Superior DD

Daredevil : Le Diable de Californie par Mark Waid et Chris Samnee

Hope you guess my name....

Hope you guess my name….©Marvel Comics

VO : Marvel

VF : Panini

Ce volume comprend le quatrième reboot de la série Daredevil et publie les épisodes 1 à 5, et le 0.1 dessiné par Peter Krause. Tous les scenarii sont de Mark Waid. Ceux qui n’ont pas lu le run précédent chroniqué ici risquent d’avoir leur plaisir gâché par le spoiler portant sur la fin du tome précédent.

Un type étrange ce Mark Waid….Vieux routier du Comic-book, il fait souffler depuis quelques années un vent de fraîcheur sur la licence qui rendit célèbre Frank Miller. Lauréat de plusieurs Eisner Awards, Waid écrit un DD surprenant, jamais là où le lecteur l’attend. Ce Daredevil brille de mille feux et donne l’illusion que la série du justicier aveugle est celle où tout peut arriver. Un sentiment qui rappelle la lecture des Xmen de Claremont, de Xstatix de Milligan ou du Daredevil de Miller !

La fin de l’arc précédent mettait un point définitif à une intrigue vieille de 30 ans : le suspense autour de l’identité sécrète de Matt Murdock !  Initiée par Born Again, puis avec les runs de De Matteis, Kevin Smith, de Bendis et Brubaker, la révélation de la double vie du justicier aveugle commençait à relever du secret de polichinelle. Waid avait alors choisi de clore le débat en amenant Matt à révéler en pleine cour de justice son identité secrète ! Celui-ci était bien évidement radié du bareau avec circonstance attenuante au regard des services rendus à NY. Matt rejoint ainsi le club des héros ayant rendu leur identité publique ( Iron Man, Captain America).

Coming out !

Coming out ! ©Marvel Comics

Lorsque ce volume commence, le voici donc installé avec son adorable petite amie Kirsten Mc Duffie à San Franciso pour commencer une nouvelle vie. Avant d’entrer dans le vif de l’activité super héroïque, Waid décrit plein de  petits moments savoureux de la vie ordinaire de notre héros : comment supporter l’avion et ces milliers de coeurs pour des sens hyper développés,  comment combattre dans une ville où il ne connait pas les endroits stratégiques, la nature de ses relations avec le bureau municipal de San Francisco, la gestion de sa nouvelle célébrité et de la mort de Foggy Nelson. Voilà le genre de moment où le scénariste excelle. Des petites parenthèses que le super héros ouvre sur lui-même  nous mettant en relation avec l’une des âmes les plus nobles de l’univers Marvel qui n’en contient plus beaucoup. Waid en est conscient et livre de très beaux méta-commentaires sur l’industrie qui l’emploie et la fin des valeurs super-héroïques.

Tout est léger, frais dans l’écriture du vieux briscard. Là où Miller, Brubaker et Bendis auraient dramatisé le danger que court Kirsten au côté du Héros, Waid choisit le pied de nez. Murdock est constamment tourné en dérision par sa girlfriend qui porte la culotte. Kirsten se joue de la cécité de notre héros : elle lui  intervertit le sel avec le poivre à table, lui fait des grimaces, écrit son nom en minuscule sur leur nouveau bureau. Kirsten n’étant ni mutique comme Elektra, suicidaire comme Heather, instable comme Karen, cruche comme Milla, bénéficie d’un fort potentiel d’empathie et de respect du lecteur. Voilà une femme qui brille par son intelligence, son humour, son ironie vis à vis de l’activité super héroïque.

Kirsten la seule femme sans super-pouvoirs capable de déstabiliser l'homme sans peur !

Kirsten la seule  femme sans super-pouvoirs capable de déstabiliser l’homme sans peur ! ©Marvel Comics

Matt la décrit lui même comme une femme impossible à baratiner devant laquelle il doit s’incliner. Elle fait partie avec Ana Marconi du Spider-Man  de Slott des rares femmes normales à partager la vie d’un Super Héros là où l’univers Marvel se comporte désormais comme une caste fermée sur elle même, peu en contact avec une humanité qu’elle protège. La demoiselle a déjà une fanbase sur Internet qui recense les moments Kirsten quand d’autres répertorient les moments Ennis.

Vous l’aurez deviné : la force de Waid est de doser l’activité  costumée de Matt ( et elle est trépidante ) avec des personnages secondaires qui existent enfin pour eux mêmes et qui doivent réfléchir aux conséquences de leur vie avec un tel casse cou. Pour la première fois de son existence, Matt vit une relation d’égal à égal sans être soumis à la passion aveugle, l’autodestruction ou les remords… Ce retour à la normale permet au lecteur d’admirer d’autant plus l’intelligence et la lucidité d’un héros qui a sûrement eu la vie la plus misérable de tout l’univers Marvel avec Frank Castle. En tranchant avec le mode narratif de Frank Miller, Mak Waid, paradoxalement,  lui reste fidèle : en luttant contre sa psychose et sa dépression, Matt n’a jamais aussi bien appliqué le Never give up de Born Again. Il reste cet homme droit, intègre et infiniment touchant, lui l’incorruptible au toucher ultra sensible.

Une femme qui ne manque pas de sel....

Une femme qui ne manque pas de sel…. ©Marvel Comics

Et ce n’est pas fini. En introduisant le héros / vigilant Le Suaire, Waid procède à une mise en abîme du super héros des années 90. Le Suaire est un mélange de Kaine ( la figure tragique de La saga du Clone), de Spawn ( un héros à moitié SDF  enroulé dans sa cape qui sent très mauvais) avec un zeste de The Cape, le héros noir qui fait habituellement équipe avec The Sword. Et bien sûr, impossible de ne pas penser au justicier / clochard / sociopathe Rorschach.

Oh  que c’est malin de la part de Waid ! Car, Le Suaire, ce héros dépressif, tourmenté et violent,  avec le pouvoir de contrôler les ombres et un sens radar n’est autre que l’ombre du DD des années 90 psychotique et brutal de Chichester et De Matteis. Celui qui simulait sa mort pour protéger ses amis. Celui qui sombrait dans la psychose en passant ses nerfs sur les voyous.  Ou celui qui chez Miller dormait avec des rats sous son lit et téléphonait à l’horloge parlante…Voilà typiquement le type de héros violent et tourmenté qui florissait dans les années 90  dont Matt Murdock et Bruce Wayne furent les pères fondateurs sous l’égide de Frank Miller.  Waid boucle donc sa boucle : une autre voie est possible, celle de la lutte d’un homme habillé en diable contre ses démons. Cette rédemption se fait étape par étape et le lecteur suit le processus de guérison de Matt.

Pour autant les menaces affrontées restent à la hauteur de la réputation de l’homme sans peur, notamment dans la première histoire qui pioche allègrement dans le catalogue d’Human Target : Matt est (encore) confronté à un Doppelgänger qui adopte son attitude sans maîtriser sa personnalité. Tout n’est pas parfait, beaucoup de fautes de script et de clichés embarrassants ( Le vilain qui actionne sous le pieds du héros une trappe enflammée). Mais même dans ces moments purement « Stan Leeisque », il est possible d’y voir le refus du démon de succomber à l’enfer. Et de montrer un homme qui refuse de répéter les erreurs du passé et souhaite décaler son point de vue ( sic ! ) sur des situations déjà rencontrées. En gros Waid montre que le bonheur n’est niais, ni ennuyeux.  On n’est jamais loin de Sénèque ( oui ! ) pour qui l’homme vertueux transformait le mal en bienfait !  Il n’y a pas de situations insurmontables mais une mauvaise perception des choses. Alors que le Suaire cherche la mort par son activité de justicier, Matt reprend goût à la vie en la vivant intensément.  Du pur Stoïcisme !

Chris Samnee est complémentaire du succès de Waid. Même si je lui préfère Paolo Rivera, il est indubitable que derrière le style Cartoon de Samnee, Waid trouve l’expression visuelle parfaite à son scénario. Les fossettes, les grimaces, les mimiques de Kristen sont irrésistibles. Le personnage est si bien installé dans l’esprit du lecteur qu’il peut la représenter dessinée façon Hergé avec des points à la place des yeux sans qu’elle soit décrédibilisée.  Si les planches de Samnee sont peu ragoutantes en vue d’ensemble ( la faute à un encrage trop gras), elles prennent toute leur signification dans le détail, case par case. Des décors élaborés et un fourmillement de détail qui en disent long sur la personnalité des héros : ici un mar de café où trempent mégots et conserves racontent la crasse du Suaire, les photos de Matt, Foggy et Karen grimés en 3 singes de la sagesse, qui ramènent les personnages à une époque plus légère.

Le travail stylisé de Samnee...

Le travail stylisé de Samnee… ©Marvel Comics

Du Marvel haut de gamme qui nous réconcilierait presque avec la maison des idées de plus en plus merdiques…Jouissif pour les connaisseurs du Diable rouge mais aussi appréciable à ceux qui s’apprêtent à le découvrir via la série TV en préparation. Chaque étape de la vie de Murdock a été marquée par une femme qui déterminait l’ambiance de la série. Kirsten amène enfin de la joie de vivre dans la vie de Matt Murdock sans que le personnage soit méconnaissable.

Et puis, puisque c’est la fête signalons une édition Panini avec une traduction soignée de Khaled Tadil, une jolie maquette, un découpage respecté et des couvertures à leur place. Parfois le bonheur, c’est beau comme un pacte avec le Diable….

Allez ! Une dernière Kirsten pour la route ?

Allez ! Une dernière Kirsten pour la route ? ©Marvel Comics

19 comments

  • Présence  

    Un article passionnant de bout en bout qui sait mettre en lumière une thématique qui m’avait échappée : le filage de la métaphore du Diable, de l’individu combattant ses démons, de Matt Murdock surmontant ses traumatismes. Merci pour cet éclairage pénétrant.

    Pour mémoire, en anglais Tyrone Johnson et Tandy Bowen se font appeler Cloak and Dagger.

  • Tornado  

    Chouette article. Plein de détails révélateurs sur le contenu, ses richesses et ses spécificités.

    Pfffiou. Comment vais-je résister à présent ? La seule chose qui me retient encore, c’est que paninouille n’a toujours pas réédité la première partie du run de Waid en librairie…

  • Bruce lit  

    Oui….Encore un miracle éditorial qui reviendrait au cinéma à sortir le Retour du Jedi sans avoir mis en salles les deux premiers volets de la trilogie….

  • Marti  

    Sur leur page Facebook, ils ont répondu à la question en annonçant que la sortie librairie du début du run était à l’étude. Ça sent le Deluxe tout ça.

    Article incroyable, certaines métaphores comme celles du diable qui refuse l’enfer m’avaient également échappées !

  • Bruce without fear  

    Merci à tous ! Welcome back Marti !
    En écrivant l’article, je me suis rendu compte à quel point j’avais autant envie d’écrire sur Kirsten que sur Matt. Je l’adore, vous l’aurez compris….. Que deviendra t’elle une fois Waid parti…..
    Tornado, il est possible de lire cet arc sans avoir investi dans les précédents. Il y a des résumés à chaque épisode. Mais tu louperais quand même toute la partie consacrée au cancer de Foggy et surtout la relation irrésistible entre Matt et Kirsten….

  • Stan FREDO  

    Like, sauf le passage sur Paolo Rivera 😉 Pour moi, Rivera dessine « plat ». Samnee fait tout le contraire !

    • Bruce lit  

      Etant très classique je trouvais les planches de Rivera plus fine…. Mais il faudrait que je relise les épisodes maintenant !
      @JP : Il manque un petit truc comme souvent chez WAid…. Mais c’est le meilleur DD depuis quoi ? 7 ans ? 8 ans ? Kirsten : comment ne pas l’aimer : elle incarne la vie, la joie de vivre, l’intelligence, l’humour, la malice, tout ce qui me fait craquer chez une femme !!!

  • JP Nguyen  

    Je crois que je l’avais déjà dit sur l’article concernant le début du run de Waid, mais c’est pas grave, les vieux, ça radote : le Daredevil de Waid (et Samnee), c’est super bien fait, plein de bonnes idées, ça emprunte un chemin différent par rapport aux clichés noirs/ninjas/Caïd mais… ça ne me touche pas. Et Kirsten McDuffie, je ne l’aime pas. Je ne lui souhaite pas du mal, mais elle m’indiffère.
    C’est purement subjectif, mais c’est mon ressenti. Comme disait Mia Frye dans « Pop Stars » : « Là, je n’ai rien ressenti. » (ah là, y’a de la référence, quand même…)

  • phil cordier  

    A peu près du même avis sauf Rivera que je trouve moins bon que Samnee, en tout cas moins bon en narration/découpage; Moins maniéré aussi. Contrairement à JP je prend un plaisir fou à suivre les funs aventures de DD made in Waid/ Samnee. Enfin une équipe qui oublie l’ombre tutélaire du géant Miller, et le grim and gritty
    L’encrage de Samnee peut paraitre un peu épais au 1er abord mais il n’en est rien en fait et il colle super bien à son dessin; Je suis fan. Presque comme si le fils d’Alex Toth dessinait du super héros 🙂

    • phil cordier  

      un poil moins côté dessins car il n’avait pas encore simplifié assez à mon goût, restant parfois entre deux eaux, avec un côté « je ferme mes traits ou pas? j’hésite » 🙂 mais ca restait sympa

  • Bastien  

    Bonjour,

    Très bon article qui m’éclaire sur ce tome que j’hésitais à prendre.
    J’avoue que l’arc avec les Zombies, vampire et autres monstruosité m’avait vraiment refroidit.
    Je trouvais ça un peu trop décalé et kitch, ce qui ne colle pas vraiment à ce que j’aime trouver chez Daredevil (car je suis fan du run de Bendis sur ce personnage).
    Je penses que je vais quand même lui laisser sa chance.
    Bonne journée.

  • Bruce  

    Ah ! Bastien ! je me demandais où tu étais !!!
    J’ai récemment relu l’arc de clôture avec les monstres que j’ai aussi trouvé assez ampoulé. Je crois que ces personnages reviennent par la suite, ce qui justifieraient leur featuring gratuit. Dans ce volume en tout cas c’est du DD 100 % urbain qui enquête sur un rapt d’enfant.

  • Bastien  

    Bonjour,

    Merci pour la précision du coup je pense qu’il va terminé dans mon panier.
    Je suis désolé de ne pas prendre le temps de commenter vos articles en ce moment mais mon travail est très chronophage.
    Sachez que je suis toujours vos articles, ils sont devenus mon rituel du matin.
    Bonne journée et bonne continuation.

  • Jyrille  

    Je n’avais pas lu l’article précédent sur le DD de Waid, et je ne l’ai toujours pas lu, je suis aussi tordu que Panini… En tout cas j’ai adoré la lecture de cet article, il est aussi optimiste que la bd qu’il semble décrire. Je ne suis pas certain d’accrocher au dessin, mais tout cela m’intrigue énormément, et mettre du Sénèque, c’est la classe. Chapeau.

    (et comme Bastien, mon boulot est chronophage en ce moment)

  • Bastien  

    Bonjour,
    Je viens de lire ce tome et effectivement il est très bon.
    On retrouve un Matt Murdock dans le même style que le run précédent, c’est à dire beaucoup moins fataliste. Mark Waid fait des petits clin d’oeil à son passé ce qui n’est tout de même pas désagréable (car oui sans être fan de continuité, je considère que si on la prend en compte il est bon d’en avoir des rappels de temps en temps).
    Par contre je trouve sa compagne sympathique mais sans plus.
    Ce premier arc pose le décore pour les futurs épisodes, et l’on retrouve un des adversaires mythiques de mon casse cou préféré.
    Un petit regret, les ennemis rencontrés par Daredevil ne sont pas du tout charismatique (mis à part l’ennemi mythique), voir presque risible. A aucun moment Daredevil ne semble dépassé ou en danger.
    Par contre le dernier épisode est une réussite et m’a laissé sur une note positive.
    Merci de m’avoir encouragé à lire ce tome.
    Bonne journée.

  • Bruce  

    Tant mieux s’il n’ y a que moi pour succomber au charme de Kirsten. Cela en fera moins sur la ligne de départ lorsqu’elle plaquera l’aveugle !
    Comment elle n’existe pas ?? Je te rejoins sur le fait que les ennemis durant ce run manquent d’épaisseur. J’avais beaucoup aimé la rencontre avec l’homme taupe. Je dirais ceci : la tension vient d’avantage du fait que murdock est son propre ennemi et que c’est à lui to keep the Devil at Bay !

  • Lone Sloane  

    Sans femme ni enfants ce week-end, je peux lire à volonté et j’ai enfin découvert le DD selon Waid et Samnee et je suis aussi enthousiaste que toi quand au traitement réservé à Matt Murdock.
    C’est comme un vieil ami, qu’on a connu plongé dans l’affliction et la peine, et que nous retrouvons débarrassé de ses vieux démons et prêt pour un nouveau chapitre de sa vie.
    Le déménagement à San Francisco et la nécessité pour l’homme sans peur de découvrir ce nouveau territoire (la superbe double planche sur la genèse de DD et la ville de NY présente dans ta chronique) est dépaysant. Et, comme tu le mets en perspective, le personnage du Suaire, écho du DD tourmenté des années 80-90, est amené subtilement par Waid pour que nous tournions ensemble la page sur le passé.
    N’ayant pas lu le début du run de Waid, je découvre celle qui fait battre ton coeur et celui de Matt 🙂 ainsi que les péripéties et le goût nouveau pour le camouflage de Foggy Nelson.
    Bref, que du bon, avec un goût de reviens-y.

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