Tuer un Arabe !

L’Autoroute du Soleil par Baru

Facho fais moi peur !

Facho fais moi peur !©Casterman

Sorti en 1996, Alph’art du meilleur album la même année, l’Autoroute du soleil est le best seller de Baru réédité à de nombreuses reprises avec traduction à l’étranger, dont au Japon.

Avec notre palanquée de mairies Bleu Marine, on aimerait se dire que cet album sorti il y a presque 20 ans n’est plus d’actualité. Et pourtant…

Jeune Beur de 25 ans, Karim est une espèce de Fonzie des banlieues ouvrières. Banane gominée, blouson à la James Dean, il vit dans le culte des années 50 et tombe les femmes, spécialement les bourgeoises.

Est il un gigolo ? Baru le sous entend sans se prononcer clairement sur son personnage.

Lorsqu’il est pris en pleine escalopade par le mari de sa dernière conquête, Karim se barre la braguette encore ouverte, mais est loin de se douter de ce qu’il l’attend.

Car le cocu en question est un Le Pen local qui ne supporte pas que sa femme ait été sautée par un macaque.

Riche et malin, notre nazi franchouillard prend en chasse Karim et son copain Alexandre à travers la France entière pendant des mois.

Au fur et à mesure, l’envie de ratonnade se transforme en obsession meurtrière. Le Dr Raoul Faurissier perd ce qui lui reste de raison et le voilà prêt, armé jusqu’aux dents à abattre le jeune homme.

Le moins que l’on puisse dire c’est que Baru a le sens du rythme ! Avec son enchaînement de scènes chocs, ses dialogues percutants et un suspense époustouflant, le lecteur embarque dans une tragi-comédie dont il est difficile de deviner l’issue.

C'était la Dolce Vita...

C’était la Dolce Vita…©Casterman

Les planches de Baru sont extrêmement aérées, rarement plus de 5 cases par pages, ce qui lui permet une meilleure condensation de l’action.

Et de ce côté, on est loin du telefilm façon Victor Lanoux : poursuite en voitures, conspiration et traîtres à tout les coins de rues, gunfights et ruses machiavéliques, toute la France semble s’être liguée pour tuer son arabe.

Son style est suffisamment polyvalent pour attirer l’amateur de BD européenne mais également de manga pour le découpage voire de comics pour certains plans.

Baru nous emmène dans un road movie où l’humour et la tendresse cède constamment la place à la haine et la peur !

Au bout d’un moment, l’enchaînement de déveine de nos amis devient surréaliste, à la limite du crédible : un criminel recherché continue à persécuter deux innocents dans toute la France sans être plus inquiété que cela et il est rare que nos deux amis puissent se poser sans  tomber sur un Lucien Lacombe en puissance prêts à les dénoncer.

Si j'espionne mon pote, c'est pour mieux le protéger !

Si j’espionne mon pote, c’est pour mieux le protéger !©Casterman

Baru est plus à l’aise pour la mise en scène de situation que l’exploration psychologique des ses héros : ceux-ci restent intègres et fidèles malgré leur poisse.

On pourra tout de même leur reprocher leur gout du luxe, qui contre toute attente, ne les pousse pas à faire profil bas.

Les voici, jeunes d’ouvriers, fascinés par le pognon, les parvenus et la vie de château. De son côté le facho est décrit comme un sociopathe lambda prêt à tuer parce qu’il faut un psychopathe à l’histoire.

Ce que l’histoire perd en crédibilité, elle le gagne en allégorie. Baru parsème son récit de photographies sociologiques d’un pays en pleine mutation : les sidérurgistes bientôt licenciés, une extrême droite qui fait son nid en France profonde, émeutes en banlieue et corruption policière.

Baru montre que le mal, à l’image de Faurissier est partout et qu’il n’existe aucune contrée où la France soit immunisée contre la peste brune.

 Merde in France...

Merde in France…©Casterman

Bien consciemment, Baru réecrit un remake français de la Fureur de Vivre, où un jeune rebelle tentait de fuir l’autorité vacillante de ses parents et la haine de ceux que la différence effrait.

Parsemé de références cinématographiques, Baru réalise un road movie atypique entre Nicholas Ray et Bertand Blier époque les Valseuses pour la gouaille des personnages, jeunes branleurs sympathiques, marginaux et obsédés par la quéquette.

Tout cela est un peu daté du lettrage un peu stéréotypé au langage des personnages qui s’expriment comme chez Audiard ou Franquin.

Mais force est de constater que cette autoroute est une réussite incontestable et qui fait mouche à chaque page malgré ses défauts. Une belle histoire d’amitié virile en tout cas.

 

2 comments

  • Tornado  

    Je n’ai jamais rien lu de ce Baru, dont le style aurait tendance à me faire fuir. Mais ton commentaire allié aux images me montrent qu’il ne faut pas se braquer trop vite…

  • MatthieuM  

    Très belle critique une fois de plus pour un road movie qui fait date mais semble avoir un peu vieilli à te lire… Merci

Leave a reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *