Retour Aux Sources (Black Hammer)

Black Hammer tome 1, par Jeff Lemire & Dean Ormston

Article de : TORNADO

VO : Dark Horse

VF : Urban Comics

Première publication le 19/04/18 – MAJ le 21/04/54

 Une couverture qui transpire autant l’art déco que la SF des 50’s !

Une couverture qui transpire autant l’art déco que la SF des 50’s ! © Dark Horse

Cet article portera sur le premier tome de la série Black Hammer, réalisée par le scénariste Jeff Lemire et le dessinateur Dean Ormston (avec une mise en couleur du grand Dave Stewart). Il regroupe les six premiers épisodes publiés initialement entre 2016 et 2017.

Le recueil VF publié par Urban Comics offre une quarantaine de pages de bonus avec la postface de Jeff Lemire, les croquis et les recherches préliminaires effectuées par les auteurs, ainsi que les couvertures alternatives.

A noter que ce premier tome a reçu le prix Eisner 2017 de la meilleure nouvelle série indépendante.

Une entrée en matière plutôt naturaliste et bucolique…

Une entrée en matière plutôt naturaliste et bucolique… © Dark Horse

C’est l’histoire de six anciens super-héros de « Spiral City », une ville imaginaire de notre monde, dans l’esprit initial des villes de l’univers partagé DC Comics (comme Métropolis ou Gotham City). Ces six protagonistes ont été déportés mystérieusement dans une autre dimension, et demeurent prisonniers d’une petite bourgade des Etats-Unis. Là, ils vivent dans une ferme telle une véritable famille recomposée et dysfonctionnelle, obligés de vieillir ensemble sans aucune possibilité de revenir dans leur univers originel. Le seul qui a tenté cette expérience, c’est Black Hammer, et cela lui a coûté la vie…

Si certains d’entre eux ont gardé leurs anciens pouvoirs, d’autres les ont vus s’altérer. Tel est le cas de Gail, prisonnière, malgré ses cinquante ans, du corps de son avatar, une petite fille de 11 ans.
Alors qu’Abraham Ezekiel Slam et Mark Markz le martien se sont habitués à leur nouvelle existence paisible (vivant comme les autres habitants du coin, en dissimulant leur ancienne nature super-héroïque), ce n’est pas le cas de leurs compagnons, qui espèrent encore trouver un moyen d’ouvrir les portes dimensionnelle qui leur assureraient un retour sur terre…

Une drôle d’équipe (et une drôle de famille) s’il en est !

Une drôle d’équipe (et une drôle de famille) s’il en est ! © Dark Horse

Portés par un pitch très intéressant, les premiers épisodes de cette nouvelle série super-héroïque séduisent d’emblée par leur atmosphère postmoderne et intemporelle au décorum rétro-futuriste et aux accents art-déco. Le style rugueux et réaliste du dessinateur, qui renonce ici à tout artifice esthétisant, assure l’immersion dans un récit mature et mélancolique, qui n’est pas sans rappeler certaines créations parmi les plus réussies du genre super-héroïque réservé aux adultes, avec un petit quelque chose de l’univers développé par Mike Mignola  autour du BPRD.

Dès le départ, les clins d’œil appuyés aux super-héros de l’âge d’or ou de l’âge d’argent des comics de super-héros dénotent une réelle volonté de la part des auteurs de développer une forme d’hommage à certaines icônes classiques. Ainsi, les origines d’Abe Slam évoquent celles de Captain America, tandis que celles de Golden Gail sont un remake des origines de Shazam, à la différence qu’ici le principe est inversé, puisque Gail devient une petite fille lorsqu’elle se transforme en super-héroïne. Le martien Mark Markz est bien évidemment une déclinaison de Jon Jonz, le Martian Manhunter de la JLA. Quant au Colonel Weird, au robot Talkie Walkie (un robot-femelle) et à la sorcière Dragonfly, ils lorgnent plutôt du côté des EC Comics  des années 50. Autant de références consommées qui démontrent que nous sommes ici dans un récit postmoderne tourné sur l’hommage au genre super-héroïque et aux comics de l’âge d’or du medium, avant l’arrivée du Comics Code Autorithy.

Un petit côté Weird Science ! © Dark Horse

Cependant, la ressemblance avec les comics mainstream s’arrête là, car « Black Hammer est une série tournée vers le réalisme (si tant-est qu’une histoire de science-fiction avec des êtres dotés de superpouvoirs puisse être qualifiée de « réaliste ») et la question de l’intégration sociale. En bref, le matériel super-héroïque n’est ici qu’un vernis derrière lequel les auteurs développent une toile de fond réflexive, en se focalisant avant tout sur l’aspect relationnel des personnages et sur leur interaction avec leur entourage naturaliste. Où quand des êtres exceptionnels promis à un destin exceptionnel se retrouvent du jour au lendemain oubliés du public et malencontreusement réduits à se fondre dans la masse, comme un retour forcé vers une vie ordinaire, ici assimilée à une forme de prison morne et dépressive. C’est ainsi que nos super-héros doivent survivre en apprenant à renoncer à ce qu’ils furent, et par extension à la pratique de leurs dons, afin de vivre dans un monde commun. Étrangement, les auteurs insèrent ici la métaphore en inversant le processus habituel, puisque les héros sont tirés de leur monde super-héroïque pour être amenés dans un monde réaliste, ce qui est plutôt contraire à ce genre de récit.

C’est dire si l’on tient là une série moderne et adulte, dans la lignée des créations indépendantes d’Alan Moore  (on pense évidemment à Watchmen  aussi), ou des séries d’auteurs comme Astro City .

Abe Slam : Lui, il est heureux comme ça.

Abe Slam : Lui, il est heureux comme ça © Dark Horse

Par ailleurs, on peut noter quelques ressemblances de ton avec certaines séries de creator-owned n’ayant rien avoir avec les super-héros, telle Harrow County, dans le sens où les auteurs nous emmènent dans une Amérique profonde semblant rester prisonnière du temps. Comme si les comics américains opéraient ces dernières années une forme de mutation, où les époques se confondraient afin d’illustrer une Amérique mythologique, proche de ses sources, et profondément ancrée dans une grande crise économique l’ayant manifestement marquée au fer rouge de manière pérenne.

Tous ces éléments hétéroclites réunis de façon cohérente assurent la qualité de cette création super-héroïque à la fois référentielle et atypique, dont le traitement extrêmement soigné fait honneur à une toile de fond passionnante qui n’est encore, avec ce premier tome, qu’au début de son développement.

Toutefois, le lecteur peut refermer ce premier tome avec une légère sensation consensuelle, comme si ces six premiers épisodes gardaient un arrière-goût de déjà vu. Certes, on s’est rapidement attaché à cette nouvelle famille dysfonctionnelle qui n’a de super-héroïque que son passé mythique aux allures de spectacle suranné et factice. Mais, en l’état, l’ensemble demeure encore très inachevé et, en définitive, il ne se passe pas encore grand chose.

Mark Markz et Gail : Un martien gay et une quinquagénaire coincée dans le corps d’une fillette !

Mark Markz et Gail : Un martien gay et une quinquagénaire coincée dans le corps d’une fillette ! © Dark Horse

En bref, une belle entreprise de retour aux sources du comic-book, sur un mode postmoderne mature et adulte, avec, tout de même, un développement du récit qui reste pour l’instant en surface.

Je ne sais comment le dire, mais je me rends compte au final que j’ai réussi à mettre en avant les qualités de ce premier tome, mais pas les défauts. Et pourtant, en refermant le livre, je n’étais pas complètement enthousiaste avec, en arrière-goût, la sensation que tout ceci était un peu consensuel et sentait un peu le déjà vu……

The Golden Âge : Tout est dit !

The Golden Âge : Tout est dit ! © Dark Horse

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Une jeune femme qui se sent prisonnière de son destin dans une Amérique pétrifiée dans le temps ? L’occasion est trop belle d’écouter le magnifique Young Bride de Midlake !

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