Smashing !

Hulk : Smash ! par Garth Ennis et John McCrea

AUTEUR: ALEX NIKOLAVITCH

Pourtant, la couverture de donne pas l'impression d'un truc très intello

Pourtant, la couverture de donne pas l’impression d’un truc très intello ©Marvel Comics

VO Marvel

VF : Panini dans Marvel Elite 31

Il a traduit presque 400 comics dont Arkham Asylum, It’s a bird, V for Vendetta ou The Boys parmi les moins connus…. Scénariste,essayiste et romancier à ses heures perdues,  il est désormais membre de la Bruce Liteamup : Alex Nikolavitch.

Nikolavitch, c’est, vous savez un peu comme ces boss de jeux video super-balèzes des années 80. Alors que vous êtes persuadés d’avoir atteint un niveau honorable en matière de Comics, le mec, il arrive et vous fait pleurer votre mère, jeter la manette sur la TV sans les continus !  Et pourtant, impossible de ne pas y retourner !
Parce que si Diderot avait eu l’audace de confier son volet super-héros à un spécialiste pour son Encyclopédie, c’eut été Nikolavitch ! 

C’est donc avec un plaisir aussi gros que Galactus (des fois, la taille, ça compte) que j’accueille Alex avec une pointe d’orgueil et un peu de fierté ! Et comme il le fut dit à un autre Alex (Summers) au moment de son entrée chez les Xmen : Welcome on Bruce Lit, hope you survive the experience ! -Bruce

Hulk Smash ! est une mini série de deux épisodes publiée par Marvel en 2001 sous l’égide Marvel Knights. Garth Ennis est au scénario, John McCrea aux crayons et Klaus Janson aux crayons.  Ce récit est paru dans nos contrées dans le Marvel Elite 31.

Le récit de guerre est devenu une spécialité reconnue de Garth Ennis, scénariste irlandais qui fêtera bientôt ses trente ans de carrière. De la guerre, du sergent bourru et de l’uniforme maculé de sueur et de boue, il a fini par en coller partout, y compris dans des titres apparemment plus orientés super-héros comme Hitman, Punisher, the Boys ou Nick Fury.

Mais au départ, fort de son passage remarqué sur Hellblazer et sur sa série phare Preacher, il était considéré comme le provocateur ultime, le roi de la trashitude, l’homme qui ne respectait rien ni personne et surtout pas Dieu, les institutions ni les icônes les mieux boulonnées à leur socle de marbre. Et la suite de sa carrière, avec des boulots comme Dicks, aventures lamentables de deux crétins d’Irlande du Nord, télescopage improbable entre Ken Loach et Guy Ritchie, ou bien Kev, aventures lamentables d’un pauvre type qui se retrouve à faire équipe avec les super-anars de The Authority, n’aura pas détrompé son public.

Du coup, quand Hulk : Smash sort en 2001, avec aux crayons ce même John McCrea qui avait illustré les délires du scénariste dans Hitman (en vrac : Tommy vomit sur les bottes de Batman et s’en tire vivant, Tommy et ses copains défoncent à la tronçonneuse des pingouins et des bébés phoques zombies, Tommy ridiculise Green Lantern, Tommy profite de ses pouvoirs pour mater Catwoman comme un porc, etc. C’est vachement bien, Hitman, écrivez à votre éditeur pour qu’on en ait enfin une édition française) et dans Dicks (big up, si je puis dire, au personnage du Wanker), on était en droit, a priori, de s’attendre à un gros truc dément dans lequel un Hulk aussi décérébré qu’énervé casse tout pendant une quarantaine de pages aussi jouissives que régressives.
Et en fait, non.

Hey ! Soldiers ! Leave this Hulk Alone !

Hey ! Soldiers ! Leave this Hulk Alone ! ©Marvel Comics

Alors attention, il y a de ça aussi, soyons clairs. Mais ce n’est pas l’essentiel du propos de Hulk : Smash. Parce que ce récit dans lequel Hulk, comme à son habitude, attrape des tanks et des hélicoptères pour les envoyer à la figure des soldats lancés à sa poursuite est raconté pour une fois… Du point de vue des soldats qui s’en prennent plein la tête pour une solde somme toute médiocre.
Et ça change tout.

Parce que pour eux, c’est la guerre. Et même si on leur sent bien l’envie de beugler « c’était pas ma guerre, colonel » avec la voix d’Alain Dorval, ils ont quand même un ordre de mission qui concerne le titan vert.
Mais revenons un poil en arrière et revoyons l’action au ralenti. Non, pas Hulk en train de balancer un tank, quoiqu’on soit bien d’accord, ça ferait un ralenti assez classe, sauf que d’un coup est pris de terreur à l’idée que Zack Snyder puisse venir cochonner le Titan Vert comme il l’a fait avec la Grande Courgette Bleue. Revenons plutôt sur les récits précédents du scénariste, ceux qui ont fait sa gloire trashouille et ricanante. Au pif, Preacher et Hitman.

Et the Boys : Boudin d'Amour est LE super-héros emblématique d'Ennis

Et the Boys : Boudin d’Amour est LE super-héros emblématique d’Ennis ©Dynamite Comics

Et là, on voit déjà se dessiner ce qui sera le versant « quelle connerie la guerre » de l’œuvre d’Ennis. Entre les renvois au père de Jesse Custer et à sa carrière dans l’armée et la présence tutélaire de John Wayne (qui en dehors de ses rôles de cow-boy buriné a pas mal donné dans le genre krakapoum militariste chef oui chef) dans Preacher, et les grotesques aventures en Irak de Tommy Monaghan et son copain Nat the Hat, ainsi que la vengeance d’un peloton de SAS débarquant à Gotham pour les leur faire payer dans Hitman, on pouvait déjà noter à l’époque un vrai sens du récit de guerre chez le père Ennis, une vraie appétence pour la virilité en kaki.

Sa mini-série sur le Soldat Inconnu chez Vertigo aurait d’ailleurs dû achever de convaincre le public de son goût pour ce genre d’histoire, mais curieusement elle avait plutôt été lue sous l’angle du conspirationnisme. L’année même de la sortie de Hulk : Smash, il signait d’ailleurs aussi bien un Fury complètement décadent mais bien rentre dedans, des Weird War Tales et même la deuxième série des Adventures in the Rifle Brigade, Operation : Bollock, qui offrait une synthèse parfaite entre le récit de guerre et la grosse débilité trashouille (et en guest star prestigieuse, la fameuse couille perdue de Hitler, je vous jure devant Dieu que c’est la vérité vraie, allez vérifier par vous-même si vous ne me croyez pas).
Tout ça pour dire que malgré ce côté mouvement tournant de l’opération, Ennis n’avait pas pour autant pris ses lecteurs en traître.

Et puis quand on fait Hulk, y a des figures imposées

Et puis quand on fait Hulk, y a des figures imposées ©Marvel Comics

Et donc, ça parle de quoi, Hulk : Smash ? En dehors du résumé que vous avez lu quelques lignes au-dessus, je veux dire ? Eh bien d’honneur, de responsabilité, de courage. Et donc, sous l’épaisse couche de grosses destructions massives en plein désert qui sont au cœur de l’ADN des séries consacrées au personnage, on voit la lutte pour la survie des soldats engagés contre Hulk, leurs petites lâchetés (bien compréhensibles) et l’apprentissage par l’un de leurs officiers de ce que commander veut réellement dire.

Car le protagoniste du récit, on l’a vu, ce n’est pas le colosse énervé, mais le Lieutenant Mitchell, dont la première case nous explique qu’il fuit pour sauver sa vie. Lâcheté ? Pas forcément : tout le monde sait qu’il est impossible d’arrêter Hulk quand il est lancé, à moins de s’appeler Thor ou Iron Man. Et encore. Donc, Mitchell tente de sauver sa peau et on le comprend. Surtout que peu après, il voit le monstre ne faire qu’une bouchée d’avions d’attaque A-10 censés pouvoir faire de la limaille d’une division blindée. Et c’est le pilote d’un de ces avions abattus qui lui rappellera une vérité essentielle : en tant qu’officier, Mitchell a une responsabilité envers ses hommes. Et donc qu’il doit faire face à sa propre peur pour les ramener autant que possible.

On ne bouge plus, on  ne respire plus....

On ne bouge plus, on ne respire plus…. ©Marvel Comics

Je préfère ne pas déflorer la suite, l’inévitable confrontation, qui est peut-être une des choses les plus justes jamais écrites sur Hulk. Mais disons juste qu’en apprenant à devenir un officier, Mitchell devient peut-être également un homme, et pas juste un « puny human ». Et que l’accomplissement d’une mission impossible (vaincre Hulk) peut passer par autre chose qu’une surenchère de projectiles explosifs.

On a l’habitude, dans Hitman ou the Boys, de voir Ennis ridiculiser les super-héros. C’est une entreprise de dynamitage systématique, c’est jouissif et c’est pour ça qu’on l’aime. Mais sous cette carapace ricanante, Ennis montre avec Hulk : Smash qu’il sait aussi trouver des moments de grandeur dans le genre, qu’il peut respecter les personnages, et qu’il en a une compréhension en fait très fine. C’est ce qui rend ses charges aussi percutantes, mais c’est également ce qui lui permet parfois de les rendre humains et touchants.

Une figure imposée ridicule   ? Il fait ça très bien !

Dicks, dont le titre n’est pas un hommage à un chanteur de rockabilly français ©Panini comics

Tout comme ses militaires, d’ailleurs, envisagés ici non pas comme de la chair à canon et à gros poings verts, ni comme des fachos bas du front (alors qu’Ennis sait très bien mettre en scène ce genre de personnages quand il le veut) mais comme des professionnels ayant un travail à faire, et tentant de s’en donner les moyens.
On peut en profiter pour revenir un peu sur le dessin de John McCrea. McCrea est un peu un mal aimé dans ce domaine. Son dessin a toujours un petit côté mal foutu, plus ou moins camouflé par les encreurs. Mais ce côté très « roots » et rapide lui permet d’être à la fois énergique et incroyablement expressif : il y a des gags entiers dans Hitman qui tiennent sur la capacité de McCrea à donner l’expression juste à ses personnages. Il est souvent plus punchy et vivant que Steve Dillon, l’autre complice récurrent du scénariste irlandais. Encré ici par le vétéran Klaus Janson, il fait très bien le job et parvient à soutenir un récit dont l’efficacité passe énormément par des regards.

Alors oui, McCrea ce n’est pas très séduisant graphiquement et c’est un goût appris, mais Ennis a de très bonnes raisons de faire aussi souvent appel à lui. Et donc, à l’arrivée, au lieu d’une grosse bouffonnade on a le droit à un récit fort, humain et touchant, dans lequel le personnage-titre joue avant tout un rôle de révélateur plutôt que de protagoniste. Deux petits épisodes qui se suffisent à eux-mêmes et nous rappellent ce que peut être Hulk, et surtout ce dont est capable Garth Ennis : du meilleur.

Comment résumer Hitman, tiens ? Comme ça, par exemple

Comment résumer Hitman, tiens ? Comme ça, par exemple© DC Comics

15 comments

  • Nikolavitch  

    doucement les roulements de grosse caisse, quand même ! vous allez me faire rougir, les gars. (et c’est plus proche de 300 que de 400, bande d’hyperboliques flagorneurs !) (et c’est bien parce que je ne connais pas tout en comics que je t’en ai chipé une pile l’autre jour !)

    bref, content d’être là, les gars !

  • Artemus Dada  

    Bel article, d’autant plus intéressant que je n’ai aucun souvenir de cette histoire (peut-être parce que je ne l’ai pas lue, (et je vais donc y remédier si tel est le cas)).

    En tout cas je partage tout ce que tu dis sur l’écriture d’Ennis, oui je sais, ça te fait une belle jambe.

    [-_ô]

    Merci.

  • Bruce lit  

    Je confirme que ceci est une très bonne histoire, un peu courte, où l’on retrouve tout ce qu’ Ennis sait faire: une histoire solide sur….le sens du devoir et des responsabilités ! En fait le même créneau que Peter Parker en moins geignard…
    Et que Hulk n’est pas ridiculisé comme par la suite dans le Punisher (pour ceux qui l’ignorent, Frank constipe pendant une semaine Banner en lui faisant manger du civet de canard. La douleur le transforme et Hulk le débarasse de DD, Spidey et Wolverine à ses trousses)… C’est au contraire un épisode vu de l’extérieur comme les affectionnent Ross et Busiek.
    Merci pour l’article et cette découverte. Et il faut absolument que je lise Hitman ! Tu me mets ça de côté ?

  • Jyrille  

    Bienvenue Alex ! Voilà ce qu’on appelle une entrée fracassante ! Je suis en pleine découverte de Ennis via les rééditions Urban de Preacher et Hellblazer donc merci de faire l’historique du bonhomme via ses autres travaux. Ca a l’air intéressant. Je n’aime pas trop Dillon mais dans le dernier tome de Hellblazer son trait semble meilleur, plus rugueux, est-ce dû à un autre encreur ?

    Sinon je me suis payé Low de Remender et le premier Batman noir et blanc qui viennent de sortir chez Urban.

  • Tornado  

    Voilààà ce qu’il faut faire : Donner un personnage à un auteur et le laisser le raconter à sa manière pour un récit autonome !
    Exactement ce que je recherche.

    Je vais essayer de trouver ça. N’empêche que Panini aurait pu, depuis des lustres, nous sortir un recueil « Marvel par Garth Ennis » avec une anthologie de récits courts, comme le « Punisher Kills Marvel Universe », les deux épisodes de « Spiderman Tangled Web » (encore avec John McCrea) et ces deux épisodes de Hulk.
    Tiens, y-a-t-il encore d’autres choses que l’on pourrait mettre dans cette hypothétique anthologie ?

    En tout cas, welcome to Alex !

    • Bruce lit  

      Mon rêve : DD par Garth Ennis…

    • Présence  

      Même si elles sont un peu moins courtes, on peut rajouter les 2 miniséries de Gost Rider, éventuellement son récit de Nick Fury qui n’était publié par MAX.

  • JP Nguyen  

    Une chronique sympa, pratiquement du deux-en-un, avec l’évocation de Hitman.
    Maintenant, John McCrea, c’est quand même pas super vendeur. Ici, il semble que l’encrage de Janson booste un peu le tout (sans être un fan absolu de Klaus Janson comme un certain Phil Cordier, il faut reconnaître qu’il amène souvent un plus aux dessins, ce qui est le cas sur les cases montrées).
    Ce n’est toutefois pas suffisant pour me faire traquer ces vieux numéros.

    Et sinon, bienvenue au Tovaritch Nikolavitch, au plaisir de lire tes avitch sur d’autres comicbooks !

  • Présence  

    Bienvenue sur le site Alex.

    En tant qu’officier, Mitchell a une responsabilité envers ses hommes. – Je reconnais bien là une thématique récurrente de Garth Ennis. Cet article génère une irrésistible envie de se jeter sur ces épisodes que je ne connaissais pas.

    Comme Tornado, je milite pour une réédition complète des œuvres de Garth Ennis (mais en VO), pour Marvel. DC Comics ayant déjà fait le nécessaire pour rééditer Hitman, et les récits publiés par Vertigo commençant à apparaître chez Image.

    Je ne peux qu’appuyer la recommandation d’Alex concernant Kev et Operation Bollock. Dans le courant des années 2010, Garth Ennis a donné libre cours à sa passion pour les batailles des grandes guerre avec la série Battlefields (publiée par Dynamite), et récemment il a relancé la série War Stories (initialement publiée par Vertigo) chez Avatar Press.

  • Bruce lit  

    Le Facebook du soir:
    « Les meilleurs dans leur partie » 1/6
    Hulk smash : 2 épisodes écrits par Garth Ennis, dessinés par John McCrea, encrés par Klaus Janson, commentés par Alex Nikolavitch. En face du géant de jade, de simples soldats qui font leur boulot, avec une appréhension justifiée. Ci-dessous les 2 couvertures de Kevin Nowlan.

    @Alex: le respect des militaires, de l’ordre, de la hierarchie…Ennis est il de droite ? (selon les critères américains….et/ou irlandais ?)

  • Lone Sloane  

    Une première salve qui met à l’honneur un des auteurs fétiches de Bruce and co.
    C’est un plaisir de voir arriver une nouvelle plume sur le blog et la confirmation qu’il y a toujours un Hulk dans le coin.
    Lienvenubem Alex, comme on dit en louchebem, l’argot des bouchers.

  • Nikolavitch  

    merci de l’accueil !

    et pour répondre à ta question, Bruce, je lui trouve un côté un peu anar de Droite (mais pas de la même façon que Miller, c’est clair), à Ennis, sous sa tête de supporter de foot, mais je peux me planter.

    Je te mets les Hitman de côté, en tout cas. Et peut-être que je ferai un top 10 des moments les plus WTF de Hitman, tiens. Entre l’ULM et les dinosaures, le Cat-signal, le vomi sur les bottes de Batou, la baston contre Lobo et la façon dont elle se règle, y a de quoi faire !

  • Lone Sloane  

    Ring the alarm, en consultant le site des enthousiasmants Moutons électriques, je partage le lien sur la publication d’un premier roman qui sent bon Lovecraft et l’écume de l’étrangeté: http://www.moutons-electriques.fr/livre-403
    Quand les tentacules appellent à tourner les pages….

  • Présence  

    Grâce à la gentillesse et la prévenance de notre rédacteur en chef bien aimé, j’ai pu lire cette histoire, et j’y ai retrouvé tout ce qu’Alex décrit. Garth Ennis sonde le métier d’officier sur la base des compétences nécessaires, avec ses grandeurs, mais surtout ses servitudes. Au cours de cette histoire, le lieutenant Partick D. Mitchell apprend ce que sont ses responsabilités, et il finit par les assumer. C’est une mis en scène intelligente d’un individu qui finit par se conformer au comportement attendu de lui, mais aussi par ajuster son comportement à celui qu’il exige des hommes qu’il commande, dont la vie dépend de ses décisions, à trouver sa place dans un système très codifié.

    Ayant déjà eu l’occasion de lire Hitman et les 3 tomes de Dicks, j’avais eu le temps de m’acclimater aux idiosyncrasies des dessins de John McCrea. L’encrage de Klaus Janson permet de ramener son ton narratif vers le drame, mais il subsiste des images où l’exagération comique n’est pas toujours en phase avec le drame du lieutenant Partick D. Mitchell .

    Merci beaucoup pour cette découverte.

  • Thierry  

    Me voilà intrigué et intéressé. J’adore ces histoires de super héros où c’est le point de vu humain qui prédomine. Merci pour la découverte!

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