Hallucinations de Junj Ito
Un article de MATTIE BOY
VO : Asahi Sonorama
VF: Tonkam
:Nous revoici pour la dernière partie consacrée à mes volumes de courtes histoires de Junji Ito. Cette fois-ci, on va s’intéresser à HALLUCINATIONS. C’est un volume un peu particulier. Les histoires sont davantage liées entre elles, mais pas complètement. Cela vient du sujet même du recueil : les univers parallèles. Ne vous enfuyez pas ! On n’est pas dans la continuité tordue des X-men. Il est question d’une maison qui serait une porte vers d’autres réalités similaires, un lieu d’anomalies de l’espace et du temps.
Toutes les histoires mettent en scène un jeune homme du nom d’Oshikiri qui vit seul dans cette maison assez sinistre durant l’absence de ses parents partis à l’étranger. La première histoire ne semble pas avoir été écrite pour avoir une suite dans la mesure où Oshikiri assassine un de ses amis parce qu’il est jaloux de sa taille (Oshikiri souffre d’un complexe lié à sa petite taille.) Il va l’enterrer sur le terrain de la maison, mais alors qu’il voudra vérifier s’il l’a enterré assez profond, il va se rendre compte que le cadavre de son ex ami se transforme, notamment son cou qui grandit anormalement. Les apparitions cauchemardesques dont il va être victime vont le pousser à se confesser à la police, persuadé que ses actes et le blocage qu’il fait sur son complexe lui ont fait perdre la raison. Mais il semblerait que tout ne soit pas hallucinations.
Les autres histoires mettent aussi en scène Oshikiri et le présentent comme un gars certes un peu sinistre mais plutôt sympa (ah ben…il n’est pas en prison ?) Même s’il n’y a pas trop d’explications à ce sujet, le thème des histoires suivantes peut sous-entendre que le premier Oshikiri était celui d’un univers parallèle. Car des doubles, nous allons en voir.
La mare aux esprits vengeurs : cette deuxième histoire met donc à nouveau en scène Oshikiri mais reste un peu à part. Elle ne se déroule pas dans la maison et parle de Kojima, un camarade de classe d’Oshikiri qui est harcelé par des groupies folles amoureuses de lui. Mais deux d’entre elles sont un peu trop obsédées par le jeune homme et ce dernier va simuler une noyade dans une mare pour leur jouer un tour. Mais les deux filles sont prêtes à tout pour le revoir, quitte à pousser d’autres garçons à plonger dans la mare pour le retrouver. Une sympathique histoire qui traite d’obsession et qui tourne mal.
Les correspondantes : Cette histoire commence à aborder les phénomènes étranges de la maison d’Oshikiri. Ce dernier essaie de se faire une copine et fréquente Satomi, une fille de son école souvent seule. Celle-ci prétend ne pas avoir besoin d’amies puisqu’elle correspond avec trois filles par courrier. Mais ces dernières semblent jalouses qu’elle se mette à fréquenter un garçon. Les lettres vont devenir de plus en plus violentes jusqu’à des menaces de mort (sacrée amitié !).
Mais Oshikiri, qui est un fin limier, décèle quelque chose d’étrange dans ces correspondances qui se font un peu trop vite pour le service courrier. Satomi s’écrirait-elle à elle-même ? Et qui est cet étrange garçon qui veut faire chanter Oshikiri et qui a la même écriture que lui ? Est-ce que lui aussi s’écrirait à lui-même ? Cette histoire est à suivre. Le suspense fonctionne très bien et la maison d’Oshikiri commence à devenir sinistre.
L’intrus : Oshikiri sympathise dans son école avec une bande passionnée de phénomènes paranormaux. Il va leur faire visiter sa maison car il entend des pas depuis un moment. Dans ce récit l’accent est mis sur le suspense lorsque les jeunes arpentent la maison inquiétante et soupçonnent qu’elle communique avec une autre dimension. Leurs efforts seront récompensés lorsqu’ils verront un double d’Oshikiri…en train d’enterrer leur double à eux tous.
Ici, Ito commence vraiment à rendre la maison d’Oshikiri inquiétante. Même si c’est une maison relativement moderne et pas un vieux château hanté, il fait se dégager une atmosphère oppressante de cette grande maison sombre ceinturée à l’extérieur par une haute muraille noire.
Une étrange histoire d’Oshikiri : on passe la vitesse supérieure dans le bizarre. Cette fois Oshikiri va faire la connaissance de la jeune Mio Fuji après avoir vu son double d’une autre dimension s’enfuir dans sa propre maison. Curieux, il veut s’assurer que ce n’était pas celle de son monde et se lie d’amitié avec elle. Seulement en insistant pour venir chez lui, la pauvre Mio va se perdre dans une autre dimension et être victime d’un autre Oshikiri. Cette fois, ce double semble être un apprenti scientifique qui essaie de concevoir un produit pour accroitre sa petite taille. Il se sert de gens de sa propre dimension ou de ceux qui franchissent involontairement le passage comme cobayes pour tester son produit qui échoue la plupart du temps et les transforme en d’horribles monstruosités. Le gentil Oshikiri parviendra-t-il à sauver sa Mio ?
Les murs : Celle-là fiche un peu la trouille. Bon…toute proportions gardées quand même. C’est de la BD. Mais c’est carrément bien trouvé. Suite à un tremblement de terre (fréquents au Japon), un pan de mur se casse dans la maison d’Oshikiri et ce dernier y découvre un cadavre très ancien. Ses parents l’appellent et lui indiquent qu’ils vont bientôt rentrer. Oshikiri ne tient pas à parler du cadavre ni à attirer la police puisque, rappelons-le, un de ses doubles a enterré des gens partout. La maison est en train de devenir un cimetière et il vaut mieux que personne ne le sache. Il veut donc se débarrasser du cadavre avant l’arrivée de ses parents mais il n’en a pas le temps. Ses parents arrivent…mais le cadavre a disparu. Oshikiri a également trouvé une très étrange photo dans les affaires de la famille. Quant à ses parents, quelque chose cloche chez eux. Et que sont ces bruits qui troublent les nuits d’Oshikiri ? On dirait des choses qui se déplacent dans les murs…
Histoire très efficace qui m’a fait penser à la nouvelle « des rats dans les murs » de Lovecraft. En tous cas après ces histoires, il faut espérer qu’Oshikiri va déménager parce que c’est l’enfer cette maison. La lente montée en puissance du suspense et des phénomènes paranormaux est très efficace dans ce volume. La maison aux allures de château austère devient vraiment inquiétante.
Quant à Oshikiri, c’est peut être un des personnages à la psychologie la plus développée parmi les protagonistes de Ito qui finissent souvent mal. Certes parfois les pires aspects de sa personnalité sont abordés au travers de ses doubles plus vicieux ou tordus, mais on sent que ces derniers sont une version exacerbée de lui-même. Et au final on a un portrait d’un jeune homme intelligent, un brin acerbe et sinistre qui ne vit pas très bien le fait d’être plus petit que la plupart des filles, mais reste digne malgré tout la plupart du temps. Il n’est pas naïf mais plutôt cynique. Bien que ces histoires soient déjà assez vieilles (compte tenu du style graphique qui s’affine mais n’a pas encore atteint sa pleine maturité), il y a un très bon équilibre entre suspense et horreur visuelle.
D’ailleurs à propos du graphisme de l’auteur, selon ses propres mots dans une interview, il considère que pour l’horreur mieux vaut un style un peu rugueux, brouillon, pas trop précis ni trop beau. Car cela renforce la sensation inconfortable. Et même si je trouve que son style est devenu plus précis avec le temps, il conserve ce côté irrégulier avec des hachures et des traits assez gras, en particulier lorsqu’il dessine toutes sortes d’horreurs (c’est moins visible sur des humains « normaux ».) C’est ce qui rend son style mémorable. C’est vrai que Junji Ito n’est probablement pas le meilleur dessinateur du monde d’un point de vue technique, mais pour véhiculer les sensations qu’il veut, il convient parfaitement.
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La BO du jour
Je sens que ça peut m’intéresser son adaptation de ce roman^^
Et je m’en fous maintenant, j’achète en anglais. Je n’ai plus trop d’espoir de voir ses nouveaux travaux publiés en France.
Et Fragments of horror était un super recueil. Hors de question de m’en priver parce que c’est en anglais.
Une confirmation que je ne louperais pas une prochaine réédition de son oeuvre, hypnotique et captivante.
Si elle arrive un jour…
Moi je me suis tourné vers l’anglais avec Vizmedia, comme je t’avais déjà dit^^
Mais même ceux là s’épuisent vite.
Soit ça se vend vraiment bien, soit les tirages sont très limités parce qu’ils ont peur que ça ne se vende pas. Mais visiblement ils se trompent^^
« On a déménagé pour moins que ça » : pour de bon, ahah ! Dure, la vie chez Ito.
Merci pour l’article, c’est toujours divertissant ce genre de chronique, et ça donne toujours très envie de découvrir cet auteur. J’attendrai l’occasion d’en trouver en occasion, en anglais ou en VF, ou une nouvelle édition VF improbable…
En tout cas ces histoires semblent presque plus normales que d’habitudes. Ca me fait penser à des dessins animés beaucoup plus drôles : Rick and Morty, Les Zinzins de l’espace.
Je ne me souviens plus de la nouvelle de Lovecraft dont tu parles (sachant que j’ai relu tous mes vieilles éditions de Lovecraft il y a deux ans, et que je suis actuellement à la relecture du huitième tome (sur dix) de Elric, Stormbringer), dans quel recueil se trouve-t-elle ?
La BO : fan. Pas certain que la version avec Reznor soit meilleure en fait.
@Jyrille,
J’ai, en ce qui me concerne, les œuvres de Lovecraft en recueils dans la collection Bouqunis (ed. Robert Laffont).
Si ma mémoire de nouveau cinquantenaire ne me fait pas défaut, je crois que « Les rats dans les murs » est une nouvelle publiée dans le tome 2.
Vu que j’ai les nouvelles éditions chez Bragelonne en version complète et nouvelle traduction, je ne peux pas trop t’aider sur le volume. Par contre tu peux aller voir sur noosfere
https://www.noosfere.org/livres/auteur.asp?NumAuteur=177
Tu vas dans les nouvelles, tu cliques sur le titre, et ça te sort toutes les éditions avec les sommaires.
Merci à vous deux ! Je suis allé vérifier, elle est dans Par delà le mur du sommeil. Je ne m’en souviens plus pourtant, je vais vérifier dans mon bouquin.
J’aimerai beaucoup m’offrir les nouvelles traductions Bragelonne, mais ce n’est pas une priorité…
A chaque fois que je lis une de tes chroniques sur Ito, j’éprouve des sentiments mêlés. Les idées et les illustrations sont à la fois dérangeantes et fascinantes. Sans vraiment l’avoir beaucoup lu (peut-être quelques trucs il y a longtemps en médiathèque et plus récemment en ligne), j’ai la conviction que c’est un auteur brillant mais que son univers n’est pas vraiment pour moi… Et pourtant, j’aurais parfois la tentation de m’y plonger…
Tu résumes assez bien les impressions qu’on a avec cet auteur.
On ne peut pas dire qu’on se fende la poire en le lisant…mais d’un autre côté, tu n’as tellement jamais vu ça ailleurs que tu en redemandes pour voir quelles autres idées folles il peut te montrer.
Je doute que son univers soit « pour » qui que ce soit. C’est justement parce que tu veux être dépaysé que tu y retournes^^
Quand tu commences à t’habituer à ce qu’il fait…c’est qu’il faut faire une pause hein^^ Et lire autre chose. Avant de perdre quelques neurones. Et revenir plus tard.
D’une certaine façon, comme pour Lovecraft, je pense qu’il ne faut pas commencer à lire Ito avec n’importe quel recueil. « La fille perverse » présentée pas Bruce est un bon point de départ parce que ce n’est pas encore trop fou. Si tu commences par contre par Gyo ou Spirale, y’a moyen que tu te dise « mais putain c’est quoi ça ? » et que tu ne reviennes jamais lire autre chose^^