Maintenant, j’en suis revenu à l’état antérieur, attendant avec impatience la suite, la tome 38…

  • Bruce lit  

    « Les meilleurs dans leur partie » 6/6
    Que comprenez vous aux faibles ? Ceci n’est pas une missive adressée à notre gouvernement ou la raison du départ de Goldman des Restos du coeur, mais le titre de l’article de Présence pour le tome 37 du légendaire Vagabond. Une fine lame qui n’a rien à envier à Wolverine, autre samourai sans maître.

    La BO du jour: Je suis un samourai, mon kimono est triste, tu mon remplaças mon épée par un vieux sabre en bois. Une collaboration brillante entre Bergman et le chercheur de la chanson française http://www.dailymotion.com/video/xa705c_samourai_music
    Alors là, quel coup de théâtre ! Musachi prend la tête d’un groupe de paysans ? Voilà qui pourrait me faire reprendre la lecture de Vagabond arrêtée au tome 24 je crois. La préparation du combat avec le sourd muet (me rappelle plus son nom) a fini à avoir raison de ma patience.
    Maintenant sur le principe, j’ai été à fond jusque ce que la lenteur du récit finisse par avoir raison de moi. Les dessins sont magnifique et l’âge et l’expérience de notre héros sont très bien retranscrits dans les scans que tu as choisis.
    Je vais donc reprendre mon baton de pelerin et retourner à ma médiathèque préférée pour reprendre le cours de cette saga que tu m’as fait découvrir.

    • Présence  

      Coup de théâtre – Plus ou moins, depuis le début, Takehiko Inoué évoque la formation des convictions intimes de Miyamoto Musashi, partant d’un jeune chien fou pour arriver à un homme reconnu pour sa sagesse. Depuis son arrivée dans ce village désolé, l’auteur montre à la fois comment Musashi se recentre sur sa volonté de progresser encore, mais acquiert également d’autres valeurs de type politique. Sa force de caractère, sa force physique, son endurance, sa vitalité participent à sauver des vies d’individus plus faibles que lui. Il passe d’une vie de solitaire, à une vide de solidaire, avec les responsabilités qui accompagnent la vie avec les autres.

      Des rares interviews que j’ai pu trouver, j’en ai déduis qu’Inoué s’est fixé comme terme de son adaptation le combat entre Musashi et Kojiro, dans une poignée de tomes à venir. Cela voudrait dire qu’il va accompagner son personnage jusqu’à son accession au pouvoir politique. Le manga Vagabond devient alors le récit de la formation de ses convictions qui sous-tendront ses actions d’homme politique.

      A mes yeux, il n’y a aucune lenteur. Il y a la progression d’un auteur qui applique la volonté d’exigence de son personnage, son objectif de devenir le meilleur à son propre art. A condition de jouer le jeu (s’interroger sur les modifications de comportement, imaginer ce que Musahsi peu percevoir dans l’avancée d’un cheval), chaque tome révèle une incroyable densité narrative qui ne demande que la participation du lecteur pour s’exprimer. D’une certaine manière; Takehiko Inoué invite le lecteur à dialoguer avec lui au travers de son oeuvre… et ça marche.

  • yuandazhukun  

    Félicitations Présence pour cet article d’une grande profondeur analytique…. Un superbe boulot vraiment ! J’ai lu pas mal de tes commentaires sur différents tomes et tu as toute mon admiration car chaque tome recèle une richesse d’informations qu’elles soient esthétiques, philosophiques ou culturelles, à mes yeux hallucinantes…J’ai grandi avec ce manga. Je me souviens de ma 1ere lecture en 1999 et de ce que j’en attendais: des combats successifs et l’évolution physique de Musashi bref de ce que peut apporter un manga sympa (même si après avoir lu Slam Dunk du même auteur avant, sa 1ere série à succès ,je savais que le gars était un grand artiste que je n’ai pas peur d’associer à des grands comme Cézanne ou Kant)…Aujourd’hui je me régale avec des tomes contemplatifs avec quelques dialogues chocs, j’ai plaisir à penser que j’ai évolué avec le personnage car je suis fasciné de voir Musashi en paysan, les dessins comme tu le dis superbement Présence sont un fourmillement de détails et de symboles. Le lecteur arrive presque à ressentir la chaleur étouffante de la campagne ou la brise fraiche de l’air marin merveilleusement mis en scène. Inoue a , à mon sens, largement dépassé le côté simplement historique du roman. Il en a fait une oeuvre personnel (tour de force avec un perso historique, va faire la même chose avec Douillet…hmm moins crédible…). Les scènes de dialogues avec le moine Takuan notamment dans le cachot sont splendides et font réfléchir le lecteur immédiatement sur le sens profond de la vie pour une personne irréfléchie ou d’instinct. Cette réflexion qui peut être provoqué chez le lecteur à chaque détour d’un dessin ou d’une parole est toujours subtile, instantanée, fugace, le lecteur en fait ce qu’il veut, il peut se sentir aussi libre que Musashi veut l’être, c’est ce qui au final est la plus grande qualité de cette oeuvre (et ce que tout le monde lui reproche): la longueur de sa construction créative (1998-20..)

    • Présence  

      Il en a fait une oeuvre personnelle. – Je partage entièrement ce ressenti.

      Cette réflexion qui peut être provoquée chez le lecteur à chaque détour d’un dessin ou d’une parole est toujours subtile, instantanée, fugace, le lecteur en fait ce qu’il veut. – C’est à nouveau mon ressenti que ut exprimes. Takehiko Inoué n’impose pas son point de vue au lecteur, mais il essaye de se faire comprendre au travers des images, des actes, des paroles de ses personnages. Il se montre pédagogue, sans jamais prendre la posture de professeur, encore moins de donneur de leçons. Il raconte un conte pour des adultes acceptant de se prêter au jeu.

  • Tornado  

    Les dessins sont à tomber par terre !
    Bon, outre la lecture à l’envers, il m’est inconcevable de m’investir dans une telle lecture de longue haleine, qui semble ne jamais connaitre de fin ! C’est une culture particulière que le manga !
    Contrairement à une série de super-héros, on suit ici la vie d’un seul personnage, sur des centaines et des centaines d’épisodes, sans reboot ni changement de direction artistique ! Je ne suis définitivement pas le lecteur approprié à ce type de lecture.

    • Présence  

      Vagabond sort un peu du moule des séries à succès de type Shonen. Ici, on a affaire à une oeuvre d’auteur qui a une fin en tête, qui ne rallonge pas la sauce en fonction des chiffres de vente. La lecture donne l’impression qu’il met dans cette oeuvre ses propres réflexions sur la vie. Le lecteur le voit grandir en tant qu’artiste (on peut à nouveau prendre l’implantation des brins d’herbe, ou la répartition des feuilles mortes pour illustrer l’amélioration de l’observation de la nature), et voit se construire une oeuvre philosophique ambitieuse, pétrie d’humanisme.

    • Matt  

      Il y a des mangas courts aussi.
      J’ai beaucoup aimé ceux de Tetsuya Tsutsui. Souvent en 2 ou 3 tomes. Voire one shot.
      Son dernier « poison city » sur la censure du manga au Japon (censure qu’il a subi sur « manhole ») est très intéressant

      En ce qui concerne Vagabond, je ne peux qu’admirer les dessins magnifiques. Mais pareil que Tornado, une telle quantité de tomes avec une histoire si longue…je ne peux pas. Ou alors il faut que j’attende que tout soit fini. Et encore…même avec une fin en tête, si cela prend 60 tomes…ça me fait toujours un peu reculer par rapport à l’investissement que ça représente, à la fois financier et aussi pour lire quelque chose de si long.

        • Matt  

          Non, je n’ai pas lu Ikigami. Je me souviens de tes articles dessus par contre. Je n’ai pas franchi l’étape d’achat pour essayer, mais ça semblait intéressant. J’essaierai à l’occasion. Je ne me souviens plus si tu le disais dans tes articles mais est-ce que c’est une seule histoire du tome 1 au dernier ? Ou y’a moyen pour essayer de lire le premier « arc » en quelques tomes ?

          Vous prévoyez de chroniquer les autres mangas de Tetsuya Tsutsui ?

          • Bruce lit  

            Ikigami : série complète en 9 tomes. Chacun d’entre eux est une histoire complète décrivant la vie et la mort d’un condamné. Je n’aurai jamais assez d’une vie pour en parler.
            Tsutsui: j’avais commencé Prophecy, mais les cyber histoires…euh…tu comprends moi, j’ai connu le minitel…

  • Matt  

    Ah oui Prophecy c’est sûr que c’est un peu technique. Je suis technicien informatique alors bon…ça ne m’a pas gêné. Mais la critique sur les réseaux sociaux est franchement pas mal, davantage que la finalité de l’histoire finalement.
    Sinon « Poison city » est très bien. D’ailleurs il parle du comics code par le biais d’un auteur américain, puisque la censure est au coeur de l’histoire. Avec les EG comics qui en sont à l’origine (au lieu de EC pour ne pas citer de vraies maisons d’éditions) Il y a même quelques mots sur les super slips qui représentent le mainstream un peu aseptisé.
    C’est une histoire personnelle, on sent bien que la censure l’a emmerdé sur Manhole. Surtout que ça semble pas mal sévère là bas. Pays de contradictions quand on sait aussi les trucs qu’ils produisent.
    La fin est un peu décevante mais en fait quand on sait que c’est tiré de sa propre expérience avec la censure et que c’est un récit très réaliste…il ne peut y avoir de coup d’éclat final.

    Reset et Duds Hunt sont pas mal aussi. Mais ce sont des One shot donc le sujet est moins ambitieux, c’est court.

  • Jyrille  

    Mon retard en manga est sans doute aussi conséquent que celui de ma littérature et de mon cinéma, et comme je voyais les tomes s’allonger, je n’ai pas osé sauter le pas… J’apprends donc que nous en sommes au tome 37 et que ce n’est pas fini, loin de là ! Comme les autres frileux, je ne pense pas me lancer dans cette aventure avant la fin, voire une réédition en tomes plus épais : faut que je finisse Monster d’abord !

    A côté de ça, l’article est impressionnant : Présence, tu es le seul que je connaisse qui puisse aller aussi loin dans l’analyse tout en gardant l’oeuvre tout près de ton propos. Ses questions philosophiques sur les thèmes de la bd et ses pistes de réflexions sont passionnantes, et même pour un non-initié comme moi au Vagabond, c’est parfaitement fascinant, intéressant et prenant. Superbe.

    Quant aux planches, elles sont très belles, j’ai l’impression par moments d’y voir du Sienkiewicz.

    • Présence  

      Merci, ce compliment me va droit au cœur, car c’est un des objectifs que je me fixe, de parler avant tout de l’ouvrage.

      Ça faisait longtemps que je ne m’étais pas autant investi dans une série, 37 tomes et des commentaires de 2 pages minimum pour chaque tome. C’est ce qui m’a permis de découvrir la richesse de la mise en forme de Takehiko Inoué, ainsi que l’évolution de composantes discrètes que je n’ai repérées que parce que je me suis obligé à regarder à plusieurs reprises chaque tome pour assimiler ce qui est montré, plutôt que la simple impression que j’en gardais.

      A priori, la série ne devrait plus compter beaucoup de tomes supplémentaires, moins d’une demi-douzaine.

  • Lone Sloane  

    Heureux qui, comme Presence, a fait un beau voyage en compagnie de Musashi.
    Je n’ai pas d’attente particulière sur la parution du prochain volume de Vagabond, il y a tant à lire et notre vie est brève.
    Mais Takehiko Inoue m’a fait exercer mes sens et mon esprit pleinement et je lui en suis reconnaissant. C’est une expérience de lecture aussi marquante que la découverte de Corto Maltese d’Hugo Pratt et la compréhension renouvelée de ce qui est le titre de l’auto-biographie de l’auteur vénitien: « le désir d’être inutile ».
    Et pour les amateurs de textes travaillés au cordeau ou ceux que la longueur de la série rebute, il y a l’intégralité de tes commentaires sur la Zone, qui sont une formidable contribution critique à cette saga.

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