Tranchant et macabre (Basketful of heads)

Basketful of heads, par Joe Hill, Leomacs et Dave Stewart

Un article de PRESENCE

VO DC Comics / Black Label / Hill House

VF Urban Comics

1ère publication le 21/04/21- MAJ le 30/10/21

M’en allant avec mon panier
© Urban Comics    

Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. C’est la première à avoir été publiée dans la branche HILL HOUSE de DC Comics, des histoires placées sous la tutelle de Joe Hill. Ce tome regroupe les 7 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2019/2020, écrits par Joe Hill, dessinés et encrés par Leomacs, mis en couleurs par Dave Stewart. Les couvertures ont été réalisées par Reiko Murakami. Le tome comprend également les couvertures variantes réalisées par Joshua Middleton, Clayton Crain, Tula Lotay, Becky Cloonan, Matteo Scalera, Igor Kordey, Gabriel Rodriguez. Il comprend également une courte interview (3 questions) de Joe Hill, et une un peu plus longue (5 questions) de Leomacs.

De nuit sur un pont, sous la pluie, une jeune femme en ciré avance avec à son bras un panier sur lequel est posé un drapeau américain. Il s’en échappe des voix. Elle porte une hache viking dans l’autre main. Elle pose le panier sur le parapet du pont. Une voiture s’arrête et le conducteur lui demande ce qu’elle fait sous la pluie, avec ce panier. Avant, en septembre 1983, à Brody Island, June Branch est assise sur le même parapet métallique par une belle journée d’été, à balancer ses jambes dans le vide. Une voiture de police s’arrête à sa hauteur et l’adjoint Liam Ellsworth en descend. Ils échangent quelques paroles, et ils s’embrassent comme des amoureux. Il lui indique qu’il a fini son service depuis cinq minutes. Ils remontent dans le buggy de la police et elle parle d’acheter leur propre voiture, mais il n’a aucun argent de côté. Elle est assez déçue qu’il ne souhaite pas acheter une voiture avec elle, mais elle le rassure : elle n’avait aucune intention de se suicider en se jetant du haut du parapet. Il indique qu’il a aidé à récupérer une suicidée à ce même endroit, peu de temps auparavant. Elle avait sauté avec un sac à dos rempli de cailloux pour être sûre d’en finir. Mais Liam demande à récupérer sa chemise d’uniforme parce que la police est en train d’intervenir.

Vie de province
© Urban Comics     

Tout en remettant sa chemise dans son pantalon, Liam Ellsworth se dirige vers Wade Glausen, le shérif, tout en regardant les 6 prisonniers en uniforme orange allongés ventre à terre avec les mains sur la tête. Liam présente June au shérif qui l’invite à manger pour le soir, mais Liam lui indique que son épouse Roberta Glausen l’a déjà fait. Ned Hamilton, important homme d’affaires de l’île, est en train de se plaindre auprès du shérif qu’il faut qu’il retrouve au plus vite les quatre fuyards.

Le shérif répond qu’il ne s’agit pas de la pire engeance, mais juste de deux consommateurs de cannabis, d’un chauffard et d’un proxénète. Il ajoute qu’il s’en occupe et il donne l’ordre à Liam de se rendre au plus vite au repas préparé par son épouse. Arrivé à la demeure des Glausen, Liam présente June à Hank Clausen, le fils de Wade, puis à son épouse Roberta. Celle-ci les emmène dans un immense salon décoré avec de véritables pièces de musée viking, dont une figure de proue de drakkar, et une immense hache, que des pièces datant du neuvième siècle. Roberta, Hank, Liam et June prennent le dîner sur la terrasse ; ils sont servis pas l’employé de maison Gabby Thurston. Au moment du dessert, le téléphone sonne : Wade Clausen souhaite parler à Liam pour qu’il revienne parce qu’un des détenus en fuite a tué Noel Flanagan, un des policiers.

Cache-cache
© DC Comics 

S’il a lu l’extraordinaire série LOCKE AND KEY, le lecteur n’éprouve pas un seul instant d’hésitation en découvrant un nouveau comics écrit par Joe Hill. Il s’agit du premier à être publié par DC Comics dans une branche créée spécialement pour l’occasion Hill House, pour des récits d’horreur, a priori triés sur le volet par Hill lui-même. le titre et la couverture l’annoncent clairement : c’est un récit d’horreur dans lequel un individu mystérieux coupe des têtes avec une hache et les met dans un panier. La couverture n’est pas mensongère, et en plus une fois coupées, les têtes en question continuent de parler, en l’occurrence à leur meurtrier, mais aussi entre elles.

En découvrant progressivement le récit, le lecteur peut sentir l’influence de Stephen King le père de l’auteur dans le lieu choisi : une île reliée au continent par un passage qui se retrouve inondé du fait d’une tempête et cette dernière fait sauter le réseau électrique. C’est parti pour une nuit éprouvante au cours de laquelle toutes les horreurs peuvent survenir.

June se prend la tête….
© DC Comics 

Le lecteur peut se retrouver décontenancé par le ton de la narration. Il y a ce principe de têtes séparées de leur corps et qui continuent à parler comme par enchantement. Le scénariste évoque en passant cette particularité mais sans s’y attarder, ce n’est pas important pour l’intrigue. En fait, si c’est important parce que les échanges qui s’installent entre elles et le tueur vont fortement influer sur le comportement de ce dernier. Le dessinateur les représente de manière réaliste : il est possible de voir les lèvres bouger, les yeux bouger, de les voir prendre des expressions diverses.

Elles continuent de parler alors qu’il n’y a plus ni cordes vocales, ni poumons. À l’évidence, le lecteur doit accorder le degré de suspension d’incrédulité consentie nécessaire pour prendre cet état de fait comme il vient, sans poser de question, sinon la narration ne fonctionne pas. Sous réserve d’y consentir, il peut alors apprécier un thriller bien noir et macabre, assez retors avec une touche d’humour noir. S’il en déjà lues, il pense aux histoires à chute des EC Comics, et se dit que la filiation est bien là, voire même une forme d’hommage aux éléments surnaturels que pouvaient contenir une partie de ces histoires.

Il veut pas se taire….
© DC Comics 

S’il a cette touche d’humour en tête, le lecteur prend plus de plaisir encore aux expressions des têtes coupées en train de parler dans le fameux panier. Sinon, il prend les dessins au premier degré, et apprécie le naturel de la narration visuelle, ainsi que sa qualité descriptive. Leomacs détoure chaque forme avec un trait précis et avec un soupçon de lâché dans leur tracé qui apporte une sensation de vie dans les personnages, très naturelle. Il utilise les cases sans décor en fond avec modération et pertinence. Il passe du temps à représenter les environnements, dans la plupart des cases, avec un niveau de détail parfaitement dosé. le lecteur éprouve la sensation de trouver dans les différents endroits de l’île : le pont métallique au-dessus du bras de mer, la vue en hauteur surplombant la spacieuse demeure des Clausen, leur salon richement décoré, le ponton au-dessus de la mer, le panier à linge où s’est réfugié June alors que les fuyards visitent la maison pendant la panne d’électricité, la berge rocailleuse où été retrouvé le corps d’Emily Dunn avec son sac à dos, la route déserte avec un arbre en travers, le 4*4 de Ned Hamilton, le poste de police et ses cellules, le yacht de Wade Clausen, le fond de l’eau.

Toujours avec l’idée d’une touche d’humour noir en tête, le lecteur se prend à sourire au jeu des acteurs qui paraîtraient sinon un peu forcé. À l’évidence, Leomacs rend lui aussi hommage aux EC COMICS et à la forme d’expression un peu dramatisée des personnages. D’un autre côté, au vu de ce qui leur arrive (et pas qu’aux décapités), il y a de quoi avoir des réactions émotionnelles intenses.

Coincé sur île pendant une tempête
© Urban Comics  

Pour autant, l’artiste n’en fait pas des tonnes, et prend bien garde à ne pas passer dans l’outrance ou dans le grotesque. Il fait en sorte de raconter l’histoire au premier degré et que ses visuels ne sortent pas du domaine du plausible. Du coup, malgré les têtes coupées qui parlent, le lecteur ressent une véritable empathie pour les personnages, et prend immédiatement fait et cause pour la pauvre June Branch qui va passer une sale nuit. La dynamique du thriller fonctionne à plein, et le tueur a la main lourde avec sa hache. Le récit dépasse la simple course-poursuite, car Joe Hill a construit une intrigue soignée pleine de révélations et de retournements, qui ne repose pas sur les tranchages de cou, ou le gore. Le lecteur commence par se demander ce qui a bien pousser Eily Dunn à se suicider en sautant dans une rivière avec un sac à dos rempli de pierre. Puis il doute que les quatre évadés soient si inoffensifs que l’a déclaré le shérif. Puis il tremble pour June et Liam alors que les quatre fuyards fouillent la maison du shérif de fond en comble de nuit sans électricité, en se demandant bien ce qu’ils peuvent chercher. Alors que June se fait courser par Salvatore Puzo en combinaison orange, il se demande ce qui est en train d’arriver à Liam aux mains des trois autres. le scénariste a conçu une intrigue avec une précision d’horlogerie, et un rythme maîtrisé de bout en bout, qui donne le temps au lecteur d’apprécier ce qu’il est en train de découvrir, tout en le tenant en haleine, et en lui faisant abandonner l’idée de faire une pause.

Pari réussi pour le co-auteur de Locke and Key : écrire un récit aussi prenant, tout en étant plus court. Joe Hill déroule un thriller imparable, avec une touche d’horreur (les têtes coupées) et une touche d’humour macabre (les têtes coupées qui parlent), avec une héroïne immédiatement attachante qui est faillible, mais qui ne joue ni les potiches, ni les victimes. La narration visuelle est incroyablement bien adaptée à la nature du récit, avec que ce soit pour les exigences descriptives que l’intégration organique de la touche macabre.

Promesse tenue : un panier de têtes
© DC Comics 

La BO du jour : puisque c’est si gentiment demandé…

57 comments

  • Nightwing59  

    La suite vient de paraître. Le premier épisode est cool même si on perd l’effet de surprise de la première mini. Reste que le premier épisode est assez fun pour que j’aille lire la suite.

  • Nightwing59  

    Oui refrigerator full of heads. Le premier numéro est sorti mercredi

  • Présence  

    En outre, ce réfrigérateur plein de têtes n’est pas écrit pas Joe Hill mais par Rio Youers et dessiné par Tom Fowler.

    • Bruce lit  

      Oh. Tout de suite, ça calme…

  • Tornado  

    Je viens de le lire.
    Je ne le considère pas, personnellement, comme un chef d’oeuvre à la hauteur de L&K mais je me suis bien amusé.
    Derrière son pitch minimaliste, c’est d’une écriture vachement sophistiquée en fait. Et encore une fois, ce qui m’épate c’est la manière et l’intelligence avec lesquelles Hill comprend et approche le médium de la bande-dessinée. Voilà typiquement le genre de pitch (« des têtes coupées qui continuent de vivre ») qui ne peut pas passer sous un autre médium sans un gros risque de se casser la gueule. Ça ne peut effectivement marcher que dans le cas extrême d’un film d’horreur loufoque (pour citer les cas d’EVIL DEAD 2 ou de RE-ANIMATOR que Joe Hill cite comme source d’inspiration). Sinon ça ne passe qu’en BD si on veut raconter une « vraie » histoire de A à Z.
    Je ne comprends pas qu’on puisse ne serait-ce qu’émettre l’idée qu’il s’agit-là d’un auteur surrestimé. C’est l’un des tous meilleurs de sa génération. Très loin devant la mêlée. Et en plus c’est rock’n roll.

    • Jyrille  

      Je suis d’accord. Malheureusement PLUNGE n’est pas du tout de ce niveau, juste un gros plouf malgré les supers dessins de Immonen.

    • zen arcade  

      Je me souviens que j’avais trouvé ça assez poussif. J’en étais sorti déçu.
      Mais sans remettre en cause le talent de Joe Hill parce qu’à mon sens Locke & Key est une des meilleures séries comics de ces 20 dernières années. Une très grande réussite.
      Ceci dit, si as aimé le dessin de Leomacs, je te conseille vivement la lecture de sa mini-série Rogues scénarisée par Joshua Williamson. C’est sorti dans le Black Label chez DC, c’est donc complètement auto-contenu et hors continuité. Ca met en scène les Rogues, les vilains bras cassés de Flash, vieillis et rangés des voitures mais qui se lancent dans un dernier braquage. Et évidemment rien ne va se passer comme prévu. Je pense que ça pourrait vraiment te convenir.

      • zen arcade  

        Le poussif, c’est pour le Basketful.
        Mais ça vaut pour Plunge aussi. 🙂

      • Tornado  

        « à mon sens Locke & Key est une des meilleures séries comics de ces 20 dernières années :
        C’est exactement mon avis. J’ai écrit ici un article sur L&K. L’un des premiers que j’ai rédigés pour le blog, je crois. Écriture maladroite et un peu informe, mais qui restitue bien tout ce que j’ai aimé dans cette lecture. J’ai aussi lu et écrit sur d’autres comics signés Joe Hill : SANS ISSUE (excellent spin-off de son roman NOSFERA2) et TALES FROM THE DARKSIDE (série avortée, donc frustrante, mais néanmoins excellente aussi).
        Joe Hill est mon auteur de comics préféré aujourd’hui parmi les contemporains, avec Ennis et Remender (je ne compte plus Moore qui est en retraite, et Ellis qui est aux fraises…).

    • Présence  

      La manière et l’intelligence avec lesquelles Hill comprend et approche le médium de la bande dessinée : 100% d’accord. Alors qu’il a commencé sa carrière en tant qu’auteur de roman, Joe Hill sait écrire de la bande dessinée, et je n’ai pas trouvé de moments malhabiles faisant penser à un texte, illustré après coup. Il sait écrire en termes visuels.

  • Fletcher Arrowsmith  

    Oh je viens d’écouter la BO. Mon premier album d’ARCHIVE. que de souvenirs.

    Sinon je garde Basketful of Heads mais je revends Plunge. Et que son Locke & Key est excellent. Un excellent auteur que Joe Hill.

    • Présence  

      Et les épisodes supplémentaires de Locke & Key forment une histoire tout aussi bien réalisée.

      brucetringale.com/cetait-une-autre-epoque-locke-key-lage-dor/

  • Eddy Vanleffe  

    Comme Tornado…
    En tant que récit d’horreur, c’est léger mais en tant que Comédie, ça fonctionne bien et je me suis bien marré.
    Content de l’avoir pris à petit prix.

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