FOX ET POL par Laurent Lefeuvre
Une review rédigée par JP NGUYENVF : Komics Initiative

Désenchanté © Laurent Lefeuvre
FOX ET POL est le quatrième tome des aventures du garçon-renard. Sorti en juin 2025 chez Komics Initiative, il marque le début d’un nouveau cycle.
Dans la France du gouvernement Bayrou, le jeune adulte Pol Salsedo a renoncé à la carrière de justicier masqué. Entre spleen et idéal, il amorce un nouveau départ dans sa vie. Signant comme à l’accoutumée scénario et illustrations, Laurent Lefeuvre alterne les scènes du quotidien d’un dessinateur en galère avec un voyage intérieur où la part d’enfance de Pol tente de rester en vie.
Dans cet article, les spoilers s’inviteront parfois tel le crachin breton.
RE-RECOMMENCEMENT
FOX-BOY, je l’avais découvert en 2014 aux éditions Delcourt et je vous avais même causé du tome 2, sorti en avril 2016. Via une campagne de financement participatif, Laurent Lefeuvre avait opéré un relaunch en 2020 avec un nouveau tome 1 intitulé TROISIÈME SOUFFLE, aux éditions Komics Initiative.
Une nouvelle campagne fut ensuite lancée pour les tomes 2 et 3 ainsi qu’un numéro spécial FOX ET POL. C’est ce dernier projet qui s’est transformé en tome 4 pour démarrer un nouveau cycle. Pour les retardataires avec ou sans mot d’excuse, Lefeuvre a prévu un résumé du premier cycle en trois pages et trente vignettes. Pour le coup, cela m’a bien été utile car je fais partie des lecteurs ayant fait l’impasse sur les tomes 2-3 de Komics Initiative, pensant au départ qu’il ne s’agirait que d’une remastérisation des tomes Delcourt, alors qu’en fait, l’auteur en avait profité pour remanier son intrigue et former un cycle des origines avec un recours au voyage dans le temps.

Le monde de 2025, forcément, ça pique… © Laurent Lefeuvre
UN COMMENTAIRE SOCIAL TRÈS PRÉSENT
Mais revenons au présent, puisque c’est là que Laurent Lefeuvre a choisi de situer son récit, avec, en ouverture, un Fox-Boy sous une pluie diluvienne à Rennes en janvier 2025. Retraite super-héroïque oblige, on verra assez peu le renard costumé dans les cinq chapitres de vingt-deux pages, la place étant davantage laissée à Pol Salsedo, dont les observations désenchantées sur notre époque ne sont probablement pas très différentes des pensées de son créateur.
Dans une France post-Covid où la grogne sociale demeure de façon morcelée, l’inaction climatique exaspère alors que les phénomènes extrêmes se répètent. Et les milliardaires continuent à mener la danse, le chapitre 4 menant notamment Pol à une exposition financée par la fondation Vincent Bolléro, anagramme des plus transparents.
A défaut de “super”, Pol incarne un héros “ordinaire”, qui agit comme il peut à son niveau. Son accomplissement le plus remarquable se trouve dans le chapitre 3, où il intervient devant une classe pour expliquer le métier de dessinateur et rappeler le droit à la satire. Le lecteur du DAREDEVIL de Nocenti (période JR Jr) reconnaîtra d’ailleurs le visage du professeur recevant Pol.
Mais à côté de ce Pol “du réel”, on trouve aussi Tipol, son alter égo enfantin, flanqué de Fox, pour un duo qui évoque immédiatement CALVIN ET HOBBES. La mise en scène de leur voyage mental sera l’occasion pour Laurent Lefeuvre de se livrer à des tas d’hommages ou expérimentations graphiques.

Fox et Tipol : le gang des pastiches © Laurent Lefeuvre
DES MISES EN PAGE VARIÉES
Les déambulations de Fox et Tipol bénéficient d’un découpage très recherché et changeant, un véritable festival. Sur de nombreuses double-pages, l’oeil du lecteur est baladé, accompagnant le duo, pris en chasse par un inquiétant T-Rex et cherchant à atteindre Pol, brisant parfois le quatrième mur et sautant d’un univers graphique à un autre, avec variation du style de dessin, voire du lettrage. Pour inventives qu’elles soient, je dois avouer ne pas avoir été totalement emporté par les planches de ce voyage mental. A mon sens, les transitions entre les deux mondes et les correspondances/échos sont d’une efficacité trop inégale pour qu’en tant que lecteur, je puisse suffisamment m’impliquer dans la quête de ces deux personnages imaginaires, liés au traumatisme vécu par Pol à la mort de son père.
Dans le monde physique, les mises en page sont moins exubérantes mais restent travaillées, avec parfois des planches muettes laissant toute la place aux dessins. Une fois de plus, ce sont les séquences oniriques faites en couleur directe, en début de récit, qui m’ont le plus séduit et j’aurais aimé que tout l’album soit réalisé dans ce style.

Parfums d’enfance © Laurent Lefeuvre
UNE MISE EN PLACE UN PEU TROP LONGUE
Pour être franc, je trouve que ce tome manque d’action. Je sais qu’on n’est pas dans du récit de super-héros classique mais dans un titre comme FOX-BOY, j’apprécierais davantage de morceaux de bravoure. Au début du récit, notre héros sauve quatre chats de la noyade et… c’est tout ! Pour citer l’ami Tornado, “ça manque de karaté” !
En amont de l’exposition Bolléro, un meurtre est commis mais le corps n’est pas encore découvert. On sent que tout ça n’est pas très net mais on n’en sait guère plus. Si la valeur d’un héros se mesure à celle de son adversité, c’est un peu problématique pour Fox-Boy, dont l’ennemi de ce nouveau cycle n’a pas encore de visage. A moins qu’il ne s’agisse de la dépression ? Auquel cas la présence du duo Fox-Tipol et d’éléments surnaturels m’interrogent sur la future résolution de ce nœud de l’intrigue.
Lefeuvre lance des pistes, comme lorsqu’il fait apparaître sur quelques cases du chapitre 4 un mystérieux “double” de Fox-Boy, tapi dans l’obscurité. Mais la parution de la série étant, au mieux, annuelle, l’introduction de ce type d’élément feuilletonesque génère une certaine frustration chez ce lecteur (désolé, je suis parfois grumpy).
De l’aveu même de Laurent Lefeuvre, ce tome a été réalisé avec une méthode incorporant pas mal d’improvisation. Si j’ai apprécié la créativité et certains instants de grâce au niveau graphique, je suis moins convaincu par le scénario. Par exemple, le rôle de la grand-mère de Pol en tant que conteuse lors de la soirée au musée m’est apparu un peu tiré par les cheveux : il me semble peu plausible qu’un milliardaire fasse appel à ce genre d’intervenant pour inaugurer son expo.
Le renard retombera-t-il sur ses pattes ? Impossible à dire, puisque le tome se termine par un cliffhanger.

T-Rex recherche Tipol et Fox © Laurent Lefeuvre
À SUIVRE
“Un bon conteur est un bon menteur” : c’est par la bouche de la grand-mère de Pol que Laurent Lefeuvre nous livre cet adage dans le chapitre 2. S’il fallait toucher du doigt les limites de ce FOX-BOY 4, ce serait peut-être dans la trop grande sincérité de la démarche de son auteur, qui plonge son personnage/double fictionnel dans un réel à peine édulcoré de quelques évocations du ROAyaume. Un auteur qu’on perçoit comme un citoyen engagé mais aussi usé/désabusé face à l’inaction ou le défaitisme de ses contemporains devant les problèmes sociaux et climatiques. Dans ce contexte, il m’a manqué, dans ce tome 4, la part de romantisme ou d’épique qui aurait aidé à faire passer la pilule et espérer des lendemains meilleurs. L’odyssée de Tipol et Fox permettra-t-elle à Pol de retrouver son “mojo” ?
Si FOX ET POL n’a pas totalement répondu à mes attentes, j’aurais plaisir à lire la suite, annoncée pour 2026 avec le tome 5 intitulé LE BATEAU DE THÉSÉE (en espérant que Laurent ne nous mène pas en bateau juste pour teaser).

Pol est Charlie © Laurent Lefeuvre
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LA BO du jour :
Hasard des associations d’idées, l’évocation fugace du run de DD par Nocenti m’a fait penser à un autre DD : Duran Duran !
Merci JP.
Ça semble vraiment intéressant. Même si on n’a pas lu les BD précédentes, est-ce qu’on peut facilement comprendre celle-ci ? Tu as mentionné qu’il y avait un résumé, mais est-ce que c’est suffisant pour quelqu’un qui ne connaît pas l’univers de Fox-Boy, pour commencer directement au 4 ?
De ce point de vue, oui, je pense que c’est un bon « jumping point ».
Quand j’étais gosse, on débarquait dans l’univers Marvel et on sentait l’ampleur de la continuité tout en pouvant se dispenser d’avoir tout lu. A la plus modeste échelle du ROA-verse, j’ai un feeling similaire.
Merci pour cette présentation !
C’est drôle, à la lecture, je vois l’hommage à Calvin et Hobbes mais ça m’évoque surtout des pages de Gotlib, « Le matou matheux », où l’élève Chaprot partait déjà dans un voyage mental en quête du chat éponyme pour trouver la réponse à un problème de math (proche des aventures de Philémon et très probablement inspiré de Little Nemo, que je ne connais pas assez).
Sur sa page FB, Laurent Lefeuvre a évoqué plusieurs inspirations/hommages pour ces pages de Fox et Tipol, je ne les connaissais pas toutes…
Que tu y voies du Gotlib ne devrait pas lui déplaire, bien au contraire…
La 1ere planche de ton article (avec la maison) c’est clairement un hommage au Sunday Pages de GASOLINE ALLEY de Frank King auquel Chris Ware avait aussi rendu hommage en pastichant des planches…
Les images font envie en tous cas !
Ah oui celle avec la légende « le gang des pastiches », bien vu Ludo
J’avoue que j’ai laché la série.
Je comprends le soucis de perfectionnisme de Laurent mais en voyant les deux premiers albums sans cesse réédités et transformés, sans suite pendant des années, de ma position de simple lecteur, je suis passé à autre chose.
Ceci-dit, ton article, même si tu es resté en dehors de l’album plus d’une fois, m’intrigue sur le contenu. Le côté introspectif, avec la probable allégorie de la dépression face à l’état du monde actuel par le truchement de la fiction, c’est un sujet qui m’attire forcément (même sans karaté). Sans parler du dessin toujours plus magnifique de l’auteur avec le passage des années (et il faudra un jour que l’on reconnaisse que s’il y a quelque part un héritier de Bernie Wrightson, il est là sous nos yeux).
Laurent Lefeuvre a plusieurs inspirateurs et Bernie Wrightson est identifiable dans certaines de ses illustrations, en particulier en NB.
Mais c’est encore quand il passe à la couleur directe et qu’il fait du Lefeuvre que je le préfère.
Hello.
je n’ai pas contribué à cette nouvelle campagne, ayant fait par contre l’une des précédentes. J’aime beaucoup le parcours de Laurent et surtout ses références, qui parlent à l’ado-Strange- que je fus et à l’adulte Mazz-DD-Watterson que je suis.
J’ai lu avec passion et nostalgie les 3 premiers tomes. Puis je n’ai rien compris aux multiples ré éditions (sans faire trop d’effort je le confesse).
Ce Fox and Pol est arrivé au mauvais moment. J’attendais sa sortie en librairie pour voir de quoi il en retournait. Ton article est donc le bienvenu. Ai je encore envie de me plonger dans la France de Macron (à l’heure ou on lit ses lignes Bayrou c’est fini), la vivant assez mal tous les jours ? Pas certains.
Pourtant il y a un fort désir de soutenir l’initiative et Laurent dans un monde plein de Bolléro.
Les planches présentées sont superbes et le morceau lancinant et mélancolique de Duran Duran les accompagnent parfaitement.
Hé oui, je mentionnais Bayrou sans cet article écrit au mois d’août mais c’est déjà du passé.
Sur ce point, je ne suis point sûr de développer un jour une nostalgie de ce gouvernement…
Heureux de lire que certains membres de la Team trouvent Duran Duran écoutable sur ce morceau, je m’attends à ce que Bruce les trouve trop mainstream et pas assez rock.. .
« Désarroi déjà roi » comme disaient NTM… Merci JP pour le topo, parce que honte à moi, je n’ai toujours pas lu un seul Fox Boy. C’est terrible car à chaque fois que je vois un scan, que je lis un post de Laurent, que je lis un article dessus, j’ai envie de m’y mettre. Sauf que je ne les vois pas en librairie, ou alors je les ai loupés. Comme Maya, j’ai très envie d’essayer en commençant par le tome 4 (je ne sais pas du tout ce qu’est le ROA) mais j’ai aussi envie de tous les choper (bon, financièrement, c’est pas le moment…).
J’aime beaucoup ton article pour sa structure et ses arguments imparables. Tous les dessins sont superbes, et dès que j’ai vu Fox et Pol, j’ai évidemment pensé à Calvin et Hobbes, mais aussi à l’hommage le plus marquant de ce couple de personnages pour moi, celui effectué dans Locke & Key. Un épisode magistral, vous vous en souvenez sûrement.
Bon, je vais tâcher de dénicher un Fox Boy quand même dans les prochains mois. La BO : un bon titre d’un groupe que je n’ai jamais vraiment écouté mais qui a marqué les esprits à son époque. Deftones a repris leur titre The Chauffeur, si vous êtes curieux.
Pour la structure d’article avec des intertitres, je n’y ai pas systématiquement recours mais ça me facilite la vie et me permet parfois de glisser des formules bien troussées. Bon, pas dans cet article, où je suis resté sage presque jusqu’à la fin, avant de céder à l’appel du calembour…
C’est vrai qu’il fallait la trouver, celle-ci : « en bateau juste pour teaser »
Le calembour auquel j’ai eu le plus de mal à résister était pour Seven to Eternity : « Papa Osidis est pas happy », mais je me suis dit que c’était trop alambiqué, même pour moi…
Dans la France du gouvernement Bayrou : Houlà ! Quelle situation périlleuse dès la première page !!!
La couverture m’a également immédiatement fait penser à Calvin & Hobbes.
Ça manque de karaté ! chouette, Tornado va pouvoir réclamer des droits d’auteur. 😀
Un auteur qu’on perçoit comme un citoyen engagé mais aussi usé/désabusé face à l’inaction ou le défaitisme de ses contemporains devant les problèmes sociaux et climatiques : je me suis remis à suivre les informations ces derniers temps et je me retrouve bien dans la sensation de défaitisme, du fait des problèmes sociaux comme des tensions entre nation.
Merci de nous tenir ainsi informé de l’actualité de Fox-Boy et de son auteur.
PS : j’aurais également vu du Krazy Kat & Ignatz (George Herriman) dans la planche légendée Fox et Tipol : le gang des pastiches.
Krazy Kat & Ignatz : je ne connaissais pas cette référence. Je suis allé regarder vite fait, je pense que c’est le design du visage de Tipol qui évoque une similarité. Or Bill Watterson aurait cité Krazy Kat comme une de ses 3 influences majeures (avec Peanuts et Pogo) – sources Google et Wikipedia.
Ton oeil acéré a trouvé la référence dans la référence !
Je suis très fan de Laurent Lefeuvre : l’homme et l’artiste.
Je n’ai pas participé à cette campagne, espérant trouver l’album en librairie. Je ne l’ai pas lu pour l’instant mais j’ai parfois eu l’impression que Laurent tardait à enfin raconter la suite de son histoire ; ce que je lis ici me conforte dans l’idée que Foxboy est le récit des digressions de son auteur, le journal de bord d’un créateur qui refuse d’enfermer son art.
Ce faisant, j’avoue faire partie de ceux qui ont perdu le fil de Foxboy. Toutes les intrigues du Roa, les allers-retours dans la chronologie de Foxboy, les délais entre chaque album font que je ne garde en mémoire que les aventures classiques, linéaires et super-héroïques.
Je ne suis pas forcément le plus inconditionnel de Calvin & Hobbes mais la séquence Charlie qui clôt l’article me touche au coeur.
Bravo pour cet article de reprise toujours aussi limpide.
La BO : les gens de Rocksound me reprochent mes gouts trop pop en ce moment… Mais je n’ai jamais aimé Duran Duran…
le journal de bord d’un créateur qui refuse d’enfermer son art : joliment formulé.
Il y a aussi la nécessité pour un artiste de se mettre en retrait du monde pour créer or il est difficile de rester insensible à ce qui se passe dans le monde en ce moment…
Hello JP et merci pour ce tour d’horizon. J’avoue avoir comme Maya et Cyrille fait l’impasse sur l’univers de Fox-Boy. L’aspect oeuvre sans cesse retravaillée m’intrigue. C’est très clairement un auteur dont je vois souvent le nom ici ou dans les publications de Thierry Mornet mais auquel, honte à moi, je pense peu au moment de faire mes achats. Il faut que je tente.