Jack B. Quick par Alan Moore et Kevin Nowlan
Première publication le 8/09/14- Mise à jour le 19/08/16
VO : ABC
VF : Editions USA
Jack B. Quick est un recueil de plusieurs histoires complet en un volume. Contrairement à ce que l’édition française pourrait le laisser croire, il n’existe pas de volume 2.
A la campagne , dans les années 50, un enfant de 10 ans sème la terreur dans une bourgade américaine ! Doté d’un QI supérieur à la totalité des habitants de la ville, Jack sait fabriquer une machine à remonter le temps avec des patins à roulettes, trouve le secret du clonage avec un shampoing et ouvre des trous noirs dans son jardin !
Quelle rigolade ! Jack B Quick pourrait être le cousin pervers de Gaston Lagaffe. Les machines de Quick sèment la catastrophe dans son village : son trou noir aspire la vache de son jardin et ses recherches sur la puberté anéantissent la libido de Queerkswater. Comme chez Gaston son entourage oscille entre résignation et désespoir face aux inventions du petit prodige : ses parents pensent au suicide, sombrent dans l’alcoolisme, supplient les nouveaux arrivants de fuir avant qui’il ne soit trop tard.
Mais à la différence du héros sans emploi de Franquin, Jack n’a aucun état d’âme à sacrifier son entourage sur l’autel de la science. Imperméable au remords et à la compassion, Alan Moore décrit un gamin obnubilé par ses recherches incapable d’entendre les appels au secours de la communauté qu’il martyrise.
Jack n’ a pas l’altruisme de Gaston : il massacre les chats, expérimente ses théories sur ses amis, balance des insectes géants sur son village. Lorsqu’il sauve la situation c’est moins par humanité que par orgueil de s’être trompé dans ses calculs.
Solidement documenté scientifiquement, il s’agit certainement de son récit le plus court : une dizaine de chapitres plus drôles les uns que les autres. Il faut être bien sûr être sensible à l’humour noir pour apprécier le comique de situation de l’histoire. Moore raille l’anti-communisme primaires des années 50 et l’idiotie, la lâcheté du genre humain.
A aucun moment la communauté décide de neutraliser l’enfant. Dans le superbe épisode mettant en scène les Aliens, c’est même Jack qui terrorise les envahisseurs. L’histoire se termine sur un groupe de parole Alien qui se morfond et jure de ne plus revenir sur la planète du petit blond ! Dans l’épisode du robot-épouvantail, l’AI grotesque que Jack met en place, menace d’asservir l’humanité. Les hommes sont décrits comme ayant besoin de maîtres (sexuels , politiques) devant lesquels ils sont impatients d’aliéner leur liberté . Moore parodie son V pour Vendetta lorsque Jack s’adresse à la planète entière pour les encourager à récupérer leur libre arbitre !
Sur la forme Moore s’amuse comme un fou : Le Dr Manhatan était un génie pince sans rire ? Jack est un garnement sans scrupule un peu sadique ! Moore est devenu célèbre en élaborant des récits élaborés de super héros ultra réalistes ? Il prend ici le contre pied de ce qui a fait sa gloire : il charcute volontairement son récit d’ellipses improbables dans des récits ultra court , Jack invente des machines infernales sans transpirer en 1 case et sans aucune logique scientifique ! Après l’apocalypse à chaque épisode le récit retourne inévitablement au statu quo des comics pour l’histoire d’après.
A bien de égards la bande dessinée devient le médium idéal de l’histoire de Moore qui profite de toute la syntaxe du neuvième art pour des effets désopilants. Admettez le ! le corps inerte de la vache qui semble trouer la page coincée entre deux dimensions, ce serait moins drôle au cinéma !
Encore une fois l’osmose entre le scénariste et son dessinateur est parfaite : le trait de Kevin Nowlan est léger et précis. Sa couverture, avec le visage embarrassé de Jack face à son invention (un champignon atomique visible dans le reflet de ses lunettes !) et ses parents franchement dépassés par le génie de leur fils, résume l’ambiance loufoque de la série .
Il réussit à donner à Jack le langage corporel d’un enfant et d’un adulte sûr de lui. Le garçonnet flotte dans sa salopette, élabore ses inventions grâce à un calepin dans sa poche arrière et a le regard froid d’un scientifique sans coeur . Les jambes fléchies, le corps souple et nerveux, toujours en alerte, il n’est pas sans rappeler Tintin et Asterix, deux héros également incapables de tenir en place.
Nowlan brosse une Amérique campagnarde irrésistible, volontairement ringarde et contribue au comique de situation de la série : Jack pour repousser les aliens balance le tracteur de ses parents sur une soupe volante avec un aimant, traverse le temps pour aboutir à la non existence et s’adresse aux Aliens déguisé en terroriste palestinien ….
Moore est souvent perçu comme un vieux grincheux enterré vivant par ses chefs d’oeuvre d’une noirceur absolue. Il prouve avec un humour absurde british MonthyPythonesque qu’il n’ a pas fini de nous surprendre et saura séduire à la fois les amateurs de Comics, de Denis la malice et de BD Européennes . En musique , il arrive que des artistes entrent dans la légende avec un seul album. Moore aurait pu écrire seulement Jack B Quick dans sa carrière et passer à la postérité …
Bruce, tes remarques sur la partie graphique s’étoffent de commentaire en commentaire, et j’ai été très sensible à ton appréciation des dessins de Nowlan. C’est un dessinateur que j’aime beaucoup et pour lequel j’éprouve de grandes difficultés à dire en quoi il me plaît.
Solidement documenté scientifiquement – quel plaisir de lire un comics qui dépasse les idées scientifiques de Stan Lee, et qui est capable de manier des concepts un peu plus compliqué avec humour, sans les dénaturer totalement (l’épisode avec la vitesse la lumière).
Une dizaine de chapitres courts – J’avais également été épaté part la densité narrative. Alan Moore maîtrise l’art de la nouvelle avec élégance ; le lecteur ne reste pas sur sa faim, chaque histoire étant substantielle.
Une Amérique campagnarde irrésistible – Je n’y avais pas réfléchi, c’est vrai que le décalage entre Jack et cet environnement renforce encore le comique de situation.
@Leo : c’est ce côté flippant et scientifique décomplexé qui est tout bonnement irrésistible. Tiens, avec le parallèle de Tintin, j’aurai pu faire une comparaison avec les inventions de Tournesol !
@Présence : le fait de travailler sur des images affûte mon regard myope ! Sur l’Amérique campagnarde, impossible de ne pas penser aux Kent qui hébergent Superman et l’éduque aux valeurs humanistes. Les Quick ont ces valeurs mais sont martyrisés par un futur génie du mal qui n’en a cure !
Très bonne analyse ! Il faut que je le relise. Les points remarqués par Présence sont effectivement bien vus.
Et bien ! Je ne le voyais pas comme ça, ce gosse. J’avais lu ses histoires en me marrant parcequ’il y avait un côté décalé et humoristique qui me plaisait bien , mais là je me rend compte du manque de conscince morale de ce gamin. Il fait peur à tout le monde et tyrannise son entourage.
Un peu comme ce gamin sociopathe dans un épisode de la Quatrième Dimension qui tyrnannise un village entier.
Jack B. Quick fait très peur en fait.
Très bon article.
Anthony Freemont, dans l’épisode ‘It’s a good life’ Il vous envoyait changé en diable a ressort dans le champ de mais si vous n’étiez pas content de votre sort.
Je l’ai vu y a pas si longtemps, totalement effrayant.
Il domine son entourage adulte totalement.
@Jyrille : Merci
@Nicolas : Merci bis. La quatrième dimension. Je ne crois pas avoir vu cet épisode. Mais en tout cas je suis admiratif que tu puisses retenir le nom du personnage et de l’épisode.
Merci Bruce. La Quatrième Dimension a marqué ma jeunesse.
D’autres enfants terrifiants ? Damien ? Esther ?
Daamien est terrifiant, plus encore Esther comme adulte psychotique atteinte d’un syndrome glandulaire la piégeant dans un corps d’enfant.
Kenneth dans Highlander : un enfant immortal pageant les immortels qui se fient à sa gueule d’ange.
Attention les enfants regardent : Alain Delon est piégé dans une maison vide avec une bande de sales gosses accros à la violence de la télé.
Tous les gamins presque extra-terrestres du Village des damnés.
Je veux le lire ! Cela a l’air génial. Merci pour cette belle analyse.
Wouff, on a à faire à des connaisseurs. Je dirais pour ma part les gamins de sa Majesté des Mouches de Golding
Les enfants peuvent etre terrible sans la supervision des adultes.
Un classique de la littérature, Sa Majesté des Mouches, le montre très bien.
Je ne connaissais pas Jack Quick, merci à toi Bruce, ça donne sacrément envie, du bon Moore, ça fait longtemps que je n’en ai plus lu.
Sinon, le gamin le plus flippant, c’est définitivement celui de l’épisode de Twilight Zone
« School’s in » !
C’est la rentrée ! Question : aller à l’école vous permettra t’il d’être aussi intelligent que Jack.B.Quick le petit génie d’Alan Moore et surtout est-ce souhaitable ? Trou noir, vache piégée dans une autre dimension, alien maltraités : je vous propose de redécouvrir cette perle décalée entre Tim Burton, Franquin et Dennis la Malice qui prouve que Moore est un rigolo !
La Bo du jour : Jack créé des trous noirs depuis son jardin ! https://www.youtube.com/watch?v=3mbBbFH9fAg
Et ben voilà : Alan Moore est, avec Garth Ennis, l’un des seuls auteurs de comics qui arrive à me faire rire.
L’industrie du comics mainstream est une purge au niveau humour, pour moi. Et je ne parle pas de tous les épisodes de Deadpool que j’ai pu lire, au niveau d’humour complètement ratatiné et factice.
C’est la rentrée ! Du coup ma fille veut que je lui relise des bds le soir. Comme j’ai usé les Thorgal, Astérix, Gaston, Lou!, Jacques le petit lézard géant, Courtney Crumrin, Polly et les pirates, Beauté, Zombillénium et sans doute d’autres que j’ai oubliés, j’ai commencé à lui lire ce Jack B Quick. Ca fait dune pierre deux coups, merci Bruce !
Hé hé je l’ai lu. j’ai eu un peu de mal au début notamment avec le style du dessinateur que je trouve trop réaliste et aussi par le côté sadique de ce gaston passé du côté obscur de la force scientifique sans complexe. Cela rend l’identification plus délicate mais je comprends l’intention de l’auteur. c’est donc moins une lecture plaisir de ‘gags’ qu’une lecture à distance qui m’aura permis d’apprécier ce travail. Merci le blog;)